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78. Jean Wiclif.

A l'époque même où Milicz et Matthias de Janow combattaient en Bohème ce qu'ils appelaient l'antéchrist, une lutte semblable fut entreprise en Angleterre parJean Wiclif(62). Dans ce pays le sentiment national s'était soulevé contre les exactions et les usurpations des papes d'Avignon. Dès 1343 le parlement s'était plaint des dommages causés au peuple et à l'église « par Provisions et réservations de la cour de Rome, et par imposition de dîmes et autres charges». Édouard III avait défendu la publication de bulles préjudiciables aux droits de la royauté et au bien de la nation. Le clergé séculier et l'université d'Oxford étaient hostiles aux ordres mendiants; en 1357 l'archevêque Richard d'Armagh avait soutenu les droits des curés et attaqué la règle de la mendicité comme contraire à la doctrine de Jésus-Christ. L'opinion publique, excitée contre la Papauté et les moines, se manifestait par des satires véhémentes.

C'est dans ces circonstances que parut Jean Wiclif. On le rencontre pour la première fois en 1361 comme régent du collège de Balliol à Oxford; la même année il obtint la cure de Fillingham dans le Lincolnshire, dont ledit collège était le patron. Vers 1363 il fut reçu docteur en théologie. Patriote et savant, il s'occupa des questions qui agitaient le pays. En 1065 Urbain V rappela à Édouard III que le tribut annuel de mille marcs d'argent, que le roi Jean s'était engagé à fournir au saint-siège, n'avait pas été payé pendant 33 ans. Les barons et les communes refusèrent de payer ce tribut, qui leur semblait injurieux pour l'Angleterre. Wiclif justifia ce refus dans des leçons qu'il donnait à Oxford, et publia un écrit sur l'indépendance du pouvoir séculier. En 1373 le parlement se plaignit de nouveau du pape; en même temps il décréta un Impôt sur les biens ecclésiastiques; Wiclif se lit encore l'avocat de ce vote. L'année suivante le roi le nomma un des commissaires chargés de négocier avec des envoyés de Grégoire XI, réunis à Bruges, pour mettre un terme à l'abus des provisions; en 1375 le pape fit quelques concessions, si illusoires que le parlement dut protester, «contre les oppressions de la cour en la pécheresse cité d'Avignon ».

Le roi venait de donner à Wiclif la paroisse de Lutterworth dans le comté de Leicester. Il y prêcha contre les excès de pouvoir de la hiérarchie et contre les moines mendiants qui les défendaient. Accusé d'hérésie à cause de ses opinions sur l'indépendance de l'état et sur les ordres voués à la mendicité, il fut cité en 1377 devant l'évêque de Londres, Guillaume Courtenay; l'influence du duc de Lancaster empêcha le procès d'avoir des suites. Les adversaires de Wiclif portèrent leurs griefs devant Grégoire XI ; ils reprochaient au prédicateur d'avoir enseigné que ni le pape ni les évêques n'ont le droit d'intervenir dans le gouvernement temporel; que, si la hiérarchie dégénère, les rois peuvent la priver de ses biens; que, par sa seule volonté, le pape ne peut retrancher personne de l'église de Dieu; que nul n'est vraiment excommunié à moins de s'être excommunié lui-même, c'est-à-dire séparé par ses erreurs ou ses vices de la communion des fidèles ; que tout prêtre régulièrement consacré a le pouvoir d'administrer les sacrements et d'absoudre les pénitents; enfin que les chrétiens peuvent accuser et censurer les papes.

