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 59. L'église et l'état vis-à-vis des hérésies. -L'inquisition(121).

Leconcile de Véronede 1184, présidé par le papeLucius III, fut le premier qui institua des tournées épiscopales spécialement destinées à la recherche des hérétiques; elles devaient être faites, une ou deux fois par an, soit par l'évêque du diocèse, soit par un archidiacre; dans chaque paroisse on convoquait les principaux habitants, on les faisait jurer de nommer les personnes qui fréquentaient des réunions secrètes on qui se distinguaient par la singularité de leurs coutumes ; les personnes dénoncées étaient sommées de déclarer sous serment qu'elles n'étaient pas hérétiques; en cas de refus, elles passaient pour coupables, et on les punissait en conséquence. Cette inquisition épiscopale, qui n'était qu'une application particulière des anciens plaids synodaux, fut confirmée par le concile du Latran de 1215. Dans la lutte contre les albigeois on la trouva insuffisante. Le concile de Narbonne de 1227 fit désigner dans chaque commune quelques membres, chargés de s'enquérir des hérétiques et de faire rapport à l'évêque du résultat de leur enquête. Deux années après, le concile de Toulouse prit une mesure plus grave encore; il institua des commissions permanentes, composées du curé et d'un laïque de chaque paroisse, pour visiter les maisons, les granges, les caves, les forets ; les hérétiques surpris devaient être livrés à l'évêque ou au seigneur du lieu.

Ces dispositions, qui laissaient intacte la juridiction des évêques, étaient spéciales au midi de la France. Comme il y avait aussi des hérétiques dans d'autres pays, Grégoire IX généralisa l'inquisition en en transférant, en 1232, tout l'office aux ordres mendiants ; ce fut surtout celui des frères prêcheurs qui s'en acquitta. En 1245 Innocent IV autorisa le général de cet ordre à nommer et à révoquer les inquisiteurs. Les dominicains, munis de privilèges particuliers, soumis immédiatement au siège de Rome, étrangers aux intérêts de la société laïque, hostiles à son esprit, inaccessibles aux considérations qui auraient pu porter les évêques à l'indulgence, s'acquittent dès lors de leur mission de « rechercher la méchanceté hérétique » avec une rigueur inexorable.

De nombreuses bulles pontificales et des décrets de conciles créent successivement une législation qui fait peu d'honneur au catholicisme du moyen âge. L'église était dans son droit en excommuniant ceux qui , en rejetant ses croyances, se plaçaient eux-mêmes en dehors de sa communion, mais elle ne l'était plus en les traitant comme des criminels. Pour leur arracher des aveux on pouvait les mettre à la torture ; on admettait contre eux le témoignage de malfaiteurs et de gens notés d'infamie ; on refusait de leur communiquer les noms des dénonciateurs et de les confronter avec les témoins ; on défendait aux avocats de plaider pour eux, et aux médecins de les soigner en cas de maladie. Ceux qui abjuraient spontanément étaient marqués de croix rouges, attachées à leurs habits ; ils ne pouvaient porter ni bijoux ni vêtements de luxe ; chaque dimanche ils avaient à se présenter au portail de leur église avec des verges, pour être frappés par le prêtre. Un hérétique, fait prisonnier, s'il consentait à se rétracter, était condamné à la pénitence de l'immuration perpétuelle. Celui enfin qui restait ferme était livré à la justice séculière qui, sans avoir le droit de l'interroger à nouveau, devait se borner à le condamner; c'était le seul rôle réservé au pouvoir laïque. Jusqu'au treizième siècle celui-ci n'avait pas eu de procédure uniforme contre les hérétiques ; tantôt il les avait condamnés au feu, tantôt seulement à l'exil et à la confiscation des biens ; au treizième siècle le supplice par le bûcher devint le seul châtiment légal.

L'empereurFrédéric IIpublia plusieurs édits, assimilant l'hérésie aux crimes publics, ordonnant aux princes et aux magistrats de l'empire de rechercher les suspects, de les livrer aux inquisiteurs qu'il prenait sous sa protection spéciale, de brûler les condamnés, d'exclure de toute fonction leurs descendants, leurs fauteurs et défenseurs. En France l'hérésie fut comptée au nombre des cas royaux, comprenant les crimes de lèse-majesté, de rapt, d'incendie, de meurtre, de fausse monnaie, de violation de sauf-conduit. Partout l'état se mit au service de l'église ; quand il combattait les prétentions des papes sur le domaine séculier, il affichait d'autant plus de zèle à les soutenir contre les sectes ; il sanctionna les peines décrétées par eux, la confiscation des biens, la démolition des maisons, la mort civile ; en entrant en charge, les magistrats et les officiers juraient de prêter main-forte aux inquisiteurs. L'église elle-même ne prononçait pas les sentences de mort, mais elle les approuvait. Quelques docteurs avaient demandé qu'au lieu de tuer les hérétiques, on essayât de les convertir ; Thomas d'Aquin démontra scolastiquement que, si les crimes contre l'état sont justement punis de mort, il est juste à plus forte raison de frapper de la même peine les crimes contre l'église.

