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 QUATRIÈME PÉRIODE

DU CONCILE DE PISE A LA RÉFORMATION

(1409 à 1517)

 

CHAPITRE PREMIER

LA PAPAUTÉ

 

79. Le concile de Pise. Alexandre V. Jean XXIII.

Le schisme, qui avait éclaté en 1378, durait encore au commencement du quinzième siècle. Il y avait deux papes, Grégoire XII, résidant à Home et plus tard à Rimini, etBenoît XIII, qui se maintenait à Avignon et puis à Perpignan. Grégoire était reconnu par l'empereur Robert, par le roi Ladislas de Naples et par quelques petits états italiens; Benoît avait pour lui ]'Espagne, le Portugal et l'Écosse; la France s'était soustraite à l'obédience de l'un et de l'autre. Pour mettre fin à cette situation, si funeste pour l'église, les cardinaux des deux papes s'étaient réunis en 1408 à Livourne et avaient convoqué unconcile universel à Pise. Cette assemblée s'ouvrit le 25 mars 1409 (1). Il s'y trouva vingt-deux cardinaux, plus de deux cents archevêques et évêques, soit en personne, soit représentés par des délégués, près de trois cents abbés et prieurs, les généraux des ordres mendiants, les supérieurs des autres congrégations monastiques, les grands-maîtres des ordres chevaleresques, les députés d'une centaine de chapitres et ceux des universités françaises, anglaises, allemandes, italiennes, plus de trois cents docteurs en théologie ou en droit canonique, enfin les ambassadeurs des rois et des princes. Tous semblaient unis dans le désir de restaurer l'ordre et la paix de l'église.

A l'exception des laïques, tous les membres eurent également le droit de discussion et de suffrage; le simple docteur, le supérieur du plus petit couvent, purent donner leur avis et voter aussi bien que les prélats; sous ce rapport le concile fut bien réellement une représentation de l'église catholique tout entière, et non pas seulement celle de l'aristocratie cléricale. Les cardinaux qui l'avaient convoqué sentaient qu'ils avaient besoin de s'appuyer sur cette large base, pour légitimer leur projet d'élire un nouveau pape. Ce caractère du concile explique la hardiesse de ses entreprises. L'impulsion vint de la France où, depuis le schisme, l'université de Paris et des réunions de prélats avaient examiné les moyens d'union et de réforme.Jean Gerson, qui ne vint pas à Pise, influa sur les délibérations par plusieurs de ses écrits; dans celui sur l'unité de l'église (2), il demandait que les deux papes fussent mandés devant le concile, engagés à abdiquer volontairement, et déposés s'ils refusaient de se soumettre aux décisions de l'assemblée. Celle-ci se conforma à ces principes. Elle commença par adresser à Grégoire et à Benoît une invitation à comparaître ; bien qu'elle leur accordât des délais réitérés, ils persistèrent à décliner la juridiction d'un concile réuni sans leur consentement. Le 15 avril vinrent des envoyés de l'empereur Robert pour exposer, en son nom, les raisons pour lesquelles Grégoire XII devait être considéré comme seul pape légitime; ils prétendirent que les cardinaux n'avaient ni le droit de convoquer un concile ni celui de juger un pape; qu'en l'absence du cher de l'église, ils ne pouvaient suivre que des opinions humaines et incertaines, au lieu de se laisser guider par les lois de Dieu; le pape n'est soumis à personne, il ne saurait renoncer à aucune de ses prérogatives. La réponse à cette déclaration ne pouvait être douteuse; aussi les envoyés impériaux partirent-ils sans l'attendre.

