Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE SOURD-MUET DE LA DÉCAPOLE

-------

(Marc VII 31-37.)

Après le miracle opéré en faveur de la Cananéenne, Jésus, prévoyant que la nouvelle de cette guérison allait attirer tous ceux qui avaient des malades, se retira dans la Décapole. Mais il ne put se soustraire à la curiosité du peuple et aux prières de ceux qui venaient faire appel à sa puissance miraculeuse.

On lui amena alors un sourd-muet pour qu'il le guérît par l'imposition des mains, les habitants de la Décapole attribuant à ce signe une vertu souveraine. Pour réagir contre ces préjugés grossiers, Jésus ne voulut pas avoir recours à ce moyen.

Prenant le sourd-muet. avec lui, il le conduisit à l'écart, afin de lui rendre l'usage de la parole, sans satisfaire la curiosité ou exciter l'enthousiasme du peuple qui le prenait bien plus pour un thaumaturge que pour un prophète ou le Messie.

Bien que le récit de Marc ne nous dise rien de l'âge et de l'âge et de la vie passée de ce sourd-muet, tout nous porte à penser que c'était un enfant. D'abord le fait seul qu'il fut amené à Jésus par ses parents ou des amis. Ensuite il ne devait pas être depuis longtemps muet, puisque, aussitôt après le miracle, il trouva sans peine les mots nécessaires pour exprimer publiquement sa reconnaissance. S'il eut été âgé et depuis longtemps muet, il n'aurait pu rendre clairement et distinctement sa pensée (35), l'expérience nous prouve en effet que plus les sujets démutisés sont jeunes, moins ils ont de peine à parler.

Ce sourd-muet ne l'était pas de naissance, mais l'était devenu par accident, sans 'doute à la suite d'une maladie. Marc nous dit en effet qu'il parlait difficilement; les: sourds-muets de naissance n'émettent, avant d'être démutisés, que des sons inarticulés. Si celui-ci n'avait jamais entendu, comment aurait-il pu arriver d'un seul coup a parlé distinctement? Le Sauveur peut bien par un miracle lui délier la langue, mais on ne saurait admettre qu'il lui ait appris en même temps le dialecte araméen.

Certains interprètes ont reproché au Christ d'avoir eu recours pour ce miracle à une extraordinaire mise en scène et à des moyens peu dignes d'un Sauveur tout-puissant. Parler ainsi, c'est montrer qu'on n'a rien compris à cette scène si simple et si touchante.

Jésus, bien loin de vouloir frapper, l'imagination du peuple par ce miracle, éloigne le sourd-muet de la foule, le prend à part, pour que, dans ce tête-à-tête avec son Sauveur, il ne soit pas distrait ou troublé par les réflexions des curieux, et que, comprenant mieux le sens et la portée de ce miracle, il arrive plus vite à la foi.

Sans la foi du sourd-muet, le miracle est impossible. Aussi pour la faire naître dans son coeur, Jésus, ne pouvant se servir de la parole, a recours à la mimique, le seul langage qu'il puisse, comprendre. Il met les doigts dans ses oreilles pour lui montrer que le mutisme provient de la surdité et que pour pouvoir lui rendre la parole, il faut commencer par lui rendre l'ouïe. Les juifs employaient le même mot pour désigner le mutisme et la surdité (Marc VII, 32; IX, 17). En Même temps ses oreilles perçoivent la voix du Christ, s'écriant : ephatha. Ensuite il touche sa langue avec de la salive, lui montrant qu'il veut la délier, et que ce pouvoir vient de lui, qui est la Parole. Enfin il lève les yeux au ciel, pour pousser le sourd-muet à élever son coeur à Dieu par la prière, lui seuil pouvant accorder un tel miracle et, en déliant sa langue, le délivrer du péché, source et cause ici-bas de tous nos maux. De là le soupir du Christ en présence du péché dont ce sourd-muet est une frappante image.

