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90. L'inquisition.

Pendant que la papauté tolérait la corruption morale ainsi que les prophéties qui annonçaient sa propre chute, elle s'appliquait, au lieu de rétablir la pureté des moeurs, à garantir la pureté de la foi parl'inquisition. Celle-ci continuait de faire des victimes dans la plupart des pays de l'Occident. Elle sévissait aussi contre ceux qu'on accusait de sorcellerie ; on s'était habitué à ramener toutes les hérésies à des influences du diable ; à ce point de vue on confondait les sorciers et les hérétiques, on condamnait les uns et les autres comme coupables d'un commerce avec les esprits infernaux. Ces imputations fournissaient des prétextes commodes pour se débarrasser d'ennemis qu'on redoutait ; Jeanne d'Arc, d'abord traitée de sorcière, fut condamnée au feu comme hérétique, apostate et idolâtre. En 1459 on brûla à Arras des vaudois comme sorciers. En 1484 le pape Innocent VIII publia une bulle, dans laquelle il dit avoir appris qu'en Allemagne des hommes et des femmes, reniant leur foi et se laissant séduire par les démons, commettaient toutes sortes d'abominations et de maléfices ; il autorisa les deux inquisiteurs, les dominicains Henri Krämer et Jacques Sprenger, qui avaient trouvé de la résistance chez beaucoup de prêtres, entre autres dans le diocèse de Strasbourg, à rechercher les suspects et à procéder contre eux, en invoquant au besoin l'appui du bras séculier.

Le 6 novembre 1487 le roi Maximilien leur promit aide et protection pour l'exécution de la bulle. Quelques années plus tard Krämer et Sprenger firent paraître leurMalleus maleficarum(67), dans lequel ils démontrent que la sorcellerie est la plus dangereuse des hérésies, un péché plus énorme que celui d'Adam et de Lucifer lui-même, et qu'elle mérite les châtiments les plus graves ; ils énumèrent les méfaits attribués aux sorcières et décrivent la procédure à suivre contre elles ; comme leur crime, suivant eux, n'a pas seulement un caractère ecclésiastique, mais aussi un caractère civil, à cause du dommage qu'elles peuvent causer aux choses matérielles, ils engagèrent les juges séculiers à les poursuivre sans attendre un avertissement. Il se trouva déjà des esprits plus éclairés qui doutèrent de la sorcellerie (68), mais ce n'était pas seulement le peuple qui y croyait, des hommes très instruits partageaient la même superstition. On fit périr une foule de gens, condamnés sans preuves. La bulle de 1484 trouva aussi une application en Italie ; dès 1485 quarante-et-une sorcières furent brûlées à Côme.

 

Le pays le plus cruellement éprouvé par l'inquisition était l'Espagne (69). Depuis 1391 on forçait lesjuifset les maures a se faire baptiser ; beaucoup d'entre eux gardaient leurs croyances et célébraient clandestinement leur culte. Les habitants de race espagnole se vantaient de leur qualité de vieux chrétiens ; les descendants des infidèles baptisés formaient la classe toujours suspecte des chrétiens nouveaux. En 1477 le cardinal Gonzalèz de Mendoza crut s'apercevoir que ceux de Séville étaient restés juifs; à sa demande, l'inquisition fui introduite dans tout le pays. Sixte IV autorisa Ferdinand et Isabelle à nommer eux-mêmes les inquisiteurs et à confisquer au profit de la couronne les biens des condamnés. Le saint-office devint ainsi une institution politique, que la royauté eut intérêt à protéger. Les deux premiers inquisiteurs, les dominicains Michel de Morillo et Jean de Saint-Martin, se montrèrent si violents, que les cortès et le pape lui-même durent s'en plaindre. En 1483 le prieur des dominicains de Ségovie,Thomas de Torquemada, savant mais implacable, fut établi inquisiteur général ; toute l'oeuvre tut concentrée entre ses mains; il envoya dans les grandes villes des commissaires délégués, munis d'instructions minutieuses et assistés d'espions et d'agents sous le nom de familiers du saint-office; la procédure, réglée par les décrets des anciens papes, fut encore perfectionnée; les évêques n'eurent plus le droit d'y intervenir, ils durent se soumettre au contraire à la surveillance de la police de la foi.

De nombreuses condamnations jetèrent la terreur dans le pays ; les cortès protestèrent contre une juridiction qui violait les franchises publiques, le peuple se souleva; en 1485 l'inquisiteur Pierre Arbues fut tué à Saragosse au milieu de l'église. Le pape, dont l'autorité était méconnue par cette inquisition royale, fondée par le saint-siège lui-même, chercha des expédients pour y mettre quelques bornes ; il dut céder aussi bien que les cortès. Le cardinalXimenès, archevêque de Tolède, qui s'est illustré comme homme d'état et par la Bible polyglotte, entreprise sous sa direction, ternit sa gloire en acceptant en 1507 les fonctions de grand-inquisiteur et en les exerçant dans le même esprit que ses prédécesseurs Torquemada et Diégo Déza. En 1492 on avait banni tous les juifs, en 1502 tous les maures qui refusaient d'accepter le christianisme. Et ce n'est pas seulement contre les non-chrétiens qu'on défendait ainsi la pureté de la foi espagnole, toute opposition, même politique, était un crime punissable par le saint-office; les haines privées avaient beau jeu pour se satisfaire, il suffisait de dénoncer un homme pour le faire condamner (70). Ce régime devint fatal à l'Espagne, il la mit en dehors du mouvement général de l'Europe, empêcha la renaissance des lettres, habitua le peuple à un despotisme fanatique, et retarda pour longtemps son émancipation.


Table des matières

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67 Ce livre parut d'abord à Cologne en 1489, avec approbation de la faculté de théologie ; en tête sont la bulle d'Innocent VIII et un extrait des lettres patentes de Maximilien. Il fut souvent réimprimé on y ajouta successivement divers traités sur la démonologie , les sortilèges, les exorcismes. L'édition la plus complète est celle de Lyon 1669, 4 vol. in-4°.

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68 Le jurisconsulte Ulric Molitor écrivit un dialogue de lamiis et pythonicis mulieribus, Cologne 1489, in-4° et dans les éditions complétées du Malleus. Un des interlocuteurs, l'archiduc Sigismond d'Autriche, expose les arguments contre la sorcellerie, Molitor est censé les réfuter.

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69 Lud. a Paramo, De origine, officio et progressu officii S. inquisitionis. Madrid 1598, in-f°. - Reuss, Sammluny der Instructionen tics spanischen Inquisitionsgerichts, à la suite de Spittler, Entwurf (ici, Geschichte der span. Inquis. Hanovre 1788. - Llorente (ancien secrétaire de l'inq. esp.), Histoire critique de l'inquis. d'Espagne, trad. de l'esp. par Pellier. Paris 1817, 4 vol. - Comp. aussi Hefele, Der Cardinal Ximenes und die kirchlichen Zustände Spaniens, 2e éd. Tubingue 1851, et l'article du même sur l'inquis. dans le Kirchenlexicon de Wetzer et Welte.

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70 De 1483 à 1517, 13,000 personnes furent brûlées vives, 8700 brûlées en effigie, 169,720 soumises à des pénitences, Llorente, T. 4, p. 252.

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