Le concile passa outre. Tandis que Pierre d'Ailly, qui assistait aux séances en sa qualité d'évêque de Cambray, répugnait aux mesures extrêmes, Gerson fit paraître un mémoire, longuement motivé, dans lequel il démontrait qu'il est des cas où, dans l'intérêt de la paix, l'église, représentée par le concile universel, a le droit d'éloigner le pape de son poste (3). Ce principe était celui de la grande majorité de l'assemblée de Pise. Le 10 mai celle-ci déclara « qu'attendu l'obstination et la contumace des deux papes, qui retenaient l'église dans la division», on s'était soustrait avec raison à leur obéissance et qu'on ne leur en devait plus. A la suite d'un procès en forme, Simon de Cramaud, patriarche latin d'Alexandrie, proclama, le 5 juin, un jugement qui les déposait comme «schismatiques eu hérétiques, fauteurs, défenseurs, approbateurs opiniâtres du schisme, coupables du crime de parjure, scandalisant l'église de Dieu par leur obstination manifeste». On délia de leurs serments tous les chrétiens, de quelque ordre ou dignité qu'ils fussent, et on leur défendit d'obéir aux deux condamnés, de leur donner conseil, secours, faveur ou retraite, sous peine d'excommunication.

Il s'agit alors de nommer un nouveau pape; avant d'y procéder, les cardinaux jurèrent que celui d'entre eux qui serait choisi ne dissoudrait pas le concile avant d'avoir fait de concert avec lui « une réforme raisonnable et suffisante de l'église universelle dans son chef et dans ses membres». Le 26 juin, dix cardinaux de l'ancien parti de Benoît et douze de celui de Grégoire élurent Pierre Philarètes, originaire de l'île de Crête et appartenant à l'ordre des franciscains. Il prit le nom d'Alexandre V; trop âgé pour se mettre à la hauteur des circonstances, il se contenta de faire quelques améliorations de détail, d'établir plus d'ordre dans l'administration de la cour romaine, et d'ordonner la tenue plus régulière des synodes diocésains et provinciaux ; quant à « la réforme raisonnable et suffisante » qu'il avait juré d'entreprendre avec le concile, il l'ajourna à un concile futur, qui devait se réunir dans trois ans. Il renvoya celui de Pise, qui lui était importun; les pères, d'abord si hardis, se séparèrent sans protester.

Dans l'intervalle, Grégoire XII avait tenu un petit concile à Cividale dans le Frioul, et Benoît XIII un autre à Perpignan ; chacun des deux avait qualifié son assemblée d'oecuménique, et chacun avait engagé des procédures et fulminé des sentences contre le concile de Pise, que celui-ci avait cassées et annulées. Après la déposition des deux papes et l'élection d'un nouveau, une grande partie de l'Europe avait cru le schisme terminé ; on attendait d'un avenir prochain la réalisation des réformes promises. Mais quand après la grandeur des promesses on vit la médiocrité des résultats, on s'aperçut qu'on s'était livré à des illusions; de différents côtés on se plaignit de la prompte dissolution du concile, et en présence des abus, dont aucun n'était supprimé dans sa racine, on trouva bien insuffisantes les quelques mesures prises par Alexandre V. D'ailleurs Benoît et Grégoire continuaient d'avoir des partisans; tout ce qu'on avait gagné c'était qu'au lieu de deux papes il y en avait trois. La mort d'Alexandre, arrivée le 5 mai 1410, ne changea rien à cet état de choses, car dès le 17 seize cardinaux, réunis à Bologne, se hâtèrent de lui donner un successeur en la personne de Balthasar Cossa, de Naples, qui s'appelaJean XXIII.

Après une jeunesse orageuse, pendant laquelle il avait été pirate et s'était livré à la débauche, ce personnage s'était acquis cette expérience du monde qui est le propre des aventuriers; il était rusé, audacieux, doué d'un certain talent politique, mais aussi dépourvu de sentiment religieux que de conscience morale. Ses adhérents eux-mêmes ont constaté ses vices. Tel est l'homme que, gagnés par ses intrigues, ces mêmes cardinaux qui à Pise avaient juré de réformer l'église dans son chef et dans ses membres, choisirent pour être le vicaire de Jésus-Christ. Il fut reconnu par la plupart des états de l'Europe. Sous le prétexte d'avoir besoin d'argent pour réduire à la soumission ses deux concurrents, il recommença le système des exactions, il publia pour la chancellerie romaine des règles qui sanctionnaient les abus anciens et qui en créaient de nouveaux. Un concile, tenu par lui, à Rome, en 1412 pour la forme, ne réunit qu'un petit nombre de prélats; l'un d'entre eux était Pierre d'Ailly, qui l'année précédente avait accepté de Jean XXIII le chapeau de cardinal.

