Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

JÉSUS CHEZ MATTHIEU

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De tout temps et en tout pays on a célébré les événements heureux de la vie par des banquets. En Orient plus qu'ailleurs on restait ainsi la plus grande partie du temps à table, et amis et passants pouvaient même prendre part au festin. Voilà qui nous explique ce qui se passa au banquet offert par Matthieu au Christ, à qui il voulait, par là, témoigner sa reconnaissance, et à ses anciens amis, à qui il tenait à donner une preuve sensible et décisive de sa conversion. Il pensait pouvoir en même temps leur fournir une occasion d'entendre l'Évangile, sachant qu'il est souvent difficile d'atteindre et d'évangéliser surtout ses amis.

En invitant à sa table des péagers; il veut mettre immédiatement en pratique l'enseignement de son Maître qui, au grand scandale des juifs, proclame qu'il n'est pas venu pour ceux qui sont en santé mais pour les malades, non pour les justes mais pour les pécheurs. Comme la mère qui, parmi ses enfants, fait du plus chétif ou de l'infirme l'objet de sa prédilection et de ses soins affectueux et dévoués, Jésus s'attache aux plus petits, aux plus humbles, à ceux que la fortune semble avoir méconnus ou oubliés.

On parlait beaucoup par avance à Capernaüm de ce grand festin auquel Jésus devait assister et où Matthieu n'aurait pour convives que des invités de sa condition. Aussi les pharisiens avaient comploté entre eux de faire à cette occasion une manifestation qui troublerait la joie intempestive de ces gens de rien, dignes du mépris public.

Au jour convenu, les pharisiens, dont le courage moral était loin d'égaler le patriotisme ou le formalisme religieux, se rendent dans la maison de Matthieu où il y avait table ouverte. Mais au lieu de parler au Christ, dont ils connaissent pour en avoir fait déjà la cuisante expérience, la parole accusatrice et vengeresse, brûlant la conscience comme un fer chaud sur une plaie vive, ils reprochent aux disciples la conduite du Maître, afin d'ébranler leur confiance et de les détacher de lui. Ils font indirectement un crime au Sauveur, en présence de ces péagers, de manger avec la lie du peuple. Et les disciples gardent le silence. Il faut que le Christ prenne lui-même la parole et ferme la bouche à ces pharisiens hypocrites et orgueilleux. Bien plus, les disciples du Baptiste approuvent et confirment l'accusation des pharisiens. Les uns lui reprochent sa compagnie, les autres sa nourriture. Au fond ils s'accordent tous à repousser une doctrine qui proscrit le formalisme et prescrit la charité.

Jésus va se justifier en vengeant l'Évangile des reproches des pharisiens et des accusations des disciples de Jean par deux phrases qui résument sa doctrine et nous montrent ce que doit être toute vie chrétienne: « je prends plaisir à la miséricorde et non au sacrifice. On ne met pas une pièce de drap neuf à un vieil habit, ou du vin nouveau dans de vieilles outres. »

Dans le christianisme, le sacrifice n'est rien sans la miséricorde, le culte sans l'amour, la piété sans la charité. Aussi saint Paul a-t-il raison de dire, « qu'offrirait-on son corps pour être brûlé, si l'on n'a pas la charité, cela ne sert de rien. » Quel est en effet le trait distinctif de la vraie religion? Est-ce le culte, la prière, les cantiques, la piété même? Non, mais le pardon, la miséricorde, l'amour. Donner tout à Dieu sans s'offrir soi-même, c'est lui tout donner pour lui tout reprendre. S'il fallait choisir, mieux vaudrait encore la miséricorde sans le sacrifice, la charité sans la piété, que le sacrifice sans la miséricorde, la piété sans la charité? Mieux vaut cent fois avoir à faire à un incrédule qu'à un faux dévot!

Les pharisiens, qui osent ici blâmer Jésus, observaient strictement les prescriptions du culte lévitique et négligeaient les plus élémentaires devoirs de la piété. Ils pensaient que Dieu pouvait tenir pour agréables les sacrifices offerts par des hommes qui ne mettaient pas en pratique les devoirs de la charité. Hélas! que de pharisiens parmi nous! Que de chrétiens qui pensent en assistant au culte, en participant parfois à la sainte Cène, avoir rempli tous leurs devoirs religieux et qui négligent de secourir les pauvres, de visiter les malades, en s'affranchissant ainsi de « la pénible obligation » d'aimer leurs frères ou de leur faire du bien! Ils pensent que la prière dispense de l'amour et le formalisme de la piété véritable. Mais, chrétiens formalistes, Dieu a votre culte en abomination, car vous adorez des lèvres et votre coeur est fermé à la compassion. Laissez le prêtre et le lévite monter à Jérusalem pour y célébrer un culte stérile et suivez le bon Samaritain sur le chemin solitaire où il va secourir un de vos frères victime de la méchanceté des hommes.

