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 CHAPITRE VII

LES SECTES(108)

 

55. Sectes réformistes. - Pierre de Bruis. Henri. Arnauld de Brescia.

Dans cette période les sectes qui ont eu une tendance plus ou moins réformiste sont toutes originaires de pays de langue romane. Plusieurs d'entre elles n'ont eu qu'une importance locale, et ont disparu peu après la mort de leurs chefs. La seule qui ait subsisté est celle des vaudois.

Un des premiers qui aient élevé la voix, non seulement contre les désordres du clergé, mais contre l'église elle-même et ses institutions, est le prêtre provençalPierre de Bruis. Disciple d'Abélard, il voulut mettre en pratique les principes critiques de son maître, en en tirant des conséquences exagérées. Il n'admettait de la Bible que les évangiles, rejetait le baptême des enfants et la messe, prétendait que, Dieu pouvant être adoré partout, on peut se passer des églises et que la croix, signe de l'abaissement du Seigneur, ne devait pas être vénérée ; il se prononçait contre le célibat des prêtres, contre les jeûnes, contre les prières et les aumônes pour les morts. Il trouva des partisans dans le midi de la France ; ils détruisirent des églises, brûlèrent des croix, maltraitèrent des prêtres et des moines. Pierre fut pris et brûlé en 1126. Les pétrobrusiens se joignirent alors aux henriciens, sectateurs d'un ancien moine de Cluny nommé Henri qui, après avoir prêché la pénitence à Lausanne et au Mans, était venu dans le Midi ; là ses déclamations véhémentes avaient trouvé tant d'écho qu'Eugène IV dut charger saint Bernard et un légat de ramener les populations à l'obéissance. Livré à l'évêque de Toulouse, Henri mourut en 1147 avant qu'on eût prononcé son jugement (109).

Un mouvement en partie analogue fut celui que provoquaArnauld de Brescia, dont il a été parlé dans l'histoire des papes (110). Arnauld ne parait avoir attaqué ni les doctrines ni les rites; il n'a protesté que contre les richesses du clergé et le pouvoir temporel des évêques et des papes ; plutôt agitateur politique que réformateur religieux, il a voulu rétablir une république romaine, le pape n'étant que le chef spirituel d'une église ramenée à sa simplicité primitive. Après son supplice en 1155, ses disciples, les arnoldistes, continuèrent pendant quelque temps de défendre ses principes; déclarés hérétiques par le concile de Vérone de 1184, ils cessèrent de faire de l'opposition. Pas plus que les pétrobrusiens et leshenriciens, ils n'avaient formé un parti organisé. Ce qui caractérise ces mouvements, c'est la hâte avec laquelle on a voulu réaliser des réformes, en commençant par les choses extérieures, avant que les esprits y fussent préparés; chefs et disciples ont été des radicaux, que leur précipitation a dû condamner à l'impuissance. Les vaudois, au contraire, ont débuté par être moins agressifs, leurs doctrines ne se sont développées que lentement; c'est pourquoi ils ont pu fonder, à travers beaucoup de tâtonnements et d'épreuves, une église qui dure encore.

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56. Sectes réformistes. Suite. - Les vaudois. Les frères apostoliques.

Une légende, longtemps chère aux vaudois, faisait remonter leur origine à des communautés apostoliques, qui se seraient maintenues dans quelques vallées des Alpes et dont, au neuvième siècle, Claude de Turin aurait reproduit les doctrines. Cette fable est aujourd'hui abandonnée (111). Lesvaudoissont appelés ainsi d'après leur fondateurWaldus, probablement Valdès, riche bourgeois de Lyon. Vers 1160, désireux de comprendre les évangiles qu'il entendait lire pendant la messe, Waldus se les fit traduire par deux prêtres en langue romane. Frappé des paroles de Jésus sur la pauvreté, il distribua ses biens aux pauvres; quelques-uns de ses amis ayant suivi cet exemple, il se les associa pour imiter aussi le Seigneur et les apôtres par la prédication. L'archevêque de Lyon les bannit de son diocèse. Ils pensaient si peu à se mettre en conflit avec l'église, qu'ils se rendirent à Rome; ils présentèrent à Alexandre III leurs versions de quelques parties de la Bible (112), et sollicitèrent l'autorisation de prêcher ait peuple; le pape les renvoya en se raillant d'eux. Comme ils croyaient devoir «obéir à Dieu Plutôt qu'aux hommes»,Lucius IIIles excommunia en 1184 au concile de Vérone, par le motif que nul ne doit prêcher sans en avoir reçu la mission de l'église. Néanmoins les Pauvres de Lyon ou léonistes, comme on les appelait, se répandirent de plus en plus ; de bonne heure on en trouve dans le midi de la France, dans le Piémont, en Lombardie, et jusqu'en Lorraine, en Alsace, en Suisse, en Bavière, en Autriche.