La confusion dans laquelle se trouvait le monde catholique produisit des impressions diverses. Les uns, découragés, désespérèrent de l'efficacité des conciles universels; d'autres, exaspérés, allèrent jusqu'à demander contre les papes l'emploi de la force. Il parut un traité dans lequel tout le mal est mis à la charge des cardinaux (4) : aussi longtemps que ceux-ci ne renoncent pas à leurs rancunes et à leur cupidité, un concile ne peut rendre aucun service à l'église ; s'il voulait élire un pape sans leur concours, ils résisteraient; et pourtant quand un pape est régulièrement choisi par eux, on est impuissant contre lui; quel mortel aurait le droit de porter la main sur la papauté, instituée par Jésus-Christ ? Un autre pamphlet, plus véhément, passe par-dessus les cardinaux pour aller directement au pape (5) : une des causes de la décadence est la concentration du pouvoir entre les mains d'un seul; l'église universelle, qui n'a d'autre chef que Jésus-Christ, peut se passer de pape; on peut être membre de l'Église, sans adhérer à l'un des trois chefs qui se disputent le règne; l'église romaine peut errer, son pape est «un homme peccable». soumis comme tout chrétien à la loi divine; il est «ridicule» de prétendre qu'un homme mortel a le pouvoir de lier et de délier, quand cet homme a peut-être tous les vices; contre un tel pape l'église, représentée par le concile universel, peut prendre toutes les mesures qui lui semblent nécessaires, les promesses, l'argent, la force, la prison, les supplices ; elle doit limiter aussi pour l'avenir la trop grande puissance de son chef; si Jean XXIII refuse de convoquer un concile, ce sera aux évêques et aux cardinaux à le réunir; sinon, le devoir en revient à l'empereur ou, à son défaut, à tout autre prince.

Sans admettre ces principes radicaux, la grande majorité des catholiques réclamait un nouveau concile général. Les principaux organes de ce voeu étaient l'université de Paris etl'empereur Sigismond. La difficulté était de le faire accepter par Jean XXII[ ; l'occasion s'en présenta en 1413. Jean, poursuivi par l'armée du roi de Naples. voulut s'assurer la protection de Sigismond, qui se trouvait alors dans la Haute-Italie ; pour l'obtenir, il dut promettre un concile et consentir à ce qu'il eût lieu, non pas en Italie sous son influence, mais dans une ville de ce côté-ci des Alpes. On choisitConstance, et la réunion fut indiquée pour le 1er novembre 1414.

 

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80. Le Concile de Constance. - Jean XXIII. - Martin V.

Jean XXIII, plein d'appréhensions au sujet de ce qui pourrait l'attendre à Constance, ne se décida à y paraître qu'après avoir reçu de l'empereur l'assurance qu'il serait reçu comme pape légitime, et qu'il aurait la liberté d'aller et de venir à son gré. Le duc Frédéric d'Autriche s'engagea à le faire sortir de la ville dès qu'il le demanderait (6).

Le concile fut plus nombreux encore que celui de Pise; outre les prélats, les docteurs, les religieux, il s'y trouva des princes et des ambassadeurs ; l'empereur lui-même y vint en qualité de protecteur. A la suite de tout ce monde ecclésiastique et laïque on voyait une foule de valets, d'histrions, de musiciens, de courtisanes. Les fêtes, les banquets, les tournois alternaient avec les messes, les processions, les sermons sur la corruption des moeurs.