Le pécheur en effet est sourd à la voix de Dieu, qui nous parle par la nature, sa loi, ses serviteurs, les événements, notre conscience. Étant sourd, le pécheur est par là même muet. N'entendant pas la voix de Dieu qui nous parle par sa Parole, il ne fait pas entendre la sienne en lui répondant par la prière. Pour que le pécheur perçoive la voix de Dieu et y réponde, il faut un miracle accompli par son Sauveur. Quand Jésus veut l'accomplir en sa faveur, il l'éloigne du monde, lui parle par des signes visibles et quand son âme est prête à recevoir son Esprit, il prononce son ephatha. Aussitôt le pécheur régénéré recouvre l'ouïe pour entendre la voix de Dieu et retrouve la parole pour lui rendre grâce et le bénir. Ainsi délivré, il peut dès lors entrer en communion avec son Père céleste, comme le sourd-muet guéri entra en relation avec ses frères, l'un et l'autre recouvrant par un miracle leur état normal, celui-ci d'enfant des hommes, celui-là d'enfant de Dieu.


.


L'HÉMORROÏSSE.

(Luc VIII, 43-48; MARC V. 25-34.)

Jésus répondant à la prière de Jaïrus, se rendait à Capernaüm, suivi d'une grande foule attirée par la vue du chef de la synagogue, marchant à côte du prophète de Nazareth. En regardant le visage de Jaïrus, ses traits bouleversés et la marche précipitée de Jésus, ces curieux se doutent de quelque événement extraordinaire, un miracle peut-être, et les accompagnent. A mesure qu'ils approchent de la ville, le cortège augmente, au point que Jésus, presse de tous côtés, a de la peine à marcher. Tout à coup une femme, malade depuis douze ans d'une perte de sang, et que sa maladie, regardée comme impure par la loi juive, tenait dans l'isolement, pensant n'être pas vue et profitant d'une occasion si propice, quitte sa maison et se glissant à grand'peine dans la foule, à cause de son extrême faiblesse, suit un moment le cortège.

Malade depuis longtemps, elle avait eu recours à de nombreux médecins, qui n'avaient fait, par leurs remèdes, qu'aggraver son état, en la laissant finalement sans ressources. Sans doute elle avait entendu parler de Jésus, et elle n'aurait pas tant tardé à venir implorer son secours, si son état d'impureté ne lui avait interdit l'entrée de la ville et tout contact avec une créature humaine. Aussi quand elle voit Jésus passer si près d'elle, elle oublie l'interdiction formelle de la loi, et va à sa rencontre. Mais, craignant que ses forces ne la trahissent en chemin, et qu'elle ne puisse arriver en présence de Jésus, elle se disait en elle-même : « Si seulement je puis toucher la frange de son manteau, cela suffira pour que je sois guérie. » Il est étrange que les commentateurs s'accordent à voir dans cette expression de la foi la plus naïve et en même temps la plus admirable, la trace d'une foi superstitieuse, comme si cette femme. attribuait une vertu miraculeuse au manteau du Sauveur et à ses franges qui pour les rabbins surtout avaient une telle valeur qu'ils les regardaient comme empreintes de sainteté.

Cette femme, sachant que d'après la loi mosaïque son état lui interdisait de quitter sa maison et de se mêler à la foule, évite de se montrer. Cependant désireuse de profiter du passage de Jésus de Nazareth, elle essaie seulement, n'osant ni lui parler ni en être vue, de le frôler, de toucher discrètement les franges de son manteau, pour ne pas le souiller par son impureté. Aussi combien elle dut frémir de tout son être en entendant la voix de Jésus cherchant à savoir qui l'avait touché.

Sans doute, dans la suite, plusieurs, en souvenir de cette guérison, se figurèrent que le simple contact des vêtements de Jésus suffisait pour être guéri de toutes sortes de maladies (Matth. XIV, 35), mais cette femme ne comptait attribuer sa guérison qu'au Sauveur lui-même. Elle essaie, il est vrai, de prendre directement, sans son intervention, les grâces réservées à ceux qui croient en lui. Et Jésus s'aperçoit aussitôt que cette femme, en le touchant, lui a comme ravi sa guérison, car il a senti qu'une vertu, une force, était sortie de lui, non contre, mais sans sa volonté.

