Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES FEMMES DE L'ÉVANGILE

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Si à la mort du Christ on ne voit autour de la croix que lâcheté, trahison, perfidie, il est bon de détourner quelques instants nos yeux de la foule ou des apôtres, pour les reporter sur un petit groupe de femmes qui furent les premières et les plus fidèles parmi les premiers disciples du Christ.

Ces femmes n'eurent pas, en effet, besoin, comme les autres, d'attendre l'envoi du Saint-Esprit pour comprendre les mystères du royaume des cieux et reconnaître en Jésus le Fils de Dieu. Dès les premiers jours de son ministère, elles s'attachèrent à lui, consacrant à sa cause toutes leurs ressources, et furent des lors les premières à le suivre de ville en ville et à confesser courageusement leur espérance et leur foi.

Dans ce groupe de femmes croyantes, amies et bienfaitrices du Sauveur, dont nous admirons la foi, l'amour et le courage, nous trouvons d'abord Marie, sa mère; Marie, mère de Jacques, et Marie-Madeleine Jeanne, femme de Cuza l'intendant d'Hérode; Salomé, la mère des deux Zébédaïtes, et Suzanne.

Ces femmes, sans avoir reçu de vocation directe comme les disciples, avaient tout quitte pour suivre Jésus, et lui avaient tout apporté, ne possédant plus rien qui leur appartint en propre; elles avaient verse le produit de leurs biens et leurs économies dans la bourse commune, avec laquelle on devait pourvoir aux besoins de la petite communauté et aux soins des pauvres. Sans doute elles n'ont pas elles-mêmes prêché l'Évangile, mais par leurs dons elles ont permis aux apôtres de se consacrer tout entiers à la prédication.

Les premières auprès du Christ, au jour où il inaugura son ministère, elles restèrent les dernières au pied de sa croix, à l'heure de son supplice, attestant ainsi aux yeux des juifs incrédules leur foi en ses paroles et leur amour pour lui. On les retrouve de bon matin auprès du sépulcre vide, portant des aromates pour embaumer une seconde fois le corps de leur Maître bien-aimé, et elles sont les premiers témoins de sa résurrection. Associées à ses souffrances, ne devaient-elles pas être associées à son triomphe?

Ces femmes se sont les premières attachées à Jésus, reconnaissant en lui leur Sauveur, grâce au sûr instinct de leur coeur aimant, qui leur a révélé la vérité. Aussi est-ce à l'égard des femmes que, d'après l'Evangile, Jésus s'est montré le Sauveur le plus tendre et le plus compatissant.

Voyez les femmes pardonnées, par le Christ. D'abord, c'est une pauvre Samaritaine, ignorante et coupable, qu'il instruit et qu'il relève, après avoir éveillé dans son âme la soif de la vérité. Il lui révèle le mystère de son origine, que n'auraient pas compris ses disciples, et s'offre à elle comme le Messie. Dans le temple, des Pharisiens lui amènent une femme coupable d'adultère. Saisi à son égard d'une douloureuse compassion, il renvoie libre l'accusée et, d'un mot, met en fuite ses accusateurs. A un banquet, une pécheresse, dont parlait toute la ville, à cause de sa vie de désordre, vient s'asseoir derrière lui malgré le regard orgueilleux et méprisant de l'hôte, et, après avoir arrosé les pieds du Maître de ses larmes et les avoir essuyés avec ses cheveux, peut s'en retourner pardonnée; Jésus la propose même en exemple au pharisien qui le reçoit.

Voyez les femmes louées par le Christ. Elles sont trois encore qui peuvent, elles aussi, nous servir de modèles par leur charité, leur foi et leur amour. C'est une pauvre femme, que nous ne connaissons pas autrement que par la louange que Jésus fait de sa charité, ayant vu que, tandis que les autres juifs donnaient de leur superflu, elle avait donne de son nécessaire. C'est une cananéenne, dont la grande foi lui permet d'arracher au Sauveur d'Israël, bien, que païenne, une précieuse guérison. Ou enfin, c'est une femme malade depuis douze ans, qui, dans sa simplicité, est assurée qu'il lui suffit de le toucher pour qu'aussitôt elle soit guérie, et dont Jésus admire la foi naïve et le profond amour.

