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5. Les papes, jusqu'à l'avènement de Grégoire VII, 1073.

Dès lors commence pour le siège apostolique une période plus honorable. Plusieurs papes, élus sous l'influence de Henri III et secondés par lui, relèvent la dignité du pontificat; ils ont l'ambition traditionnelle d'étendre leur suprématie, mais ils comprennent combien celle-ci serait fragile sans un retour du clergé à des moeurs plus sévères. Pendant le désordre universel qui avait régné depuis la fin du neuvième siècle, quand la civilisation chrétienne semblait subir un arrêt, la discipline ecclésiastique s'était relâchée, au point qu'on pouvait presque dire qu'elle n'existait plus. Les évêques et les prêtres, sauf les exceptions qu'on peut constater, avaient suivi les exemples donnés par les papes. Outre qu'ils étaient plus occupés du soin de s'enrichir que de celui de remplir leur ministère, ils vivaient avec des femmes ; quelques-uns d'entre eux étaient mariés, malgré les règlements qui prescrivaient le célibat ; d'autres observaient ces règlements en apparence, mais s'en dédommageaient en entretenant des concubines. Un autre vice du temps était le trafic des dignités et des bénéfices ; les seigneurs laïques, les hauts fonctionnaires de l'église eux-mêmes les vendaient au plus offrant. Depuis Grégoire le Grand on donnait à cet abus le nom de simonie ou d'hérésie simoniaque, par allusion à Simon le Magicien, qui avait voulu acheter des apôtres le pouvoir de conférer le Saint-Esprit. Soutenus par l'empereur, et forts de l'assentiment de ceux qui déploraient les scandales, les papes, depuis la seconde moitié du onzième siècle, font d'énergiques efforts pour purifier l'église de ces vices ; ils tiennent à cet effet de nombreux conciles, que tantôt ils président eux-mêmes, et que tantôt ils font présider par leurs légats.

 

Nous avons dit que Henri III s'était fait rendre par les Romains le privilège de confirmer les papes élus par eux ; c'était le prix du service qu'il leur avait rendu en les délivrant de l'anarchie ; mais il ne tarda pas à voir s'élever une résistance contre la participation impériale au choix des chefs de la hiérarchie ; parmi le clergé et dans les monastères il y avait quelques hommes qui rêvaient une papauté indépendante ; ils n'attendaient que le moment propice pour faire éclater le conflit entre l'empire et le sacerdoce.

Clément Il étant mort dès 1047, Benoît IX reparut à Rome. L'empereur, qui ne le reconnut point, fil élire à sa place Damase II, d'abord évêque de Brixen en Tyrol. Avant cette élection Henri III avait demandé l'avis de l'évêque Wazon de Liège, un des prélats les plus distingués du temps; Wazon lui avait répondu, en posant la règle que les papes devaient être élus sans aucune intervention de la puissance séculière ; quand l'empereur reçut cette réponse, Damase était déjà consacré ; il ne régna, du reste, que pendant vingt-trois jours.

Son successeur fut Léon IX, un Alsacien né en 1002 (19). Il s'appelait Brunon ; son père, parent de la famille impériale, était Hugues comte d'Eguisheim ; sa mère était une comtesse de Dagsbourg. Brunon était depuis vingt-deux ans évêque de Toul, quand en 1048, sur le désir de Henri III, il fut proclamé pape par une diète tenue à Worms; il n'accepta qu'à la condition d'obtenir le consentement du peuple et du clergé romains. Par cette déclaration il exprima à son tour le principe qu'on n'est légitimement évêque de Rome que si l'on est élu, suivant les anciennes coutumes, par les clercs et les fidèles de la métropole. Il fut confirmé dans sa résolution par un jeune moine, dont il avait remarqué les talents et la vie austère. Comme il était lui-même d'un caractère doux, presque faible, il sentait que dans la situation difficile où il acceptait la tiare, il aurait besoin des conseils d'un homme à la fois prudent et ferme ; il pria le jeune moine de l'accompagner à Rome ; celui-ci refusa d'abord, en disant que Brunon voulait s'emparer du saint-siège avec l'appui du pouvoir séculier; Brunon l'ayant rassuré, il consentit à le suivre.

 

Ce moine, qui dès lors dirigea les papes jusqu'à ce qu'il devint pape lui-même, s'appelaitHildebrand. Né à Soano en Toscane, d'une famille d'artisans, il fut élevé dans le couvent de Sainte-Marie-Majeure sur le mont Aventin, devint chapelain de Grégoire VI, puis moine à Cluny, où il adopta les principes rigoureux nouvellement introduits dans ce monastère. Depuis que, avec le secours de l'empire, la papauté s'était raffermie, Hildebrand entrevoyait que ce raffermissement même devait amener l'émancipation du saint-siège de la tutelle impériale ; mais il savait aussi que, pour rétablir l'honneur de l'église de Rome, il était urgent de ramener les prêtres de tous les rangs à la stricte observation de la discipline ; plus leur conduite serait irréprochable, plus ils auraient de force morale ; et plus ils seraient respectés, plus la papauté gagnerait en prestige, comme clef de voûte de toute la hiérarchie. Sous l'empire de ces principes, inspirés aux papes par Hildebrand, ils entreprirent à la fois la lutte contre ta simonie et le concubinage, et celle qui devait les rendre indépendants des pouvoirs politiques. Aussi longtemps que vécut Henri III, ils ne firent que des progrès peu sensibles dans le sens de l'indépendance ; dans le combat, contre les vices, ils déployèrent, au contraire, une vigueur à laquelle depuis longtemps on n'avait plus été accoutumé.