Alors Jésus, autant pour fournir à cette femme l'occasion de confesser sa foi devant tout le peuple, que pour montrer que lui, qui vit Nathanaël sous le figuier, a vu cette femme, lorsqu'elle touchait derrière lui l'un des glands de son manteau, dit à haute voix : « Qui est la personne qui m'a touché? » voulant ainsi pousser cette femme à paraître en sa présence. Mais Pierre, se faisant le porte-parole des autres apôtres, s'étonne que le Maître fasse une pareille demande, quand la foule le presse a l'étouffer.

La malade, profitant de ce court dialogue, s'était glissée dans la foule pour se dérober à l'indiscrète curiosité des auditeurs et éviter les reproches qu'elle craint de recevoir de Jésus. Mais entendant le Sauveur répéter la même question, elle se retourne, et leurs regards se rencontrent. Effrayée d'avoir été découverte et toute tremblante d'avoir à avouer à haute voix la cause de sa démarche, elle se jette aux pieds du Sauveur, et proclame, devant tous, sa miséricorde et sa puissance. Jésus la rassure aussitôt, en lui disant : « Prends courage, ta foi ne t'a pas seulement guérie de ta maladie, elle t'a sauvée. Tu ne me demandais que la guérison de ton corps, mais en récompense de ta foi, je t'accorde le salut de ton âme. Va-t'en en paix. »


.


LA FEMME COURBÉE

(Luc XIII, 10-17.)

Le jour du sabbat Jésus avait coutume de se rendre dans les synagogues pour enseigner et pour guérir. Nous le trouvons ce jour-là à Béthesda où il guérit un paralytique, et à Capernaüm où il rend à un homme l'usage de sa main sèche et redresse une pauvre femme courbée en deux depuis dix-huit ans.

Quelle preuve de largeur et quel exemple de charité nous donne ce dernier récit! Nous y voyons Jésus enseignant dans une synagogue, et pour guérir une pauvre femme interrompant un culte public, dont la monotone solennité n'était troublée d'ordinaire que par les réponses des fidèles après la récitation des prières liturgiques.

Une pauvre femme courbée en deux, sans doute par de violentes douleurs rhumatismales contractées peut-être dans une maison humide, la seule que ses ressources lui permissent d'habiter, ou à la suite d'un travail trop pénible, a entendu Parler de Jésus. Avertie par un infaillible pressentiment que Jésus ne passera pas le jour du sabbat à Capernaüm sans se rendre à la synagogue et désireuse, sinon de le voir, car son regard est obstinément fixé sur la terre, do, moins de l'entendre, elle part de bonne heure de chez elle et monte lentement et avec peine à la synagogue. Elle y vient seule, car elle est pauvre et n'a personne pour la soutenir et la conduire. Sur son chemin, elle croise des gens bien portants qui vont à leurs affaires.

Quelle leçon cette femme pauvre et infirme ne donne-t-elle pas à tous ceux qui, le jour du repos, trouvent le temple trop haut ou trop loin, trop chaud en été ou trop froid en hiver et qui n'auraient pas cependant pour s'y rendre à faire les efforts que dut s'imposer cette femme, et qui surtout n'auraient pas à s'y rendre seuls, mais y pourraient venir accompagnés de tous les membres de leur famille.

Assise au fond, à droite de la synagogue - les hommes étaient assis à gauche - sur des nattes de jonc, dans un coin qu'elle a choisi autant à cause de son infirmité que par humilité, elle peut à peine apercevoir au fond sur une élévation le chandelier à sept branches ut en face le siège du lecteur sur lequel prendra place Jésus. Entre le candélabre et la chaire est tendu le voile de soie qui cache le livre de la Loi dépose dans une excavation.

