.

 

12. Les ordres desCamaldules et deVallombreuse.

Des ordres monastiques moins importants furent fondés au onzième siècle en Italie. Ceux qui les établirent ne songèrent d'abord qu'à faire leur propre salut en fuyant la société ; d'ermites vivant dans des forêts ils devinrent, sans l'avoir prémédité, directeurs d'associations religieuses. De pareils enthousiastes trouvaient toujours des imitateurs.

Romuald, jeune noble de Ravenne, renonça an monde pour expier un meurtre commis par son père. Il passa une série d'années comme anachorète, tantôt près de Venise, tantôt près de Perpignan, tantôt aux environs de sa ville natale. En 1018 il créa un petit établissement de cinq ermites à Camaldoli, sur un sommet peu accessible des Apennins, non loin d'Arezzo; peu à peu il s'en forma d'autres pareils. En 1072 Alexandre II confirma l'institution comme ordre des Camaldules (35). C'était une congrégation d'ermites qui suivaient la règle de saint Benoît, modifiée pour l'adapter à ce but spécial; les frères ne vivaient pas en commun dans des couvents, ils demeuraient isolés bien que rapprochés, observaient des jeûnes très rigoureux et pratiquaient divers exercices de pénitence. Leur régime ne laissait guère de place pour des occupations savantes; quelques travaux manuels remplissaient les intervalles entre les prières, les mortifications et le chant des psaumes. Le prieur de Camaldoli était à la tête de la congrégation avec le titre de maior.

 

Un autre noble, Jean Gualbert, fonda vers la même époque l'ordre de Vallombreuse (36). Dans une vallée des Apennins, où il s'était établi comme ermite en 1039, il éleva un petit monastère, auquel s'associèrent quelques autres, pour observer plus strictement la règle de saint Benoît. Cette nouvelle congrégation, dirigée par Gualbert en qualité d'abbé supérieur, ne fut pas un ordre d'ermites, mais une simple branche des bénédictins. Pour que les travaux agricoles et domestiques, prescrits jadis par Benoît de Nursie, ne devinssent pas un obstacle à la contemplation, Gualbert en dispensa les religieux et en chargea des frères servants ou convers, astreints aux voeux de l'obéissance, de la pauvreté et de la chasteté, mais non soumis à la règle du silence ni à l'obligation d'assister aux offices dans le choeur. L'ordre de Vallombreuse ne fut confirmé qu'en 1190 par Urbain 11; de même que celui des Camaldules, il ne s'étendit guère en dehors de l'Italie.

 

CHAPITRE V

LA THÉOLOGIE ET LES CONTROVERSES

.1. Sous les Carolingiens (37).

 

.

13. Le savoir théologique.

Au neuvième siècle presque tout le mouvement intellectuel est concentré dans l'église franque. On assiste à une véritable renaissance, qui va de progrès en progrès depuis Charlemagne jusqu'à Charles le Chauve, et qui s'arrête alors brusquement pour au moins un siècle et demi.

Lors de son avènement Charlemagne trouva le clergé dans l'ignorance. Pépin ne s'était occupé encore que du rétablissement de l'ordre extérieur; il n'y avait que peu d'écoles, et on n'y apprenait guère. Charlemagne, qui s'était proposé de civiliser son peuple, fit de grands efforts pour la restauration des études. Il appela à sa cour des savants de l'Italie, où l'on cultivait encore les arts libéraux; il en fit venir d'autres de l'Angleterre, où dans les écoles d'York et de Canterbury et dans celles de quelques monastères on enseignait toute l'encyclopédie des sciences, y compris la théologie. Le plus célèbre de ces étrangers fut l'AnglaisAlcuin; on l'a qualifié par une expression heureuse de ministre intellectuel deCharlemagne. Un de ses premiers soins fut de faire venir des livres, qui manquaient presque partout en France; le peu qu'on en avait était incorrect, des copistes maladroits avaient dénaturé les textes. Alcuin corrigea lui-même la version de la Bible, et provoqua des travaux semblables pour d'autres ouvrages; dès qu'une révision était faite, on en envoyait des copies aux principales églises et abbayes. Après avoir enseigné dans l'école du palais, Alcuin devint abbé de Saint-Martin de Tours; il mourut en 804 (38).