Plus d'une fois des inquisiteurs payèrent de leur vie le fanatisme de leur zèle ; en Allemagne Conrad de Marbourg en 1233, dans le midi de la France Guillaume Arnauld, Étienne de Narbonne et deux autres en 1242, en Italie Pierre de Vérone en 1252, périrent sous les coups de gens exaspérés. Il y eut des évêques et des magistrats qui tentèrent en vain de modérer la rigueur farouche des juges de la foi. L'effroi produit par le terrorisme de la procédure inquisitoriale fut tel, qu'à la longue les hérésies furent, sinon extirpées toutes, du moins réduites à se cacher dans l'ombre.

 

 

 

CHAPITRE VIII

CROISADES. - PROPAGATION DU CHRISTIANISME

 

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60. Les croisades(122).

 

L'une des préoccupations des papes au moyen âge a été la délivrance de la Terre-Sainte. Rétablir le christianisme dans les contrées mêmes où il était né, rattacher l'église de Jérusalem à celle de Rome, quelle gloire pour le siège apostolique! De bonne heure les pèlerinages en Palestine étaient devenus un besoin pour ceux des chrétiens de l'Occident qui avaient le courage d'affronter les vicissitudes d'un voyage d'outre-mer; de bonne heure aussi s'était répandu le désir de reprendre aux infidèles les lieux consacrés par les faits de l'histoire sainte. Déjà le pape Silvestre Il adressa en 999 un appel à la chrétienté pour venir au secours «de la cité de Jérusalem dévastée ». Lorsqu'en 1073 les Turcs se furent emparés de la Syrie, le sort des chrétiens, tant de ceux qui étaient établis dans ces pays, que de ceux qui venaient les visiter dans une intention pieuse, devint plus intolérable qu'il ne l'avait été sous les Arabes. A leur retour les pèlerins faisaient frémir les populations au récit des traitements qu'on leur avait fait subir et des profanations qu'ils avaient vues. Il y avait sans doute dans leurs récits bien des exagérations, mais ceux qui écoutaient leurs plaintes étaient peu disposés à les mettre en doute. Grégoire VII, toujours en quête de grandes entreprises, forma le projet de délivrer la Palestine, espérant qu'à cette occasion il ramènerait aussi sous son autorité les Grecs et les Arméniens; il eût été prêt à se mettre à la tête de l'armée libératrice, mais celle-ci ne se trouva point. Le projet ne fut réalisé que sous l'impulsion d'Urbain Il.

 

En 1095 l'empereur grec Alexis Comène, menacé par les Turcs, envoya à Rome des ambassadeurs pour solliciter l'assistance des chrétiens latins. An mois de mars Urbain réunit un concile à Plaisance; les Grecs y exposèrent leur situation, mais l'assemblée ne décida rien. Au mois de novembre le pape tint un nouveauconcile à Clermont. Sur la place publique de cette ville, en présence d'une foule composée de prélats, de moines, de barons, de gens du peuple, il fit sur les misères des pèlerins et sur l'urgence de venir en aide aux chrétiens orientaux, un discours qui produisit un effet extraordinaire ; toute l'assistance s'écria : Dieu le veut! Chacun s'empressa de se faire attacher sur l'épaule une croix rouge, en signe du voeu de combattre pour Jésus-Christ. Un entraînement inouï s'empara des peuples; cette première croisade, vue dans son ensemble, est la manifestation la plus éclatante de l'imagination et du sentiment religieux au moyen âge; par son discours de Clermont, Urbain II avait exprimé l'esprit de son siècle. La plupart des croisés étaient pénétrés de la conviction sincère d'obéir à la volonté divine; ils croyaient faire une oeuvre sainte en chassant les ennemis du Christ des lieux où celui-ci avait vécu et souffert. Chez d'autres, l'ambition chevaleresque était séduite par la perspective d'aventures dans des contrées inconnues. Il y en avait aussi qui cédaient à des mobiles moins généreux, à l'espoir d'un riche butin, à l'envie de se soustraire aux impôts et d'échapper aux créanciers; le concile de Clermont avait décrété que les croisés seraient affranchis de toute contribution, et que pendant la durée de l'expédition ils ne pourraient pas être poursuivis pour dettes. Tous enfin trouvèrent un stimulant dans les indulgences plénières que leur accordait le pape.