Cette femme écoute avec une vive attention et un profond recueillement la lecture de la Loi, mais elle tend l'oreille dès que commence le commentaire. L'accent de celui qui parle, la nouveauté de cet enseignement, l'autorité dont il revêt la moindre de ses paroles, tout cela impressionne cette femme qui reconnaît aussitôt dans ce lecteur le prophète de Nazareth, dont elle a tant de fois désiré contempler le visage et dont elle doit se contenter d'entendre la voix. Absorbée par ses paroles, il lui semble qu'elle est seule en présence de Jésus et qu'il ne parle que pour elle. Autant par nécessité que par recueillement, elle reste assise, quand toute l'assemblée se lève pour écouter la lecture de la Loi ou réciter les prières.

Mais tout à coup, sans que rien fasse prévoir cette brusque détermination, Jésus pose le rouleau de la Loi qu'il tenait à la main, se dirige vers le fond de la synagogue, va droit vers cette femme, que plusieurs croyaient endormie, et lui dit : « Femme tu es délivrée de ton infirmité. » Puis, comme s'il se trouvait seul avec elle dans la synagogue, il lui impose les mains. Aussitôt - car il était écrit que ce jour-là on n'aurait aucun respect de la forme et des convenances - au grand scandale des pharisiens formalistes, stupéfaits de ce sans-gêne, cette femme courbée en deux depuis dix-huit ans, se redresse tout à coup, et se tenant debout élève son regard transfiguré vers le ciel et glorifie Dieu à haute voix.

Vous demanderez peut-être ce qu'avait fait cette femme pour être l'objet d'un tel miracle? Rien, semble-t-il; mais elle avait prié, et la prière entendue par le Père venait d'être exaucée par le Fils.

Décidément c'en est trop. Qu'attend donc le chef de la synagogue pour intervenir? Les pharisiens lui reprochent sa tolérance ou sa faiblesse, et ne comprennent pas pourquoi il reste muet devant cette scène. Mais que faire? S'il s'adresse à Jésus, il craint de s'attirer quelques-unes de ces répliques dont plusieurs pharisiens gardent au coeur la trace ineffaçable. Aussi pour contenter les auditeurs sans mécontenter le prophète, il s'approche de cette femme et la tance vertement. De quoi? D'avoir troublé le culte, en élevant la voix en pleine assemblée pour glorifier Dieu? Oh non ! ce serait bien peu connaître un pharisien. Il lui reproche de s'être laisse guérir, et cela un jour de sabbat. Ce jour-là, en effet, il n'était pas permis à un bancal de sortir avec une jambe de bois, à une femme de porter de fausses dents. Tuer une puce était un acte aussi blâmable que tuer un boeuf...

En vérité, l'odieux de ce reproche le dispute au ridicule et ce chef de la synagogue nous scandalise autant par sa dureté que par son hypocrisie. Il reproche à cette malade de n'avoir pas mieux choisi son jour. Elle était venue bien souvent à la synagogue pendant la semaine, et personne n'avait eu pour elle ni consolation ni pitié. En agissant ainsi, il veut surtout reprocher indirectement ou « obliquement », comme dit Calvin, au Christ d'avoir encore opère une guérison le jour du sabbat.

Il y a en effet, d'après ce chef, un temps pour prier et un temps pour guérir, et il ne serait pas éloigné de croire que les devoirs religieux puissent nous dispenser des devoirs de charité.

Jésus, se sentant soutenu par la majorité des auditeurs qui l'approuvent de mettre la vie au-dessus de la doctrine et de ne pas séparer la charité de la piété, se tourne alors vers ses adversaires et leur cingle la conscience en les traitant d'hypocrites, eux qui réservent toutes leurs compassions en faveur de leur boeuf ou de leur âne, pour lequel ils savent bien interrompre le repos du jour du sabbat, mais sont sans coeur pour leurs frères pauvres ou malades.

