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28. Innocent Ill(13).

Innocent III appartenait à une ancienne famille noble de Rome. A Paris et à Bologne il fit de fortes études de théologie et de droit canonique; il devint un des papes les plus lettrés du moyen âge. Son oncle Clément III le créa cardinal-diacre. Il ne s'occupait encore que de travaux littéraires; il écrivit des traités sur des questions de dogme, de droit, de discipline et un livre de contemptu mundi sive de miseria humanoe conditionis, où il parle avec une sorte de mélancolie du néant des choses humaines (14).

Ce fut ce clerc, en apparence si détaché du monde, que le jour même de la mort de Célestin III, le 8 janvier 1198, les cardinaux élurent pape. Agé seulement de 37 ans, n'étant encore que diacre, il fallut lui conférer d'abord les ordres supérieurs; en sorte que sa consécration n'eut lieu que le 21 février. Habitué comme on l'était à ne voir monter au trône pontifical que des vieillards, on fut étonné de trouver un pape jeune qui, ayant vécu loin des affaires, ne semblait avoir ni sagesse ni expérience. Mais Innocent ne tarda pas à prouver à la chrétienté qu'il n'était pas trop jeune. Doué d'un grand esprit, habile et énergique, austère dans ses moeurs, méprisant le monde et par là même d'autant plus apte à le dominer, il réunissait à un haut degré les qualités alors nécessaires à un pontife de Rome. Les circonstances le secondaient et il savait en profiter; il n'eut pas à combattre des ennemis aussi redoutables que l'avaient été ceux de Grégoire VII et de ses successeurs; ce qui restait de la puissance des Hohenstaufen était représenté par un enfant, dont il eut bientôt la tutelle; dans l'église il ne trouva ni contradicteurs de ses théories ni adversaires de sa domination ; il y eut des rois qui lui firent hommage de leur couronne, d'autres se soumirent à son jugement; et s'il rencontre de la résistance, soit de la part de quelques princes, soit de celle des sectes hérétiques, il en triomphe en faisant appel à la force. Son règne de dix-huit ans fut comme une suite non interrompue de victoires et de conquêtes; son ambition réussit à porter la papauté au faîte de sa puissance.

Dans ses lettres il exprime l'idée, préparée par Grégoire VII, d'une théocratie embrassant le monde entier, et ayant pour chef le pape comme vicaire de Dieu. Les princes ne règnent que sur les corps, les prêtres règnent sur les âmes; autant l'âme est supérieure au corps, autant le sacerdoce est élevé au-dessus du pouvoir séculier. De même que Dieu a fixé au firmament deux grands luminaires, dont l'un éclaire le jour et l'autre la nuit, il a établi deux dignités, l'une plus éminente pour les âmes, l'autre moindre pour les corps; et de même que la lune reçoit sa lumière du soleil, le pouvoir royal reçoit son éclat de l'autorité pontificale. Se fondant enfin sur son devoir de prêtre de réprimander les hommes à cause de leurs péchés, Innocent s'attribue le droit d'intervenir dans les litiges entre les princes et de châtier ceux qui, selon lui, s'écartent de la justice. Le pape doit être le juge suprême, le dispensateur de toute puissance.

Dès son avènement Innocent III agit d'après ces principes en Italie. Il rattacha au saint-siège les autorités de Rome, qui jusqu'alors avaient été instituées sans le concours des papes, et qui fort souvent leur étaient devenues hostiles. Il se fit jurer fidélité par le préfet de la ville, qui devait représenter l'empereur et qui fut transformé ainsi en un fonctionnaire pontifical; le sénateur, qui présidait à l'administration municipale et qui jadis était nommé par le peuple, fut désormais désigné par le pape. Innocent établit de cette manière l'unité de son gouvernement à Rome. En Toscane il forma une ligue, avec l'aide de laquelle il expulsa des domaines de la comtesse Mathilde les vassaux impériaux. Il prit possession de la Marche d'Ancône, du duché de Spolète, du comté, d'Assise; par ces mesures il raffermit la souveraineté temporelle du saint-siège dans l'Italie centrale. Dans le royaume de Sicile il étendit également son autorité. Constance, la veuve de Henri VI, pour assurer ce royaume à son fils Frédéric, accepta de nouveau l'investiture du pape, consentit à payer un tribut, et renonça aux privilèges ecclésiastiques que les papes précédents avaient accordés à la royauté sicilienne. Par son testament (elle mourut en novembre 1198), elle pria Innocent III de se charger de la tutelle de Frédéric et de gouverner le pays pendant sa minorité. Innocent fit donner au jeune prince une éducation brillante et lui conserva l'héritage sicilien des Hohenstaufen.

