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 CHAPITRE V

LA RENAISSANCE

 

99. La Renaissance en Italie 90.

Jointe à l'invention de l'imprimerie, la renaissance de la culture antique amène la fin du moyen âge et contribue à préparer les temps modernes. En détrônant la scolastique et en élargissant l'horizon intellectuel par des études plus libérales, elle a servi à rendre la Réformation possible, mais elle n'en a pas été la cause. Selon les pays où l'humanisme s'est produit, il a eu des effets divers.

En Italie, la tradition classique latine n'était jamais tombée dans l'oubli, mais on n'avait estimé ceux des auteurs que l'on connaissait que comme des modèles de la langue. Au quatorzième siècle Pétrarque les avait imités, non sans bonheur, dans ses vers latins et dans ses ouvrages historiques et philosophiques ; Boccace avait écrit, sur les généalogies des dieux, un livre où il fait l'éloge de la poésie païenne et de ceux qui s'en occupent. Mais on n'allait pas encore au delà de l'imitation littéraire. Un changement se fit au quinzième siècle, quand des savants grecs vinrent se réfugier en Italie et y apporter leurs grands écrivains.

Ce fut comme la découverte d'un monde nouveau, à laquelle on n'avait pas été préparé. Pour se rendre compte de la fermentation qu'elle causa, il faut se rappeler la vivacité de l'imagination italienne, le discrédit où était tombée la science aride des écoles, le spectacle vu de plus près de ce qui se passait à la cour des papes et qui ébranlait le respect pour les choses religieuses, le gouvernement arbitraire des tyrans qui faisait douter du droit, la multiplicité des états, des factions, des intérêts, qui disposait les hommes à un individualisme excessif. Enfin, comme outre les études grecques nouvelles on avait repris avec un redoublement d'ardeur celles des classiques latins et de l'histoire de l'ancienne Rome, le patriotisme italien était surexcité par la résurrection plus vivante d'un passé dont il n'avait jamais perdu complètement le souvenir. Une foule d'idées dont on ne s'était pas douté sont mises en circulation; la nature et l'homme paraissent sous des aspects qui frappent les esprits par leur contraste avec tout ce qu'on avait cru savoir du moyen âge. On ne cherche plus seulement dans les auteurs anciens des élégances de style, on leur emprunte leurs manières de penser, leurs philosophies diverses, leurs principes moraux et politiques ; on les trouve plus humains, plus capables de développer l'homme que ne l'étaient les docteurs modernes; on ne veut plus s'occuper que des studia humanitatis, des litteroe humaniores; on méprise les litteroe divinoe, a cause du langage barbare et de la philosophia horrida de leurs interprètes; on oublie la différence des religions, on habille les sujets chrétiens des vêtements de la mythologie, on imite même les païens dans leurs moeurs. Le Pogge, secrétaire pontifical, élève du Grec Manuel Chrysoloras et qui, témoin du supplice de Hus, admira son stoïcisme, chercha en Suisse et en rapporta des manuscrits de classiques latins, mais se distingua par ses débauches et composa un recueil de facéties peu édifiantes. Le lecteur se souvient sans doute que le très lettré Enée Silvius, le futur pape Pie Il, n'avait pas été dans sa jeunesse un modèle de vertu.

Les nouveaux littérateurs ont soin de respecter l'église; tout en restant indifférents aux dogmes, ils se gardent de les discuter; ils agitent des problèmes, qui ne semblent être que philosophiques. Les uns, découragés à la vue de la situation de leur patrie, professent un fatalisme qui chez plusieurs va jusqu'au pessimisme. D'autres mettent en doute l'immortalité de l'âme; en 1513, au concile du Latran, Léon X publia une bulle pour défendre cette croyance contre ceux qui la niaient; peu d'années après, le philosophe sceptique Pierre Pomponace, qui distinguait en l'homme deux sortes de raison, l'une spéculative, l'autre pratique, et qui admettait que les deux peuvent être très légitimement en désaccord, fit paraître un traité où il soutenait que l'âme est immortelle selon la doctrine de l'église, mats qu'elle ne l'est pas selon les meilleurs philosophes (91).

