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83. Le droit ecclésiastique.

Au quinzième siècle le droit canonique était enseigné avec éclat surtout dans les universités italiennes, mais ce n'était que l'ancien 'droit tel qu'on le trouvait dans les recueils de décrétales; il ne comprenait pas dans sa sphère le système de la suprématie des conciles universels; Celui-ci D'était pas le produit d'un développement progressif et régulier de la science, il était né d'un besoin d'opposition. Ceux qui étaient en lutte avec les papes, et qui pourtant voulaient rester dans l'unité catholique, avaient dû chercher un pouvoir légal, auquel ils pussent recourir contre les sentences des pontifes de Rome. On commençait à douter que les papes, qui, après tout, n'étaient que des hommes et souvent des hommes très passionnés, fussent des législateurs et des juges infaillibles; on désirait une institution qui fût à la fois pouvoir législatif, cour d'appel et tribunal souverain d'arbitrage dans les causes dans lesquelles une des parties était le pape.

Déjà dans le cours du quatorzième siècle Philippe le Bel, Louis de Bavière, les franciscains rigides avaient demandé un concile universel pour décider entre eux et le siège apostolique. Une fois énoncée, cette idée d'un concile ne fut plus abandonnée. Pendant la période du schisme il fallut trouver une autorité supérieure, pour vider le conflit entre les différents vicaires de Jésus-Christ; les meilleurs esprits étaient convaincus que cette autorité ne pouvait être que l'assemblée des représentants de l'église. A Constance et à Bâle on érigea en doctrine le principe que le concile universel tient son pouvoir immédiatement de Jésus-Christ, et que tout chrétien, de quelque rang qu'il soit, lui doit obéissance. Jusqu'au commencement du seizième siècle des théologiens et des jurisconsultes de divers pays défendent cette doctrine, avec plus d'ardeur souvent que de science; leur argumentation est encore scolastique, appuyée soit sur des passages de quelques Pères interprétés pour le besoin de la cause, soit sur d'anciennes lois tombées en désuétude; l'histoire des institutions ecclésiastiques était peu consultée, on la connaissait à peine. Quelques savants rejetèrent la donation de Constantin comme apocryphe, ou doutèrent de l'authenticité du recueil de décrétales attribué à Isidore; on ne les suivit guère, on se borna en général à contester les prétentions des papes par des considérations théoriques on à leur opposer les nécessités des temps nouveaux. On espérait que les conciles oecuméniques, qui jadis avaient fixé les dogmes, auraient à plus forte raison assez de pouvoir pour réformer l'église dans son chef et dans ses membres.

A ce système on ne sut opposer que l'absolutisme. Dans cette direction on n'eut pas besoin de chercher des nouveautés, il suffisait de reprendre les principes de Grégoire VII et d'Innocent III, en les complétant au moyen des gloses des canonistes et des arguments de quelques docteurs scolastiques. On ne reculait pas devant les hyperboles; encore au concile du Latran de 1512 un des membres dit à Jules Il : Vous êtes un autre Dieu sur la terre.

Les deux systèmes étaient inconciliables; aucun compromis n'était possible entre eux. Suivant l'un, les individus, y compris le pape, doivent se soumettre à l'universalité suivant l'autre, l'universalité est tenue d'obéir à un individu. Le premier n'admet comme souverain que l'église; l'autre ne connaît d'autre souverain que le pape. Le premier peut être appelé, dans un certain sens, un gouvernement représentatif; l'autre est le gouvernement personnel avec ce qu'il a de plus arbitraire. Mais le premier n'est pas la représentation de l'église, il n'est que celle de la hiérarchie ; toute la lutte est entre le clergé et les papes ; si le pouvoir séculier s'en mêle, ce n'est que dans l'intérêt des clergés nationaux; plus d'une fois même il n'est guidé que par son propre intérêt, il tend à s'attribuer une part des revenus et à s'emparer de la collation des dignités ecclésiastiques. Personne ne songeait qu'outre les prêtres il y avait les fidèles ; aussi longtemps que les laïques étaient privés de tout droit, il pouvait leur être indifférent d'être gouvernés par des conciles ou par des papes et d'avoir des évêques nommés par ces derniers ou par les princes, car sous les uns comme sous les autres l'autorité sacerdotale restait la même. La notion de l'église spirituelle, de la communion des élus, n'appartenait alors qu'aux hérétiques; celle d'une église visible universelle, distincte de celle de Rome, fut exposée dans quelques écrits de l'époque du concile de Constance; elle trouva peu d'écho même chez les membres les plus libéraux de cette assemblée.

 

On a dit que le système des conciles aurait introduit dans le catholicisme une sorte de monarchie constitutionnelle; d'autres ont pensé qu'il aurait abouti à une confédération des églises nationales, dont le pape n'eût été que le président honorifique.