Le 28 octobre 1414, Jean XXIII fit son entrée dans la ville; le 5 novembre il ouvrit le concile. Les premières séances furent consacrées à des discussions sur le droit de vote. Le système de l'égalité de tous les membres ne trouva plus autant de défenseurs qu'à Pise ; le pape et quelques cardinaux, redoutant le zèle trop ardent des simples docteurs, prétendirent que le droit de suffrage devait être réservé au clergé supérieur ; d'autres craignaient que si, en plein concile, on comptait les votes par têtes, le grand nombre d'Italiens amenés par le pape ne produisît une majorité hostile aux projets de réforme. On convint donc de voter par nations, les députés de chaque nation formant une unité on en admit quatre, la française, l'italienne, l'anglaise et l'allemande; plus tard on y joignit, comme cinquième, celle d'Espagne. Dans chaque nation il y avait égalité pour tous les membres, chacune délibérait séparément, nationaliter ; ce qu'elle adoptait à la majorité des voix était porté devant le concile et débattu en séance plénière, conciliariter ; mais là chaque nation n'avait plus qu'un seul suffrage. Ce fut la première et la seule fois que le clergé se groupa en églises nationales.

Les membres les plus influents, par leurs discours ou par les mémoires qu'ils présentèrent, furent l'Italien Zabarella, cardinal de Florence et savant canoniste, et les FrançaisJean Gerson(7), Pierre d'Ailly et Guillaume Fillastre, cardinal de Saint-Marc.

La mission du concile était de mettre fin au schisme, de réformer l'église et de condamner l'hérésie de Jean Hus. Il sera parlé plus loin de ce dernier objet.

Au commencement ce fut Jean XXIII qui présida les séances. Mais dès les premiers jours de 1415 il s'éleva tant de plaintes sur les scandales de sa vie, que l'idée se fit jour qu'il fallait l'écarter. Dans la pensée que la cession volontaire des trois papes rétablirait l'unité sans trouble, on rouvrit des négociations avec Grégoire XII et Benoît XIII ; on croyait avoir quelque espoir d'obtenir leur abdication. Jean XXIII se montra si intraitable qu'on dut le sommer de céder, en lui signifiant « que le concile était en droit de le lui ordonner, même avec menace, et que s'il refusait opiniâtrement, on pouvait invoquer contre lui le bras séculier, au nom de l'église universelle ». Le 1er mars il jura qu'il céderait, si Grégoire et Benoît faisaient de même. Bientôt après il s'enfuit secrètement, déguisé en palefrenier, sous la protection de Frédéric d'Autriche.

La nouvelle de cette fuite produisit d'abord une consternation générale; on craignit la dissolution du concile. Jean, qui s'était retiré à Schaffhouse, informa l'assemblée qu'il n'avait quitté Constance qu'à cause de l'insalubrité de l'air ; il ordonna aux cardinaux et aux clercs de sa cour de le rejoindre, sous peine d'excommunication. Les esprits timides demandaient si l'on pourrait délibérer régulièrement en l'absence d'un chef qui n'était pas encore déposé. Une déclaration publique de l'empereur que le concile n'était pas interrompu par l'évasion du pape, et un discours prononcé par Gerson calmèrent ces inquiétudes ; Gerson démontra une fois de plus que le concile universel est supérieur au pape et que, bien qu'il ne puisse pas abolir la papauté, il a le droit d'en limiter l'exercice.