Quelques érudits appliquèrent, avec un meilleur droit, leur critique à des questions d'histoire. Le RomainLaurent Valladémontra l'inauthenticité de la donation de Constantin et ne put croire à l'origine apostolique du symbole des apôtres; mais ne prenant le christianisme que pour une loi et les évangélistes que pour des historiens, il réduisit la religion à un rationalisme assez Superficiel (92). Il est enfin des savants auxquels les doctrines chrétiennes paraissent insuffisantes, ils se proposent de les embellir et de les compléter par des emprunts faits à la philosophie grecque et même aux spéculations des juifs. On forma ainsi un syncrétisme rattaché au système de l'église, mais qui n'avait de chrétien que le nom. Vers le milieu du quinzième siècle, Côme de Médicis fonda à Florence une académie platonicienne, dont le membre principal, le prêtreMarsile Ficin, traduisit en latin les ouvrages de Platon et ceux de plusieurs néo-platoniciens; dans ses propres écrits théologiques il mêla les théories de ces philosophes aux dogmes orthodoxes (93). Le princeJean Pic de la Mirandole, l'oncle de l'apologiste de Savonarole, combina Jésus-Christ, Platon, Aristote et la Kabbale (94).

Ces tendances diverses se partageaient l'Italie; elles allaient de pair avec la licence des moeurs; païens dans la pensée, la plupart des humanistes l'étaient plus franchement encore dans leur vie. Cela n'empêchait pas ces libres-penseurs d'être aussi superstitieux que le peuple; il croyaient à des prodiges, à de bons et de mauvais augures, à des apparitions, à la magie, à la chiromancie, à l'astrologie. Pic de la Mirandole fut le seul qui, dans un ouvrage mémorable, s'élevât contre la croyance à l'influence des astres; il n'y voyait qu'une source d'impiété et d'immoralité. Les meilleurs des Italiens, quand ils ne se perdaient pas dans des spéculations confuses, n'avaient pas d'autre religion qu'une sorte de déisme, d'autre idéal que la magnanimitas antique, d'autre mobile de conduite que l'honneur; cela pouvait suffire pour empêcher un homme de se dégrader, mais ce n'était encore que du paganisme.

A la cour de Rome on semblait fermer les yeux sur les dangers que cette prédilection à outrance pour l'antiquité faisait courir à l'église. Léon X, averti au concile du Latran qu'il fallait retenir au moins le clergé sur la pente, fit une constitution pour recommander aux clercs de préférer à l'étude de la philosophie et de la poésie celle de la théologie; mais comme il aimait lui-même à s'entourer de beaux-esprits de toute sorte, ses recommandations furent peu suivies en Italie. Comme les philosophes et les poètes n'importunaient pas le saint-siège par des demandes de réformes, on leur laissait toute liberté de saper les fondements mêmes de la religion, pourvu qu'ils ne le fissent pas trop bruyamment. Partout régnaient les anciennes passions et les anciens vices, mal couverts du vernis d'une culture raffinée. Aux fêtes, aux comédies, aux cortèges (trionfi) en costumes antiques ou allégoriques, succédaient l'assassinat, le pillage, le viol. On pouvait s'enthousiasmer pour un prédicateur comme Savonarole, mais on était trop mobile pour ne pas l'abandonner bien vite. Au commencement du seizième siècle il y eut des penseurs qui attribuèrent les malheurs de l'Italie à la corruption morale; celle-ci ne venait pas seulement, comme le croyait Machiavel, du mauvais exemple donné par le clergé l'esprit irréligieux de l'humanisme y avait aussi sa part. On ne méconnaîtra pas les résultats de la renaissance italienne pour la beauté de la forme artistique et littéraire, pour l'éducation classique de la jeunesse, pour le réveil des études chez d'autres peuples ; mais on ne pourra pas dire qu'elle a été un moyen de régénérer la chrétienté.

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100. L'humanisme en France et en Angleterre.

