Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE CENTURION DE CAPERNAUM

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(MATTH. VIII, 5-13; Luc VII, 1. 10.)

Nous avons de la peine en lisant ce récit à attendre jusqu'à la fin, comme cela arriva à Jésus, pour manifester notre surprise et notre admiration en présence de ce soldat si plein d'une touchante sollicitude envers son serviteur malade, si humble devant Christ, si plein de foi en sa puissance, si courageux dans la manifestation de ses opinions. Et nous admirons d'autant plus sa conduite, que nous savons que ce serviteur malade était un esclave, une de ces créatures humaines que l'on vendait ou achetait comme le bétail. Les maîtres se préoccupaient peu de leurs souffrances, ils n'étaient en souci que de leur fuite ou de leur mort, ce qui était pour eux une perte d'argent. Il ne faudrait cependant pas trop s'apitoyer sur leur sort, qui, tout compte fait, valait peut-être autant, sinon mieux, que celui de bien des serviteurs à notre époque. On leur donnait assez de nourriture pour qu'ils ne mourussent pas de faim, et parfois des maîtres, comme notre centurion, montraient pour eux un grand attachement.

Un d'entre eux qui lui était « fort cher », venait d'être subitement atteint d'un rhumatisme aigu, qui le faisait « cruellement souffrir ». Au lieu de songer à se débarrasser de lui, comme auraient fait bien des maîtres à sa place, il le soigna avec affection et s'efforça par ses soins de diminuer ses souffrances. Mais n'y pouvant parvenir, il songea tout à coup à Jésus dont « il avait entendu parler » et se décida à lui demander un miracle.

Capernaüm, ville de passage et de marche international, avait une douane et des péagers et comptait autant de juifs que d'étrangers. Ils vivaient tous en relations étroites et sur le même pied comme cela arrive dans une ville cosmopolite. Et cela a tel point que le centurion, qui commandait le détachement romain, y avait fait construire une synagogue pour marquer son attachement et son respect pour la morale du Décalogue et la religion monothéiste d'Israël. Aussi le regardait-on à bon droit et le recommanda-t-on à Jésus comme « un ami de la nation ».

Mais comment s'approcher de ce juif, lui Romain? Il n'est ni de son peuple ni de sa religion. On lui a bien donné à Capernaüm le titre de « prosélyte de la porte », en récompense des sacrifices qu'il s'est imposés et de l'amour qu'il a toujours témoigné à la nation juive, mais ce ne sont pas là à ses yeux des titres suffisants pour venir implorer la pitié de Jésus pour son serviteur malade. Il se décida alors à envoyer vers lui, pensant qu'ils auront plus d'autorité et obtiendront plus facilement un miracle du Christ, « les Anciens du peuple », magistrats de la ville, qui acceptent avec joie cette mission.

On va voir ces juifs intercéder auprès du Maître en faveur d'un pauvre païen. Ils ne parlent, il est vrai, à Jésus que du centurion, mais je suis persuadé qu'ils auraient pu tout aussi bien faire l'éloge de son serviteur qui avait su mériter l'affection de son maître et dont il pouvait rendre ce témoignage en public sans crainte d'être démenti : « je lui dis: fais cela, et il le fait. » Égards et attachement d'une part, obéissance et respect de l'autre. Les Anciens jugent le centurion digne d'une faveur spéciale de Jésus et pour l'obtenir de lui vantent ses mérites, sa générosité, son attachement à la nation juive. Le Sauveur, attiré vers un homme si tolérant envers les juifs, si bon pour son serviteur, si zélé pour Dieu, si humble devant les hommes, suit ces messagers et descend à Capernaüm.

A peine le centurion apprend-il la nouvelle, qu'il est tout à la fois surpris et confus que Jésus vienne chez lui. Il n'en demandait pas tant et il pensait qu'il guérirait son serviteur à distance. Ce soldat se trouble, en songeant à son arrivée. Il craint que Jésus ne se souille en entrant sous son toit et de peur que les Anciens ne lui aient pas bien exposé le vrai motif de leur démarche et ne lui aient transmis qu'imparfaitement son message, il envoie cette fois vers lui des amis, en leur disant ce qu'ils n'auraient qu'à lui répéter. S'il n'est pas allé vers lui, c'est qu'il ne s'en est pas cru digne et, bien que par son emploi il occupe la première place dans la ville et que par son titre de citoyen romain il soit infiniment au-dessus du peuple juif, il ne mérite pas que Jésus entre dans sa maison. Bien loin de se présenter à lui comme commandant à d'autres, il se met sur le même rang que son serviteur et se présente à Jésus comme étant sous les ordres d'autrui, faisant passer l'obéissance avant le commandement et montrant en cela une profonde humilité.