 

Arrivé à Rome comme pèlerin, Brunon, qui prit le nom de Léon IX, fit renouveler son élection par le clergé et le peuple ; cet acte fut la première manifestation de l'esprit qui, d'après Hildebrand, devait animer les papes. Léon nomma son conseiller sous-diacre, et le chargea de l'administration des revenus du saint-siège, laquelle était dans le plus grand désordre.

En 1049 il fit condamner l'hérésie simoniaque par un concile tenu 'ci Rome; puis il présida successivement, de 1049 a 1052, six conciles en France, en Allemagne et en Italie. Quand il convoqua celui de Reims, en 1049, quelques prélats et quelques seigneurs représentèrent au roi Henri 1er qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait permis à un pape de venir présider un concile en France. Ce fut une tentative de maintenir l'ancienne autonomie de l'église nationale; on sentait que les voyages du pape en deçà des Alpes étaient en quelque sorte une prise de possession de la suprématie. Le roi n'osa pas protester ouvertement; pour empêcher ses évêques de se rendre à Reims, il leur ordonna de le rejoindre avec leurs hommes pour réduire quelques vassaux rebelles ; il n'y en eut que dix-neuf qui se rendirent à l'invitation de Léon IX. Le subterfuge du roi manqua son but; l'autorité du pape était assez bien établie et, à cause de ses réformes morales, l'opinion publique lui était assez favorable, pour qu'il n'eût pas à s'inquiéter de pareilles velléités d'opposition. L'assemblée de Reims déclara que l'évêque de Rome est le primat apostolique de l'église universelle; Léon déposa plusieurs prélats coupables de simonie et excommunia ceux qui s'étaient abstenus de venir au concile.

La fin de son règne fut malheureuse ; il avait abandonné à l'empereur les revenus de l'évêché de Bamberg et de l'abbaye de Fulde ; en retour l'empereur lui avait cédé ses droits sur Bénévent. Cette ville étant occupée par les Normands, il fallait s'en emparer; Léon qui, en 1053, se mit à la tête de quelques troupes, fuit battu, retenu prisonnier et obligé de confirmer les conquêtes des vainqueurs. Peu après, en 1054, il mourut.

Hildebrand, ne trouvant personne parmi le clergé romain qui lui parût mériter d'être élevé au trône pontifical, et n'osant pas encore y prétendre lui-même ni se passer de l'empereur, se rendit auprès de Henri III; il demanda et obtint l'autorisation d'emmener comme pape celui qu'au nom des Romains il désignerait, il choisit Gebhard, évêque d'Eichstaedt, qui jouissait d'une grande considération et qui devintVictor II. En qualité de son légat, Hildebrand présida plusieurs conciles en France, qui tous eurent pour objet la réforme morale du clergé.

Ce fut sous le règne de Victor Il que s'accomplit la séparation entre l'église d'Occident et l'église orientale. Elle était préparée depuis longtemps par des différences dogmatiques et liturgiques, et non moins par la rivalité entre les évêques de Rome et les patriarches de Constantinople. En 1054 des légats pontificaux, envoyés encore par Léon IX, déposèrent, après de vaines conférences, sur l'autel de l'église de Sainte-Sophie une sentence d'excommunication contre le patriarche et ses adhérents ; le patriarche répondit par la condamnation des Latins. A partir de ce moment la rupture était définitive.

 

En 1056 mourut Henri III, laissant un fils de six ans,Henri IV, sous la tutelle de sa mère. A la tête de l'empire est un enfant, ou plutôt une femme ; aussitôt l'anarchie recommence en Allemagne et en Italie. La papauté, délivrée de la surveillance impériale, au lieu de péricliter dans ces circonstances, les fait tourner à son avantage sous la direction ferme et habile de, Hildebrand. La confiance en cet homme était si grande que le successeur de Victor Il (mort en 1057),Étienne IX, qui l'envoya en mission en Allemagne, voulut que s'il venait à décéder lui-même pendant l'absence de son légat, le saint-siège restât vacant jusqu'à ce que celui-ci fût revenu pour donner son avis. Étienne mourut en effet en 1058, avant que Hildebrand fût de retour. Un parti romain, hostile aux réformes, se hâta d'élire un des siens, Benoît X. En revenant d'Allemagne., Hildebrand s'arrêta à Florence, réunit quelques évêques et quelques nobles, et Fit nommer pape l'archevêque de cette ville, Gérard, qui prit le nom deNicolas II; il rentra avec lui dans Rome et le fit reconnaître par le clergé et le peuple.