La première armée, conduite par Pierre d'Amiens, dit l'ermite (123), n'était composée que de bandes indisciplinées ; elle périt misérablement après avoir pillé les juifs et les chrétiens des provinces qu'elle avait traversées. En 1096 il en partit une autre, mieux organisée et mieux commandée; à sa tête ne se trouvaient pas encore des rois, mais des seigneurs puissants et un légat apostolique. En juillet 1099 elle s'empara de Jérusalem; Godefroi de Bouillon fut proclamé roi. D'après les ordres du pape, le nouveau royaume devint un fief du siège de Rome; Godefroi y introduisit le système féodal, créa des bénéfices pour ses chevaliers, et donna une législation conforme à celle de la France. Le pays conquis fut divisé en cinq archevêchés et un grand nombre d'évêchés; il s'y établit des colonies chrétiennes d'origine diverse.

 

Le royaume eut à traverser des temps difficiles ; non seulement il était troublé par des conflits fréquents entre le roi et le métropolitain de Jérusalem ou entre les barons et les villes, mais son existence même était constamment menacée par les infidèles. Ses principaux soutiens étaient les ordres du Temple et de Saint-Jean, fondés au commencement du douzième siècle; cependant ils ne purent empêcher la reprise de la ville d'Édesse par les Sarrasins en ML Le pape Eugène III chargeasaint Bernardde prêcher une nouvelle croisade. Lors d'une grande assemblée tenue à Vézelay en Bourgogne, et devant une diète réunie à Spire, l'abbé de Clairvaux fit des discours qui enflammèrent une seconde fois l'enthousiasme des chrétiens. Ceux qui n'étaient pas poussés par le zèle pieux, se laissèrent engager par des avantages matériels; le pape permit aux croisés de partir sans payer leurs dettes ; il les autorisa même à mettre en gage des biens qui ne leur appartenaient pas, des terres qu'ils ne tenaient qu'à titre de fiefs. En 1147 le roi de France Louis VII et l'empereur Conrad III partirent pour l'Asie (seconde croisade); ils revinrent dès 1149, sans autre résultat que la perte de leurs troupes. On accusa saint Bernard, qui avait annoncé aux croisés des triomphes certains, d'avoir été un faux prophète; on lui reprocha d'avoir envoyé les chrétiens mourir en Orient, comme si l'Europe manquait de sépulcres. Il se justifia en alléguant les voies insondables de Dieu, et en attribuant les malheurs de l'armée aux croisés eux-mêmes, que leurs vices avaient rendus incapables de remporter des victoires.

 

Jérusalem ayant été prise en 1187 par Saladin, l'ardeur se ralluma pour quelque temps. Dans le but de réunir les fonds nécessaires pour une nouvelle expédition, il fut décidé que ceux qui ne prendraient pas la croix, fourniraient la dixième partie de leurs revenus et de la valeur de leurs biens-meubles; on appela cet impôt la dîme saladine et on menaça d'excommunication ceux qui le refuseraient. Il s'éleva, surtout de la part du clergé, de vives réclamations contre cette taxe ; quelques ordres monastiques et les hospices de lépreux en furent seuls exemptés. Le zèle qui avait signalé la première croisade commençait à se refroidir; l'entraînement ne fut plus aussi universel qu'en 1095. A l'appel de Grégoire VIII, le roi de France Philippe-Auguste et celui d'Angleterre Richard Coeur-de-Lion s'engagèrent à partir pour la Palestine; encore avant eux, en 1189, Frédéric Barberousse se mit en route (troisième croisade) ; il mourut en se noyant, son fils Frédéric de Souabe et la plus grande partie de l'armée périrent par la peste lors du siège de Saint-Jean-d'Acre. En 1190 les deux rois quittèrent l'Europe (quatrième croisade); à peine arrivés en Syrie, ils se brouillèrent; leur désunion les empêcha d'obtenir des succès durables; Philippe revint en Europe dès 1191, Richard en 1192. Les plaintes recommencèrent sur ces guerres stériles; un chroniqueur, s'écrie à ce sujet : ceux qui nous blâment, ne comptent-ils pour rien le triomphe spirituel de cent mille martyrs?