Lui que les Anciens du peuple avaient présente à Jésus comme étant bien digne d'un miracle de sa part, s'en déclare indigne, en sorte que l'humilité qui le pousse à refuser au Sauveur l'entrée de sa maison le rend digne de le recevoir dans son coeur.

Qu'il fait bon découvrir cette rare vertu chez un soldat, qui croit que, de même que quand il commande à ses subordonnés ils obéissent aussitôt, Jésus n'a qu'à parler, lui qui a puissance sur toutes choses, pour qu'au même instant son serviteur soit guéri. Aussi le Sauveur, en présence d'une foi si naïve et si grande, ne peut cacher son admiration, et voulant donner une leçon aux juifs, il avoue n'avoir jamais rencontré une pareille foi, pas même en Israël. Et en effet, ce centurion en demandant un miracle pour son serviteur malade, n'hésite pas comme le père de l'enfant démoniaque en disant « si tu le peux », ou ne pense pas qu'il ne puisse le guérir qu'en se rendant près de lui comme Jaïrus ou l'officier royal, on qu'il doive le toucher de sa main comme le chef de la synagogue; il croit et cela suffit pour qu'il apprenne aux païens, aux juifs et aux disciples eux-mêmes, que toute puissance a été donnée à Jésus sur la terre et dans le ciel.


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JAÏRUS

(MATTH. IX, 18-20.)

Jésus était à table, dans la maison de Matthieu le péager, avec quelques disciples. Des amis arrivent, péagers et pécheurs, et prennent place à leur côté. Loin de s'en offenser, le Maître s'en réjouit. Après eux, entrent les disciples du Baptiste pour l'interroger sur le jeûne. Jésus leur répond. Mais, tandis qu'il leur parlait encore, un des chefs de la synagogue de Capernaüm, du nom de Jaïr, en grec Jaïrus, entre, se prosterne devant lui, et s'écrie : « Ma fille est mourante; mais viens lui imposer les mains et elle vivra. »

Comment ce pharisien ose-t-il paraître en un tel lieu, dans une pareille réunion? Lui, un chef de synagogue, mettre les pieds chez un péager? Ne s'expose-t-il pas à se faire chasser de la synagogue? Peut-être est-il un disciple du Christ ou du moins est-il prêt à le devenir? Point du tout. Sa fille unique, âgée de douze ans, est mourante et il a recours à la puissance miraculeuse de Jésus de Nazareth, qu'il tient pour un prophète. Il le connaît du reste. Pendant le temps que Jésus a séjourné à Capernaüm, il l'a souvent vu et entendu parler dans la synagogue. Bien des fois, aux assemblées du sabbat, il lui a accordé ou même offert la parole. Il sait qu'il a naguère guéri le serviteur du centurion et a pu faire partie de cette ambassade d'Anciens envoyés vers le Maître. Sans doute s'il a pu guérir un malade, il n'a pas le pouvoir de ressusciter les morts. Mais peut-être arrivera-t-il à temps? Aussi, en présence des disciples, des péagers, ce père affligé se prosterne-t-il aux pieds du « fils du charpentier ». Y a-t-il une démarche, une humiliation dont il ne soit capable pour obtenir la guérison de son enfant? Son attitude aux pieds du Christ montre bien son humilité, par laquelle il proclame la puissance du Sauveur, et sa confiance, par laquelle il atteste sa bonté. Il reconnaît qu'il ne mérite pas la faveur qu'il réclame, et cependant il montre assez qu'il attend tout de lui. Son humilité accroît sa confiance et sa confiance confirme son humilité. L'humilité empêche la confiance de devenir de la présomption et la confiance empêche l'humilité de dégénérer en pusillanimité.

Mais sa foi est encore bien imparfaite et bien grossière.

Ce pharisien prétend enseigner à Jésus comment il doit s'y prendre pour guérir sa fille s'approcher d'elle, lui imposer les mains... Sa foi n'est pas telle qu'elle devrait être. Est-ce une raison pour étouffer ce germe? Elle n'est pas pure de tout alliage. Raison de plus pour l'épurer. Jésus le fera. Ce père ne veut pas croire au miracle, sans en voir les causes : le Sauveur ne lui en montrera que les effets, et en le plaçant bientôt en présence de la mort, il le forcera à croire à la vie.

