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71. Associations libres. Beghards. Frères de la vie commune.

Quelques ordres nouveaux, fondés au quatorzième siècle et restés sans influence, n'ont d'autre intérêt historique que celui de constater la persistance du besoin de s'associer pour se séparer du monde. En Italie, ce sont la congrégation bénédictine desolivetainsou frères de Sainte-Marie-du-Mont-des-0liviers, et la société des frères lais mendiants, ditsjésuates; dans le même pays et en Espagne, des réunions d'ermites formant l'ordre deshieronymites; en Suède, l'ordre du Sauveur, établi pour des femmes par sainte Brigitte.

Des associations plus importantes sont celles desbeghardset des frères de la vie commune.

Au treizième siècle, les beghards et les béguines étaient rattachés aux tiers-ordres des dominicains et des franciscains. Peu après l'année 1300, il se forma dans la ville d'Anvers une confrérie de laïques, pour soigner les malades pauvres et pour enterrer les morts. Ils s'appelèrent Alexiens, du nom de leur patron saint Alexius ; on leur donna aussi les noms deLollardsou Zellbrüder, cellites. Ils trouvèrent des imitateurs dans les Pays-Bas et en Allemagne, et ne tardèrent pas à se confondre avec les beghards. Au commencement du quatorzième siècle, ceux-ci n'étaient pas encore inquiétés par les autorités de l'église; leur institution, née d'un sentiment charitable, était favorisée par les évêques et protégée par les magistrats. Mais il vint un moment où elle se vit menacée par l'intrusion d'éléments étrangers. En Allemagne surtout le long du Rhin, les beghards se mêlèrent fréquemment aux frères du libre esprit, qui leur prirent leur nom et dont ils empruntèrent quelques opinions. Gens incultes pour la plupart, mendiants et vagabonds, ils étaient facilement gagnés à des doctrines qui séduisaient leur imagination, et cela d'autant plus qu'ils les comprenaient moins; ce qui les attirait plus encore que la métaphysique, c'étaient les principes et les promesses communistes. Même dans les béguinages de femmes on spéculait sur la religion, tout en croyant qu'on ne se livrait qu'à la dévotion mystique.

 

En 1311, au concile de Vienne, Clément V, à qui tous les beghards et béguines avaient été signalés comme hérétiques, publia deux bulles, par lesquelles il défendit leur genre de vie.

Six ans plus tard, Jean XXII renouvela cette prohibition; mais ayant été informé qu'il y avait deux sortes de beghards, il ordonna en 1318 de ménager ceux qui ne s'écartaient pas de la foi orthodoxe. En 1371 un nouvel orage éclata contre eux ; on les confondait de nouveau avec les frères du libre esprit. L'inquisiteur d'Allemagne obtint de Charles IV un édit, portant que dans tout l'empire les maisons des beghards seraient confisquées pour en faire des prisons de l'inquisition, et celles des béguines, vendues au profit des pauvres, des communes et des inquisiteurs. Grégoire Xi confirma cet édit. Les dominicains, qui dirigeaient les béguinages de plusieurs diocèses, représentèrent au pape l'injustice de cette mesure sommaire, à leur demande, il consentit à ce qu'on maintînt et protégeât les maisons qui n'étaient pas suspectes. Celles-ci subsistèrent pendant tout le moyen âge; en Belgique il existe encore aujourd'hui quelques béguinages de femmes. Les beghards finirent par dégénérer; ils ne se faisaient plus admettre dans les confréries que pour y trouver leur subsistance; leur vocation de gardes-malades n'était plus une mission de dévouement, mais un métier qui ne les empêchait pas de se livrer à la boisson et à la fainéantise; leur nom devint synonyme de faux dévot.

Ce fui aussi dans les Pays-Bas que se forma, dans la seconde moitié du quatorzième siècle, l'association desfrères de la vie commune. Elle dut son origine àGérard Groot, Gerardus Magnus (34). Né en 1340 à Deventer, Gérard étudia la théologie à Paris, l'enseigna à Cologne, obtint des canonicats à Utrecht et à Aix-la-Chapelle, et ne songea pendant quelque temps qu'à jouir du monde. Sa conscience s'étant réveillée, il résigna ses prébendes et se retira dans un couvent de chartreux. Mais bientôt il comprit qu'il avait une meilleure mission à remplir que celle de passer son existence dans un ascétisme inactif; il quitta le couvent et prêcha la pénitence dans diverses villes de son pays. Jaloux de ses succès, les moines mendiants lui firent interdire la prédication. Dès lors il se consacra à l'instruction de la jeunesse; à Deventer il réunit des jeunes gens qui se destinaient à la carrière ecclésiastique, leur donna des leçons et les employa à copier des manuscrits. Sur la proposition de Florent Radewins, un de ses disciples, il voulut que ceux-ci fissent à leur tour un essai de réaliser la vie apostolique; ils s'engagèrent, sans faire de voeux, à demeurer ensemble, à mettre leurs biens en commun et à vivre, d'après l'exemple et le précepte de saint Paul, du travail de leurs mains; ce travail devait consister à copier des livres. Ils convinrent en outre de contribuer, par leurs paroles et par leur conduite, à amener les hommes de bonne volonté à l'amour de Dieu et au renoncement. Peu avant sa mort, qui arriva en 1384, Gérard Groot leur conseilla de se rattacher à un ordre approuvé par les papes. A cet effet, Florent fonda en 1386 à Windesheim, près de Zwoll, un couvent de chanoines réguliers de Saint-Augustin, auquel succédèrent bientôt plusieurs autres, formant ensemble la congrégation de Windesheim. Florent fit plus; à Deventer il destina une maison à servir d'habitation à des prêtres, à de jeunes clercs, et à des laïques continuant d'exercer leurs métiers, ayant tous ensemble leurs biens en commun, mais ne faisant pas de voeux monastiques. Aussitôt il s'établit dans d'autres villes des maisons semblables, toutes en relation avec la congrégation de Windesheim. Les frères, clercs et laïques, qui les habitaient, furent appelés frères de la vie commune (35). Chacune d'elles avait son recteur; celle de Deventer formait le centre de l'association, son recteur était le père général. Les laïques travaillaient pour la communauté les prêtres célébraient le culte et instruisaient les jeunes clercs; ceux-ci devaient suivre quelques conseils, donnés encore par Gérard Groot : ne jamais rechercher plus d'un bénéfice; ne pas se vouer à des études stériles; fuir les disputes; s'occuper de la Bible et des principaux Pères ; diriger tous leurs efforts vers l'éducation chrétienne du peuple. Dans chaque maison on tenait des réunions, où l'on faisait en flamand des explications pratiques de passages scripturaires ; pour les personnes sachant lire on écrivait des traités religieux. Un des premiers frères de Deventer, Gérard Zerbolt, laissa un ouvrage de libris teutonicalibus (36); Ce D'est pas un péché, dit-il entre autres, de posséder des livres en langue vulgaire sur des matières édifiantes; l'église tolère que les laïques se divertissent par des romans frivoles, pourquoi leur refuserait-elle le droit de lire des écrits qui peuvent les améliorer et les consoler ?