 

En continuant d'étudier l'Écriture, ils arrivèrent dès la fin du douzième siècle à rejeter comme erronées quelques doctrines et pratiques du catholicisme, telles que le purgatoire, les messes pour les morts, la confession faite à des prêtres de mauvaise vie. Ils avaient adopté un costume semblable à celui des moines, surtout une chaussure en bois, sorte de sabot ouvert par le haut, pour imiter les sandales des apôtres ; de là leur nom de sabatati. Ils ne voulaient être encore que des prédicateurs pauvres et libres, menant la vie apostolique, comme l'ont voulu plus tard les premiers franciscains. Lors de la croisade contre les albigeois, ils furent enveloppés, malgré leurs protestations contre les erreurs des cathares , dans les mêmes persécutions, et en 1215 le concile du Latran les condamna de nouveau comme hérétiques. Désormais leur opposition prit un caractère plus décidé. A ce moment de leur histoire ils enseignaient que la décadence de l'église date de l'époque où le pape Sylvestre a accepté de Constantin des possessions temporelles ; ils croyaient à la donation qu'on attribuait à l'empereur, mais la considéraient comme un présent funeste ; l'église romaine, corrompue par les richesses, était devenue pour eux l'église des méchants, mais ils conservaient encore les sept sacrements, la nécessité d'oeuvres satisfactoires, la vénération des saints et de la Vierge. Sans avoir déjà une organisation régulière, ils se divisaient en deux classes, les prédicateurs, successeurs de Waldus et de ses premiers compagnons, et les croyants ou auditeurs. Dans des maisons particulières ou dans des lieux cachés, les prédicateurs adressaient aux croyants des exhortations ou leçons sur quelque passage des évangiles; ils entendaient les confessions et donnaient l'absolution en recommandant le pécheur à la miséricorde de Dieu ; quand ils dictaient des pénitences, c'était comme moyen d'amendement, melioramentum.

 

Étrangers à toute spéculation mystique ou philosophique, ne songeant qu'à pratiquer le christianisme dans sa plus sévère simplicité, ne connaissant d'autre autorité que celle de l'Écriture, mais ne se hâtant pas de rejeter ce qu'ils n'avaient pas suffisamment examiné, les vaudois, seuls de tous les hérétiques de ces siècles, ont possédé des principes de progrès et de durée.

On ne peut pas en dire autant d'un autre parti, qui se proposait également de reproduire la vie apostolique. Vers 1260 un artisan de Parme, Gérard Ségarelli, que les franciscains refusaient d'admettre parmi eux, forma une congrégation defrères apostoliques, appartenant pour la plupart aux classes inférieures et parcourant le pays, hommes et femmes, en mendiant et en exhortant le peuple et le clergé à faire pénitence. En 1286 Honoré IV leur défendit de continuer ; en 1290 Nicolas IV renouvela cette défense, sans résultat. En 1294Ségarellifut condamné à la prison perpétuelle ; en 1300 on le brûla comme relaps. Son parti qui , autorisé par le saint-siège, aurait peut différé de l'ordre des franciscains, devint au quatorzième siècle, sous un nouveau chef, Dolcino, une des sectes les plus exaltées.