Pour le moment, Jaïrus l'appelle et il le suit. Ses amis et ses disciples accompagnent le Maître jusqu'à la ville. Surpris de voir marcher, en pareille compagnie, le chef de la synagogue et ayant appris que sa fille vient de mourir, les habitants de Capernaüm se pressent sur son passage. Ils ne font qu'entraver sa marche et retarder son arrivée. Aussi Jésus presse-t-il le pas.

Tout à coup, il s'arrête, cherche du regard dans la foule, et découvrant une femme que tout le monde savait malade depuis douze ans, - depuis l'année où était née la fille de Jaïrus, - il lui dit à haute voix : « Courage, ma fille, ta foi t'a guérie. » Jaïrus ne peut que se réjouir d'une pareille guérison. Mais, pourquoi Jésus s'est-il arrêté, pour guérir une pauvre femme malade, alors qu'il sait qu'une enfant d'un riche chef de synagogue est mourante ? se dit Jaïrus. Quelle épreuve pour sa foi que ce retard ! Quelle humiliation pour sa vanité que cette préférence ! Il ne comprenait pas qu'en agissant ainsi, Jésus voulait le rendre plus humble devant Dieu, plus courageux en face du monde.

Par ce miracle, Jésus comptait mettre à l'épreuve sa foi naissante et la fortifier, en lui révélant sa puissance. Cette pauvre femme doit lui servir de modèle. Elle a cru, et Jésus a exaucé son attente.

Jaïrus va continuer sa route, attendant maintenant un miracle du Maître. Il est assuré qu'il guérira sa fille.

A peine a-t-il levé les yeux qu'il aperçoit ses domestiques. Son visage s'assombrit, il se trouble et tremble. Le doute envahit encore son coeur. Jésus arrivera trop tard. « Ta fille est morte », lui dirent-ils, heureux de lui montrer que, pour eux, ils n'auraient pas eu recours à ce prophète : « Ne fatigue plus le Maître. »

Jaïrus, muet, incapable de prononcer un seul mot, se tourne vers le Sauveur et aussitôt il entend cette parole qui suffit à lui faire prendre courage : « Ne crains rien, crois seulement. » Et, au lieu de se retourner, Jésus continue sa route et se dirige vers sa demeure. Que peut la mort sur ceux que veut faire revivre le Prince de la vie?

Aussitôt ils entendent les pleurs, les cris, les sons des flûtes, qui remplissent de bruit la maison de deuil. Sur le seuil, Jaïrus aperçoit sa femme, qui l'a poussé à faire appel à la miséricorde du Christ et qui semble avoir oublié que sa fille est morte, quand elle voit Celui qu'elle sait être la résurrection et la vie.

Tous trois entrent dans la maison envahie par des amis et des étrangers. Les cris et les pleurs redoublent à leur arrivée. Le Maître a de la peine à se frayer un passage, pour monter jusqu'à la chambre haute, où repose déjà le corps inanimé de la fille de Jaïrus. Il doit même renoncer à faire entrer ses disciples. Il parvient avec peine à prendre avec lui trois d'entre eux, qu'il veut rendre témoins du miracle. Puis, se tournant vers la foule, qui pensait que c'était l'heure des funérailles et que Jésus venait y assister, il dit aux pleureurs : « Retirez-vous, cette fille n'est pas morte, mais elle dort. » Aussitôt, les pleurs cessent; on rit, on plaisante, on se moque. Comment Jésus peut-il parler ainsi? Quand on est mort, on est bien mort. La foule obéit cependant sans résistance, attendant à la porte de la maison, curieuse de savoir ce qui va se passer.

Jésus arrive auprès de l'enfant, la mère tombe à genoux; le père, debout, contemple les traits de sa fillette, ces yeux clos, cette bouche muette, ces mains blanches. Alors, Jésus saisit la main de l'enfant en disant : « jeune fille, réveille-toi », et à l'instant, comme si elle entendait une voix connue, elle s'éveille, ouvre les yeux, saute aussitôt de sa couchette et va se jeter dans les bras de son père. Les parents, saisis à la vue d'un tel miracle, restent muets d'étonnement; mais Jésus, pour leur montrer que leur fillette est bien vivante, leur ordonne de lui donner à manger. Puis, voyant que son père était impatient d'aller annoncer ce miracle à la foule, il lui recommande expressément de n'en parler à personne, afin de ne susciter dans le peuple ni enthousiasme irréfléchi, ni haine aveugle.