En France les effets de la renaissance au point de vue religieux furent moins sensibles. La Sorbonne, loin d'être hostile à la science, permit aux premiers imprimeurs parisiens d'installer leurs presses dans ses bâtiments, mais elle faisait bonne garde pour empêcher les humanistes de s'écarter de l'orthodoxie. Des Grecs réfugiés, Grégoire Tiphernas, Hermonyme de Sparte, Andronicus, furent les premiers qui enseignèrent à Paris leur langue. Le docteur en théologie Guillaume Fichet, célèbre alors comme orateur, et le mathurin Robert Gaguin, historien et poète, faisaient des efforts pour introduire un latin meilleur que celui que l'on pratiquait.Lefèvre d'Etaples, qui publiait des commentaires sur Aristote et des éditions d'anciens mathématiciens et astronomes, employait sa connaissance du grec à l'explication du Nouveau Testament; s'il insistait sur la doctrine de saint Paul, il le faisait avec tant de modération qu'il n'inquiétait encore personne. Le jurisconsulte Guillaume Budé, un des hommes les plus érudits de son temps, glissait dans un ouvrage archéologique, où on ne les chercherait pas, quelques voeux timides au sujet d'une réforme du clergé (95). Au commencement du seizième siècle, un poète Italien, Fausto Andrélino, était à Paris lecteur de poésie latine; un autre Italien, Jérôme Aléandre, plus tard cardinal, y enseigna pendant quelque temps le grec. Aucun de ces savants ne se livrait à des hardiesses compromettantes. Cette réserve que durent s'imposer les humanistes et qui, d'ailleurs, était conforme à leur caractère, ne leur permit pas d'avoir une action sur l'opinion et les moeurs publiques ; ils ne propagèrent ni l'incrédulité ni le désir d'une réformation.

Des Anglais, qui avaient fréquenté les universités italiennes, introduisirent l'humanisme dans leur patrie, dont les écoles ne s'occupaient que de scolastique et de droit canon. Thomas Grocyn, Thomas Linacre, Jean Colet, fondèrent à Oxford les études classiques avec le sérieux propre à leur nation. Eux aussi se servirent de leur grec dans des cours sur le Nouveau Testament. Colet, devenu doyen de Saint-Paul à Londres, créa en cette ville l'école de Saint-Paul, à la tête de laquelle il plaça l'helléniste Guillaume Lily, qui avait reçu son éducation littéraire dans l'île de Rhodes. Le chancelier Thomas Morus, ami d'Érasme comme l'étaient aussi Linacre et Colet, protégeait ces efforts, qui avaient encore de nombreux adversaires; on appelait ceux-ci les Troyens, parce qu'ils résistaient aux « Grecs » (96). Morus, s'inspirant de la république de Platon, publia un roman politique, l'Utopie (97); dans ce livre singulier il exposa un radicalisme communiste, qui était trop chimérique pour qu'on y prît garde ; la liberté religieuse qui, selon lui, règne chez les Utopiens et qui se contente de la croyance à une providence divine et à l'immortalité de l'âme, n'était aussi qu'une chimère; dans la suite Morus persécuta les protestants.


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90 Burckhardt, Die Cultur der Renaissance in Italien. Bâle 1860 ; 3e éd. par L. Geiger Leipzig 1877, 2 vol. - Gebhardt, Les origines de la Renaissance en Italie. Paris 1879. - Meiners, Lebensbeschreibungen berühmter Männer aus der Zeit der Wiederherstellung der Wissenschaften. Zurich 1795, 3 vol.

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91 De immortalitate animoe. Bologne 1516. Bien que Pomponace déclarât dans ce traité qu'il s'en rapportait plus à saint Augustin qu'à Aristote, il fut poursuivi comme hérétique ; l'affaire ayant été portée devant Léon X, celui-ci déclara que le livre du philosophe n'était ni hétérodoxe ni immoral.

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92 Valla (mort 1457) ne se contenta pas de prouver la fausseté de la donation de Constantin ; il fit une application pratique de sa démonstration, en concluant que si le pape cessait d'être vicaire de César pour n'être que vicaire de Jésus-Christ, il serait vraiment le père de l'église ; en d'autres ternies il conclut à l'abolition du pouvoir temporel. - Opera. Bâle 1540, in-f°. - Vahlen, Lorenz Valla. Berlin 1870.

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93 La meilleure édition de ses oeuvres est celle de Paris 1642. 2 vol. in-f°.

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94 Parmi les éditions de ses oeuvres nous citerons celles qui contiennent aussi les écrits de son neveu Jean-François, qui a été un peu plus biblique et moins platonicien. Bâle 1573 et 1661, 2 vol. in-fol.

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95 De asse et partibus ejus. Paris 1514, in-f°, folio 146, 150.

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96 Seebohm, Vie Oxford reformers, J. Colet, Evasmus and Th. More. 2e éd. Londres 1869.

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97 De optimo reipublicoe statu deque nova insula Utopia. 1516 et souvent. Ti-ad. en français par Sorbière. Amsterd. 1643, in-12.

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