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95. Les hussites jusqu'en 1436. - Calixtins et taborites.

Il se forma parmi les hussites deux partis, l'un plus conservateur, l'autre plus radical et plus exalté. Le premier, qui n'allait pas au delà de Hus et de Jacques de Misa, fut le parti des seigneurs qui avaient conclu la ligue de 1415; l'université de Prague en devint le centre théologique, le magistrat de cette ville le centre politique. Il formula ses principes en quatre articles, dits de Prague : la libre prédication de la Parole de Dieu, la communion sous les deux espèces, la renonciation du clergé aux biens temporels et son retour à la vie apostolique, la punition par la justice séculière des péchés mortels commis publiquement par des laïques ou par des prêtres. Ces quatre articles furent publiés au nom du magistrat et de la cité de Prague en latin, en bohême et en allemand, avec la déclaration qu'on les défendrait jusqu'à la mort. A cause du calice ou de la communion sub utraque les membres de ce parti reçurent le nom decalixtinsou utraquistes.

 

L'autre parti, dont le chef était Ziska et le centre la ville de Tabor (81), fut appelé celui destaborites. Il acceptait les quatre articles de Prague, mais comme n'exprimant que le minimum de ses exigences. Les calixtins, qui maintenaient ce qui est prescrit par la Bible, conservaient aussi ce qu'elle ne défend pas ; les taborites rejetaient tout ce qui ne peut pas se justifier par un commandement formel de l'Écriture. En 1420 ils tirent une sorte de profession de foi en quatorze articles essentiellement négatifs : abolition des traditions humaines, des cérémonies et des coutumes liturgiques, de l'invocation des saints, des messes pour les morts, des jeûnes, de la confession auriculaire, des reliques, des images, des missels, des vases sacrés, des habits sacerdotaux; il est même dit qu'étudier les arts libéraux est faire acte de paganisme. Dans une conférence, tenue la même année avec les calixtins, ils produisirent encore d'autres doctrines, savoir qu'il faut exterminer les ennemis de Dieu, que le culte peut être célébré partout, aussi bien en plein air que dans un bâtiment fermé, que Jésus-Christ n'est pas présent substantiellement dans la cène, que le pain et le vin ne sont que des signes. Dans un parti professant de pareils principes il était naturel de rencontrer des enthousiastes extravagants; il y en eut qui, revenant aux rêveries apocalyptiques, annoncèrent la fin prochaine du monde; d'autres reprirent les opinions de la secte du libre esprit, conservées dans le pays par quelques beghards ; pour figurer l'état d'innocence, ils renoncèrent à toute espèce de vêtement; ils reçurent le nom d'adamites et furent dispersés par Ziska lui-même en 1421.

Les calixtins étaient nombreux parmi les savants et les nobles; les taborites se recrutaient parmi la bourgeoisie des villes et les populations de la campagne. Le 5 août 1421. ils transmirent aux calixtins douze articles devant servir de base à un accord ; ces articles révèlent une nouvelle face de leur esprit puritain; ils demandent l'interdiction du luxe, des banquets et des tribunaux jugeant d'après le droit civil; en outre les calixtins étaient invités à supprimer les couvents, les églises inutiles, les autels, les images, les vases précieux, « tout ce qui sert à entretenir l'idolâtrie et la simonie ». Les calixtins ne purent entrer dans ces vues; les deux partis restèrent séparés; ils ne se rapprochèrent que devant le danger commun, et encore le rapprochement ne dura-t-il qu'aussi longtemps que dura la guerre.