Étrange défense que fait ici le Sauveur à Jaïrus! Ne vient-il pas lui-même d'obliger l'hémorroïsse à publier le miracle dont elle vient d'être l'objet? Mais les circonstances étaient différentes. S'il a agi ainsi à son égard, c'est qu'il a voulu, par ce témoignage public, affirmer la foi de cette femme qui avait cru pouvoir agir à l'insu du Sauveur, donner sa foi naïve en exemple au peuple et encourager Jaïrus dans sa foi naissante. Ici, il en est tout autrement : cette résurrection ne ferait qu'exciter davantage la curiosité de ceux qui le suivent pour voir ses miracles et viennent à l'instant, par leurs moqueries, de mettre en doute sa puissance.

La résurrection de cette enfant n'avait d'autre but que de conduire au salut ce chef de synagogue. Son épreuve l'avait amène au Christ, sa délivrance fit de lui un de ses disciples. S'il dut bénir le Christ de lui avoir rendu sa fille, comme il dut rendre grâces à Dieu d'avoir sanctifié son épreuve! Comment craindrions-nous de laisser ceux que nous aimons s'endormir en Dieu et nous quitter pour un peu de temps, quand nous savons que Christ les réveillera un jour, pour nous les rendre?


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NATHANAEL

(JEAN I, 47.)

Cet apôtre est désigne dans les synoptiques par son nom de famille, Barthélemy ou Bar-Thalmai, fils de Thalmai, tandis que le quatrième évangile nous le fait connaître par le surnom qu'il avait reçu dans le collège apostolique et que le Maître et les disciples lui donnaient d'ordinaire entre eux : Nathanaël.

Jean nous a conservé dans son évangile les surnoms de la plupart des apôtres, sans parler de celui qu'il se donne à lui-même de « disciple que Jésus aimait ». Ainsi Thomas avait reçu le surnom de Didyme (le jumeau); Simon, fils de Jean et frère d'André, celui de Céphas (Pierre); Thaddé ou Lebbé, celui de Jude ou Judas (louange à l'Eternel); judas le traître celui d'Isch-Karioth (enfant (le Karioth); Lévi, celui de Matthieu (don de l'Éternel); enfin Barthélémy, celui de Nathanaël (don de Dieu) (1).

De la vie et de l'activité de Nathanaël nous lie savons rien. Seul des évangélistes, Jean nous apprend qu'il était originaire de Cana en Galilée et nous retrace le récit de sa vocation, qui suffit à nous révéler son caractère.

André, Pierre, Jean et Philippe étaient aussi Galiléens. Ils habitaient tous Bethsaïda, petite ville voisine de Cana. A eux cinq avec Nathanaël ils formèrent un groupe, une Union chrétienne de jeunes gens, dont le siège était sur les bords du Jourdain et dont le président était, avant d'être remplacé par le Messie, Jean-Baptiste, l'austère prophète du désert. Se voyant fréquemment, soit quand ils allaient pêcher ensemble sur le lac, soit quand ils se retrouvaient auprès du Précurseur, après avoir franchi le Jourdain, ils lisaient et relisaient ensemble les livres de la Loi et les écrits des prophètes pour y découvrir les signes certains de la venue prochaine du Messie.

Jean-Baptiste, en effet, leur maître et leur modèle, ne leur avait-il pas déjà dit que le Messie se trouvait à cette heure au milieu de son peuple? Aussi ces jeunes gens brûlaient-ils d'impatience de le rencontrer et de l'entendre.

Or, un jour que Jésus passait sur les bords du Jourdain, au moment où Jean-Baptiste s'entretenait avec deux de ses disciples, André et Jean, le Précurseur le leur désigna comme le Messie par ces mots, dont la lecture des prophètes leur permettait de comprendre le vrai sens : « Voici l'agneau de Dieu. » Aussitôt ils le suivirent et curieux d'apprendre où le Messie était né, afin de s'assurer qu'ils avaient bien compris les prophéties messianiques, ils lui demandèrent où il demeurait et devinrent ses disciples. Mais impatient de faire part à ses amis de l'heureuse découverte qu'ils venaient de faire, André quitta bientôt le Christ pour aller annoncer cette bonne nouvelle à Simon Pierre et amener son frère au Messie.