Du point de vue national et politique Wiclif s'était élevé au point de vue religieux, d'où il attaquait aussi les privilèges spirituels des papes. Grégoire XI demanda une procédure contre le hardi théologien; mais le roi étant mort, le duc de Lancaster, devenu régent, ne permit pas qu'on le molestât. En 1378 éclata le schisme; en Angleterre, comme partout, l'agitation fut très vive. Wiclif publia un traité, exhortant le gouvernement à profiter de cette occasion providentielle pour réformer l'état ecclésiastique; il faut, dit-il, rendre grâce au Seigneur d'avoir divisé l'antéchrist en deux factions qui se combattent; c'est maintenant aux rois à veiller à l'observation des lois divines et à mettre fin aux péchés des prêtres. Pour neutraliser l'influence des moines mendiants, il envoya dans les provinces plusieurs de ses disciples, avec mission de prêcher la Parole de Dieu; ils ne devaient vivre que des offrandes des fidèles, sans rechercher de prébendes; c'est pourquoi on les appela les prêtres pauvres, poor priests. Il faisait circuler des écrits en langue anglaise, tantôt pour éclairer les classes supérieures sur les questions controversées, tantôt pour montrer aux prêtres comment ils devaient instruire « les simples, hommes et femmes » ; le plus remarquable de ses derniers traités est celui qui a pour titre the poor caitif (pauper rusticus). En 1380, aidé de quelques amis, il commença à traduire la Bible d'après la Vulgate; le travail terminé, il fit répandre des coptes, comprenant tantôt l'Écriture entière, tantôt quelques parties, notamment des péricopes (63). Cette oeuvre ayant été censurée, Wiclif justifia le droit des laïques d'avoir la Bible dans leur langue. En 1381 il annonça des thèses contre la transsubstantiation; le chancelier de l'université d'Oxford les supprima, et le duc de Lancaster défendit de parler de ce dogme. Néanmoins Wiclif publia une profession de foi dans laquelle il qualifie les partisans de la transsubstantiation d'esprits grossiers qui confondent le signe avec la réalité, de prêtres de Baal qui adorent une idole. Quand Guillaume de Courtenay fat devenu archevêque de Canterbury, il tint en 1382 un concile à Londres; il y condamna comme hérétiques diverses propositions du curé de Lutterworth, se rapportant à la transsubstantiation, à la confession, aux richesses du clergé, à la nécessité pour chaque église nationale de se gouverner pendant le schisme d'après ses propres lois. D'autres articles furent simplement déclarés erronés; ils concernaient l'excommunication, le droit des diacres et des prêtres de prêcher l'Évangile sans licence spéciale des évêques, celui du pouvoir séculier de priver de leurs biens les clercs infidèles, les dîmes considérées comme offrandes volontaires, les ordres religieux. On prétendait en outre que la révolte des paysans avait été excitée par Wiclif et ses disciples. Le roi fit paraître deux édits, autorisant les évêques à faire arrêter les poor priests et ordonnant à l'université d'Oxford d'expulser Wiclif et ses partisans. Wiclif en appela au parlement, en l'engageant à supprimer les ordres monastiques, à confisquer les biens du clergé, à ne pas accorder de subsides aux mauvais prêtres et à rétablir la sainte-cène dans sa pureté. Les communes n'entrèrent pas dans ces vues radicales, mais elles annulèrent les deux édits royaux comme promulgués sans leur consentement. Wiclif, exclu de l'université, put garder sa cure ; il s'y retira et continua de prêcher ses doctrines. Cité par Urbain VI devant son tribunal, il ne s'y rendit pas; en 1384 il mourut d'un coup d'apoplexie pendant qu'il célébrait le culte; il avait environ soixante ans.

Le plus important de ses ouvrages théologiques est son Trialogus; comme il l'acheva peu avant sa mort, on peut l'envisager comme le fruit des réflexions et des expériences de toute sa vie. Ce sont quatre livres de dialogues entre trois personnes, désignées par des noms allégorique (64); ils forment un traité presque complet de théologie. Celle-ci est encore très scolastique quant à la méthode de l'argumentation et en partie même quant au fond, mais dans ses points les plus essentiels elle est indépendante de la tradition des écoles. Le principe fondamental est l'autorité souveraine de la Bible; les doctrines humaines, les décrets des papes et des conciles n'ont de valeur qu'autant qu'ils sont d'accord avec l'Écriture. Dans cette dernière, on ne doit s'attacher qu'au sens littéral ; le seul interprète authentique est le Saint-Esprit, qui n'est refusé à personne dès qu'on ne s'occupe des livres saints que pour rendre honneur à Dieu. En partant de là Wiclif soumet à sa critique la plupart des institutions et des dogmes du catholicisme.

