9. Le monde laïque. Les pénitences.

 

Dans le monde laïque, à peine sortant de la barbarie, les moeurs étaient licencieuses, les passions violentes; pour les adoucir on comptait moins sur une action purement spirituelle, (lue sur la répression des péchés par l'emploi d'une législation pénale. A une époque où partout régnait l'empire de la force, c'était peut-être le seul moyen de faire respecter le droit. Une transformation subite et complète était impossible ; il fallait se contenter d'arracher, quand on le pouvait, quelques concessions à la rudesse du temps. Mais, il faut l'avouer, les remèdes qu'on a opposés au mal n'ont pas toujours été les plus sages.

 

Charlemagneinstitua des sessions judiciaires épiscopales, semblables à celles que tenaient les comtes. Lors des tournées annuelles pour visiter son diocèse, l'évêque devait établir dans chaque paroisse son tribunal, pour faire une enquête sur les moeurs. Il se faisait précéder par un archidiacre, qui annonçait son arrivée et qui, en attendant, jugeait les causes moins importantes. Arrivé lui-même, l'évêque choisissait quelques hommes connus par leur probité, ordinairement sept, qui devaient servir de témoins synodaux; il leur faisait prêter serment de dire la vérité sur ce qu'ils savaient concernant l'état moral de la commune; puis il demandait s'ils connaissaient des homicides, des voleurs, des adultères, des fornicateurs, des parjures, des sorciers, etc. Les accusés, s'il y en avait, pouvaient se défendre, oui en appeler aux épreuves de l'eau ou du feu. Aux coupables l'évêque imposait des pénitences, que le comte était chargé de faire exécuter. C'était là une sorte d'inquisition morale; la justice laïque ne recherchait pas les crimes, elle ne jugeait que quand il se présentait des accusateurs; l'église, au contraire, croyait devoir s'informer de la moralité des fidèles; le serment exigé des témoins était une garantie contre les délations haineuses. Les pénitences étaient des jeûnes, des châtiments corporels, parfois la prison; ces peines servaient de complément à celles qu'édictaient les lois civiles, et qui ne consistaient qu'en amendes. Ce n'est que pour les péchés confessés volontairement au prêtre, que celui-ci pouvait demander une somme d'argent, à titre d'aumône pour les pauvres.

 

Plus tard l'institution des plaids épiscopaux perdit son caractère; ce qu'elle avait eu de conforme aux coutumes germaniques fit place à des règles venues de Rome. Dans ce nouveau système pénitencier le principal rôle est donné à l'argent. Les libri poenitentiales, qui sanctionnaient le rachat des pénitences, et que l'église franque avait d'abord repoussés, finirent par être adoptés partout, surtout le romain; chaque prêtre dut en avoir un exemplaire pour lui servir de guide. La substance de ce qui concerne ces matières est réunie dans deux recueils, qui ont joui pendant quelque temps d'une grande autorité: les deux livres de causis synodalibus et disciplinis ecclesiasticis, compilés vers 906 par l'abbé Réginon de Prüm dans le diocèse de Trèves, (24) et le grand volumen decretorum de l'évêqueBurcard de Worms, mort en 1025 (25).

D'après ces codes les peines ecclésiastiques peuvent être échangées contre des pratiques moins pénibles ou rachetées par de l'argent. Pour paraître équitables, les prêtres doivent avoir égard tantôt à la fortune, tantôt à la santé, tantôt à l'ignorance de ceux qui ont encouru des punitions. Si quelqu'un ne veut pas jeûner et qu'il est riche, il payera pour une pénitence de sept semaines vingt sols; est-il pauvre, il n'en devra que dix. Au lieu d'une pénitence d'un mois au pain et à l'eau, on peut réciter à genoux 1200 psaumes; si on trouve la génuflexion trop fatigante, on en récitera 1860.

Il est permis de douter de l'efficacité de pénitences si machinales et si singulièrement facilitées. Des hommes plus sérieux s'en imposèrent volontairement de plus dures.Pierre Damienintroduisit la flagellation, qui avant lui n'avait été qu'un des châtiments que pouvaient infliger les tribunaux épiscopaux, ou qu'on n'avait pratiquée comme acte expiatoire que dans quelques monastères. D'un caractère rude et sombre, Pierre Damien ermite à l'âge de trente ans, se mortifiait la chair avec un vrai fanatisme ; il était abbé d'un couvent dans les états de l'église, quand en 1058 il fut appelé à Rome comme cardinal-évêque d'Ostie. Collaborateur de Hildebrand, il rendit à la papauté les services qu'elle pouvait attendre d'un pareil homme. Pierre, qui a voulu être un réformateur moral de son temps en combattant le mariage des prêtres, a propagé une erreur pernicieuse ; il a autorisé la conversion des jeûnes, imposés comme pénitence, en coups de discipline. Il a dressé à cet effet un tarif, indiquant le nombre de coups correspondant à un certain nombre de jours de jeûne. Voici un de ses calculs : mille coups peuvent être donnés pendant qu'on récite dix psaumes; 15,000 coups prennent le temps du psautier complet, d'où il suit qu'en récitant vingt fois le psautier en se donnant le nombre de coups nécessaire, on accomplit une pénitence de cent ans, ce qui peut se faire en l'espace de six jours (26). Quelque étrange que nous paraisse ce genre de pénitence, il frappa les imaginations et se répandit très vite; hommes et femmes, riches et pauvres, clercs et laïques se mirent à se flageller, et bientôt on verra (les troupes de ces pénitents parcourir les provinces étonnées.

