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94. Jérôme de Prague. Jacques de Misa. Les hussites jusqu'en 1419.

Jean Hus ne fut pas la seule victime des passions ecclésiastiques du concile de Constance ; onze mois après qu'il eut péri dans les flammes, on dressa un second bûcher, pour son amiJérôme de Prague(78).

Jérôme, qui appartenait à une famille noble, fit d'abord des études à Oxford, où il adopta les principes de Wiclif. Revenu à Prague en 1398, il se lia avec Hus et fut promu bachelier ès arts; il visita ensuite l'université de Parts, où il devint magister, et celles de Cologne et de Heidelberg. En 1407 il était de retour dans la capitale de la Bohême; il resta laïque; comme maître ès arts et disputeur habile, il soutenait à l'université des thèses wicléfites, comme gentilhomme il répandait ses opinions parmi la noblesse et à la cour. En 1415, quand il eut appris l'emprisonnement de Hus, il se rendit à Constance dans l'intention de rendre témoignage en sa faveur; comme il avait fait le voyage sans être muni d'un sauf-conduit, des amis lui conseillèrent de quitter la ville; il se rendit à Uberlingen, sur les bords du lac. Après avoir fait demander en vain des sauf-conduits à l'empereur et au concile, il fit afficher à Constance une déclaration, dans laquelle il sommait ceux qui lui reprocheraient d'être hérétique de prouver leur accusation; il viendrait pour se rendre librement et publiquement, prêt à se soumettre à toute punition si on pouvait le convaincre d'erreur en matière de foi. Le concile le cita, comme suspect, dans un délai de quinze jours, en lui promettant qu'il ne lui serait pas fait de violence, «sauf toutefois la justice et autant qu'il est en nous et que la foi orthodoxe le requiert». Avant d'avoir pu recevoir cette citation. Jérôme avait quitté Uberlingen pour retourner en Bohême.

En route il fut reconnu, arrêté et conduit à Constance. Hus ayant été brûlé le 6 juillet, plusieurs membres du concile pensèrent que c'était assez d'une seule victime. Cédant à leurs exhortations, malade, ébranlé par le supplice de son ami, Jérôme se laissa entraîner, le 7 septembre, à reconnaître l'autorité du concile et à rejeter les articles de Wiclif et de Hus qu'on avait condamnés, mais il ajoutait qu'il n'entendait pas nier les vérités que les deux réformateurs avaient enseignées. Le 23 septembre, circonvenu de mille manières, il fit une abjuration sans réserve ; elle ne suffit pas aux membres du concile; on voulut qu'il persuadât ses compatriotes de la légitimité de la sentence rendue contre Hus; il écrivit dans ce but une lettre, qui fut sa dernière faiblesse. En mai 1416 conduit devant l'assemblée pour subir un interrogatoire sur plus de cent articles, il rétracta son abjuration, demanda pardon à Dieu d'avoir commis ce péché, appela Hus un saint martyr et cita ses juges au tribunal de Dieu. Le 30 mai il fut condamné et brûlé au même endroit que Hus. A son bûcher et à celui de son ami s'alluma la guerre des hussites; l'occasion en fut la revendication du calice pour les laïques (79).

 

Vers la fin de l'année 1414 un curé de Prague, maîtreJacques de Mies ou Misa, dit Jacobellus, commença à soutenir dans des disputations académiques que dans la sainte-cène les laïques doivent recevoir aussi le calice; il se fondait sur les paroles de l'institution du sacrement et sur des passages de quelques Pères; il exhorta le peuple par des sermons à revendiquer son droit, et il donna lui-même le calice à ses paroissiens (79a). Dans l'état de fermentation religieuse où se trouvait la Bohême, il eut bientôt un grand nombre d'adhérents. Quelques disciples de Hus eurent des doutes sur ce qu'ils croyaient être une innovation ; ils consultèrent leur maître, qui était alors à Constance; il leur écrivit qu'il peut être permis aux laïques de communier sous les deux espèces, bien que le Christ entier soit présent sous chacune des deux. A Prague les uns désiraient une déclaration plus catégorique, d'autres continuaient d'avoir des scrupules. Consulté de nouveau, Hus répondit cette fois que la communion double ressort clairement des paroles de Jésus-Christ et de saint Paul et qu'elle a existé dans l'église primitive; mais ne voulant pas de changement brusque, il conseilla de faire des démarches pour obtenir une bulle donnant à ceux qui le demanderaient le droit de communier sous les deux espèces. Le concile, averti de ce qui se passait à Prague, défendit par un décret du 15 juin 1415 la communion sub utraque, et ordonna que la coutume de ne donner aux laïques que le pain, serait désormais une loi que nul ne pourrait enfreindre sans être tenu pour hérétique. Dans les derniers jours de sa vie, Hus invita ses amis à ne plus résister à Jacques de Misa; le concile, leur écrivit-il, n'a allégué qu'une coutume, et une coutume ne vaut pas contre l'intention de Jésus-Christ.