Ce fut sur ses conseils que Charlemagne fit établir, auprès des cathédrales et dans les grands monastères, des écoles pour l'enseignement des sept arts libéraux et pour l'explication de l'Écriture d'après les Pères. Plusieurs de ces écoles arrivèrent à une grande réputation, mais elles ne servirent encore qu'aux générations nouvelles; les prêtres en fonctions n'en profitèrent point. Les conciles de 789 et de 802 nous apprennent ce qu'on pouvait exiger d'eux : l'écriture, le chant, la lecture du rituel, la récitation de quelques formules, les principes de la cure d'âme et ceux des pénitences. L'évêque Théodulphe d'Orléans, qui mourut en 821, invita les curés de son diocèse à ouvrir des écoles pour les enfants; c'est la première mention d'écoles primaires en France.

Si la grande masse du clergé reste encore sans culture, quelques religieux justifient ce que nous avons dit sur la renaissance intellectuelle au temps des Carolingiens. Le caractère général des productions théologiques de cette époque est, il est vrai, le manque d'originalité ce ne sont que des compilations tirées des Pères de l'église latine; mais avant de faire du nouveau, il fallut renouer le fil interrompu de la tradition et ranimer le goût de l'étude; à cet effet il était urgent de remettre en lumière le savoir des ancêtres, qu'on avait oublié dans la barbarie des siècles précédents.

Les travaux consacrés à l'interprétation de l'Écriture ne recherchent pour la plupart, d'après l'exemple des Pères, que le sens typique et allégorique. Tels sont les commentaires d'Alcuin, ceux deRaban Maur, abbé de Fulde, puis archevêque de Mayence, mort en 856 (39), et l'ouvrage deWalafried Strabon, abbé de Reichenau, mort en 849 ; ce dernier livre était très répandu au moyen âge sous le titre de Glosa ordinaria (40). Les traités bibliques de Claude, évêque de Turin, sur lequel nous reviendrons, et l'exposition de l'évangile de saint Matthieu par le moineDrutmar(41) font exception à cause du soin que prennent les auteurs de déterminer le sens littéral plutôt que le sens spirituel.

Deux travaux, fondés sur les évangiles et écrits en langue vulgaire, méritent une mention spéciale. L'un est le poème saxon, connu sous le titre deHéliand. (42) L'auteur, inconnu, le composa à la demande de Louis le Débonnaire, pour fournir sans doute aux Germains nouvellement convertis une histoire de celui qu'ils devaient adorer comme leur sauveur (Heiland). Les faits et les discours rapportés par les évangélistes sont transformés en une épopée germanique, où Jésus-Christ est représenté comme un chef puissant, suivi de jeunes gens dévoués et forts, qui sont ses fidèles, comme les leudes étaient ceux du roi. Le second est également un poème, écrit en langue franque et dédié à Louis le Germanique par Otfried, un des moines de l'abbaye deWissembourgen Alsace; pour remplacer «les chansons obscènes», c'est-à-dire païennes du peuple, Otfried paraphrase les évangiles en strophes rimées, plus didactiques et moins poétiques que les beaux vers du Héliand (43). Ces deux ouvrages étaient évidemment destinés à être récités; au neuvième siècle bien peu de laïques auraient été capables de les lire.

Ajoutons enfin quelques traités pour l'instruction pratique des prêtres, tels que ceux de Raban Maur, de institutione clericorum (44), de Walafried Strabon, de exordüs et incrementis rerum ecelesiasticarum (45), et d'Amalaire de Metz, de ecclesiasticis officiis (46), qui ne restèrent pas sans utilité. Raban Maur embrasse tout, depuis les arts libéraux jusqu'à la prédication et à la cure d'âmes; les deux autres décrivent et expliquent les cérémonies liturgiques.

Ce qui vient d'être dit ne suffit pas pour caractériser la théologie du neuvième siècle. Elle a été plus vivante qu'on pourrait le croire en ne considérant que les ouvrages didactiques; le réveil des esprits se manifeste par quelques controverses, en partie très animées, sur diverses questions de dogme.