Table des matières

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108 Duplessis d'Argentré, Collectio judiciorum de novis erroribus. Paris 1728, 3 vol. in-f°. - Fueslin, Kirchen und Ketzerhistorie der mittlern Zeit. Francf. 1770, 3 vol. - Hahn, Geschichte der Ketzer im Mittelalter. Stuttg. 1845, 3 vol.

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109 Petrus Venerabilis, Contra heinricianorum et petrobrusianorum hoereses. Ingolstadt 1536, in-4°. C'est une épître adressée à plusieurs évêques, ; elle se trouve aussi dans la Bibl. cluniacensis, p. 1117 , et dans la Bibl. Patrum maxima, T. 22, p. 1033.

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110 V. les ouvrages cités au 27, note 7a.

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111 Bernard, abbé de Font-Caude (Fontis calidi), Contra waldenses. Bibl. Patrum maxima, T. 24, p. 1585. - Alanus, Summa quadripartita contra hoereticos (les cathares), waldenses, judoeos et paganos. Les deux premiers livres, par Masson, Paris 1612, plus correctement dans Alani opera, ed. C. de Visch, Anvers 1654, in-f°, p. 199 ; les deux derniers, dans C. de Visch, Bibl. scriptorum cisterciensium. Cologne 1656, in-4°, p. 411. - Rainerius Sacchoni, Summa de catharis et leonistis, chez Martène et Durand, Thesaurus novus anecdot. T. 5, p. 1759 et chez D'Argentré, T. 1, p. 48. Le traité de Rainerius est aussi compris dans un recueil contre les hérétiques composé en 1260 par un inquisiteur de Passau, et dont il existe deux manuscrits à la Bibl. royale de Munich. Voir Preger, Das Evangelium oeternum, p. 9. Ce que le jésuite Gretser a publié sous le titre de Summa Rainerii dans la Bibl. patrum maxima, T. 25, p. 262, est pris dudit ouvrage, mais d'après un manuscrit qui paraît avoir mêlé au texte original des parties provenant du compilateur de Passau. Gieseler a le premier remarqué ce mélange ; mais ne connaissant pas les manuscrits de Munich, il a cru à des interpolations faites par un inquisiteur allemand. Voir sa dissertation De Rainerii summa , Goettingue 1834, in-4. - Monéta, Adversus catharos et waldenses libri V. Rome 1743, in-f°. - Tractatus de inquisitione hoereticorum , écrit peu après 1256, longtemps attribué au dominicain français Yvonet; il est prouvé aujourd'hui que l'auteur est le franciscain David d'Augsbourg. Publié d'abord par Martène et Durand, Thes. nov. anecd., T. 5, p. 1777 ; de nouveau par Preger: Der Traktat des David von Augsburg über die Waldesier. Munich 1878, in-4.

Perrin, Histoire des Vaudois. Genève 1619, 3 P. - Gilles, Histoire ecclésiastique des églises réformées... autrefois appelées églises vaudoises. Genève 1655, in-4°. - Léger, Histoire générale des églises évangéliques des vallées du Piémont, ou vaudoises. Leyde 1669, in-f°, 2 P. - Parmi les modernes, Muston, L'Israël des Alpes, première histoire complète des Vaudois du Piémont, Paris 1851, 4 vol., admet encore la légende de l'origine apostolique de la secte. - Dieckhoff, Die Waldenser im Mittelalter. Götting. 1851. - Herzog, Die romanischen Waldenser, ihre vorreformatorischen Zustände und Lehren. Halle 1853 ; et l'article du même dans son Encyclopédie, T. -17 (1863). - Cunitz, Les Vaudois du moyen âge. Revue de théologie, 1852 et 1853. - Preger, Beiträge zur Geschichte der Waldesier im Mittelalter. Munich 1875, in-4°. - Comba, Valdo ed i Valdesi avanti la riforma. Florence 1880.

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112 Ces versions ne se retrouvent plus, pas plus que celles du psautier, des évangiles, des épîtres de saint Paul et de quelques autres livres, qui en 1199 furent saisies entre les mains des vaudois de Metz. Les traductions vaudoises que l'on connaît sont beaucoup plus récentes. Reuss, Fragm. relatifs à l'hist. de la Bible française. Revue de théol., 1851 à 1853.

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