Innocent Ill ayant fait prêcher une croisade, principalement en France, il se forma une armée nombreuse, Arrivés devant Constantinople, les chefs se laissèrent engager dans les intrigues de la cour byzantine; en 1204 ils prirent possession pour eux-mêmes de la capitale et du pays; ils fondèrent l'empire latin, qui permit au pape de prétendre à la suprématie sur l'église grecque, mais qui ne fût d'aucune utilité pour le royaume de Jérusalem. Le concile du Latran de 1215 décréta quelques mesures pour assurer la conquête de la Palestine. Lors de son couronnement comme roi d'Allemagne Frédéric Il avait promis de prendre la croix; Innocent III le pressa d'accomplir son voeu; nous avons vu plus haut pour quelles causes il retarda son départ jusqu'en 1228 et que, tout excommunié qu'il fut, il reprit Jérusalem; il fit avec le sultan d'Egypte une trêve de dix ans, avantageuse pour les chrétiens (cinquième croisade). En 1247 Jérusalem retomba au pouvoir des Sarrasins. En Europe l'enthousiasme n'existait plus; on apprit presque avec indifférence la chute de la ville sainte. Louis IX fut le seul des princes qui se décida encore pour une croisade; ce fut la sixième. Il se rendit en Égypte, prit Damiette en 1249, perdit une partie de son armée par la famine et les maladies, fut fait prisonnier et ne put racheter sa liberté qu'en 1254. Seize ans plus tard, accompagné du prince Édouard d'Angleterre, il renouvela sa tentative, débarqua à Tunis et y mourut de la peste (septième croisade). Édouard se dirigea vers la Syrie, mais ne put prévenir la ruine imminente de la puissance chrétienne dans ces contrées. Dès 1961 Michel Paléologue avait aussi rétabli l'empire grec à Constantinople. En Occident le pape Grégoire X essaya en vain de réchauffer un zèle ébranlé par des objections de jour en jour plus fortes; la prise de Saint-Jean-d'Acre en 1291 enleva aux chrétiens le dernier boulevard qui leur fût resté en Asie. Après deux siècles de luttes qui, dit-on, avaient coûté près de cinq millions d'hommes, tout ce qu'on avait conquis était perdu, tout ce qu'on avait fondé était renversé. Mais si les croisades manquèrent leur but immédiat, elles eurent pour l'Occident des conséquences qu'on n'avait pas cherchées, elles mirent en circulation des idées nouvelles, elles contribuèrent au progrès social et politique. La papauté seule perdit de son prestige; quelques efforts qu'elle fît encore pour réunir des croisés contre les Turcs, l'Europe poursuivit désormais des intérêts plus positifs que l'intérêt romantique de la délivrance du Saint-Sépulcre.


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121 Eymericus, Directorium inquisitorum Barcelone 1503; cum scholiis Fr. Pegnoe. Rome 1578, in-f°. - Literoe aposiolicae pro officio sanctissimoe inquisitionis. Rome 1579, in-f°. - Phil. à Limborch, Historia inquisitionis, cui subjungitur liber sententiarum inquisitionis tholosanoe. Amsterd. 1692, in-f°. - C. Schmidt, Hist. des cathares, T. 2, p. 174. - Molinier, L'inquisition dans le midi de la France au treizième et au quatorzième siècle. Paris 1880. - Julien Havet, L'hérésie et le bras séculier au moyen âge jusqu'au treizième siècle. Paris 1881. - Kaltner, Konrad von Marburg und die Inquisition in Deutschland. Prague 1882; comp. l'article de NI. Molinier, Revue hist. 1884, 2e livr., p. 408.

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122 Wilken, Geschichte der Kreuzzüge. Leipzig 1807 à 1832, 7 vol. - Michaud, Histoire des croisades. 61 éd. Paris 1840, 6 vol. - Gabriel Monod, article croisades, dans l'Encyclopédie de M. Lichtenberger, T. 3, p. 479. Par les travaux de MM. de Sybel, Röhricht, comte Riant et autres, l'historiographie des croisades est entrée dans une phase nouvelle.

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123 D'après une tradition longtemps accréditée et acceptée des meilleurs historiens, Urbain Il ne se serait décidé à prêcher la croisade qu'après avoir appris par Pierre l'Ermite, revenu de Palestine, les souffrances des pèlerins. Cette légende n'est pas conforme aux faits. D'après les chroniqueurs du temps, Pierre n'a réuni ses troupes de paysans que quand le pape eut adressé son appel au monde chrétien.

 

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