Le lendemain, Jésus vient de traverser le Jourdain pour se rendre de Perée en Galilée, quand il rencontra Philippe, qu'il appela directement à le suivre. Il accompagnait Jésus, quand sur sa route il rencontra Nathanaël qui, se rendant sans doute auprès du Baptiste, s'avançait à leur rencontre (48). Tout joyeux de lui apprendre quel était son compagnon de route, il quitte Jésus pour courir au-devant de Nathanaël et lui faire part de son heureuse découverte.

Le sachant versé dans la lecture des Écritures pour l'avoir souvent rencontre absorbé dans la méditation à l'ombre d'un figuier abritant sa maison contre les rayons brûlants du soleil et connaissant sa nature franche, exubérante, incapable de dissimulation ou même de réserve, il essaie de lui fermer la bouche par un témoignage qui doit provoquer en lui une conviction absolue : Celui dont ont parlé Moïse et les prophètes, nous l'avons trouve!

Depuis longtemps Nathanaël, sous le figuier de Cana, demandait à Dieu de lui permettre de voir le Messie, comme l'avait fait Siméon trente ans avant dans le temple de Jérusalem. Le temps était proche où Dieu exaucerait ses prières. Le Précurseur ne venait-il pas de leur dire, après le baptême de Jésus, que son oeuvre était achevée et que, semblable à l'étoile du matin qui disparaît quand les rayons du soleil empourprent l'horizon, il n'avait plus qu'à s'effacer et disparaître pour faire place au Messie dont il était venu préparer la voie?

Le matin même du jour où il rencontra Philippe, le coeur rempli d'une émotion indicible, comme à la veille d'un événement extraordinaire, il avait passe de longues heures sous son figuier à confesser à Dieu ses fautes sans dissimulation hypocrite ou calcul intéressé, ne mettant aucun orgueil à s'en humilier devant lui. Personne n'a etc le témoin de cet entretien, mais Dieu a entendu et exaucé sa prière. Ce figuier a été pour lui comme un Béthel, la maison de Dieu, la porte des cieux, OÙ il a entrevu et reconnu à l'avance le Messie.

Si au moins Philippe, en lui montrant le Christ, s'était contenté de lui dire : Nous avons trouvé le Messie, cela lui eût amplement suffi pour croire en lui et pour le suivre. Comment a-t-il cru, nécessaire d'ajouter que, sorti de Nazareth, il était fils de Joseph? Sans doute il a voulu se montrer bien renseigné, mais cette déclaration était bien faite en renversant les idées reçues, pour jeter le trouble dans l'esprit de Nathanaël. Nazareth! Joseph ! Il a beau fouiller dans ses souvenirs, ces deux mots ne lui disent rien et n'évoquent devant lui aucune parole rencontrée dans les prophètes ou entendue du Précurseur. Aussi sans réfléchir davantage, autant par surprise à l'ouïe d'un pareil message que par dépit en songeant au grand honneur fait à ce bourg, voisin du sien, et réputé jusque-là par l'ignorance et la grossièreté de ses habitants, il s'écrie : Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth? Comment le Messie qui devait être le fils de David peut-il être fils de Joseph, et celui qui ne pouvait naître qu'à Jérusalem a-t-il pu sortir de Nazareth?

On a cherché à voir dans cette exclamation si naturelle, si franche, et qui nous révèle à fond le caractère franc et loyal de Nathanaël, la puissance du préjugé qui recule devant l'évidence et oppose à la démonstration éclatante de la vérité une fin de non-recevoir. Ce serait bien mal connaître Nathanaël. S'il ne peut cacher son étonnement, il n'en est pas moins prêt à se rendre à l'évidence. Philippe le comprend si bien, qu'employant pour convaincre Nathanaël la même méthode dont Jésus avait usé à l'égard d'André (40), et se servant des mêmes termes, il lui dit : Viens et vois, persuade qu'entre un coeur droit et la vérité, il ne saurait y avoir 'de barrière infranchissable.

Qu'il fait bon entendre ces disciples, natures loyales, aimantes, actives, proclamer leur découverte du Messie par ce cri de triomphe, dont se servent à la fois André et Philippe : Nous avons trouvé! (41, 45). Pas un ne songe à garder pour soi, voulant en jouir en égoïste, le trésor qu'il vient de découvrir et qui fait son bonheur. Comme ils comprennent à cette heure la valeur des Écritures et le prix de la prière pour chercher et trouver la vérité !