Ayant fortifié ainsi son pouvoir en Italie, il commença à s'occuper des affaires allemandes. L'Allemagne, de même que l'Italie, était divisée en deux factions, les guelfes, partisans des papes, et les gibelins, plus dévoués à la cause impériale. Les princes avaient élu Frédéric encore du vivant de son père et avant même qu'il fût baptisé. Après la mort de Henri VI ils revinrent sur cette élection, en alléguant qu'on n'avait pas pu prêter le serment de fidélité à un enfant qui n'avait pas reçu le baptême. Ces scrupules s'accordaient avec la politique d'Innocent III, auquel il ne pouvait convenir que le roi d'Allemagne portât en même temps la couronne de Sicile. Les électeurs se partagèrent; les guelfes choisirentOtton, duc de Brunswick et de Saxe; les gibelins restèrent fidèles aux Hohenstaufen, en se prononçant pour Philippe, due de Souabe et frère de Henri VI. Les deux partis s'adressèrent au pape; il répondit qu'il aurait fallu recourir à lui avant de procéder à l'élection, par la double raison que c'est le saint-siège qui a transféré l'empire d'Orient en Occident, et que c'est lui seul qui confère la dignité impériale. Dans cette lettre il ne se prononçait pas entre les divers compétiteurs; il ne le fit que plus tard; il élimina Frédéric à cause de sa jeunesse et de sa qualité de roi de Sicile; il rejeta Philippe comme étant «persécuteur, issu d'une race de persécuteurs » il se déclara pour le guelfe Otton de Saxe. Celui-ci jura entre les mains des légats de protéger les droits et les possessions de l'église romaine et de témoigner au saint-siège l'honneur et l'obéissance que lui doit un roi catholique.

 

Philippe de Souabe, qui maintenait ses prétentions à la couronne, fut excommunié comme il offrit de se réconcilier avec le pape, un légat vint en Allemagne pour négocier avec les deux rois. Mais en juin 1208 Philippe périt assassiné par Otton de Wittelsbach. L'Allemagne entière reconnut alors Otton IV, qui, à Spire en mars 1209, s'engagea par serment à ne plus intervenir dans les élections épiscopales, à n'empêcher aucun appel au siège apostolique, à remettre à l'église tout ce qui est du domaine spirituel et à lui donner assistance pour l'extirpation des hérétiques. Le 27 septembre de la même année Innocent III le couronna empereur. On vit alors que même avec un empereur guelfe la guerre était inévitable entre l'empire et la papauté pour ne pas s'aliéner le grand parti gibelin qui lui avait adhéré, il fallut qu'Otton suivit la même ligne de conduite que les Hohenstaufen ; l'Allemagne ne pouvait se résigner à la perte de l'Italie; souabes ou guelfes, les empereurs étaient poussés par le même intérêt.

Aussitôt après son couronnement Otton IV revendiqua les fiefs enlevés à l'empire par le pape, et le plein exercice des droits impériaux en Italie. Innocent III , déçu dans son espoir d'avoir un empereur docile, excommunia et déposa Otton en novembre 1210; il lui opposa le jeune Hohenstaufen, qu'il n'aurait voulu garder que comme son vassal de Sicile. Frédéric, à peine âgé de 16 ans, fut reconnu par quelques princes; en 1212 il vint en Allemagne et, devant une diète réunie à Eger, il fit au pape les mêmes promesses qu'Otton, en jurant de maintenir la liberté des élections épiscopales, la sécurité des biens ecclésiastiques, la régularité des appels à Rome, et de prêter au saint-siège son aide pour la possession sans trouble et le recouvrement intégral de ses territoires. Appuyé par Innocent Ill et par Philippe-Auguste, qui en 1214 à vainquit Otton à Bouvines, Frédéric Il gagna à sa cause la plupart des états allemands. Le 25 juillet 1215 il reçut à Aix-la-Chapelle la couronne royale; à cette occasion il s'engagea envers les légats à partir pour la croisade. En 1216, lors d'une diète à Strasbourg, il fit une autre promesse, non moins importante pour Innocent III , celle de laisser à son jeune fils Henri le royaume de Sicile comme simple fief du siège apostolique, sans aucune relation avec l'empire. Otton, abandonné et réduit à ses états héréditaires, mourut en 1218.