Voyez encore les femmes reprises par le Christ. Ses reproches eux-mêmes sont empreints de la plus grande charité. Envers ces trois femmes qu'il doit reprendre au sujet de leurs idées fausses sur lui-même, sur leurs fils ou sur leur frère, il montre une touchante sollicitude à rectifier leurs préjugés ou leurs erreurs. Un jour, une femme du peuple, en présence des ennemis de Jésus, qui l'accusaient de chasser les démons par Belzébuth, s'écrie dans son admiration pour le Sauveur : « Heureuses les entrailles qui te portèrent! » proclamant le bonheur d'une mère de posséder un tel fils. Jésus la reprend, en lui montrant que la joie de la mère peut être dépassée par la joie du disciple. La mère des deux Zébédaïtes, Jacques et Jean, le savait bien, puisqu'elle demandait pour ses deux fils une faveur spéciale. Mais Jésus découvrant encore dans ce coeur des traces d'égoïsme, lui montre que l'amour vrai est synonyme de confiance et d'humilité et que celui qui, à ses propres yeux, ne mérite que la dernière place sur la terre, est seul digne du premier rang dans le royaume des cieux. Pour obtenir une pareille récompense, le Sauveur montre à Marthe, de Béthanie, sans la blâmer de sa délicate sollicitude à son égard, que les oeuvres les plus belles peuvent parfois troubler la communion du fidèle avec Jésus et que la seule chose nécessaire est de vivre près de lui, avec lui.

Voyez, enfin, les femmes consolées par le Christ : l'une pleure un fils, les autres pleurent un frère. La veuve de Naïm accompagne le cercueil de son enfant; Jésus, touché de sa douleur, la console par ces mots : « Ne pleure pas », et parlant au mort, il lui ordonne de se lever. Lazare, son ami, est mort. Jésus attend trois jours et, quand il se rend à Béthanie, il console ses deux soeurs en ressuscitant leur frère.

Jésus, en pardonnant, louant, consolant les femmes, nous a montré combien il portait d'intérêt à ce sexe si indignement traite par l'antiquité, combien elles étaient dignes de son admiration, capables de comprendre ses reproches et surtout de sentir l'épreuve et le deuil. Notre Sauveur a ainsi réhabilité la femme.

Parmi ces disciples, ce sont les femmes qui, par leur piété, leur amour et leur foi, ont le plus fait pour le Maître. Si, parmi les apôtres, il a pu se trouver un traître, à l'heure où le Christ était condamné, une femme, une païenne, la femme de Pilate, en proclamant l'innocence de Jésus, a montre une fois de plus que c'était parmi les femmes que le Sauveur recrutait toujours ses meilleurs disciples.


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MARTHE DE BÉTHANIE

(Luc X, 38-42.)

Marthe était l'aînée de cette famille de Béthanie, où Jésus aimait aller goûter quelque repos. La maison ou elle demeurait avec sa soeur Marie et son frère Lazare lui appartenait. Cette famille jouissait d'une certaine aisance si nous en jugeons par « le parfum de grand prix » conservé pour embaumer les corps des membres de la famille.

Leur maison était appelée la maison de Simon le lépreux, le mari de Marthe, qui, devenue veuve, y avait recueilli son frère et sa soeur (1) C'est là que Jésus descendit après la mort de Lazare, et c'est là qu'eut lieu son onction par Marie. Ce Simon était sans doute un des malades guéris par Jésus et qui, après sa guérison, avait conserve le surnom de lépreux.

Marthe cumulait les soucis du ménage et les soins de la maison. Aussi c'est elle qui reçoit Jésus et prend les mesures nécessaires pour qu'il soit traité comme il le mérite. A peine est-il entré sous son toit, que sans même l'interroger sur sa santé ou son ministère, elle se met en hâte à préparer le repas pour le Maître et pour ses disciples. Inquiète, agitée, craignant de ne pas faire assez ou de le faire mal, elle en vient à oublier qu'elle a comme hôte le Sauveur, qui a plus à donner qu'à recevoir. Puis regrettant tout de même de n'avoir pas sa part de l'entretien du Maître avec sa soeur et ses disciples, elle s'impatiente et lui fait presque un reproche de ne pas obliger Marie à donner un coup de main. Jésus, dont la nourriture était de faire la volonté de son Père et qui envoyait ses disciples acheter pour eux des vivres, alors qu'il restait lui-même sans rien prendre, lui fait comprendre que, s'il est bon de prendre soin du corps, il est surtout nécessaire de nourrir son âme du pain de vie et que c'est même « la seule chose nécessaire ».