Nathanaël est un homme de premier mouvement qui ne fait pas les choses à demi. Il ne dissimule ni ses hésitations, ni ses doutes, et dans son exclamation qui jaillit de son coeur à l'ouïe de la révélation de Philippe, nous découvrons le cri d'un coeur droit, qui veut croire, mais ne consent à asseoir sa foi que sur une base solide, qui la mette pour toujours à l'abri des tempêtes de l'âme. Rapprocher cette parole de Nathanaël de celle de Pilate serait une profanation et un non-sens. Entre ces deux hommes il y a toute la distance d'un fonctionnaire frivole et blasé à un disciple honnête et courageux.

Jésus ne s'y trompe pas et il lui suffit d'un regard pour le connaître et pour le juger. A peine l'a-t-il vu, qu'il le proclame « un véritable israélite sans fraude », le type du juif selon le coeur de Dieu, méritant bien, par sa droiture, sa piété, sa foi en Dieu, le nom d'Israël (vainqueur de Dieu). Aussi, comme Jacob entrevit une échelle unissant la terre et le ciel, Jésus promet à Nathanaël la même vision avec cette faveur de plus, c'est que ce ne serait plus une image de la relation de l'homme avec Dieu, mais la réalité même, le Fils de l'Homme sur lequel il verrait désormais les anges de Dieu monter et descendre.

A l'ouïe de la connaissance miraculeuse du Christ, Nathanaël ne peut pas plus cacher son étonnement qu'en présence de Philippe lui révélant le Messie. Et il le fait pour provoquer des explications qui puissent raffermir et rendre inébranlable sa foi naissante. Aussi, dès qu'il a compris que ce regard divin, éclairant et réchauffant son coeur pendant qu'il était en prière sous le figuier, était celui du Messie lui-même, il reconnaît aussitôt en lui son Maître et son Sauveur et le proclame le Fils de Dieu, le roi d'Israël.


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L'AVEUGLE BARTIMÉE

(MATTH. XX, 29-34.)

Jésus après avoir clairement annoncé à ses disciples la nécessité et l'imminence de sa mort, veut leur montrer que sa puissance est toujours la même et que lui qui va guérir un aveugle et ressusciter Lazare, ne se soumet à la mort que comme à un sacrifice volontaire.

En se rendant du Jourdain à Jérusalem pour y célébrer une dernière fois la fête de Pâques, les pèlerins galiléens devaient traverser Jéricho, la parfumée. Cette ville se composait alors de deux quartiers, qui formaient pour ainsi dire deux villes : l'antique Jéricho près de la fontaine d'Élisée et le quartier neuf bâti à grands frais par Hérode.

Ce détail topographique nous permet de concilier les divergences apparentes des synoptiques et de voir dans les trois évangiles le récit d'un seul et même miracle.

Luc peut ainsi parler du miracle accompli à l'entrée de la ville et Matthieu nous dire que ce fut à la sortie. Du reste, Marc confirme ces deux récits, en écrivant : ils arrivèrent à Jéricho, et ajoutant brusquement comme il en repartait...

Sur le chemin ou plus exactement dans la rue, un peu à l'écart de la chaussée, pour ne pas gêner la circulation ou être blesses par les mulets, des aveugles se tenaient assis implorant la charité des passants fort nombreux à cet endroit, à cause des relations incessantes des deux quartiers.

L'un de ces pauvres était « le fils de Timée, Bartimée, mendiant aveugle », comme le désigne Marc, nous donnant à entendre par cette désignation caractéristique qu'il était bien connu à Jéricho ou du moins son père. Il avait pu rencontrer autrefois cet aveugle, quand il y vivait de son travail, avant que son infirmité ne l'obligeât à mendier son pain.

Rien donc d'extraordinaire à ce que Matthieu et Lue, nous rapportant ce miracle d'après la tradition orale, n'aient pas jugé nécessaire de conserver son nom ou l'aient peut-être ignoré.

Quand Bartimée entendit le bruit que faisaient les pèlerins, en traversant la longue rue de Jéricho, il s'informa de la cause de ces cris, qui étaient comme les préludes de l'ovation que la foule allait faire à Jésus à l'entrée de la ville sainte.