 

Du côté de l'Allemagne, comme du côté de l'Italie, Innocent pouvait croire que son triomphe était assuré. Avec le même succès il avait obtenu des autres princes la reconnaissance de son autorité. Philippe-Auguste fui forcé, par l'interdit prononcé sur la France, de reprendre l'épouse qu'il avait répudiée. Alphonse IX, roi de Léon, dut se séparer de la sienne, pour cause de parenté trop rapprochée. Pierre, roi d'Aragon, déposa sa couronne sur l'autel de l'église de Saint-Pierre à Rome, et la reprit des mains du pape, dont il devint le vassal tributaire. L'Angleterre même dut se soumettre à cette humiliation. Il y avait eu dans ce pays une double élection pour l'archevêché de Canterbury; Innocent III écarta les deux élus et rit nommer son ami, le cardinal Étienne Langton. Le roi Jean s'y étant opposé, le pape mit l'Angleterre en interdit et excommunia le prince. Celui-ci se vengea en opprimant le clergé. Innocent le déposa et donna l'Angleterre à la France (1212) ; ce ne fut qu'alors que Jean céda, il reprit son pays comme fief du pape, auquel il s'engagea à payer chaque année un tribut de mille mares sterling, comme signe de vasselage et prix de la protection. Indignés de cette bassesse, les prélats et les barons s'unirent, rédigèrent la grande charte et l'imposèrent au roi (15 juin 1215). Innocent demanda qu'elle fût supprimée, et comme les états s'y refusèrent, il lança l'anathème contre eux, Ses foudres furent aussi vaines que la guerre civile commencée par Jean; les Anglais gardèrent la grande charte, fondement de leur liberté mais le tribut fut payé pendant près d'un siècle.

 

Dès les premières années de son règne Innocent III s'était proposé de réunir un concile universel; il ne put accomplir ce projet que sur la fin de sa vie. Il convoqua l'assemblée pour le mois de novembre 1215, auLatran. Ce fut une des plus nombreuses que l'église eût jamais vues; le pape, arrive à ce moment au sommet de sa puissance, se trouva entouré de 71 patriarches et métropolitains, de 412 évêques, de 900 abbés et prieurs, et d'une foule d'autres prêtres; en tout il y eut plus de 2000 membres, venus de tous les pays catholiques de l'Occident et de l'Orient. Il ouvrit le concile, le douzième oecuménique, par un discours plein, comme tous ses sermons, d'allégories forcées et de pensées profondes. Les questions soumises aux délibérations furent « la réforme de l'église universelle », la conquête de la terre sainte et l'extirpation des hérésies. On confirma les

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dogmes, on détermina les principaux points du droit canonique et de la discipline, on décréta des mesures de rigueur contre les hérétiques, on régla les conditions de la prochaine croisade (15). Innocent III mourut peu de mois après, le 16 juillet 1216. Jamais le pouvoir pontifical n'avait semblé mieux assuré Innocent l'avait maintenu dans le midi de la France contre les Albigeois en lançant contre eux une armée de croisés; il l'avait consolidé à Rome en y supprimant les autorités impériales; il avait étendu la suzeraineté du saint-siège sur plusieurs princes, devenus ses vassaux ou ses tributaires; il avait exercé sa juridiction sur les rois et sur les peuples; il avait obtenu que le royaume de Sicile ne reviendrait plus à l'empire allemand; au concile du Latran il avait vu s'incliner devant lui tout le clergé de la catholicité. Tout lui avait réussi, la monarchie universelle, sous le gouvernement du vicaire de Dieu, semblait fondée pour toujours.