Si Jésus revenait parmi nous, il n'aurait pas à tenir d'autres discours que ceux qu'il a tenus. Que de gens qui trouvent le temps, le dimanche, de se distraire ou de travailler, de donner leurs soins aux animaux de leur écurie ou de leur basse-cour et qui n'ont pas un instant pour nourrir ou élever leur âme, s'occuper des pauvres ou visiter les malades!

La piété sans la charité n'est qu'hypocrisie. La vie sans la foi vaut mille fois mieux que la foi sans la vie, car il suffira pour être condamné par Christ d'avoir mérite le reproche qu'il faisait aux pharisiens pieux et égoïstes

« Ils disent et ne font pas. »


.


LES DEUX CORTÈGES

(Luc VII, 11-17.)

D'une petite ville de Galilée portant, à cause de son site pittoresque et de son ravissant paysage, le nom de Naïm, la belle, sort un cortège funèbre.

A sa rencontre, venant de Capernaüm, s'avance Jésus, accompagné d'un grand nombre de disciples enthousiastes qui s'entretiennent ensemble du discours que le Maître vient de leur faire entendre sur la montagne. A peine aperçoivent-ils le cortège, les conversations s'interrompent, leur curiosité s'éveille et quelques-uns s'approchent pour s'informer. Certainement, ce défunt doit être un personnage considérable, si l'on en juge par le grand nombre des assistants qui suivent son cercueil. A ce moment, les gens désoeuvrés qui se tenaient à l'entrée de la ville profitent de cet incident pour se joindre au cortège. Dans tous les cas, c'est un homme enlevé à la fleur de l'âge, puisque les porteurs sont des jeunes gens. On aperçoit, du reste, son visage, car si les pieds et les mains sont liés de bandelettes, la tête est découverte; le corps, enveloppé d'un linceul, est enfermé dans un cercueil et repose sur une civière que les porteurs ont chargée sur leurs épaules. Derrière, à côté des joueurs de flûte et des pleureuses, marche une pauvre femme, dont le visage inondé de larmes montre assez l'inconsolable douleur. Sans nul doute, c'est la mère, qui n'en est pas à sa première épreuve; vêtue en effet d'une robe étroite, faite d'une étoffe grossière, le costume des veuves, elle marche avec peine et laisse voir qu'avant de pleurer un fils, elle avait déjà pleuré son mari.

Cette pauvre femme était à la fois veuve et mère. Cela ne suffit-il pas à nous montrer combien grand dut être son deuil? Aussi cette nouvelle et cruelle séparation n'a fait que rouvrir une plaie saignante. Ce fils était son unique enfant. Seule désormais sur la terre, elle comptait qu'il serait pour elle sa joie et son espoir. En lui, elle croyait revoir le mari qu'elle avait perdu. Dieu vient aussi de le lui reprendre ce fils unique, sur qui elle avait reporté toute la tendresse de son coeur, et qui devait la protéger et la conduire dans la vie. Elle a tout perdu ici-bas. Mais Dieu lui reste et son secours ne lui fera pas défaut.

Jésus, se tenant un moment à l'écart, a longuement contemplé ce cortège. Ses yeux se sont arrêtés sur cette pauvre mère, dont la douleur poignante émeut son coeur si aimant. « Saisi de pitié », il s'avance, s'approche d'elle, comme s'il voulait la consoler; mais, ensevelie dans sa douleur, elle ne pense qu'à son fils couché dans le cercueil et ne lève même pas les yeux pour regarder cet étranger qui S'est frayé un passage à travers la foule pour parvenir jusqu'à elle. Cependant, les porteurs s'arrêtent, les joueurs de flûte s'interrompent, les disciples s'interrogent du regard. Le Maître est maintenant à côté de cette mère inconsolable et fait quelques pas avec elle.

Que va-t-il se passer? Que peut Jésus pour cette veuve qui accompagne son fils au tombeau? Sans doute, il a guéri le serviteur du centurion de Capernaüm, mais sa puissance miraculeuse ira-t-elle jusqu'à ressusciter un mort? Le Sauveur s'approche et, s'adressant à cette femme, lui dit : « Ne pleure pas. » Qu'est en effet, la mort du corps en comparaison de la perte de l'âme? A cette veuve qui pleurait la mort de son fils, Jésus dit: « Ne pleure pas », tandis qu'aux femmes de Jérusalem dont les fils avaient perdu leur âme, il dira: « Pleurez, sur vos enfants » (Luc XXIII, 28).