Les disciples de Jean n'avaient pas mieux compris que les pharisiens l'originalité et la puissance de l'Évangile. Tandis que les pharisiens faisaient consister toute la vertu dans le mépris du pauvre ou du péager, eux limitaient la religion aux pratiques extérieures.

Jésus leur montre par deux paraboles que son oeuvre ne comporte aucun alliage, ni aucun syncrétisme religieux. Pour leur faire comprendre que le jeûne, imposé par le Baptiste à ses disciples, n'était qu'une obligation temporaire, n'ayant en soi aucune valeur morale ou religieuse, il emploie une image dont s'était servi en les exhortant le Précurseur lui-même (Jean, III, 29) et par laquelle il déclare le jeûne inutile à qui possède Jésus-Christ. « Les amis de l'époux peuvent-ils s'affliger pendant que l'époux est avec eux? »

Par là, Jésus condamne la tristesse, qui semble le trait caractéristique de certains chrétiens prétendant vivre en communion avec Christ et qui, par leur christianisme morose, paraissent, au lieu de posséder la joie du salut, porter toujours le deuil d'un Christ mort et semblent oublier qu'il est ressuscité ! Quand ils ont regardé dans le sépulcre ils n'ont vu que les larmes des saintes femmes, et n'ont pas aperçu les anges annonçant que le Christ était vivant. Ces chrétiens essaient, et c'est là ce que Jésus leur reproche, « de coudre une pièce de drap neuf à un vieil habit, de mettre du vin nouveau dans de vieilles outres », se figurant que la religion du Christ peut s'accommoder des compromis ou des calculs de notre égoïsme. Il est impossible d'enfermer la religion de l'esprit dans les cadres d'un culte littéraliste et d'unir une doctrine d'amour et de pardon à une vie égoïste et terre à terre.

Nous n'avons pas le droit de prendre de l'Évangile ce qui convient aux désirs bornés de notre coeur et de négliger ce qui nous déplaît ou nous rebute en conformant notre vie aux préceptes faciles ou commodes et en rejetant les plus pénibles.

Jésus n'est pas venu pour nous aider à ressusciter et à vivifier le vieil homme atteint par la chute et désorganisé par le péché, mais il est venu pour le détruire et faire naître sur ses ruines l'homme nouveau, l'homme régénéré.

On n'accepte pas l'Évangile par fragments ou par lambeaux. La robe du Christ est une robe sans couture. On reçoit Jésus-Christ tel qu'il est et sa doctrine telle qu'il nous la présente. C'est là ce que fit Matthieu. A l'appel du Christ, il n'hésita pas un instant à le suivre, sachant qu'hésiter, c'est être vaincu.


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L'APOTRE JEAN

Jean, l'apôtre « que Jésus aimait », était originaire de la Galilée et exerçait avec son frère Jacques et leur père Zébédée le métier de pêcheurs. Ils devaient sans doute habiter quelque village situé au bord du lac de Génézareth. Sa mère s'appelait Salomé. Toute cette famille vivait du fruit de son travail et formait, avec Simon Pierre, une sorte d'association pour exercer ensemble le commerce de la pêche.

Son père dut mourir de bonne heure, car Salomé n'eût pu sans cela accompagner ses fils à la suite de Jésus et s'établir avec eux a Jérusalem. Aussi, à sa mort, le Maître confia-t-il sa mère à ce disciple qui la recueillit avec lui, dans sa maison.

Jean avait pour frère Jacques, disciple du Seigneur et qui fut de bonne heure décapite par Hérode Agrippa. Il est probable qu'ils n'avaient pas reçu l'un et l'autre une grande instruction, puisque les juifs les appelaient par ironie des hommes « incultes et sans lettres ».