 

Dans l'histoire de la décadence de l'église il distingue deux moments décisifs : la donation de Constantin, par laquelle le clergé a reçu des possessions et un pouvoir temporels, et « le déchaînement de Satan» (Apoc. XX, 7), qui date du commencement du douzième siècle, époque où selon lui se sont introduites ou affermies les grandes erreurs doctrinales. L'église existante est donc celle de Satan ou de l'antéchrist; à la place des lois de Dieu règnent « des bulles nouvelles que Jésus-Christ n'a point faites» il faut revenir au christianisme primitif, dans la doctrine, dans la constitution et dans le culte. L'église ne consiste pas dans la hiérarchie, elle est la communion des élus ; personne ne peut en discerner les membres, Dieu seul connaît ses prédestinés; personne par conséquent n'a le droit ni de canoniser ni d'excommunier. L'église visible, qui forme le corps apparent de Jésus-Christ, se compose du peuple laïque, des prêtres et du souverain temporel, chargé de la protéger et de maintenir ses lois. En théorie Wiclif admet un pape, mais ce pape devrait être un homme saint, un parfait imitateur du Christ, humble, pauvre, plein de charité et de miséricorde; un tel homme pourrait être considéré comme un vicaire du Seigneur sur la terre. Cet homme ne se trouvant pas, Wiclif rejette la papauté, car elle n'est pas une institution de Jésus-Christ, lequel n'a pas donné de primauté à l'apôtre Pierre. Le pape, qui s'est arrogé la suprématie, est l'antéchrist, il faut résister à ses bulles. Comme dans l'église primitive il ne trouve que les deux ordres des presbytres et des diacres, Wiclif veut que tous les autres soient abolis; les seuls vrais ministres sont les curés, dont l'office exige la sainteté de la vie et la pureté de la doctrine. Cette dernière, telle qu'on l'enseigne, est encombrée d'erreurs; il doute que la confirmation et l'extrême onction puissent être prouvées par la Bible; il demande qu'on ramène le baptême à sa simplicité, en en écartant les cérémonies qu'on y avait ajoutées; la transsubstantiation lui semble être une hérésie, aussi contraire à la raison qu'aux paroles de Jésus-Christ; la sainte-cène n'est qu'une figure, qui n'a de l'importance que pour le croyant. Il combat enfin les indulgences, le trésor des oeuvres surérogatoires, le culte des saints et de leurs images, l'abus qu'on faisait du mot religion en l'appliquant par excellence à la vie monastique.

Cette théologie de Wiclif a encore des lacunes et des parties qui prêtent à la critique, mais il avait compris au moins que la vraie cause de la décadence de l'église était l'altération de la doctrine. Nul encore n'avait entrevu aussi nettement la plupart des points qui avaient besoin de réforme et formulé avec autant de précision le principe que, pour revenir à un état plus normal, il fallait reconnaître d'abord que la seule autorité pour les chrétiens est la Bible.