A partir de ce moment les nombreux partisans que Hus avait en Bohême et en Moravie parmi la noblesse, la bourgeoisie, les savants, le clergé, se groupèrent autour du curé de Prague; le calice devint le symbole deshussites. Jusqu'alors il leur avait manqué un fait saisissable, qui pût leur servir de signe de rallienient; ils s'étaient attachés à Hus comme au défenseur d'une tendance plus libre, mais la seule doctrine par laquelle il se séparait du catholicisme, celle de l'église des élus, n'était pas de nature à devenir le principe constitutif d'une société religieuse nouvelle; il fallut à cet effet autre chose qu'une théorie, ce fut le calice qui remplit ce but; par lui le hussitisme devint une puissance, et une puissance redoutable; il ne s'agit pas seulenient d'une controverse théologique entre docteurs; les laïques, glorieux d'avoir recouvré un droit que leur contestait l'église, le défendirent avec d'autant plus d'énergie qu'à la colère contre les prêtres s'allia l'antipathie nationale des Bohêmes hussites contre les Allemands papistes.

Quand le concile manda au clergé de Prague le supplice de Hus, en l'invitant à prendre des mesures pour extirper l'hérésie, la mort du maître fut ressentie comme un outrage à la nation. Le 2 septembre 1415, lors d'une diète tenue à Prague, 54 barons adressèrent au concile une lettre, dans laquelle ils lui reprochèrent d'avoir laissé tuer Hus et emprisonner Jérôme ; ils repoussèrent l'inculpation d'hérésie et déclarèrent que, « nonobstant toutes ordonnances humaines», ils soutiendraient les prédicateurs qui annonçaient la Parole de Dieu, et qu'ils les protégeraient et défendraient «sans crainte, jusqu'à l'effusion du sang». Trois jours après, la diète fit une ligue pour six ans en vue de la défense de la pure doctrine; les barons s'engagèrent à laisser prêcher celle-ci dans les églises de leurs domaines ; si un prêtre répand des erreurs, ils le déféreront au jugement de son évêque; si un évêque, au contraire, accuse ou punit un prêtre innocent, ils porteront l'affaire devant la faculté de théologie de Prague; quelqu'un voudra-t-il empêcher la libre prédication de l'Evangile, ils lui résisteront, en cas de besoin même par la force; ils défendirent enfin à leurs curés de se soumettre à d'autres excommunications que celles de leurs évêques. Ils ajoutèrent, il est vrai, comme ils l'avaient fait aussi dans leur lettre au concile, qu'ils reconnaîtraient le pape légitime dès qu'il y en aurait un, et qu'ils lui obéiraient en tout ce qui est juste, honnête, conforme à la raison et à la loi divine. Pas plus que Hus, ils ne voulaient se séparer de l'église catholique, mais on voit leur dessein de former une église nationale, pour la défense de laquelle ils menacent déjà de recourir à la force.

 

Au point où en étaient venues les choses, la promesse de reconnaître le pape futur, sincère sans doute, mais accompagnée de conditions inadmissibles pour les représentants de l'autorité, ne tarda pas à perdre toute signification. Le concile ouvrit la lutte contre « l'hérésie bohême » en citant les barons devant son tribunal; nul ne vint. Le supplice de Jérôme augmenta l'exaspération; Hus et lui furent vénérés comme martyrs nationaux, on fit en leur honneur des cantiques, à Constance on creusa le sol à la place où s'étaient élevés leurs bûchers pour en emporter des parcelles de terre. Le 10 mars 1417 l'université, de Prague elle-même se prononça pour la communion sous les deux espèces. Gerson opposa à cette résolution un traité, dont les arguments ne sont remarquables que par leur faiblesse (80) ; en tête il y a cette phrase : «Le saint concile général, vu sa détermination qui a force de chose jugée, doit invoquer contre ces hérétiques l'appui du bras séculier, plutôt que de discuter avec eux. » Le concile, adoptant cet avis, publia vingt-quatre articles, citant à comparaître les principaux membres du clergé hussite, ordonnant une « réforme» de l'université de Prague, exigeant une abjuration individuelle de tous les laïques qui avaient communié sous les deux espèces, prescrivant la destruction des livres de Wiclif, de Hus, de Jacques de Misa, ainsi que celle des cantiques en mémoire des deux martyrs, demandant enfin la dissolution de la ligue des seigneurs et le châtiment des fauteurs de l'hérésie. Des légats, envoyés par le nouveau pape Martin V, déployèrent une rigueur qui ne servit qu'à exciter les esprits encore davantage.

Le roi Wenceslas était trop faible pour prendre parti dans ce grand débat; tantôt il voulut ménager à la fois les catholiques et les hussites, tantôt réprimer ceux qui lui semblaient aller trop loin. Dans ces circonstances, Nicolas de Hussinec, seigneur du village natal de Hus, et Jean de Trocznow ditZiska, un des chambellans de Wenceslas, se mirent à la tête des hussites, pour venger Hus et Jérôme et pour défendre le droit au calice. Dès le 30 juillet là 19 Ziska vint avec une troupe armée à Prague, et fit mettre à mort ceux des membres du magistrat qui s'étaient opposés à ce qu'on portât solennellement le calice à travers les rues. Quinze jours après mourut Wenceslas; la couronne de Bohême échut à son frère, l'empereur Sigismond. Le pays fut livré à l'anarchie; les hussites eux-mêmes se divisèrent.


Table des matières

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78 Helfert, Hus und Hieronymus. Prague 1853. - Böhringer, Vorreformatoren, T. 2, p. 206.

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79 Cochläus, Historioe hussitarum libri XII. Mayence 1549, in-f°. - Lenfant, Histoire de la guerre des hussites et du concile de Bâle. Amsterd. 1727, 2 vol. in-4° supplément par Beausobre. Lausanne 1745, in-4°. - Theobald, der Hussitenkrieg. Breslau 1750, 3 P. in-4°. - Geschichtschreiber der hussitischen Bewegung in Böhmen, herausg. von Höfler. Vienne 1856, 3 vol. - Palacky, Die Geschichte des Hussitenthums und Prof. Höfler. Prague 1868. - Le même, Urkundliche Beiträge zur Geschichte des Hussitenkriegs. Prague 1873, 2 vol. - Bezold, König Sigismund und Die Reichskriege gegen Die Hussiten. Munich 1872, 3 P. - Le même, Zur Geschichte des Hussitenthums. Munich 1874. - Denis, Études d'histoire bohême, Hus et la guerre des hussites. Paris 1878.

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79a Plusieurs traités de lui sur la communion chez Von der Hardt, T. 3, p. 416 et suiv. En tout le reste Jacques de Misa était catholique; on a de lui un écrit de purgatorio animarum, pour défendre ce dogme contre ceux qui le niaient. Walch, Monimenta medii oevi, vol. 1, fasc. :3, p. 3.

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80 Contra hoeresim de communione laicorum sub utraque, écrit le 20 août 1417 . Opera, T. 1 , p. 463.

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81 Tabor était une ville fortifiée, établie par Ziska sur une colline près de Béchin , où les hussites avaient eu coutume de se réunir en un camp et de célébrer leur culte sous une tente. Le mot tabor, qui sous diverses formes se rencontre dans presque toutes les langues slaves, signifie entre autres camp, cabane, bâtiment fortifié près de l'entrée d'une ville.

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(La Bible: 1Thessaloniciens 5:21)

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