Voracité

 

Va et mange avec joie.

Eccl. IX, 7.


Je conseille fortement à toute personne que la vue d'une chenille effraye, de visiter, si possible, les Chenilles de M. Paul Robert, ces quelques centaines d'aquarelles tout à fait étonnantes, purs chefs-d'oeuvre de beauté que notre peintre aimé a consacrées aux chenilles de notre pays. Ils admireront la variété de leurs formes, de leurs dessins, de leurs couleurs ci ne tarderont pas à modifier leur jugement.

De toutes les bêtes de la création, la chenille est, je crois, la plus vorace. Elle ne vit que pour manger. Si le papillon n'a pas de bouche, la chenille, par contre, en a une très grande, ressemblant à celle des broyeurs. En vingt-quatre heures, elle mange plus du double de son poids. Son estomac en travail continuel, de nuit comme de jour, est une officine où les aliments ne font que passer. Manger et digérer, s'amasser des réserves d'où proviendra le papillon, est l'unique affaire d'une chenille.

Elle se nourrit de tout : d'herbe, de fleurs, de graines, de fruits, et vit partout, sur les arbres les plus élevés, dans le gazon, dans la terre, dans les racines et la moelle du bois, dans les roseaux, dans les gousses et les capsules des plantes, et, comme les teignes, même dans nos vêtements.

Malheur à elle si elle ne mange pas ! Le papillon s'en ressentirait. Pour qu'il ait toute sa dimension, toute sa fraîcheur, tout son éclat, il faut que la chenille broute, jour et nuit, toute sa dose.

C'est pour cela, sans doute, qu'elle a seize pattes, afin de pouvoir plus facilement, sans perdre de temps, se transporter d'une plante à l'autre, ou quatre, plus fermes, qui lui permettent d'enjamber et d'arpenter le sol à la façon d'un géomètre ; d'où son nom d'Arpenteuse ou de géomètre.

Je ne sais de quel pas nous marchons nous autres pour aller en quête de ce « pain des forts » dont parle l'écrivain sacré.* De notre réponse* Psaume, LXXVIII, 25 dépend tout notre avenir.Nous contentons-nous, comme les gourmands, de déguster ici et là les sucreries de la Bonne nouvelle, soyez sûrs que nous n'irons pas bien loin dans ce qu'un apôtre appelle « l'acquisition du salut ».

Notre corps de résurrection dépend de la fidélité avec laquelle nous aurons su le nourrir dans ce monde. Nous ne serons dans l'au-delà que ce que nous aurons commencé à être ici-bas. Ne brilleront dans le siècle à venir, de tout l'éclat de la vie incorruptible, que ceux qui, sur cette terre, auront, si j'ose dire ainsi, brouté toute leur dose.

« Les arbres de l'Eternel se rassasient », disait le roi David. Pour arriver « à la mesure de la stature parfaite du Christ », il faut savoir aussi, chaque matin, se baisser et « ramasser un omer débordant » de manne, qui est la mesure du régime des fils de Dieu. Les fines bouches qui ne savent que butiner n'iront pas bien loin, hélas ! dans leur marche vers la gloire. c'est pourquoi, je te le dis, ami lecteur, « va et mange avec joie ! »


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