L'apôtre Jean fut amené au Christ par Jean Baptiste, et ne passa auprès de Lui qu'une Journée complète, après laquelle il revint à ses occupations ordinaires. Il ne s'attacha définitivement au Sauveur comme apôtre que lorsqu'il eut reçu une seconde vocation, après la pêche miraculeuse. Dès lors, il ne quitte plus Jésus et devient avec Jacques et Pierre un des disciples intimes du Maître, les seuls à qui le Christ permit d'être témoins de la résurrection de la fille de Jaïrus, d'assister à sa transfiguration et de veiller avec Lui à Gethsémané. Parmi ces trois disciples Jésus semble s'être plus particulièrement attaché à Jean. Tous trois, étroitement unis à leur Maître et profondément dévoués à sa cause, semblent avoir eu le même caractère.

Ils ont mérite les uns et les autres, à cause de leur zèle religieux et de leurs saintes colères, le titre de « fils du tonnerre ». Jean, d'après les synoptiques comme d'après le quatrième évangile, semble avoir été doué d'une nature énergique reculant devant les hésitations ou les compromis. Un jour, lui, à qui l'oeuvre de Jésus tenait tant à coeur, propose à son Maître de faire descendre le feu du ciel sur une bourgade incrédule. Une autre fois, il s'oppose à ce qu'un homme qui n'avait pas pris rang parmi ses disciples, chasse les démons en son nom, La véracité de ces récits est confirmée par quelques passages de ses écrits, comme ceux-ci : « Celui qui ne croit pas au Fils ne verra point la vie; la colère de Dieu demeure sur lui; il est déjà jugé et doit être jeté au feu. »

Dans son Évangile il divise l'humanité en deux camps : les enfants de Dieu et les enfants du diable, aussi opposés entre eux que la lumière et les ténèbres. Avec cela, une profonde humilité qui le porte à se cacher sous le voile de l'anonyme et à se désigner par le titre du « disciple que Jésus aimait ». Ses contemporains ne pouvaient pas s'y tromper et ils reconnaissaient ainsi en lui celui qui, à la veille de la mort de Jésus, était penché sur son sein et à qui Il remit en mourant le seul trésor qu'Il possédât sur la terre, sa pauvre mère.

On doit donc renoncer à faire de Jean un disciple timide, efféminé, n'ayant aucune des qualités qui constituent un homme capable d'entreprendre une oeuvre de propagande et d'évangélisation. Les récits du livre des Actes protestent contre cette opinion. Sans doute, il laisse souvent parler Pierre à sa place, mais il ne joue pas un rôle moins actif. Avec lui, il prend part à la guérison d'un paralytique et prêche l'Évangile à la foule. Arrêté et jeté en prison, il montre une assurance qui étonne ceux qui l'entendent et il prononce à cette occasion cette parole hardie : « Jugez s'il est juste de vous obéir plutôt qu'à Dieu ?»

Vingt ans environ après la mort du Christ, nous retrouvons Jean à Jérusalem, occupant une place importante à côté de Jacques et de Pierre. De là, il se retira en Asie Mineure, où il continua l'oeuvre commencée par l'apôtre Paul et où il mourut à un âge fort avancé, sans doute dans les dernières années du premier siècle. En effet, si nous supposons que Jean avait dix ans de moins que Jésus, il devait avoir à la mort de son Maître de vingt à vingt-cinq ans, et lors de la guerre juive en l'an 66, au moment où il quitta Jérusalem, il devait avoir une soixantaine d'années. Pour peu qu'il soit resté en Asie Mineure, il est fort probable qu'il dut y mourir fort avancé en âge. C'est, du reste, ce que nous pouvons conclure du bruit qui se répandit dans l'Église, et qui avait encore quelque consistance au temps de saint Augustin, que cet apôtre ne mourrait pas. On croyait, en effet, d'après une parole de Jésus, mal comprise, qu'il vivrait jusqu'à la seconde venue du Christ. Tout ce qu'on raconte sur son exil à Pathmos est du domaine de la légende et repose sur un passage mal compris de l'Apocalypse, auquel on a donné à tort un sens réel.

Pendant les dernières années de sa vie Jean rédigea son Évangile pour amener ses lecteurs à croire en Jésus-Christ comme Messie et comme Sauveur. Pour cela, il choisit parmi ses souvenirs ceux qui étaient de nature à confirmer sa thèse. Aussi a-t-on l'impression en le lisant qu'il n'écrit pas seulement pour raconter mais pour prouver, non pour intéresser mais pour convaincre, non pour provoquer l'admiration mais pour amener à la Foi. Il y fut poussé par les autres disciples et il entreprit, pour répondre à leur désir, de composer un livre, dont le centre devait être la personne même du Christ. Si les synoptiques avaient raconté ce qu'Il fit, celui-là nous raconte ce qu'Il fut; aussi, a-t-on pu dire de ce livre qu'il était le « coeur même de Jésus », et, peut-on ajouter, que celui qui l'a le mieux connu, nous l'a fait le mieux connaître.