Profitant de la minorité de Henri IV, Nicolas prit une mesure décisive pour soustraire les élections pontificales à l'intervention des empereurs et aux menées des factions romaines. En 1059 il lit décréter par un concile convoqué à Rome que les papes ne seraient plus élus que par le collège des cardinaux, c'est-à-dire par une assemblée formée des évêques des anciennes provinces suburbicaires, ainsi que des prêtres et des diacres des églises paroissiales de Rome; le peuple et la noblesse n'auraient plus qu'à donner leur consentement (20). Dans la prévision de troubles, toujours possibles à Rome, et de la difficulté de trouver toujours des candidats capables parmi le clergé de cette ville, le décret ajoute que l'élection pourrait aussi se faire ailleurs et qu'il n'était pas indispensable que l'élu fût un Romain. Enfin, il reconnaît encore assez vaguement le droit de l'empereur de confirmer le nouveau pape ; mais, contrairement à l'histoire du passé, on représenta ce droit comme une concession faite personnellement à Henri IV et pouvant être accordée aussi à ses successeurs. Quelque forte que fût déjà la papauté, l'habile moine qui la dirigeait crut devoir ménager encore la maison impériale ; il lui suffisait d'avoir. réduit le droit de confirmation à une sorte de privilège honorifique conféré, non à la couronne, mais à la personne de Henri IV et éventuellement à celle de ses descendants.

Dans la même année 1059 Nicolas II s'attacha comme vassal , protecteur du saint-siège, le Normand Robert Guiscard, duc de Calabre et de Pouille. Par le serment d'hommage que Robert lui prêta, il s'engagea à lui payer un tribut comme à son suzerain, à défendre sa personne ainsi que les propriétés et les gens de son église, et à contribuer à ce qu'à l'avenir celui qui aurait été choisi par les cardinaux fût reconnu et maintenu dans son autorité. Ce fut là encore une précaution contre les empereurs ; ayant à sa disposition un vassal puissant, le pape pouvait affirmer plus hautement ses prétentions.

A la mort de Nicolas Il , en 1061 , Hildebrand , que Nicolas avait nomme archidiacre, s'empressa, pour prévenir les intrigues des partis romains, de faire élire par les cardinaux l'évêque Anselme de Lucques,Alexandre II. A cause de la minorité de Henri IV, on ne rechercha pas la confirmation impériale. Les grands de Rome, qui regrettaient la perte de leur ancienne influence dans les élections, se joignirent à la cour allemande, qui de son côté était irritée de ce qu'on se fût passé de son concours, et qu'inquiétait l'union du saint-siège avec les Normands de l'Italie méridionale. L'impératrice Agnès réussit à faire élire à Bâle un antipape, l'évêque Cadale de Parme ; celui-ci entra à Rome et s'y maintint pendant quelque temps. Mais quand, en 1062, l'archevêque Annon de Cologne se fut emparé de la direction des affaires d'Allemagne, et qu'en ce pays les grands vassaux commencèrent à s'agiter pour affaiblir le pouvoir royal, les seigneurs et les évêques, réunis à Augsbourg, adhérèrent à Alexandre II ; deux années après, en 1064, un concile, tenu à Mantoue, déposa l'antipape. Ce fut lit la première grande victoire du système de Hildebrand ; le pape élu sous l'influence impériale fut écarté, et le sien , élu sans aucune intervention (les pouvoirs séculiers, fut universellement reconnu.

Alexandre II étant mort en 1073, Hildebrand lui-même devint enfin pape; il entreprit, sous le nom de Grégoire VII, cette lutte suprême contre l'empire, qui porta la papauté au sommet de sa puissance. Le récit de ces faits appartient à la période suivante.


Table des matières

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19) Hunkler, Leo IX. und seine Zeit. Mayence 1851. Abbé Delarc, Un pape alsacien, essai historique sur S. Léon et son temps. Paris 1876.

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20 Il existe cieux textes de ce décret, l'un dans le Deeretum Gratiani, dist. XXIII, cap. 1, l'autre en dernier lieu chez Pertz, T. 4, P. 1, p. 176. M. Cunitz a été le premier à reconnaître que ce deuxième texte, qui accorde à l'empereur un droit dans les élections, a été interpolé dans l'intérêt impérial. De Nicolai II decreto de electione pontificum romanorum. Strasb. 1837, in-4°. Il semble qu'un examen attentif de la pièce interpolée ne doive laisser aucun doute à ce sujet; néanmoins elle a trouvé encore des défenseurs. L'inauthenticité est de nouveau démontrée par Scheffer-Boichhorst, Die Neuordnung der Papstwahl durch Nicolaus IL Strassb. 1879. - Voir aussi l'article sur Nicolas Il de M. Samuel Berger dans l'Encyclopédie de M. Lichtenberger, T. 9, p. 628.

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