Dès le lendemain, 26 mars, l'assemblée arrêta que personne ne pourrait ni la dissoudre, ni la transférer dans une autre ville, ni la quitter avant que le schisme fût terminé et la réforme accomplie. Jean XXIII écrivit aux princes pour leur persuader que la promesse de convoquer le concile lui avait été extorquée par la violence ; ces lettres ne décidèrent plus personne à prendre parti pour lui. Le concile répondit par un manifeste, également adressé aux princes, disant que, le pape s'étant séparé de ceux qu'il avait convoqués lui-même, on se passerait de son concours. Dans sa quatrième et sa cinquième session, le 30 mars et le 6 avril, il rendit alors plusieurs décrets célèbres portant en substance que le concile universel, représentant l'église militante, tient son pouvoir immédiatement de Jésus-Christ, et que tout chrétien, de quelque état ou dignité qu'il soit, fût-il même pape, est tenu de lui obéir en ce qui concerne la foi , l'extinction du schisme et la réforme générale de l'église dans son chef et dans ses membres. Les mesures que Jean XXIII pourrait prendre contre le concile furent d'avance déclarées nulles, on lui fit défense de créer de nouveaux cardinaux, et on le somma de revenir avec ceux qu'il avait entraînés dans sa fuite. Le duc d'Autriche, mis au ban de l'empire pour lui avoir aidé à s'évader, fit sa soumission ; il promit même de livrer son protégé. On commença une procédure contre Jean XXIII, en l'accusant d'une foule de crimes et de vices ; on le suspendit de ses fonctions et on le cita de nouveau. Le duc Frédéric s'empara de sa personne à Radolfszell, non loin de Constance, et le retint prisonnier. Enfin, le 29 mai, le concile le déposa comme « notoirement simoniaque, dissipateur des biens et des droits de l'église romaine et des autres églises, ayant mal administré le spirituel et le temporel, scandalisé le peuple chrétien par ses moeurs malhonnêtes, et persévéré dans cette conduite mauvaise de manière à se montrer incorrigible ». Il fut condamné à être enfermé, sous la garde de l'empereur, aussi longtemps que le concile le jugerait nécessaire. On lui donna pour prison le même château de Gotlieben, sur les bords du Rhin, où quelques mois auparavant il avait fait conduire Jean Hus. Transféré à Heidelberg, où il se consola en écrivant des vers sur la variabilité de la fortune, il n'obtint sa liberté que trois ans plus tard.

Le 4 juillet 1415 Grégoire XII abdiqua volontairement; le concile le reçut au nombre des cardinaux. Il ne restait que Benoît XIII ; il persista dans son refus, alors même qu'en janvier 1416 l'Espagne se sépara de lui; le concile le déposa, le 26 juillet 1417, comme schismatique et hérétique ; mais Il continua, jusqu'à sa mort en 1424, à se gérer comme seul vrai pape, bien que finalement son obédience fût réduite au château de Peniscola en Valence, où il résidait.

Deux des tâches du concile étaient accomplies, la condamnation de l'hérésie hussite et l'extinction du schisme ; il restait la réforme. La plupart des membres étaient venus à Constance avec l'espoir qu'on satisferait enfin aux voeux de la chrétienté. Les circonstances semblaient meilleures qu'a Pise ; toute la puissance avait passé entre les mains du concile, qui s'était déclaré supérieur aux papes ; comptant en son sein les hommes les plus éminents par leur position ou par leur science, sachant que le monde catholique avait les yeux sur lui et qu'il n'aurait qu'à parler pour être écouté, il aurait pu tout entreprendre ; mais dès qu'il dut user pour la réforme du pouvoir qu'il s'était attribué,il montra une incapacité singulière. Il n'était d'accord ni sur les objets ni sur l'étendue d'une réforme ; trop d'intérêts contraires étaient en conflit pour qu'on pût arriver à un résultat, qui eût exigé des sacrifices que peu de prélats étaient disposés à faire.

Quand le collegium reformatorium, institué par le concile pour élaborer des propositions, se mit à l'oeuvre, il se vit entravé par des dissentiments de toute sorte. Les cardinaux s'opposèrent à tout, aussi longtemps qu'il n'y aurait pas de pape. L'empereur Sigismond, la nation allemande et Gerson insistèrent pour qu'on s'occupât d'abord de la réforme ;Pierre d'Ailly, qui avait pris une position moyenne entre les partisans du concile et ceux de la papauté, demanda que l'on commençât par élire un pape ; cette opinion finit par l'emporter. Cependant, avant de procéder à une élection, le concile adopta, le 9 octobre 1417 quelques propositions faites par le comité de réforme : le concile général se réunirait tous les dix ans ; en cas de schisme il s'assemblerait immédiatement et suspendrait les papes de leur administration; le pape qui serait élu ferait une profession de foi, renoncerait au droit de dépouille sur les prélats décédés, et ne déplacerait aucun évêque contre son gré. Dans la session du 30 octobre on décida en outre que le nouveau pape ferait, d'accord avec le concile, une réforme de l'église dans son chef et dans ses membres, d'après dix-huit articles, se rapportant aux causes pour lesquelles un pape peut être censuré et déposé, au nombre et à la qualité des cardinaux, aux annates et à d'autres revenus du siège apostolique, à la collation des bénéfices et à la confirmation des élections aux prélatures, à la procédure des tribunaux pontificaux, à la simonie, aux dîmes, aux dispenses, aux indulgences.