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L'APOTRE THOMAS

(JEAN XX, 24-29.)

Cet apôtre comme la plupart de ceux qui formaient le collège apostolique avait reçu un surnom. On le nommait « le jumeau », en grec Didyme, en hébreu Thomas. Les Évangiles ne le désignaient même que par ce surnom. Ils semblent en faire un frère de Matthieu et par là même un fils d'Alphée.

Les quelques paroles qui nous ont été conservées de ses entretiens avec le Maître suffisent pour que nous puissions reproduire, d'une façon précise, la physionomie' et le caractère de cet apôtre. Ce portrait ne sera peut-être pas en tous points conforme à celui que la tradition nous a laissé. Bien loin en effet de nous faire voir en Thomas le type de l'incrédule, il nous montrera le chemin que doit nécessairement suivre l'homme au coeur droit pour arriver à la foi.

Jésus ne s'est jamais trompé sur les véritables sentiments de cet apôtre. Il le savait ardent, enthousiaste, non à la façon d'un Pierre qui, après avoir tire l'épée pour défendre bon Maître, n'hésita pas à le renier, mais comme peut l'être un homme qui, prêt à mourir pour sa foi, exige auparavant qu'elle repose sur une base inébranlable. Thomas ne se contente pas des preuves qui suffisent à Pierre, car il sait le peu de valeur d'une foi toute intellectuelle. Du reste l'exemple de Pierre suffit pour le mettre en garde contre tout emballement. Si l'on croit sans raisons suffisantes, on risque de nier sans motifs apparents.

Certes Thomas a été plus lent à croire que Pierre, mais qui l'en blâmerait? Depuis qu'il connaît le Christ, son intelligence n'est pas conquise, mais son coeur est gagné. Aussi s'il ne croit pas encore au Messie, il suit et il aime l'Ami des péagers et des pécheurs. Peut-être ne comprend-il pas la portée de son oeuvre, mais il est gagné en tout cas par sa beauté. Au moment où les autres disciples, craignant pour leur vie, seraient prêts à abandonner leur Maître aux mains des juifs, qui le cherchent pour le faire mourir, Thomas n'écoutant que son coeur, s'écrie : « Allons aussi et mourons avec lui. » Cette parole serait-elle jamais sortie de la bouche d'un incrédule?

Qu'on renonce donc une fois pour toutes à faire du nom de Thomas le synonyme d'incrédulité. L'incrédule est l'homme qui ne veut pas croire, parce qu'il craint que sa foi ne transforme sa vie. Le douteur, qu'il faut avoir bien soin de distinguer du sceptique, est au contraire l'homme qui ne peut pas croire, mais qui est bien décidé, le jour où il trouvera pour croire des raisons suffisantes, à laisser sa foi agir sur sa vie.

Tandis que l'un prend aisément son parti de son ignorance et de son incrédulité, l'autre fait des efforts pour arriver à la vérité et triompher de son doute. Alors que la plupart du temps l'incrédule nie, en ajoutant pour cela foi à autrui, le douteur repousse également la foi d'autrui et les négations dont on fait un credo ; il cherche et doute pour aboutir à des convictions personnelles.

Ainsi agit Thomas. Aussi, en vertu de la promesse du Christ: « Cherchez et vous trouverez », il est parvenu enfin à la foi.

Bien loin de se contenter, comme les autres disciples, de comprendre à demi ou de se dispenser de découvrir le sens des paroles énigmatiques du Maître, Thomas l'interroge. « Vous savez où je vais et vous en connaissez le chemin », dit un jour Jésus. Les disciples qui ignorent le sens et la portée de cette déclaration, ne demandent pas d'explications, seul, Thomas avoue son ignorance et désire savoir exactement où va le Christ et quel est le chemin qu'il doit suivre. Un incrédule montrerait-il un tel désir de s'instruire?

La réponse du Sauveur: « Je suis le chemin, la vérité et la vie », est la récompense magnifique de son ardent amour de la vérité. Grâce à lui, l'Église chrétienne a pu recueillir et conserver l'une des plus sublimes paroles qui soient sorties de la bouche du Maître.