Aussi longtemps que vécut Richard II, les partisans du réformateur, nombreux dans toutes les classes de la société anglaise, ne furent pas inquiétés. Ils vénéraient leur maître comme «docteur évangélique». Déjà de son vivant le peuple avait donné à ses disciples le nom delollards, sous lequel ils paraissent désormais dans les documents. Ils formaient un parti à la fois politique et religieux; ils défendaient l'intérêt national contre les papes et travaillaient à une réforme de l'église. En 1394 ils remirent au roi et au parlement une supplique, demandant l'application des principes de leur maître; cette démarche n'eut pas de suite. Les persécutions commencèrent sous Henri IV qui, pour consolider son pouvoir, avait besoin de l'appui du clergé. En 1400 il obtint de la majorité du parlement le statut de comburendo hoerelico, la première loi anglaise émanée du pouvoir civil contre les hérétiques. Dès cette année on brûla des wicléfites à Londres; en 1409 l'inquisition fit condamner à mort lord Cobham, un de leurs principaux chefs. Ils cessèrent dès lors d'exister comme parti politique. En 1445 le concile de Constance ordonna de brûler les ossements de Wiclif et ses livres; en fait de livres on brûla ce qu'on put trouver, mais on ne trouva pas tout; la sentence contre les ossements ne fut exécutée qu'en 1428 après des rappels réitérés du pape Martin V. Pendant tout le cours du quinzième siècle et encore au commencement du seizième on découvrit en Angleterre des lollards, dont beaucoup périrent sur les bûchers. Cependant, les idées de Wiclif avaient trop pénétré dans la nation pour pouvoir être complètement extirpées. Avant sa mort déjà elles avaient passé sur le continent, où elles trouvèrent, en partie du moins, un nouvel interprète dans la personne de Jean Hus.


Table des matières

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62 Ses ouvrages: Trialogus (Bâle) 1525, in-4° Francf. 1753, in-4° ; Oxford 1869. - De officio pastorali, ed. Lechler. Leipzig 1863. - Writings of John Wicliff. Londres 1863. - Select english works of J. W., publ. by Th. Arnold. Oxford 1869, 3 -vol. - Wiclifs lateinische Streitschriften zum ersten Mal herausgeg. von Buddensieg. Leipzig 1883. - Plusieurs traités sont encore inédits.

Lewis, The life and sufferings of J. Wiclif. Londres 1720; Oxford 1820. - Vaughan, l'lie life and opinions of John de Wycliffe, 3e éd. Londres 1853, 2 vol. - Ruever-Gronemann, Diatriba in Wicliffi vitam, ingénium, scripta. Utrecht 1837. - Lewald, Die theologische Doctrin J. Wicliffes. Zeitschr. für hist. Theol., 1816, Il), et 4e livr., 1847, 4e livr. - Jäger, J. Wicliffe und seine Bedeutung für die Reformation. Halle 1854. - Böhringer, Die Vor-reformatoren, T. 1, Joh. von Wicliffe. - Lechler, J. Wicliff and die Vorgeschichte dek, Reformation. Leipzig 1873, 2 vol. - Buddensieg, John Wicliff, patriot and reformer life and writings. Londres 1883.

Pendant longtemps on disait Wiclef, Puis Wicliffe , Wyclif, Wycliffe, Wykliffe - il paraît prouvé aujourd'hui que la vraie forme est Wiclif ; c'est le nom du village du Yorkshire où le réformateur était né.

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63 Après la mort de Wiclif, Jean Purvey, un de ses principaux collaborateurs, fit une révision de cette traduction. Le Nouveau Testament, d'après le texte revu, fut publié pour la première fois par Lewis, Londres 1731, in-f°. La Bible entière : The holy Bible, in the earliest englisch version by J. Wiclif and his followers, ed. by Forshall and Madden. Oxford 1850, 4 vol. in-4°. Par sa traduction de la Bible et par ses traités populaires Wiclif est devenu un des créateurs de la prose anglaise.

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64 Alithia, un théologien qui cherche de bonne foi la vérité ; Pseudis, un sophiste qui défend les erreurs ; Phronesis, un homme intelligent qui décide les questions dans le sens que Wiclif croit être le vrai. - Un ouvrage de W. plus étendu que le Trialogus, est celui de veritate scripturoe il traite en partie des mêmes matières, mais avec moins d'ordre ; le manuscrit, fort de plus de 600 pages, est encore inédit.

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