A la fin de ce décret il était dit que, quand le concile aurait nommé une commission de députés des cinq nations pour introduire les réformes conjointement avec le nouveau pape, les autres membres pourraient rentrer chez eux. Cette clause décida du sort du concile; la majorité voulait en finir; la plupart des pères étaient fatigués ; ils sentaient du reste leur impuissance.

 

L'élection du pape donna lieu à de nouveaux débats. Les cardinaux soutinrent que, le siège apostolique étant vacant, c'était à eux de donner à l'église un chef; d'autre part on voulut les exclure de l'élection. On se fit réciproquement quelques concessions ; on convint de ne réélire aucun des trois papes déposés, et d'augmenter pour cette fois le collège électoral en adjoignant aux vingt-trois cardinaux trente membres du concile, six de chacune des cinq nations. Le 11 novembre ce collège élut le cardinal romain Otton de Colonna, qui jusque-là avait montré de la sagesse et de la modération ; il s'appelaMartin V; avant de le couronner, il fallut d'abord le consacrer prêtre, puis évêque.

Ceux qui croyaient encore à des réformes furent bientôt désabusés ; Martin publia, lui aussi, des règles pour sa chancellerie, confirmant les pratiques relatives aux réservations, aux grâces expectatives, aux vacances, aux dispenses, aux annates, aux dîmes, aux indulgences. Après son couronnement, le 21 novembre, les cinq nations réunies demandèrent encore une fois qu'il s'occupât des réformes ; pour se débarrasser de ces réclamations, il chargea un comité de six cardinaux de négocier avec chacune des nations séparément ; le concile, comme concile, fut ainsi annulé de fait. En suite de ces négociations, Martin V conclut avec les nations allemande, française et anglaise des concordats presque identiques. Il importe d'en signaler les dispositions les plus essentielles, pour montrer de quoi il fallut se contenter en fait de réformes après la grande ardeur des premiers jours. Le nombre des cardinaux est fixé en règle générale à vingt-quatre ; ils seront choisis parmi le clergé des différentes nations et devront être docteurs en théologie ou en droit, de moeurs respectables ; quelques-uns d'entre eux pourront être de race princière, pourvu qu'ils ne soient pas illettrés ; ils seront nommés de l'avis de tout le collège, mais on n'admettra ni frères ni neveux des cardinaux existants, et pas plus qu'un membre de chaque ordre monastique.

Le pape se réserve, comme par le passé, la collation des bénéfices devenant vacants en cour de Rome pour une cause quelconque. Les dignitaires des chapitres seront élus par ces derniers eux-mêmes ; les nominations des autres chanoines se feront alternativement par les chapitres et par le pape, de manière que la sixième partie des canonicats soit donnée à des hommes ayant des grades universitaires ; les mêmes grades seront exigés des curés ayant des paroisses de deux mille communiants ou plus. Les annates continueront d'être versées au fisc pontifical ; les bénéfices dont le revenu ne dépasse pas 24 florins seront seuls exemptés de cette charge. On ne portera devant la curie romaine que les causes qui doivent y revenir de droit ; les autres seront jugées par les tribunaux épiscopaux, à moins que les parties n'en demandent le renvoi à Rome. Il est interdit de donner un monastère ou une église en commande à un prélat. Chaque ecclésiastique se choisira dans un délai de trois mois un confesseur intelligent et discret, qui l'absoudra « dans le for de la conscience » de toute simonie qu'il aura pu commettre soit activement, soit passivement. On n'est pas tenu d'éviter les excommuniés avant la publication de la sentence. Aucune dispense ne sera prononcée par le pape sans le conseil des cardinaux. Il fera un usage modéré des indulgences, ne vilescant ; celles accordées depuis la mort de Grégoire XI sont annulées. Vu l'état actuel de l'église de Rome, il sera pourvu à l'entretien du pape et des cardinaux par les moyens usités; un cardinal n'aura comme revenu ecclésiastique pas plus de 6000 florins.