L'empereur Sigismondétait haï de tous les hussites, pour n'avoir pas tenu sa parole à Hus. Dès le lendemain de la mort de Wenceslas les taborites commencèrent à Prague et ailleurs à dévaster des églises et des couvents et à maltraiter des prêtres catholiques. Sigismond ne pouvait espérer de gagner un parti aussi violent, taudis que par la modération il aurait pu réussir à être reconnu comme roi par les calixtins. Mais à la diète de Béraun il refusa de leur accorder les quatre articles, et annonça qu'il gouvernerait la Bohème, comme l'avait fait son père Charles IV, qu'on avait appelé le roi des prêtres. Martin V avait déjà excommunié les hussites et envoyé un légat pour organiser une croisade contre eux. Une armée allemande marcha contre Prague; les deux partis, calixtins et taborites, s'unirent pour la défense de leur patrie et de leur cause. Une diète, réunie en juillet 1421 à Czaslaw, sanctionna de nouveau les quatre articles, prit l'engagement de ne pas reconnaître Sigismond, et institua un conseil de vingt membres pour administrer le royaume « pendant la vacance » un de ces membres fut Ziska. Quand Sigismond voulut négocier avec la diète, elle lui opposa les griefs de la Bohême, dont les principaux étaient la violation du sauf-conduit de Hus et le consentement donné par le roi à la bulle d'excommunication et à l'invasion du pays. Tout arrangement était impossible; la guerre fut continuée, à la fois guerre de religion et guerre de race. Après la mort de Ziska, en 1424, les taborites se partagèrent ; les uns prirent pour chef l'ancien moine Procope, surnommé le Grand; les autres, ne croyant pas qu un capitaine comme Ziska put être remplacé, s'appelèrent les orphelins et mirent à leur tète un conseil, dans lequel Procope, dit le Petit, eut la première place. La guerre dura onze ans ; trois armées de croisés, c'est-à-dire de mercenaires, furent successivement mises en déroute par les Bohêmes, qui pénétrèrent même dans les pays voisins.

Le concile de Bâlecomprit qu'une nation qui combattait pour sa liberté pouvait difficilement être vaincue par la force (82). Son président, le légat Julien Césarini, avait assisté à la dernière croisade et fui devant les hussites jusqu'à Nuremberg. Le 15 octobre 1431, malgré l'opposition d'Eugène IV, le concile les invita à envoyer des députés, qui auraient toute liberté d'exposer leurs opinions. Cette première démarche échoua contre la méfiance inspirée par la conduite du concile de Constance et de l'empereur Sigismond; elle fut suivie d'une seconde, renouvelant la promesse de sécurité, « promesse sincère et non illusoire ». Pour dissiper les appréhensions des hussites, le concile députa auprès d'eux quelques-uns de ses membres pour leur accorder un sauf-conduit tel qu'ils le demandaient: ils auront liberté entière de séjourner à Bâle et de traiter avec l'assemblée ; ils pourront célébrer leur culte dans les maisons qu'ils habiteront; il leur sera loisible de défendre leurs quatre articles soit en Particulier, soit en publie, par le témoignage de l'Écriture et des Pères; le concile ne permettra pas qu'on prêche contre ces articles; il fera bonne justice de ce qui pourrait être tenté en violation du sauf-conduit, et fournira aux députés une escorte, au retour, jusqu'à la frontière.

Cette offre du concile de traiter avec les hussites comme avec une puissance indépendante, était un fait nouveau dans l'histoire tic l'église ; pour amener ce résultat, il avait fallu, outre une nécessité bien impérieuse, l'esprit même qui animait l'assemblée. En janvier 1432 les députés bohêmes arrivèrent à Bâle; à leur tête étaient, du côté des calixtins le prêtreJean Rokyzana, et dut côté des taborites Procope le Grand. Rokyzana, homme instruit et disert, exposa que l'unique moyen d'accommodement était d'accorder aux Bohêmes au moins les quatre articles de Prague. On discuta là-dessus pendant cinquante jours. Impatientés de ces disputes stériles, les hussites quittèrent Bâle. Le concile envoya auprès d'eux une députation pour tenter un dernier effort. Divers indices lui laissaient entrevoir qu'en faisant quelques concessions, il en obtiendrait aussi des calixtins. Pendant les négociations à Bâle on avait suspendu en Bohême les hostilités; dans cet intervalle, ceux qui désiraient la paix avaient pu faire entendre leur voix. La ligue de la noblesse, débordée par la démocratie taborite, la majorité des calixtins, les catholiques, qui formaient encore près du tiers de la population et qui avaient eu à souffrir le plus, demandaient la fin des troubles. Il s'ensuivit que les députés du concile purent conclure à Prague, le 30 novembre 1433, un traité avec les calixtins, connu sous le nom de compactata de Prague et ratifié par le concile le 7 décembre ; ce sont les quatre articles modifiés et interprétés. Dans celui qui concerne les péchés publics des prêtres, il est ajouté que ces péchés ne tombent pas sous la juridiction des particuliers ; l'article sur la libre prédication de l'Évangile est limité par la nécessité de l'approbation épiscopale; celui qui refuse au clergé la possession de biens temporels, est remplacé par un autre, disant que les ecclésiastiques géreront fidèlement les biens « dont ils sont établis administrateurs » ; enfin la permission de communier aussi avec le calice ne fut accordée que « pour un temps et par autorité de l'église » , et à la condition qu'avant la distribution du sacrement les prêtres avertissent le peuple que le Christ entier est présent sous chacune des deux espèces. Quant au reste, les calixtins promirent de se conformer aux coutumes de l'église.