Elle l'a déjà entendue, cette parole, de la bouche de consolateurs importuns, qui lui ont prêché la résignation et démontré l'inutilité des larmes. Cependant l'accent avec lequel cet étranger a prononcé ces mots dénote une compassion profonde. Aussi, surprise et troublée, elle lève la tête, ses pleurs se sèchent et l'espérance succède à son abattement.

Jésus se dirige aussitôt vers le cercueil. Il le touche, et les porteurs, étonnés qu'un rabbin ne craigne pas de se souiller au contact d'un cadavre, déposent à terre la civière qu'ils portaient sur leurs épaules. Le Sauveur se penche alors sur le corps du jeune homme et, avec un accent d'autorité que les disciples eux-mêmes ne lui connaissaient pas encore, il parle à ce cadavre et lui dit d'une voix ferme : « je te l'ordonne, lève-toi. » Aussitôt, à la grande surprise des spectateurs, le mort se lève à demi dans son cercueil et se met à parler.

Tandis qu'Élie et Élisée avaient dû lutter pour rendre à la vie le fils de la veuve de Sarepta ou l'enfant de la Sunamite, un mot a suffi au Christ pour vaincre la mort et ressusciter le fils de la veuve de Naïm.

Comme elle dut être imposante et émouvante, la rencontre de ces deux cortèges ! Pour la première fois dans, son ministère, le Prince de la vie se trouve en présence du Roi des épouvantements. La résurrection du fils de la veuve de Naïm l'inaugure et la résurrection de Lazare en marquera le terme, montrant par là aux hommes que, si le Christ est venu sur la terre pour vaincre la mort, il devait lui-même mourir pour nous donner la vie. On comprend l'impression profonde que dut laisser dans le coeur des disciples et des témoins de cette scène un si grand miracle.

Quelle leçon nous donne ce récit! Ce jeune homme nous montre la brièveté de la vie. Cette veuve nous enseigne la fragilité des affections humaines, Mais Jésus nous assure qu'il est, lui, l'Ami et le Consolateur des affligés, le Prince de la vie, qui s'approche de ceux qui pleurent pour essuyer leurs larmes et des morts pour les rappeler à la vie.


.


UNE COUR DES MIRACLES

(JEAN V, 1-15.)

Jésus se rendait de Galilée à Jérusalem, pour y célébrer la fête des Purim, en souvenir de la délivrance des juifs par Esther. En entrant dans la ville par la porte des brebis, qui conduisait directement au temple où il se rendait, le Sauveur s'arrêta en chemin à la piscine de Béthesda. Sûr d'y rencontrer des pauvres et des malades, il comptait, en se reposant de sa course, se retremper pour son ministère dans la ville sainte à la vue et au contact de la souffrance humaine. Peut-être même y venait-il dans le but d'accomplir un miracle, qui, en montrant d'une façon éclatante son amour et sa puissance, le révélât à cette foule toute à la joie et a ses manifestations bruyantes comme le Messie, le Fils de Dieu.

Cet asile, véritable cour des miracles, avait reçu au temps du Christ le nom significatif de Béthesda, maison de miséricorde. Les pauvres et les malades y avaient élu domicile, d'abord parce que cette piscine était située aux portes de la ville et qu'entourée de galeries couvertes, ils pouvaient s'y mettre à l'abri du vent, du soleil et de la pluie, et ensuite, parce qu'à cause de l'efficacité de cette source intermittente les mendiants y imploraient la charité de ceux qui venaient demander la guérison à ses eaux bienfaisantes. Plusieurs d'entre eux y avaient provisoirement élu domicile et apporté leur grabat, comme le malade qui, infirme depuis trente-huit ans, fut ce jour-là l'objet de la compassion et de la miséricorde du Christ.