Comme les Français protestèrent contre les annates, Martin V leur fit la faveur de renoncer pendant cinq ans à la moitié de ce revenu. Les concordats français et allemand n'étaient d'ailleurs que provisoires, ils ne devaient durer que cinq ans ; l'anglais seul était définitif; il n'y est pas fait mention des annates et il contient quelques articles particuliers (8).

Le concordat français, qui ne reconnaissait pas toutes les libertés de l'église gallicane, échoua devant le parlement ; le roi Charles VI avait déclaré qu'il n'obéirait au concile qu'autant que le permettraient Dieu et la raison ; mécontent de l'issue, il défendit en 1418 de payer à la cour romaine des impositions quelconques. Son successeur revint sur ces mesures; il accepta une partie du concordat.

Avant la fin du concile, Martin V promulgua, de son propre mouvement, quelques décrets de réforme sur l'administration financière de l'église de Rome et sur le costume et la tonsure des prêtres. Il couronna l'oeuvre en déclarant faux, rebelle et condamnable le principe que le concile universel est supérieur au pape, et qu'on peut porter devant lui des appels Contre des jugements pontificaux. C'était défaire ce qu'à Constance on avait fait de plus important. Il acheta l'appui de Sigismond en lui accordant, pour le dédommager de ses frais pendant le concile, une dîme sur les églises de l'empire; aux prélats il distribua des grâces diverses, de sorte qu'il n'y eut pas d'opposition quand. le 22 avril 1418, il prononça la dissolution de l'assemblée, en donnant à tous ses membres une absolution plénière de leurs péchés. Le 16 mai il quitta Constance en grand appareil; le 21 du même mois l'empereur sortit de la ville presque en secret, il ne pouvait pas payer les dettes qu'il y avait contractées.

Aucune des espérances qu'on avait fondées sur le concile ne se trouva réalisée; l'inconséquence et la lassitude des pères avaient permis à la papauté de reconquérir tout son pouvoir, sans renoncer à un seul de ses principes ; les quelques réformes incomplètes et insignifiantes qu'elle avait accordées n'étaient que des concessions qu'elle pouvait retirer dès qu'elle le jugerait à propos.

A Constance on était convenu de se réunir de nouveau cinq ans plus tard à Pavie; comme on se méfiait d'un concile tenu en Italie, il ne vint à Pavie aucun évêque allemand et un très petit nombre seulement de français. A cause d'une peste, Martin V transféra cette assemblée à Sienne, où elle ne siégea que peu de temps et sans résultat. Il fallut les dangers dont l'église était menacée par les hussites, pour engager le pape à convoquer un vrai concile universel, pour le mois de mars 1431 dans la ville libre de Bâle. Il n'en vit plus l'ouverture ; il mourut le 20 février de cette année. Son successeur, le cardinal Gabriel Conolmiere,Eugène IV, élu le 3 mars, jura d'entreprendre avec le concile la réforme «de la cour romaine dans son chef et dans ses membres», ainsi que celle de l'église «quant à la foi, la vie et les moeurs ».


Table des matières

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Suivant:81. Le concile de Bâle. Eugène IV. Félix V


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1 Mansi, T. 26. - L'enfant, Histoire du concile de Pise. Amsterdam 17124.

2 vol. in-4°. - Hefele, Conciliengeschichte, P. 6, p. 781. - Wessenberg, Die grossen Kirchenversammlungen des fünfzehnten und sechzehnten, Jahrh.