Les taborites, qui refusèrent ce traité trop plein de restrictions, furent défaits par les calixtins eux-mêmes dans un combat près de Prague, le 30 mai 1434; cette défaite les réduisit pour longtemps à l'impuissance. Les deux partis dominants en Bohême furent alors les catholiques et les calixtins. Ces derniers, qui sentaient que les compactata avaient besoin de garanties pour n'être pas incessamment violés, offrirent en 1435 à Sigismond de le reconnaître s'il les autorisait à se choisir un archevêque et s'il introduisait à sa cour la communion sous les deux espèces. Le roi éluda ces conditions, en donnant à l'église de Bohême en général quelques assurances pour la mettre à l'abri des empiétements de la cour de Rome, pour permettre que l'archevêque de Prague fût élu par les seigneurs, le peuple et le clergé, et pour laisser à chacun la faculté de communier sous une ou sous deux espèces. On élut alors archevêque de PragueJean Rokyzana,qui par ses talents et sa modération s'était acquis une influence considérable. Le 12 juillet 1436 Sigismond confirma les compactata; les Bohêmes, à l'exception des restes des taborites, le reconnurent comme roi et firent leur soumission au concile de Bâle, qui les releva de l'excommunication.

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96. Les calixtins jusqu'à la Réformation.

Cependant les compactata ne purent pas fonder un état de paix durable. Accordés et acceptés à un moment où catholiques et calixtins étaient fatigués de la lutte, ils étaient une de ces transactions qui, en ne résolvant aucune question de principe, ne font que donner ouverture à des difficultés nouvelles. D'après les catholiques, les compactata faisaient des concessions incompatibles avec l'autorité et l'uniformité romaines ; les calixtins, de leur côté, se trouvèrent enfermés dans des bornes trop étroites; au lieu d'avoir conquis un droit, ils avaient gagné à peine une tolérance provisoire. Toujours préoccupés de l'idée que, Malgré les divergences, ils pouvaient l'aire partie de l'église existante, ils ne cessèrent de demander que celle-ci leur rendît plus de liberté, ou qu'elle leur reconnut au moins une situation légale sur la base des compactata; le pape, au contraire, protesta contre ce traité et exigea le retour des Bohèmes à l'unité catholique. Déjà en 1437 les calixtins insistèrent auprès du concile de Bâle pour qu'il approuvât leur coutume de donner la sainte-cène aux enfants, l'introduction dans tout le royaume de la communion sub utraque afin de mettre fin à la diversité liturgique, l'usage de la langue nationale dans le culte et -l'élection de Rokyzana à l'archevêché de Prague. Le concile, tout en s'étant séparé d'Eugène IV, se montra aussi orthodoxe que lui ; il ne céda sur aucun de ces points. Sigismond, à son tour, parut oublier les assurances qu'il avait données à l'église de Bohême ; il laissa les légats du concile rétablir, tant qu'ils purent, l'ancien ordre de choses; Rokyzana, qu'il avait reconnu comme archevêque, mais qui prêchait contre la réaction catholique, fut forcé de quitter Prague. A la mort du roi, en décembre 1437, les deux partis furent sur le point de reprendre les armes. Les catholiques donnèrent la royauté à l'empereur Albert II, les calixtins s'y opposèrent. Albert étant mort dès 1439, le désordre fut tel que les Bohêmes s'accordèrent, en 1441, pour faire administrer le royaume, pendant la minorité du fils d'Albert, par deux gouverneurs, l'un calixtin, l'autre catholique.

