CHAPITRE IV

LE MONACHISME

 

11 Benoît d'Aniane. La congrégation de Cluny.

Au huitième et encore au neuvième siècle plusieurs grands monastères continuaient d'être des foyers d'étude et d'art, et des centres de civilisation pour les populations environnantes. Dans d'autres se manifestaient des symptômes de décadence ; il y en avait que les rois avaient conférés à des seigneurs laïques et ceux-ci, qualifiés d'abbés-comtes, ne tenaient pas à une observation trop rigoureuse de la règle. Une première réforme fut entreprise par un Français,Benoît, fils d'un comte de Maguelonne. Dégoûté du monde, après avoir passé sa jeunesse à la cour de Pépin et à celle de Charlemagne, il se fit admettre en 7741 dans le couvent de Saint-Seine en Bourgogne. Comme le régime de cette maison lui semblait trop indulgent, il retourna dans le Midi, où il s'établit comme ermite sur les bords du ruisseau d'Aniane, en Languedoc. Sa réputation de sainteté attira quelques clercs et quelques laïques, pour lesquels il bâtit un monastère dont il devint le supérieur. Sa discipline plus sévère fut adoptée aussi dans d'autres couvents de la France méridionale et occidentale. En 815Louis le Débonnaire, qui l'appela auprès de lui, le mit à la tête de la grande abbaye d'Inda, qu'il venait de fonder près d'Aix-la-Chapelle. Là Benoît entreprit pour les couvents de l'Est la même réforme qu'il avait tentée dans les provinces du Midi. En 817 il fit adopter par une assemblée d'abbés et de religieux, réunie à Aix-la-Chapelle, une règle qu'il avait rédigée en 80 articles; l'empereur la sanctionna sous le titre de capitulare de vita et conversatione monachorum. Ce n'était au fond que la règle de saint Benoît, renforcée par quelques pratiques assez minutieuses (33). Comme elle ne supprimait pas les causes qui menaçaient de décadence les institutions monastiques, elle n'eut pas de résultats durables. Ces causes étaient l'accroissement des richesses et le défaut de surveillance sur des couvents indépendants les uns des autres. Benoît d'Aniane, que Louis le Débonnaire avait chargé de cette surveillance sur les monastères de l'empire franc, mourut en 821 sans avoir en cette mission de successeur. Aussi l'ancien désordre ne tarda-t-il pas à reparaître.

De même que les évêques, les abbés, possédant de vastes propriétés territoriales et jouissant de l'immunité, étaient devenus des vassaux plus occupés de leurs intérêts temporels que du maintien de la règle. Benoît de Nursie, qui n'avait pas pu prévoir le grand succès de son oeuvre, n'avait songé ni à une association des couvents ni à l'institution d'une autorité supérieure. il est vrai que le Mont-Cassin jouissait d'une considération particulière, et qu'à son abbé on donnait volontiers le titre d'abbé des abbés; il est vrai aussi que quelques monastères plus anciens avaient sous leur dépendance d'autres couvents, qu'ils avaient fondés comme autant de colonies. Mais il n'existait ni gouvernement central, ni moyen de se concerter sur des intérêts communs. Chaque abbé régissait sa maison comme il l'entendait, bien ou mal, suivant ses dispositions personnelles. Légalement les évêques avaient sur les établissements monastiques la même juridiction que sur les paroisses laïques; mais quand le pouvoir territorial de l'abbé était supérieur à celui de l'évêque de son diocèse, ce dernier ne pouvait guère espérer d'être obéi. Quant au pape, il était trop loin pour exercer une influence efficace; et quant aux princes, ils s'inquiétaient peu de la discipline, pourvu que les abbés remplissent leurs devoirs féodaux.

Il était donc urgent de faire une réforme, consistant à la fois dans le retour à la règle et dans l'établissement d'un lien plus étroit entre les couvents, ainsi que dans leur subordination à un chef ou à un collège de directeurs. Cette réforme partit, encore de la France.