Constance 1840, 4 vol. - Raumer, Pie Kirchenvers. von, Pisa, Constanz und

Basel. Hist. Taschenbuch 1849. - Creighton, cité au § 66, T. 1. - Zimmermann, Die kirchlichen Verfassungskämpfe im fünffzehnten Jahrh. Breslau 1882. - Höfler, Die romanische Welt und die Reformideen des Mittelalters. Vienne 1878.

Pour les papes du quinzième siècle jusqu'à Paul Il inclusivement, voir Platina, Vitoe pontificum romanorum. Venise 1479, in-f°. L'auteur, mort en 1481, avait été sous Sixte IV bibliothécaire du Vatican. Dans la plupart des éditions suivantes on a supprimé quelques passages trop libres ; les seules conformes au texte original sont celles de 1640, 1645, 1664, s. 1. (Hollande) in-12°.

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2 De unitate ecclesioe. Opera, éd. Dupin, T. 2, p. 113.

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3 De auferibilitate papoe ab ecclesia. 0. c., T. 2, p. 209.

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4 De difficultate reformationis in concilio universali. Chez Von der Hardt, Concilium Constant., T. 1, P. 6, p. 256. Ce traité, écrit probablement dans la seconde moitié de 1410 et longtemps attribué à Pierre d'Ailly, ne peut pas être de lui. D'Ailly ne s'était jamais montré hostile aux cardinaux, il considérait encore Jean XXIII comme pape légitime; en outre l'auteur parle de l'empereur d'Allemagne en des termes qui rèvèlent qu'il est un Allemand; d'après Schwab, Joli. Gerson p. 489, ce serait Thierry de Niem.

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5 De modis uniendi ac reformandi ecclesiam in concilio universali, chez Von der Hardt, Conc. const., T. 1, P. 5, p. 113. Ce pamphlet est une réponse à celui sur la difficulté de la réforme ; Von der Hardt l'attribue à Gerson, mais il -'éloigne trop des opinions du chancelier de l'université de Paris pour que celui-ci puisse l'avoir écrit. Schwab, Joli. Gerson p. 482, pense que l'auteur est André, abbé des bénédictins de Randuf en Dalmatie.

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6 Acta scitu dignissima docte concinnata constantiensis concilii. Haguenau 1500, in-4°. - Mansi, T. 27 et 28. - magnum oecumenicum constantiense concilium, ed. Von der Hardt. Francfort 1700, 6 vol. in-f° , vol. 7, index, Berlin 1742, in-f° recueil des actes du concile, ainsi que des documents et des traités qui s'y rapportent. - Ulrich von Richenthal (bourgeois de Constance , contemporain), Das Conciliumbuch zu Costenez. Augsbourg 1483, in-f°, et plusieurs fois, en dernier lieu par Buck, 1882, T. 158 de la Bibliothek des liter. Vereins de Stuttgard. On vient de faire une reproduction en héliogravure du manuscrit original à 40 exemplaires. - Stumpf, Des grossen - gemeinen Conciliums zu Constentz. Beschreybung s. 1. etc. (Zurich 1541) in-f°.- Lenfant, Histoire du concile de Constance. 2e éd. Amsterd. 1727, 2 vol. in-4°. - Bourgeois du Chastenet, Hist. du conc. de Const. Paris 1718, in-4°. - Royko, Geschichte der Kirchenversammlunbg zu Costnitz. Vienne 1782, 4 vol. - Tosti, Storia del concilio di Costanza. Naples 1853, 2 vol. - Hefele, Conc, gesch., T. 7. - Le tome 1er de l'ouvrage de Creighton cité au § 66.

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7 Zütrcher, Gerson zu Constanz. Leipzig 1871.

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8 Le concordat allemand chez Von der Hardt, T. 1, p. 1055, et chez Lenfant, T. 2, p. 427 ; l'anglais, Von der Hardt T. 1, p. 1079, Lenfant T. 2, p. 444; le français, V. d. H. T. 4, p. 1079, Lenfant T. 2, p. 436. - Münch, Sammlung aller ältern und neuern Concordate. Leipz. 1830, T. 1. - Hübler, Die Constanzer Reformen und das Concordat von 1418. Leipz. 1867.

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