A l'occasion de la fête, les mendiants y étaient plus nombreux que de coutume, espérant faire recette plus abondante, à cause de l'affluence extraordinaire des pèlerins ou des malades, qui profiteraient de cette circonstance pour demander aux eaux de Béthesda la guérison de leurs infirmités ou de leurs maladies. C'est là ce qui explique la plainte de notre malade, à la démarche lente et difficile, et qui, sans être tout à fait paralytique, - témoin le mot : j'y vais - laissait toujours passer quelque autre avant lui. On se pressait ce jour-là sous ces portiques, et chacun voulait être le premier à descendre dans la piscine, quand la source jaillirait. Les moins malades en étaient le plus rapprochés.

Rien ne nous indique que notre malade ne fût pas là pour la première fois. Tout, au contraire, nous porte à le croire, car nous nous refusons à admettre que, s'il y était venu depuis longtemps, il n'eût trouvé, un jour ou l'autre, quelqu'un d'assez compatissant pour le porter, ou du moins le « jeter » dans la piscine, au moment où l'eau était agitée. Si, comme on l'a dit, ce malade « se faisait porter là chaque jour depuis un temps considérable », ses porteurs ne l'eussent-ils pas aussi facilement descendu dans le réservoir que laissé couché sur les dalles? Nous pensons même qu'il n'avait dû trouver personne pour le porter, puisqu'il dit lui-même : « je n'ai personne pour me jeter dans l'eau. » A moins que l'on considérât son cas comme désespéré et qu'on jugeât la tentative inutile?

Tous les malades couchés sous ces portiques n'y venaient pas pour y chercher la guérison, témoin ces incurables comme les aveugles, qui n'avaient rien à attendre de ces eaux produisant bien des cures merveilleuses, mais n'ayant pas la réputation d'accomplir des miracles. La présence de notre malade à Béthesda ne nous indiquerait donc pas incontestablement qu'il soit venu là pour chercher sa guérison.

Le réservoir était très étroit, et sans doute d'un accès difficile à certains malades. Une seule personne pouvait y descendre à la fois pour s'y plonger, et comme l'eau se perdait vite, on devait pour en profiter s'y jeter tout entier et tout d'une fois. Quand on ne le pouvait soi-même, on devait avoir recours à quelque ami ou à un serviteur. Notre malade, pauvre, isolé, sans parents, se plaint précisément de n'avoir personne pour lui venir en aide. Aussi avait-il pris la précaution de porter avec lui son grabat, un pliant, afin de rester là plusieurs jours, s'il le fallait, pour attendre le moment où l'eau jaillirait, - cette source intermittente jaillissant à intervalles irréguliers, et parfois à plusieurs jours de distance.

Malade depuis trente-huit ans, avant même que fût né celui qui allait le guérir, il n'avait pas pris son parti de son état; il espérait, désirait, attendait sa guérison. De là la demande du Christ jugée d'ordinaire si étrange et qui parait si naturelle : Veux-tu être guéri?

Au milieu de ces malades, de ces infirmes, de ces mendiants, le Sauveur vient de découvrir, sinon celui qui est le plus malade, du moins celui qui l'est depuis le plus longtemps, et il lui demande si, comme tant d'autres, ses voisins ou ses compagnons d'infortune, il n'aurait pas lui aussi pris son parti de son infirmité. Est-il bien décidé à être guéri et est-il réellement venu là dans ce but? Enfin comme il sait, que cette maladie est la conséquence directe de son péché, est-il en même temps bien décidé à y renoncer?

Les mendiants réunis autour de cette piscine aiment mieux conserver leurs infirmités que renoncer aux aumônes qu'elles leur procuraient. Demandez à tous ceux qui exploitent leurs difformités, s'ils voudraient être guéris. Leur réponse n'est pas douteuse, car ils tiennent trop à leur industrie.