Guillaume, due d'Aquitaine, surnommé le pieux, voulant faire cesser les abus dans les couvents de ses domaines, fonda en 910 àClunyen Bourgogne un monastère devant servir de modèle. il en confia la direction à Bernon, issu d'une famille noble et abbé de Beaume; en outre il le soumit à l'autorité immédiate du siège de Rome, afin de le soustraire à toute autre juridiction ecclésiastique ou politique (34). Dans les premiers temps les frères ne choisirent pour abbés que les plus dignes. Le successeur de Bernon,Odonde 927 à 941, théologien instruit, devint le vrai réformateur. Il rétablit la règle de saint Benoît dans ce qu'elle avait de sévère et dans ce qu'elle avait d'utile : obéissance et silence absolus, vie partagée entre le travail et les exercices pieux, charité envers les pauvres du dehors, hospitalité envers les étrangers. L'admission de nouveaux frères fut rendue moins facile; on ne dut recevoir Di des jeunes gens au-dessous de vingt ans, ni des vieillards infirmes, ni des hommes de moeurs grossières. On insista de nouveau sur la nécessité de l'étude, on forma une bibliothèque, on recommanda même la lecture des classiques. Ces coutumes de Cluny, qui ne furent recueillies sous forme de règlement qu'au onzième siècle, furent adoptées aussi dans d'autres couvents; déjà onze ans après l'élection d'Odon, en 938, dix-sept monastères s'étaient engagés à les observer. Les successeurs d'Odon, Aymard, Mayolus et surtout Odilon, établirent des couvents nouveaux et en réformèrent d'anciens, en les rattachant tous à celui de Cluny.

 

C'est ainsi que se forma la congregatio cluniacensis. Le privilège de l'exemption de la juridiction épiscopale fut confirmé en 946 par Agapète Il ; plusieurs fois combattu par les évêques, et souvent renouvelé par les papes, il finit par être respecté. La congrégation de Cluny forma dès lors comme une église dans l'église, indépendante de l'épiscopat et protégée par le saint-siège, dont elle devint un puissant auxiliaire. Elle était dirigée par l'abbé de Cluny, qui était l'archiabbé de l'archimonastère. Chaque année les supérieurs des maisons associées se réunissaient dans la maison principale, pour délibérer sur des modifications éventuelles de la règle; toutefois l'autorité de l'archiabbé était presque absolue. Dans cette première période Cluny exerça une influence considérable; le monachisme bénédictin recouvra sa dignité et fut de nouveau entouré de l'estime du monde; les abbés Mayolus et Odilon donnèrent à des princes des avis qui furent écoutés ; Hildebrand, avant de suivre Léon IX à Rome, vécut à Cluny et en adopta les maximes si conformes à ses tendances personnelles.

La même réforme se répandit aussi en Allemagne. En 1071 Guillaume, abbé deHirschaudans le Wurtemberg, fonda la congregatio hirsaugiensis d'après le modèle de celle de Cluny, dont il s'était fait communiquer les coutumes.


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33) Capitularia, ed. Baluze, T. l , p. 579. - Benoît fit un recueil des anciennes règles monastiques de l'Orient et de l'Occident, Codex regularum, chez Holstenius, T. 1, et une Concordia regularum, Paris 1638, in-4°, destinée à prouver que toutes les règles s'accordaient au fond avec celle de Benoit de Nursie - Histoire litt. de la France, T. 4, p. 447.

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34 ) Ordo cluniacensis, onzième siècle, chez Herrgott, Vetus disciplina monastica, Paris 1726, in-4°, p. 133. - Antiquiores consuetudines cluniacenses; d'Achéry, Spicilegium, T. 1, p. 641. - Holstenius, T. 2, p. 176.

Bibliotheca cluniacensis in qua SS. patrum abbatum cluniacensium vitoe, miracula, scripta etc., cura M. Marrier et A. Quercetani. Paris 1614, in-f°. - Lorain, Essai historique, sur l'abbaye de Cluny. Dijon 1839. - Ed. de Barthélemy, Histoire de Cluny. Paris 1868. 3 vol. - Greeven, Die Wirksamkeit der Wesel 1870.

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