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54. État moral du peuple et du clergé.

La masse du peuple catholique, peu instruite, était soumise à l'église, sans que sa conscience morale fût toujours en accord avec ses croyances. Celles-ci, du reste, étaient obscurcies par des superstitions de toute sorte; on croyait aux prodiges les plus fantastiques, à des apparitions de la Vierge et du diable, à des images miraculeuses, à des hosties saignantes, on voyait sortir du pain de l'eucharistie un petit Christ crucifié. Si le clergé. recommandait d'éviter les sorciers, ce n'est pas qu'il doutât de la réalité des sortilèges, c'est parce qu'il les attribuait à un commerce avec le démon; et quant à celui-ci, clercs et laïques étaient persuadés que, pour effrayer les hommes, il prenait la forme d'un monstre et que, pour les tenter, il pouvait se montrer sous les traits les plus séduisants.

Les sombres tableaux, que font les prédicateurs de la dépravation générale du monde laïque, sont à coup sûr exagérés; mais lors même qu'on admet des exceptions, on connaît assez de faits qui prouvent la persistance d'une moralité peu scrupuleuse; la violence et l'injustice des grands, la brutalité des classes inférieures, la grossièreté des appétits à tous les degrés de la société, malgré les progrès qu'avait faits la civilisation matérielle, sont attestées par des témoins irrécusables. La facilité avec laquelle on obtenait l'absolution du confesseur, et les indulgences qu'on pouvait acheter, n'étaient pas faites pour améliorer les hommes. Le frère Berthold de Ratisbonne appelait les vendeurs d'indulgences valets du diable, meurtriers des âmes.

Les moeurs du clergé, s'il fallait s'en rapporter à quelques prédicateurs, étaient sans reproche; d'après d'autres, elles ne valaient pas mieux que celles du peuple; là encore la vérité doit être entre les deux extrêmes. Si le clergé tout entier n'a pas été corrompu, il est certain qu'il y a eu des prêtres plus animés de l'esprit du monde que de celui de Dieu. Les plaintes à ce sujet sont trop générales et viennent de serviteurs trop zélés de l'église, pour qu'on ne doive pas en tenir compte. Gerhoh, prévôt du couvent de Reichersperg en Bavière, et son contemporain Potho, du couvent de Prüm dans le diocèse de Trèves, s'élèvent avec force contre les désordres du clergé et contre les abus de la cour de Rome elle-même (107). Abélard a des passages très vifs contre la cupidité des prêtres et des évêques; comme il avait des motifs personnels d'être irrité contre eux, son témoignage peut sembler peu impartial; on ne récusera pas celui de son adversaire saint Bernard, peut-être encore plus sévère que le sien; saint Bernard reproche aux évêques leur ambition, leur faste, leur incurie. Jean de Salisbury pense que l'église romaine a cessé d'être une mère pour devenir une marâtre; le moine de Cluny Guyot de Provins accuse la cour de Rome d'être un vivier plein de bêtes malfaisantes, il croit que les abus sont un signe annonçant la fin du monde (107a). Sainte Hildegarde, morte en 1178, voit dans les hérétiques de son temps les instruments d'une tribulation, d'où le clergé corrompu sortira purifié (107b) ;Joachim de Flore, au contraire, prédit que les prélats et les prêtres de l'église romaine, devenue la grande Babylone, seront privés de leur pouvoir et que celui-ci sera transféré à de vrais prédicateurs de l'Évangile.

Les laïques, frappés de la discordance entre le caractère sacerdotal et la conduite de beaucoup de ceux qui en étaient revêtus, commencent à leur tour à se plaindre, soit par des satires, soit par des invectives. Les troubadours et les Minnesoenger sont sous ce rapport les organes de leur temps. Il est vrai que chez les poètes provençaux il y a aussi l'expression du ressentiment national contre l'église qui, pour exterminer les albigeois, avait armé contre le midi le nord de la France; et que chez les Allemands se manifeste l'animosité des partisans des Hohenstaufen contre les papes; mais la preuve que leurs plaintes étaient fondées, c'est qu'elles sont confirmées par celles des clercs. Tels sirventes de Pierre Cardinal, de Bertrand Carbonel, de Guillaume de Figuéiras, tels vers de Walther von der Vogelweide ne sont pas plus véhéments que ce qu'ont écrit Gerhoh ou saint Bernard.

Cet état de choses explique en grande partie la propagation des sectes. Celles-ci peuvent se partager en deux classes, les sectes réformistes et celles qui ont dénaturé le christianisme.

 


Table des matières

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107 Gerhoh, principalement dans son traité de investigatione antichristi, écrit en 1162, publié par extrait par Stülz, dans l'Archiv der Wiener Akademie, T. 20, p. 127. - Opera, dans la Patrologie de Migne, T. 193 et 194. Gerhoh souhaitait une réforme de l'église, mais, quoique partisan de l'empereur, il eût voulu qu'elle fût faite par l'église elle-même. Ribbeck, Gerhoh, von Reichersperg und seine Ideen über das Verhältniss von Staat unit Kirche. Forschungen zur deutschen Geschichte, 1884, T. 24, 1er livr. - Potho, Libri V de statu domus dei. Bibl. Patrum maxima, T. 21, p. 489. - Voir, aussi les passages recueillis par Gieseler, Kirchengeschichte, 4e éd., T. 2, P. 2, p. 247, 288, 608.

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107a La Bible de Guyot de Provins, chez Barbazan, Fabliaux et contes, nouv. éd. par Méon. Paris 1808, T. 2, p. 329.

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(107b) Hildegarde était religieuse à Bingen. Son Liber scivias avec d'autres écrits qui lui sont attribués, chez Migne, Patrol., T. 197, où sont aussi les visions de la nonne Élisabeth de Schönau, morte 1165.

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