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29. Les papes jusqu'à Boniface VIII.

La paix qu'Innocent III avait rétablie entre le saint-siège et l'Allemagne ne fût pas troublée sous le nouveau papeHonoré III. Ancien précepteur de Frédéric II, Honoré le traita avec indulgence, et Frédéric, de son côté, ne montra pas de dispositions hostiles; il rendit au pape les domaines de la comtesse Mathilde. Lorsque, en 1220 il rappela auprès de lui son fils Henri, encore enfant, déjà proclamé roi de Sicile, pour le faire élire aussi roi d'Allemagne, il apaisa l'inquiétude d'Honoré III par l'assurance que le royaume italien resterait séparé de l'empire et que, quant à lui, il se conduirait de telle sorte que l'église, sa mère, se réjouirait d'avoir mis au monde un fils pareil. Le pape, acceptant ces promesses pour sincères, le couronna empereur le 22 novembre de la même année 1220. Il ne s'opposa pas à la remise en vigueur des privilèges de la monarchie ecclésiastique de Sicile; il se borna à quelques plaintes, lorsque, en 1226 l'empereur révéla son intention de se soumettre la Lombardie; il le pressa seulement de partir enfin pour la croisade qu'il s'était engagé à entreprendre. Le dernier terme fixé pour le départ de l'expédition approchait, quand Honoré III mourut, le 18 mars 1227. Il fut remplacé parGrégoire IX.

Ce pape, d'une activité prodigieuse et d'une volonté inflexible, malgré son âge de 80 ans, commença aussitôt la lutte avec Frédéric Il. Il lui intima l'ordre de se mettre en route pour la Palestine, sous peine de se voir excommunié. L'empereur obéit, il s'embarqua avec ses troupes, mais une maladie le força de revenir. Grégoire IX, qui ne crut pas à cette maladie, exécuta sa menace en fulminant l'anathème. Sans en être relevé, Frédéric fit la croisade, conclut avec le sultan d'Égypte une trêve de dix ans, rentra en triomphe à Jérusalem et se posa lui-même sur la tête la couronne de ce royaume; il accomplit tout cela, suivi par un légat du pape, qui frappait de l'interdit les lieux que l'empereur traversait.

 

Dans l'intervalle, Grégoire IX avait l'ait envahir l'Italie méridionale par des troupes à sa solde. Frédéric se hâta de revenir, vainquit sans peine l'armée pontificale, et se réconcilia avec son adversaire par le traité de San-Germano, le 28 août 1230; il n'y gagna, il est vrai, que l'absolution, mais cela lui suffisait. Il assista le pape contre les hérétiques de la Lombardie. Comme la guerre qu'il leur fit prenait le caractère d'une guerre contre l'indépendance lombarde, Grégoire l'avertit de prendre garde à ne pas brûler, sous prétexte de crimes contre la majesté divine, des hommes qui ne seraient coupables qu'envers la majesté impériale. Frédéric passa outre; quand il s'apprêta à revendiquer en Lombardie les anciennes prérogatives des empereurs, les villes se soulevèrent, soutenues par le pape. Encore en 1238 Frédéric renouvela ses édits contre les hérétiques; le pape ne se laissa plus tromper par ces démonstrations de zèle. Il fit porter à l'empereur par quelques évêques une série de griefs, sur lesquels il lui demanda satisfaction, en menaçant de l'excommunier s'il ne cédait pas. Frédéric répondit aux évêques d'une manière en apparence conciliante; il écrivit aux cardinaux pour les prier de s'interposer entre lui et le pape, mais terminait sa lettre par des menaces. Dix jours après, Grégoire IX l'excommunia, le déposa, et conclut une alliance avec les Lombards.

 

Outre la guerre par les armes, il s'engagea entre les deux adversaires une guerre de plume des plus véhémentes. Par des invectives inouïes, entremêlées d'images empruntées à l'apocalypse, ils cherchèrent à s'avilir l'un l'autre dans l'opinion des peuples; jamais on n'avait assisté à un spectacle pareil, bien fait pour troubler les consciences flottant entre la fidélité à l'empereur et le respect dû au pape. Frédéric II, par l'organe de son secrétairePierre de la Vigne, adressa des manifestes aux Romains, aux cardinaux, aux princes, à toute la chrétienté ces documents sont remplis d'apostrophes contre l'ambition, l'avarice, la cupidité du pape, qui est accusé en outre de protéger les hérétiques; par hérétiques l'empereur entendait les Lombards. Grégoire répondit par un bref, commençant par ces mots: « Une bête toute gonflée de blasphèmes s'est élevée du fond de la mer; elle a les pieds d'un ours, la gueule dévorante du lion et les membres du léopard; de ses griffes et de ses dents de fer elle va tout dévorer; considérez attentivement la tête, le corps et la queue du monstre, c'est l'empereur Frédéric. » A la fin de cette pièce le pape, blessé d'avoir été qualifié de protecteur des hérétiques, renvoie le reproche d'incrédulité à son adversaire; il l'accuse de nier les dogmes et d'avoir dit que le monde a été trompé par trois imposteurs, Moïse, Jésus et Mahomet. Frédéric répliqua sur le même ton: le pape est le dragon qui a séduit l'univers, l'antéchrist, l'ange sortant de l'abîme. - Il est certain que l'empereur aimait mieux les astrologues et les poètes que les prêtres, mais rien ne prouve qu'il ait eu l'audace de proférer le blasphème des trois imposteurs; il protesta, du reste, de son attachement à la foi de l'église.

Les peuples, scandalisés, commencèrent à murmurer contre le pape; l'empereur grandit dans l'estime publique comme défenseur des droits séculiers contre les usurpations du pontife de Rome; des princes, des évêques écrivirent à ce dernier pour l'avertir; il demeura inflexible. En 1240, après que Frédéric eut conquis la plus grande partie des états pontificaux, Grégoire résolut de faire de sa cause celle de l'église tout entière, en convoquant un concile universel. L'empereur fit intercepter par sa flotte les prélats qui voulaient s'y rendre; il marcha sur Rome, avec l'intention d'en faire la capitale impériale.

Le 21 août 1241 Grégoire IX mourut, presque centenaire, sans avoir cédé un seul instant. Frédéric, qui semblait toucher au triomphe, hésita, ne pénétra pas dans Rome, se borna à en occuper les environs, espérant que le nouveau pape serait plus accommodant. Après l'élection de Célestin IV, qui n'occupa le siège apostolique que pendant quinze jours, celui-ci resta vacant pendant plus de dix-huit mois. Le 24 juin 1243 le conclave élut Innocent IV (16). Comme cardinal il avait été l'ami de Frédéric II ; comme pape il dut suivre la politique traditionnelle. Il entama avec l'empereur des négociations, qui n'aboutirent point. En 1244 il sortit secrètement de Rome et se rendit àLyon. Là il convoqua ce concile général que Grégoire IX avait annoncé. Il se réunit en juin 1245;Innocent IV prononça, et le concile approuva une sentence d'excommunication et de déposition contre Frédéric Il. Dès lors celui-ci ne connût plus de ménagements; de nouveau il envoya de toutes parts des lettres et des manifestes. Dans une de ces pièces il demande que les princes de l'Europe s'unissent à lui pour ramener l'église à son état primitif, où le clergé avait été humble et pauvre; qu'il se dépouille, dit-il, de ses richesses, causes de sa corruption et de tous les troubles (17) ! Le pape écrivit à son tour aux princes, leur dénonçant l'empereur comme un sacrilège et les appelant aux armes pour la défense de l'église. On resta aussi sourd à cet appel à une croisade, qu'à celui de Frédéric d'enlever au clergé ses possessions. A force d'intrigues et d'argent, Innocent IV obtint en Allemagne l'élection successive de deux rois, dont aucun ne put se maintenir. Frédéric Il étant mort en décembre 19-50, le pape déclara «la race maudite » des Hohenstaufen à jamais déchue du pouvoir. Désormais les destinées de cette maison s'approchent à grands pas de leur dénouement tragique; les papes n'auront pas de repos avant de l'avoir exterminée. Ce n'est plus alors qu'une suite de guerres en Italie pour la possession du royaume de Sicile, que Clément IV finit par donner à Charles d'Anjou, et de troubles en Allemagne, dont les papes offrent la couronne à qui voudrait la payer. En 1268 le dernier des Hohenstaufen périt à Naples sur l'échafaud. Rodolphe de Habsbourg, élu en 1273, rétablit l'ordre dans l'empire allemand; il renonça aux expéditions d'Italie et entretint avec les papes des relations pacifiques.

****** Depuis Innocent IV, mort en 1254, jusqu'à l'avènement de Boniface VIII en 1294, il y eut douze papes, peu distingués par de grandes qualités personnelles (18). A cette époque, le saint-siège, quoique délivré, des empereurs, n'avait réalisé aucun des buts extrêmes qu'avaient poursuivis Grégoire VII et Innocent III; l'empire, en cédant en Italie, avait recouvré son indépendance en Allemagne; dans l'Italie elle-même, le pouvoir temporel des papes n'était incontesté que dans les états de l'église; en Lombardie se continuait, avec des chances diverses, la guerre civile entre les gibelins et les guelfes; en Sicile, après les vêpres de 1282, les papes perdirent pour longtemps toute influence; en France enfin se réveillait de plus en plus le sentiment national, hostile à toute immixtion du saint-siège dans les affaires qui ne regardaient que le peuple et la royauté. La monarchie universelle, qui semblait fondée par Innocent III, n'était ,plus qu'un rêve.


Table des matières

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.13 Innocentii III epistoloe, livres 1, 2, 5, 10 à 16, publ. par Baluze, Paris 1682, 2 vol. in-f° ; livres 3, 5 à 9, dans les Diplomata etc. ad res francicas spectantia, publ. par Bréquigny et Laporte du Theil, Paris 1791, in-f°, P. 2, T. 1 et 2. - Registrum super negotio romani imperii, chez Baluze, o. c., T. 1, p. 687. - Léop. Delisle, Mémoire sur les actes d'Innocent III. Paris 1860 ; - le même, 21 lettres inédites d'Inn. III; Bibl. de l'École des chartes, 1873, p. 397. - Innocentii III opera. Cologne 1552, 1575 in-f° ; Venise 1578, in-4°. - Les oeuvres réunies aux lettres, Patrologie de Migne, T. 214 à 217.

Hurter, Geschichte Innocenz III. unit seiner Zeitgenossen. 30 éd. Hambourg 1845, Il vol. Trad. en français par Saint-Chéron. 2e, édit. Paris 1855, 3 vol.

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14 Louvain 1563, in-4°. Nouv. éd. par Achterfeld, Bonn 1856. - Reinlein, Innocenz III. und seine Schrift de contemptu mundi. Erlangen 1871, 2 P.

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15 Mansi, T. 22.

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16 Les registres d'Innocent IV, publ. par Élie Berger. Paris 1880, vol. 1; l'ouvrage complet formera 3 vol. in-4°.

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17 Huillard-Bréholles, Vie et correspondance de Pierre de la 'Vigne , avec une étude sur le mouvement réformiste au Mlle siècle Paris 1864. L'auteur prête à Frédéric Il la pensée d'avoir voulu établir une église nationale indépendante, dont lui-même eut été le chef et Pierre de la Vigne le vicaire et l'administrateur. Cette thèse, défendue avec beaucoup de talent, est exagérée; elle ne s'appuie que sur quelques phrases, écrites dans la chaleur de la polémique. Le seul dessein que Frédéric ait pu avoir, est celui de la sécularisation des biens ecclésiastiques.

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18 Alexandre IV, 1254 à 4261. Urbain IV, 1261 à 1264. Clément IV, 1265 à 1268. Grégoire X, 1271 à 1276. Innocent V et Adrien V, 1276. Jean XXI, 1276 à 1277. Nicolas III, 1277 à 1280. Martin IV, 1281 à 1285. Honoré IV, 1285 à 1287. Nicolas IV, 1288 à 1292. Célestin V, 1294.

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