La réponse du malade à Jésus montre que s'il a rencontré un homme pauvre, ce n'est pas un mendiant, et qu'il est tout disposé à renoncer à son péché le jour où il sera délivré de son infirmité. Si Jésus ne lui pardonne pas encore, il le guérit et cette guérison renferme pour lui une promesse de pardon. le Sauveur lui remet ses péchés avant de le guérir de son infirmité, parce que sa maladie était causée par le péché.

Ce malade ne s'y trompe pas. Aussi se rend-il sans délai dans le temple, attenant à la piscine, pour rendre grâce à Dieu de cette délivrance, mais surtout pour s'humilier publiquement et se repentir.

A peine l'aperçoit-on, marchant dans les parvis du temple, que les regards de tous se tournent vers lui, d'autant plus qu'il a l'audace, en un jour de sabbat, qui est aussi un jour de fête, de porter avec lui son grabat! On l'entoure, on l'interroge pour s'informer des motifs d'une violation si flagrante et si audacieuse en plein temple du repos sabbatique. A toutes les questions, il se borne à répondre qu'il ne fait que se conformer à un ordre reçu. Mais qui a donc pu te commander d'enfreindre ainsi notre loi? Et le malade de répondre : Celui-là même qui m'a guéri m'a dit : Prends ton lit et marche.

Les juifs demandent hypocritement à ce malade, qu'ils savaient depuis longtemps infirme et qu'ils voient marcher, non pas « qui t'a guéri », mais qui t'a dit : « Emporte ton lit et marche », mettant comme toujours la miséricorde au-dessous du sacrifice, l'amour au-dessous du formalisme. Ce malade qui n'a pas connu son bienfaiteur, ne doute pas qu'il doive l'obéissance à celui à qui il doit la guérison. C'est en effet par l'obéissance qu'il arrivera au salut.

Nous le voyons guéri, mais rien ne nous prouve qu'il ait été du même coup pardonné, car le pardon exige la foi. Or, comment aurait-il pu croire en celui qu'il n'a pas connu? Chez ce malade, aux remerciements duquel Jésus s'est dérobé grâce à la foule, ce n'est pas la foi qui provoquera la reconnaissance, mais celle-ci qui plus tard fera naître celle-là. non qu'il ne se trouve chez ce malade une certaine foi au moment de sa guérison, puisqu'il se lève et obéit à la voix de cet inconnu, mais ce n'est pas là la foi au Christ. Si elle suffit pour qu'il soit guéri, elle n'est pas suffisante pour qu'il soit pardonne et sauvé.

Du reste, ce qui confirme cette opinion, c'est l'avertissement que Jésus lui fait entendre, quand il le rencontre dans le temple : Ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire! Une rechute est toujours plus dangereuse que la maladie. Les paroles de Jésus sont une exhortation à la repentance et à la conversion, et si le malade n'a pas deviné le Messie à son pouvoir miraculeux, il le reconnaît, quand il s'adresse à sa conscience et à son coeur. Aussi s'en va-t-il aussitôt vers ceux qui l'avaient interrogé auparavant pour leur apprendre que celui qui l'a guéri et à qui il a obéi, n'est autre que le Messie. En présence des ennemis du Christ, ce malade rend publiquement témoignage de sa puissance et de son amour.

Jésus avait précisément accompli dans ce but ce miracle, choisissant un jour de fête et un jour de sabbat, moins en faveur de celui qui en avait été l'objet que pour ceux qui devaient en être les témoins et qui, si nombreux dans la ville sainte, pourraient publier sa puissance et annoncer que Jésus de Nazareth s'était révélé comme le Fils de Dieu. N'est-ce pas là aussi ce que Jésus fit à l'égard des dix lépreux? Neuf furent guéris et un seul, reconnaissant comme le fut notre malade, fut sauvé.

Si nous sommes restés longtemps couches comme ce malade et que nous ayons été guéris, levons-nous à l'appel du Sauveur et que la reconnaissance pour la guérison de notre corps nous procure le salut de notre âme.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant