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 CHAPITRE III

ETAT MORAL, DISCIPLINE, CULTE

 

8. Le clergé.

Bien que les moeurs de l'époque que nous étudions fussent généralement grossières, rien ne serait plus injuste que d'accuser de corruption le clergé tout entier. On connaît des évêques, des prêtres, des religieux, distingués par la noblesse de leur l'intégrité de leur vie ; et dans la foule caractère, leur savoir, obscure des curés Il y en a eu certainement plus d'un qui a donné aux fidèles l'exemple d'une piété sincère. Le clergé n'aurait pas conservé son empire sur les âmes, s'il n'avait été composé que de mercenaires ou de libertins. Le tableau de la dépravation cléricale dans le liber gomorrhianus du moine PierreDamien est trop repoussant pour n'être pas exagéré (22); cette exagération toutefois n'eût pas été possible sans un fond de vérité.

Les vices principaux qu'on reprochait aux prêtres, et dont nous avons parlé déjà, étaient la simonie et le concubinage. La première n'était possible qu'à des hommes assez riches pour acheter des bénéfices; le second était la conséquence malheureuse d'une législation qui méconnaissait la nature humaine. Contre les simoniaques on procédait par déposition et par excommunication; mais on avait beau leur représenter qu'ils se rendaient coupables du plus grave des péchés que pussent commettre des ecclésiastiques, on ne réussit pas à extirper le mal.

Malgré de nombreuses décisions de conciles et de papes, qui prescrivaient le célibat des prêtres, on n'avait pas pu l'imposer partout (22a). Les plus honnêtes parmi les curés prenaient des femmes légitimes, sans que leurs paroissiens s'en inquiétassent. Au dixième et au onzième siècle on trouve des prêtres mariés en Italie, en Espagne, en Allemagne, en France, en Angleterre; dans le nombre on cite même quelques évêques. Les adversaires étaient forcés de constater eux-mêmes que ces ecclésiastiques mariés valaient mieux que beaucoup de ceux qui ne l'étaient pas. Pierre Damien, un des plus ardents champions du célibat, déclara que le clergé de Turin, auquel l'évêque Cunibert permettait le mariage, était de moeurs irréprochables, plein de zèle pour l'étude et fidèle dans l'accomplissement de ses devoirs. Anselme, évêque de Lucques, plus tard pape Alexandre Il, dit du clergé de Milan : «Si ces prêtres n'étaient pas mariés, ils ne mériteraient que des éloges pour leur prédication et leur intégrité. » Ces attestations ne prouvent-elles pas que le mariage n'était pas un obstacle pour des prêtres dévoués à leur ministère ? Mais l'église était résolue à ne pas le tolérer; toute union, même légitime, était pour elle un concubinage. Quant aux vrais concubinaires, elle était assurément dans son droit en sévissant contre eux; ils donnaient un scandale qui ne pouvait que nuire à leur autorité. Une première mesure générale fut prise en Angleterre; l'archevêque Dunstan de Canterbury (961 à 988) força les prêtres de renvoyer leurs femmes; ceux qui, mariés légitimement, s'y refusèrent, il les remplaça par des religieux. Cette sévérité, toutefois, n'eut encore qu'un résultat passager. Vers 1018 le papeBenoît VIIIfit décréter, par un concile réuni à Pavie, que les enfants des clercs de tout grade, nés d'une femme libre, deviendraient serfs de l'église sans pouvoir jamais être affranchis; ceux de femmes non libres resteraient naturellement dans leur condition servile.

 

De même que pour rendre la simonie plus odieuse on la qualifiait d'hérésie simoniaque, on commença vers cette époque à donner à la vie d'un prêtre avec une femme, légitime ou non, le nom d'hérésie nicolaïte, d'après celui d'une ancienne secte immorale ; pour effrayer les simples, il suffisait de faire passer des infractions à des lois disciplinaires pour des hérésies, des révoltes contre la foi. Benoît VIII 'n'avait encore sévi que contre les enfants des prêtres ; depuis que Hildebrand fut devenu le ministre dirigeant des papes, on sévit aussi contre les femmes et contre les prêtres eux-mêmes.Léon IXpublia un constitutum de castitate clericorum, ordonnant que les femmes vivant avec des clercs seraient réduites à l'état de servitude. En se fondant sur cette constitution, qui établissait «un régime nouveau», le concile romain de 1059, sous Nicolas II, défendit aux laïques d'entendre la messe chez (les prêtres qui avaient dans leurs maisons des femmes.

Ces diverses mesures provoquèrent de l'opposition. Un auteur inconnu publia une apologie du mariage des prêtres, sous la forme d'une épître adressée à un pape Nicolas et attribuée a saint Ulric, qui avait été évêque d'Augsbourg près d'un siècle plus tôt; cet écrit est une démonstration de la sainteté du mariage, ainsi que des dangers qu'entraînent pour les moeurs les lois sur le célibat (23). A Milan, comme il a été dit plus haut, il y avait de nombreux prêtres mariés ; mais en même temps il se trouvait dans la ville quelques prêtres coupables de simonie et quelques chanoines riches qui se livraient aux plaisirs du monde. En 1056 le prêtreArialdet le diacre Landolphe, confondant tout, prêchèrent à la fois contre les hérésies simoniaque et nicolaïte; l'archevêque Guy ayant pris la défense du mariage en rappelant les anciennes coutumes de l'église, ils soutinrent que les choses vieilles étaient passées, que tout était renouvelé, que ce qui a pu être concédé par les Pères dans les temps de l'église primitive, est désormais aboli et défendu. Comme le clergé milanais était appuyé par la noblesse, Ariald excita contre celle-ci la populace; il tint à cet effet des réunions dans le quartier de la pataria, habité par les fripiers et les chiffonniers; de là le nom de Patarins donné à ses partisans et en général aux adversaires du mariage des prêtres. En 1059Nicolas Ilenvoya à Milan le cardinal Pierre Damien et l'évêque Anselme de Lucques. Tous deux rendirent à la majorité du clergé de là ville le témoignage le plus favorable, mais exigèrent la stricte observation des décrets sur le célibat. La noblesse et la bourgeoisie réclamèrent; on ne voulut pas que l'ancienne église de Milan, illustrée par saint Ambroise et toujours libre, fût assujettie aux lois romaines; il y eut même un tumulte; mais l'archevêque finit par céder, les légats lui imposèrent, ainsi qu'à ses prêtres, des pénitences, et pour l'aire acte de soumission, il parut la même année au concile de Rome

La lutte pour le célibat et contre la simonie fut continuée par Grégoire VII ; on verra plus loin avec quels résultats.


Table des matières

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22) Damiani Opera. Paris 1642, T. 3, p. 63. Le traité est dédié à Léon IX.

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22a) F. A. et Aug. Theiner, Die Einführung (le), erzwungenen Ehelosigkeit bei den christlichen Geistlichen und ihre Folgen. Altenbourg , 2e éd. 1845, 2 vol.

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23) Cette pièce, dont il est l'ait mention vers 1090 dans la Chronique de Bernold de Constance, Pertz, T. 7, 1). 436, fut publiée d'abord en 1521 à Haguenau in-4°. Le meilleur texte se trouve chez Martène et Durand , Amplissima collectio, T. 1, p. 449.

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