 

Contre les pécheurs incorrigibles et contre les adversaires de l'église on sévissait, comme précédemment, par l'excommunication. Quand il s'agissait de punir des populations entières, on les frappait de l'interdit, qui consistait dans la suspension du culte public et dans le refus des sacrements et de la sépulture en terre consacrée. Cette mesure, employée souvent d'une manière arbitraire pour des motifs qui ne la méritaient pas, provoqua plus d'une fois des troubles.

Dans une autre direction, l'église exerça une action plus réellement bienfaisante. Elle continua de prendre sous sa protection les pauvres et d'offrir aux persécutés un asile dans les édifices consacrés au culte et jusque dans les cours colongères de certains établissements religieux. Les évêques étaient les tuteurs des orphelins et des veuves; eux et les abbés traitaient leurs serfs et leurs sujets plus humainement que ne le faisaient les seigneurs laïques. Avec le concours des fidèles ils créèrent des hôpitaux pour les malades, des refuges pour les lépreux. Le concile d'Aix-la-Chapelle de 816 fit établir près de chaque monastère, sous la direction d'un frère spécial, un hospice pour les voyageurs et les pèlerins indigents. La charité laïque n'a pas été moins active; jusqu'à la fin du moyen âge elle a contribué aux oeuvres créées par l'église ou en a créé elle-même dans des proportions diverses; il y avait là sans doute chez beaucoup de personnes le désir de se procurer.. par des aumônes ou des fondations pieuses, des mérites dont Dieu leur tiendrait compte; on faisait le bien ad remedium aninioe, pour pourvoir au salut de sa propre âme; mais à ce sentiment intéressé s'alliait fort souvent une vraie pitié pour les malheureux (26a).

 

Enfin l'église tenta de mettre un terme aux querelles sanglantes qui troublaient les pays quand, par suite de l'affaiblissement du pouvoir royal, le droit du plus fort s'était substitué au règne de la loi. Plusieurs fois depuis la fin du dixième siècle, les évêques de diverses contrées de la France essayèrent d'obtenir des nobles le serment de garder la paix, et décrétèrent des peines ecclésiastiques contre les perturbateurs. Mais les passions étaient trop ardentes, pour ne pas se réveiller à chaque instant. L'église, ne réussissant pas à établir un état de paix durable, dut se contenter de latrêve de Dieu, treuga dei. On trouve, celle-ci pour la première fois en Aquitaine, en 1041; il fut convenu que les prêtres, les religieux, les femmes, les marchands en voyage, les pèlerins, les pâtres, les cultivateurs jouiraient d'une paix constante; quant aux nobles, ils devaient interrompre leurs guerres privées au moins depuis le mercredi soir jusqu'au lundi matin, cet intervalle étant consacré à la mémoire de la passion. de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ ; ceux qui observeraient la trêve seraient absous de leurs péchés, ceux qui la violeraient étaient menacés d'anathème. En 1041 ces mesures furent annoncées au clergé d'Italie par plusieurs prélats de France; elles ne tardèrent pas à être adoptées dans la plupart des pays; mais dès 1047 on dut restreindre la trêve au samedi et au dimanche (27).


Table des matières

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24 Publié par Baluze, Paris 1671; par Wasserschleben, Leipzig 1840.

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25 Cologne 1548, in-f°, et souvent. - Wasserschleben, Beiträge zur Geschichte der vorgratianischen Kirchenreehtsquellen. Leipzig 1839.

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26) Opera, T. 3,1). 400.

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26a) Uhlhorn. Die christliche Liebesthätigkeit im Mittelalter. Stuttgard 1884.

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27) Le concile de Clermont de 1095 fit de la trêve de Dieu une loi générale pour toute la chrétienté. En 1103 l'institution fut sécularisée; une charte du roi Louis VII de 1155 l'étendit à toutes les églises et à toutes les populations rurales de la France ; en Allemagne elle devint l'origine des Landfrieden, paix publiques pour de certaines régions et pour un temps plus ou moins long. - Semichon, La et la trêve de Dieu. Paris 1857. - Kluckholm, Geschichte des Gottesfriedens. Leipzig 1857. - Fehr, Der Gottesfrieden und die katholische Kirche. Augsbourg 1861.

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