Ni l'une ni l'autre de ces opinions n'est tout à fait conforme à la réalité des faits. Dans une confédération le président est élu par les confédérés; or les partisans des conciles admettaient que le pape fût élu par les cardinaux qu'il nommait lui-même; il n'aurait donc pas été le représentant de l'église prise dans son ensemble. Dans une monarchie constitutionnelle le chef de l'état est irresponsable, la responsabilité n'appartient qu'à ses ministres, tandis que d'après les défenseurs des conciles le pape pouvait être mis en accusation et déposé. Le gouvernement par les conciles aurait été celui d'une aristocratie, avec cette contradiction qu'elle n'eût pas choisi elle-même son pouvoir exécutif, et que celui-ci eût été néanmoins sous sa juridiction. Toutefois, s'il avait pu être pratiqué sincèrement, ce système aurait eu l'avantage de soustraire le clergé, et avec lui l'église et l'état, à l'arbitraire des papes et aux abus de leur cour. Mais tel qu'il avait fonctionné, principalement à Bâle, il avait fait preuve d'une impuissance radicale; il aurait fallu aux Pères plus d'expérience, plus de sagesse, plus de véritable dévouement à l'église. D'autre part, les traditions du saint-siège ne permettaient pas aux papes de se contenter d'une souveraineté partagée ; sans un pouvoir indiscutable et infaillible ils n'auraient plus eu de raison d'être.

Au commencement du seizième siècle le système absolutiste avait triomphé celui de la suprématie des conciles n'était plus qu'une opinion, chère a ceux qui désiraient des réformes, mais tantôt combattue, tantôt obstinément ignorée par la cour romaine et par ses défenseurs.

Cependant, pour le saint-siège lui-même la pratique ne répondait plus à la théorie. Non seule n ne l'écoutait plus quand il voulait faire sentir son autorité dans les affaires temporelles, mais jusque dans l'administration du spirituel il avait dû renoncer au profit des princes, à une partie des prérogatives de l'église. On a vu qu'il vendit à François 1er privilège de faire les nominations épiscopales; en Espagne c'était aussi le roi qui nommait les évêques; en Angleterre il présentait les candidats, il s'attribuait la moitié des annates, et bien avant la Réforme il supprimait et sécularisait des couvents. Presque partout l'état était devenu une puissance que, lors même qu'elle empiétait sur le terrain ecclésiastique, la papauté ne pouvait plus prétendre à dominer.

 

 

 

CHAPITRE Il

 

LA THÉOLOGIE

 

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84. La scolastique et la casuistique.

La théologie scolastique se perpétue dans le même état de décadence qu'à la fin de la période précédente. Lenominalisme, qui depuis Occam comptait de nombreux partisans, n'avait pas en lui les éléments d'une. régénération ; les réalistes que l'on rencontre encore n'étaient pas non plus capables de relever l'enseignement officiel.

Dans les facultés et dans les couvents on continuait d'expliquer les Sentences, d'après Thomas d'Aquin quand on était dominicain, d'après Duns Scot quand on était franciscain. A part des questions tout accessoires, on n'osait pas s'écarter de ces maîtres ; on ne discutait pas sur des principes ou sur des théories, mais sur des mots ou sur des propositions dénuées de sens; tels, qui se combattaient souvent avec le plus d'ardeur, différaient à peine dans leurs manières de voir. L'intérêt religieux. l'intérêt philosophique et scientifique lui-même avaient cédé la place à la passion de la dispute; on ne disputait que pour le plaisir de disputer. A ParisGersonessaya d'introduire une réforme (25) ; il proposa d'interdire la tractation «de matières inutiles qui n'excitent qu'une vaine curiosité » et qui font négliger aux étudiants les doctrines nécessaires ; elles exposent les docteurs à être raillés comme «fantastiques», sophistes courant après des ombres et ne sachant rien ni de la vérité religieuse, ni de la vérité morale. Ces sages conseils furent peu écoutés. Il y eut même des théologiens qui blâmèrent la coutume de faire précéder l'explication des Sentences d'un enseignement sur la Bible, et d'obliger « les bacheliers bibliques » à faire des leçons sur un livre de l'Ancien ou du Nouveau Testament avant de devenir «bacheliers sententiaires». Cette coutume avait au moins le mérite de familiariser de bonne heure les jeunes gens avec l'Écriture.