Les calixtins tinrent le 4 octobre de la même année un synode à Kuttenberg; dans cette réunion ils rédigèrent leur première confession de foi, composée de 92 articles (83). En tête est le principe que la sainte Écriture sera maintenue intacte, que nul, pas même le pape, n'a le droit d'y ajouter ou d'en ôter quoi que ce soit, et qu'elle sera prêchée au peuple d'après les explications des Pères. Les articles suivants concernent l'homme créé à l'image de Dieu, le péché originel consistant dans l'affaiblissement du libre arbitre dans les choses spirituelles, la justification par l'imputation du mérite de Jésus-Christ, les bonnes oeuvres qui rendent l'homme agréable à Dieu ; l'église, qui n'a d'autre chef que le Christ, est formée de ceux qui ont la vraie foi et qui font le bien ; elle est invisible , quant à ses membres dispersés dans le monde, elle devient visible là où l'on prêche la Parole de Dieu, où l'on administre fidèlement les sacrements et où l'on vit conformément à la loi divine; celle-ci, de laquelle dérivent les lois humaines, est obligatoire pour tous, laïques et clercs, ils sont tous également justiciables des tribunaux séculiers; les sept sacrements, le sacrifice de la messe, la transsubstantiation, les ornements du culte, les images, les habits sacerdotaux sont conservés; la communion se fait sous les deux espèces et doit être donnée aussi aux enfants; le mariage n'est pas défendu aux prêtres, bien qu'il soit désirable qu'ils n'usent pas de cette liberté.

Cette confession, mélange de principes réformistes et de doctrines catholiques, ne reprend pas seulement ce qui était refusé par les compactata, elle va même au delà des quatre articles de Prague. Aussi fit-elle échouer les efforts des calixtins pour obtenir la confirmation de leurs droits religieux et celle de leur archevêque. Désirant sortir de l'isolement et se créer un appui, ils essayèrent de se rapprocher de l'église grecque ; les négociations qu'ils ouvrirent à cet effet furent rompues par la chute de Constantinople.

En 1450 Georges Podiébrad, depuis 1444 gouverneur calixtin de la Bohême, se trouva seul à la tête de l'administration ; son parti semblait triomphant. Ni le légat Nicolas de Cuse ni un moine mendiant, chargé par le pape de prêcher contre « les hérétiques utraquistes », ne purent détourner Podiébrad de sa résolution de maintenir les compactata. Proclamé roi en 1458, il se fit couronner par des évêques catholiques et jura de protéger la foi orthodoxe, de résister à l'hérésie et de ramener son peuple à l'union avec Rome ; mais par résistance à l'hérésie il n'entendait pas la persécution des calixtins. En 1465 Paul Il l'excommunia, le déposa, fit publier une croisade contre lui, et donna finalement la Bohême au roi Matthias de Hongrie ; celui-ci s'empara de plusieurs provinces, Podiébrad se maintint dans la Bohême proprement dite. Après sa mort on élut roi le prince polonais Ladislas ; à la diète de Kuttenberg en 1485 Ladislas, quoique catholique, eut la sagesse de garantir la liberté des deux églises. Il mourut en 1516. Jusque-là les calixtins avaient été des protestants à moitié catholiques; la plupart d'entre eux acceptèrent de bonne heure la réformation de Luther.


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81 Tabor était une ville fortifiée, établie par Ziska sur une colline près de Béchin , où les hussites avaient eu coutume de se réunir en un camp et de célébrer leur culte sous une tente. Le mot tabor, qui sous diverses formes se rencontre dans presque toutes les langues slaves, signifie entre autres camp, cabane, bâtiment fortifié près de l'entrée d'une ville.

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82 V. diverses relations sur les négociations du concile avec les hussites dans le T. 4 des Monumenta mentionnés au § 92 note 9.

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83 Chez Cochloeus, Hist. hussitarum, p. 335, et chez Theobald, Gesch. des Hussitenkriegs, P. 2, p. 127.

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