Table des matières

Précédent:11. Benoît d'Aniane. La congrégation de Cluny

Suivant:14. L'église franque et les images


.

35) Règle, chez Holstenius, T. 2, p. 192. - Hastivill, Romualdina sive camaldulensis ordinis historia. Paris 1631.

.

36) Règle, Holstenius, T. 4, p. 358. - Nardi, Bullarium vallumbrosanum. Florence 1729.

.

37 Ampère, Histoire littéraire de la France avant le douzième siècle. Paris 1840, T. 3. - Baehr, Geschichte der römischen Literatur im Carolingischen Zeitalter. Karlsruhe .4840. - Ebert, Histoire générale de la littérature du moyen âge en Occident, trad. par Ayméric et Condamin. Paris 1884, T. 2.

.

38) On a de lui des traités sur la théologie, la philosophie, l'astronomie, des poésies, des lettres, des vies de saints. Alcuini opera, ed. Frobenius. Ratisbonne 1776, 2 vol. in-f°. - Patrologie de Migne, T. 101. - Hist. litt. de la France, T. 4, p. 295. - Lorenz, Alcuins Leben. Halle 1829. - Werner, Alcuin und sein Jahrhundert. Paderborn 1876 ; nouv. éd. Vienne 1881.

.

39) Un de ses principaux ouvrages est une sorte d'encyclopédie, libri XX de universo, sive etymologiarum opus. Rabani opera, ed. Colvenerius. Cologne 1627, 6 vol. in-f°. - Patrologie de Migne, T. 107 à 112. - Hist. litt. de la France, T. 5, p. 151. - Kunstmann, Hrabanus Maurus. Mayence 1841. - Schell, Hrabani Mauri de sacramentis eccles. doctrina per universos libros collecta. Fulde 1845, in-4°.

.

40) Souvent imprimé depuis la fin du quinzième siècle. Patrologie de Migne. T. 113. - Hist. litt. de la France, T. 5, P 59.

.

41) Drutmar, originaire de l'Aquitaine, un des religieux de Stavelo, dans le diocèse de Liège. Son ouvrage fut publié en 1514 à Strasbourg, en 1530 à Haguenau, in-f° ; dans la Bibl. Patrum Maxima. T. 15, p. 86 et dans la Patrol. de Migne, T. 106. - Hist. litt. de la France, T. 4, p. 84.

.

42) Heliand, poem a saxonicum, ed. Schmeller. Stuttgard 1830, in-4°. - Nouv. édit. par Rückert et Bartsch. Leipzig 1876; par Sievers, Halle 1878.

.

43) La première édition fut faite par Mat. Flacius, Bâle 1571. Les plus récentes sont celles de Kelle, Ratisbonne et Prague, 1856 à 1872, 3 vol., et de Paul Piper, Paderborn 1878, 2 vol.

.

44) Opera, T. 6.

.

45) Bibl. Patrum maxima, T. 15, p. 181.

.

46) 0. c., T. 14, p. 934. - Hist. litt. de la France, T. 4, p. 531.

.

47) Libri carolini, ed. Eli Phili. (Paris) 1549, in-16. L'éditeur, caché sous le pseudonyme Elias Philyra, est Jean du Tillet, plus tard évêque de Saint-Brieux, puis de Meaux. La meilleure édition est celle de Heumann, Augusta concilii nicoeni II censura hoc est Caroli magni de impio imaginum cultu libri IV. Hanovre 1731. Un texte moins bon, dans la Patrologie de Migne, T. 98. Tandis que beaucoup de savants catholiques ont accepté l'ouvrage comme authentique, d'autres l'ont rejeté, en dernier lieu Floss, De suspecta librorum carolinorum fide. Bonn 1861 , in-4° ; cet auteur convient toutefois que la question reste discutable. Dans la nouvelle édition de l'Encyclopédie de Herzog, T. 7, p. 535, Wagemann met l'authenticité hors de doute.

 

REGARD

Bibliothèque chrétienneonline

EXAMINEZ TOUTES CHOSES; RETENEZ CE QUI EST BON !

(La Bible: 1Thessaloniciens 5:21)

ACCUEIL