Une pareille institution ne pouvait manquer de faire naître des soupçons; on traita les frères de beghards, on leur fit un grief de leur vie en commun sans voeux monastiques. En 1398 ils soumirent cette question à la faculté de droit de Cologne, qui se prononça en leur faveur, en déclarant que les voeux ne sont pas indispensables pour des hommes qui se décident librement à vivre en communauté de biens (37). L'inquisiteur de Belgique protesta contre cette déclaration, mais ne put rien entreprendre contre les frères. Quelques années plus tard ils furent attaqués de nouveau parMatthieu Grabow, lecteur des dominicains de Groningue; il les accusa d'hérésie, parce que renoncer à la possession des biens temporels extra-religionem, c'est-à-dire en dehors d'un ordre monastique, c'est se priver de ce qui est nécessaire à la vie, et par conséquent commettre un homicide; la renonciation n'est permise et possible que dans les ordres, la possession au contraire est inhérente à l'état séculier; ceux qui prétendent vivre en communauté extra religionem, sont coupables d'un péché mortel, ils sont hérétiques. Le chapitre général de la congrégation de Windesheim prit la défense des frères et porta plainte contre Grabow devant l'évêque d'Utrecht ; celui-ci s'étant prononcé pour l'institution, Grabow en appela au pape, tandis que l'évêque en appela au concile de Constance. Là, Pierre d'Ailly et Gerson réfutèrent les sophismes du dominicain ; ils relevèrent l'abus qu'on faisait du mot religion en l'appliquant de préférence à la vie du couvent; ils démontrèrent que la religion chrétienne peut être observée sans voeux, et que pour la perfection de la vie elle n'exige pas qu'on la complète par des « religions nouvelles et factices » (38). Grabow, mis en prison., n'échappa que par une rétractation à un procès pour crime d'hérésie.

En ne demandant pas de voeux, les frères de la vie commune avaient élargi les sphères étroites du monachisme ; au lieu d'un ordre, ils ont formé une association libre d'hommes de bonne volonté, pour une oeuvre qui a été véritablement une oeuvre de réforme. Ce qui fait leur mérite, ce n'est pas la communauté des biens, c'est d'avoir opposé à la scolastique dégénérée une piété intime et pratique, propagé des livres chrétiens en langue vulgaire, et donné leurs soins à l'instruction religieuse et bientôt aussi à l'instruction classique de la jeunesse. Pendant tout le quinzième siècle leurs écoles ont été du nombre des mieux dirigées et des plus florissantes ; elles ont contribué à préparer la renaissance; plusieurs des principaux restaurateurs des lettres anciennes en Allemagne ont été disciples des frères.


Table des matières

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34 Gerardi Magni epistoloe XIV, ed. Acquoy. Amsterd. 1857. - Biographies de Gérard et de Florent par Thomas a Kempis dans ses oeuvres, Anvers 1617. - Busch, Chronicon windeseinense. Anvers 1621. - Clarisse, Over den geest en de denkwiijze van Geert Groot. Archief vor Kerkelijke geschicdenis, 1829 et suiv., T. 1, 2, 8. - Delprat, Over de broederschap van G. Groote. Arnheim 1830, nouv. édit. 1856 ; trad. en allemand par Mohnike. Leipzig 1840 - Ullmann, Reformatoren vor der Reformation. Hambourg 1842, T. 2, p. 62. - Acquoy, Het Kloster te Windesheim, Utrecht 1875, 3 vol. Bonet-Maury, Girard de Groote, d'après des documents inédits. Paris 1878.

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35 Parfois aussi hiéronymiens ou grégoriens, d'après leurs patrons saint Jérôme et Grégoire le Grand.

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36 on n'en a publié encore qu'une partie, dans l'ouvrage de Révius, Daventria illustrata. La Haye 1651, in-4°, p. 41. Les sacroe literae dont il est parlé dans ce fragment, ne sont pas, comme l'a cru Ullmann, o. c., p. 118, la Bible, mais en général la littérature religieuse.

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37 Mosheim, De beghardis, p. 433.

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38 Chez Von der Hardt, Concilium constantiense, T. 3, p. 112.

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