On lui signala alors la présence du Nazaréen, comme on désignait alors le Prophète. Lui, qui en avait entendu parler si souvent et se plaisait surtout à écouter le récit de ses miracles opérés en faveur des malades et en particulier des aveugles, le tenait pour le Messie promis. Tout son désir était de se trouver assez près de lui pour toucher les franges de son manteau. Mais comprenant qu'il lui est impossible pour cette fois encore de l'approcher et sans même attendre son passage, il crie de loin : Jésus, fils de David, aie pitié de moi!

Les autres aveugles excités et encouragés par les cris de Bartimée faisaient chorus avec lui. Mais leur voix était couverte par les cris et le bruit des pèlerins. Aussi criaient-ils de plus belle. A tel point que ceux qui marchaient en tête du cortège, étrangers sans doute, et qui ne connaissaient point Bartimée, veulent essayer de les faire taire. A quoi pensent donc ces mendiants? Un prophète, un futur roi, peut-il à l'heure de son triomphe interrompre sa marche pour écouter les supplications de pauvres aveugles? Mais les menaces ne servent qu'à exciter leur enthousiasme.

Ils continuent à crier plus fort jusqu'au moment où passe Jésus.

Voyant ces aveugles et ne pouvant approcher d'eux à cause de la foule, le Seigneur désigne d'un signe celui d'entre eux qui, paraissait le plus ardent à implorer son secours, donnant l'ordre qu'on l'appelât et qu'on le lui amenât.

Aussitôt des amis de Bartimée sans doute, qui connaissaient sa foi au Messie, s'approchant et voulant l'encourager lui disent salis nommer le Sauveur : il t'appelle.

Sans hésiter, Bartimée se lève, rejette vivement son manteau pour courir plus vite et, saisissant la main de son ami, le coeur battant à se rompre, il se trouve en un instant en présence de son Sauveur. Il ne peut le voir et cependant il a bien mieux que les disciples découvert sa royauté.

Sachant que le Messie devait sortir de la maison de David et rendre la vue aux aveugles, Bartimée s'adresse à Jésus avec confiance, implorant sa miséricorde en faveur d'un homme à qui il a consenti à se rendre semblable, en se faisant, lui, fils du Dieu saint, fils de David, pour le guérir et le sauver. Sa prière est courte, mais elle est complète. Elle n'est qu'un cri, mais c'est un cri du coeur. L'aveugle est aussi convaincu de sa misère que de la miséricorde de Dieu.

Jésus, voulant éprouver sa foi et la donner en même temps en exemple à la foule, lui dit : « Que veux-tu que je fasse? » Vous trouvez peut-être étrange une pareille demande, pensant que les yeux et les cris de cet aveugle le révélaient assez? C'est que le Sauveur veut ainsi le faire coopérer à sa guérison.

N'en est-il pas de même pour le pain quotidien que nous devons demander à Dieu? Notre Père sait bien ce qui nous est nécessaire et cependant il veut que nous déclarions par notre prière que nous ne saurions nous en passer et que nous ne pouvons le recevoir que de Lui.

Bartimée s'adresse alors à Jésus, non plus seulement pour avoir pitié de lui, mais pour le guérir. Aussi ne l'appelle-t-il plus fils de David, niais Maître, Seigneur. En effet, le fils de David pouvait bien avoir compassion, le Seigneur seul pouvait lui rendre la vue.

Mais pourquoi Bartimée n'a-t-il pas réclame davantage de la puissance et de l'amour de Jésus? Parce que son infirmité était le seul obstacle, l'obstacle insurmontable, qui l'empêchât de suivre Jésus et de devenir son disciple.

Aussi Jésus lui répond-il, en lui annonçant qu'il est sauvé en même temps que guéri: « Va, ta foi t'a sauve. » Tu as marché par la foi à ma rencontre, tu pourras désormais marcher par la vue à ma suite. C'est ainsi que Jésus accorde à cet aveugle, comme autrefois Dieu à Salomon, plus qu'il n'avait demandé.

Après être guéri, cet aveugle suivit Jésus. Jusqu'où? jusqu'à la Croix. Il assista ainsi à sa victoire et, mieux que les apôtres, comprit le sens de cette mort imposée au Christ par l'amour qu'il avait pour les pécheurs, dont il voulait par ce sacrifice ouvrir les yeux et sauver les âmes.

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(1) De ces deux noms hébreux Matthieu et Nathanaël, qui ont la même signification et se traduisent tous deux en français par le mot dérivé du grec, Théodore; le premier signifie exactement: don de l'Éternel ; le second : celui que Dieu donne. 
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