Thomas devait longtemps encore lutter et souffrir pour fortifier sa foi. Tant que Jésus était vivant, son amour pour lui le préservait de toute défaillance. Mais le jour où le Saint et le juste est mis en croix, le doute envahit son âme et l'emporte sur l'amour. Aussi abandonne-t-il ses amis pour aller pleurer seul et à l'écart ses espérances évanouies. Sans doute il voudrait croire, mais en descendant au sépulcre, Jésus a emporté avec lui le coeur et la raison de Thomas. Désormais, la lutte est inutile. La mort du Maître n'est-elle pas la défaite du disciple?

Si Thomas, isolé dans sa douleur, n'eût pas quitté les autres disciples, il eût été le témoin de l'apparition de Jésus dans la chambre haute. Sa résurrection eût été, pour lui, la confirmation de son enseignement et de sa prophétie.

Ceux qui en ont été les témoins auront beau lui raconter et garantir ce miracle, sans mettre en doute leur bonne foi, il réclamera pour lui les mêmes privilèges et les mêmes expériences. Pourquoi serait-il moins favorisé qu'eux? S'ils ont vu le Christ, pourquoi serait-il seul à ne pas le voir? Est-ce parce qu'il l'aime moins ou parce qu'il en est moins aimé?

Thomas veut, lui aussi, être le témoin de la résurrection du Christ. Il ne nie pas qu'il soit ressuscité, mais il veut le voir de ses yeux, le toucher de ses mains. « Si je ne vois », dit-il - cette parole est déjà un acte de foi - et non pas « quand même je verrai», qui serait la parole de l'incrédule.

Jésus condescend à proportionner son amour à ce doute sincère et à ces exigences. Il lui dit dans les termes mêmes dont cet apôtre s'est servi et dans le même ordre qu'ils avaient dans la réponse qu'il fit aux disciples : « Mets ton doigt dans la place des clous, avance aussi ta main... » On est porté a croire que le Maître dut faire une douce violence a son disciple confus et tout rougissant de son doute, et lui prendre la main pour forcer Thomas, par une preuve matérielle et irréfutable, à croire à sa résurrection. Aussi Jésus lui dit-il, sans blâmer les exigences de sa raison et de son coeur, non comme traduisent certaines de nos versions bibliques : « Ne sois plus incrédule », mais « Ne deviens pas incrédule, mais croyant ».

Pour moi je me garderai bien de blâmer tant d'exigence. S'il veut croire, il veut savoir pourquoi. Grâce à lui nous avons de la résurrection une des preuves les plus éclatantes et les plus convaincantes.

Sans doute le Christ proclame heureux ceux qui croient sans voir, car la foi leur fait découvrir de plus grandes choses que la vue - mais il ne condamne pas ceux qui, comme Thomas, ne veulent se laisser vaincre et convaincre que par l'évidence.

La foi n'est pas une conviction de l'intelligence, mais une décision de la volonté. La racine du doute n'est pas tant dans l'esprit que dans le coeur. On ne croit pas, non parce qu'on ne comprend pas l'Évangile, mais parce que, le comprenant, on ne veut pas par la foi le réaliser dans sa vie. La est la source de l'incrédulité. Les incrédules perdraient trop à croire. A leur manière ils proclament la sainteté et la puissance de cet Évangile, qui les accuse et les condamne, parce qu'il est la vérité et l'amour.

Thomas n'était pas de ces natures égoïstes, qui ne veulent pas accepter la foi chrétienne, parce que cette foi devrait changer leur vie.

Ayant de bonne heure suivi le Christ, il avait fait volontiers le sacrifice de sa tranquillité. Sa foi n'aurait fait que confirmer et fortifier son amour pour son Maître. Mais il veut voir lui-même Christ vivant.

Ayons les mêmes exigences. Comme aux disciples, comme à Thomas, comme à Paul, il faut que Christ nous apparaisse et qu'il nous apparaisse crucifié. Dans ses meurtrissures nous verrons notre guérison et notre salut.

Le doute de Thomas est un doute bienfaisant. Il nous fait plus de bien que la foi de Pierre, parce qu'il n'a été qu'une étape temporaire vers une foi définitive. Heureux l'homme qui passe par le doute sincère pour arriver à la foi ferme, virile, inébranlable. On vit trop longtemps pour ne jamais douter, mais on vit trop peu pour douter toujours.

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