Une de ces « questions curieuses », que Gerson aurait voulu bannir de la théologie, amena une nouvelle prohibition du nominalisme. Pierre de Rive, un des régents de l'université de Louvain, publia un traité pour démontrer que Dieu ne peut pas prévoir les choses contingentes, que par conséquent les prédictions contenues dans la Bible sont incertaines (26). Cet écrit causa une grande rumeur parmi les docteurs de Paris; les nominalistes en demandèrent la condamnation, les réalistes l'approuvèrent et obtinrent de Louis XI, en 1473, un édit interdisant l'enseignement nominaliste; cette défense toutefois fut retirée dès 1481. D'ailleurs, leréalismeet le nominalisme n'étaient plus à cette époque ce qu'ils avaient été dans l'origine; il ne s'agissait plus de la réalité ou de la non-réalité des universaux, la différence ne portait que sur la question de savoir comment on arrive à se faire une idée des choses. Dans plusieurs universités on avait introduit des cours parallèles, les uns dits de la voie ancienne, les autres de la voie moderne ; les professeurs modernes étaient plus occamistes, les autres plus thomistes ou plus scotistes ; ils ne se distinguaient que par des nuances, mais les disputes n'en perdaient rien de leur vivacité. En général, la théologie scolastique, aussi bien que la philosophie, avait achevé son oeuvre; après avoir trouvé les formules scientifiques des doctrines, elle ne pouvait que s'arrêter ; son principe même lui défendait tout progrès ultérieur.

Le seul dogme catholique sur lequel on ait discuté est celui del'immaculée conception de la Vierge; combattu par les dominicains, il était soutenu par les franciscains et par l'université de Paris. En 1439 il fut sanctionné par le concile de Bâle, mais ce décret, n'étant pas confirmé par le pape, ne mit pas fin aux querelles. Sixte IV, ancien frère mineur, promit en 1416 des indulgences à ceux qui célébreraient la fête de la Vierge immaculée; cependant, pour ne pas encourir le reproche d'approuver une décision du concile de Bâle, il défendit en 1483 aux deux partis de se renvoyer réciproquement l'accusation d'hérésie; la question n'étant pas résolue, il leur permit de produire leurs arguments contradictoires, sauf à ne pas s'injurier. La controverse devint, au contraire, de plus en plus violente; en Allemagne surtout «les maculistes et les immaculistes» se poursuivirent par des diatribes en prose et en vers ; mais comme le saint-siège ne se prononça pas, le dogme, tout en faisant du chemin, resta dans l'indécision.

La morale du quinzième siècle n'était pas dans une meilleure situation que la science des dogmes; elle se réduisait à la casuistique. Par l'habitude de chercher des probabilités pour ou contre toute opinion, on avait répandu des doutes sur les notions éthiques les plus élémentaires. Un exemple frappant nous en est fourni par la question du meurtre des tyrans. Après l'assassinat du duc d'Orléans, en novembre 1407, le franciscainJean Petiten publia une apologie pleine de sophismes inouïs. Elle fût condamnée par l'évêque de Paris ; le duc de Bourgogne, instigateur du crime, en appela de cette sentence au pape ; celui-ci l'ayant cassée, l'évêque en appela au concile de Constance. Là on discuta pour savoirs[ l'affaire concernait ou non la foi chrétienne; l'évêque d'Arras, Martin Porrée, demanda que la question restât ouverte jusqu'à ce que l'église en eût décidé autrement. Gerson, qui dès les premiers jours s'était élevé contre Jean Petit, n'obtint du concile ni la condamnation du fait ni celle de l'auteur de l'apologie; on ne réprouva qu'en termes généraux le meurtre des tyrans. Lorsqu'après l'élection de Martin V les Polonais réclamèrent une sentence contre le dominicain Jean de Falkenberg qui, poussé par l'ordre teutonique, avait prêché la révolte contre le roi Jagellon, le concile condamna le moine; le pape refusa d'approuver ce jugement. Ceux qui n'osaient se prononcer ni contre Jean Petit ni contre Falkenberg, en étaient arrivés à considérer le décalogue comme n'appartenant qu'à la morale naturelle; relégué dans le domaine de la philosophie, il rentrait dans la catégorie des matières discutables, sur lesquelles on pouvait soutenir le sic et le non avec le même degré de vraisemblance. On condamnait sans ménagement ceux qui ne pensaient pas comme l'église sur les dogmes; dès que des intérêts politiques étaient en jeu, on hésitait à juger même des criminels.

Ce genre de morale, avec ses distinctions et ses probabilités, régna jusqu'à la fin du moyen âge ; dès que l'imprimerie fut inventée, on fit de nombreuses éditions des anciennes Sommes casuistiques.


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25 Epistola de reformatione theologioe, adressée à P. d'Ailly, 1er avril 1400. Opera, T. 1, p. 120. - Lectiones duce contra vanam curiositatem in negotio fidei, 1402. Epistola ad studentes collegii Navarroe, quid et qualiter studere debeat novus theologioe auditor, et contra curiositatem studentium. T. 1, p. 86, 106.

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26 D'Argentré, Collectio judic. T. 1, P. 2, p. 258, 287.

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