Si Marthe se plaint de sa soeur, ce n'est pas par égoïsme, mais par amour pour Jésus qu'elle voudrait bien recevoir. Car elle aime le Sauveur autant que peut l'aimer Marie, bien qu'elle lui témoigne son amour d'une manière différente. Égal en intensité et en nature, son amour ne diffère que par ses manifestations extérieures. Aussi Jésus n'a pas de préférence pour Marthe ou pour Marie; il les aime également, chacune pour ses qualités, toutes deux pour leur profond amour. Elles ont reconnu en lui le Messie, le Fils de Dieu, leur Sauveur et seraient prêtes à donner pour lui leur vie. Marie ne mérite donc pas d'être exaltée aux dépens de Marthe. Elle veut témoigner son amour à Jésus par son activité, comme Marie essaie de le faire par son attention et son silence.

Voir dans les paroles que Jésus adresse à Marthe un blâme à son égard serait se tromper étrangement. Autant vaudrait dire que le Seigneur exige qu'on sacrifie les oeuvres à la méditation, l'activité à la piété. Les deux choses sont excellentes; mais les oeuvres sont stériles sans la foi. L'activité sans la piété est vaine. La piété seule chose nécessaire, c'est la foi ou la piété, se traduisant par le recueillement et la prière, source et inspiration de toutes les oeuvres chrétiennes.

Jésus n'a pas blâmé ce qu'a fait Marthe pour le recevoir, mais a donné la préférence à ce que faisait Marie. Chaque chose en son temps. Sans doute, il fallait préparer le repas pour Jésus et ses disciples, mais le soin des âmes devait passer avant le souci des corps, D'abord prier, puis manger. Jésus ne condamne pas les oeuvres de charité, il nous apprend seulement qu'elles cessent d'être bonnes, lorsqu'elles nous font perdre de vue ou négliger notre propre salut.

Certaines femmes chrétiennes semblent d'autant plus empressées au service des autres, qu'elles redoutent davantage de se trouver en tête à tête avec elles-mêmes ou avec Dieu. Elles s'occupent pour n'avoir pas à penser. On les voit rechercher la foule, l'agitation, les ventes ou les fêtes de charité, les visites aux pauvres et aux malades pour fuir ou éviter une rencontre avec leur conscience. Elles donnent aux pauvres tout le temps dont une part revient à Dieu.

Si Jésus leur parlait, il ne les blâmerait pas de faire le bien, mais leur montrerait qu'on ne peut donner que ce qu'on a reçu et que, pour que nos oeuvres soient bénies, il faut que nous en ayons puise l'inspiration aux pieds du Sauveur. Écoutons d'abord sa parole pour agir, et que l'activité fiévreuse, inquiète, de notre siècle ne nous empêche pas de trouver quelques instants pour nous recueillir et écouter.

Marthe est une femme pieuse, mais elle met sur la même ligne les soins du ménage et la piété. Elle veut tout faire marcher de front. Elle est disposée à écouter Jésus tout en faisant autre chose, car pour elle tout est nécessaire.

Bien des femmes chrétiennes pensent comme Marthe. Elles croient pouvoir concilier les obligations mondaines avec les devoirs de la piété, aller au temple et aller au bal, ou aller au temple comme on va au bal, avec les mêmes toilettes, ou peu s'en faut, et écouter le prédicateur en pensant à la visite à faire, à la soirée à donner... Elles s'imaginent pouvoir servir à la fois Dieu et le monde, et concilier avec le service de Dieu les tyranniques exigences de la vie mondaine.

Que de femmes se croient pieuses, parce qu'elles passent leur temps à courir de comités en comités, de réunions en réunions! Sans doute, elles ont le désir louable de faire du bien, mais le meilleur de leur âme s'exhale au dehors. Leur coeur se vide, se dessèche et, pour peu que leur provision d'huile sainte soit maigre, la lumière qui les a éclairées un instant vacille et s'éteint.

Marthes, Marthes, vous vous agitez et vous inquiétez pour bien des choses! Laissez-moi vous demander où sont, pendant que vous êtes, le jour, dans les comités, et, le soir, dans des réunions d'édification, votre mari ou vos enfants? S'ils sont avec vous, tant mieux, Dieu soit béni; mais s'ils sont ailleurs, ne pensez-vous pas qu'il vaudrait peut-être mieux, au lieu de venir prier pour eux, seules dans les réunions, essayer de prier avec eux à la maison et les y retenir?

Marthes chrétiennes, qui êtes si actives, si dévouées, si charitables, n'oubliez pas, avant d'agir, de vous recueillir et d'écouter le Maître. Travaillez, mais priez. Priez pour pouvoir travailler et travaillez pour que la prière puisse porter ses fruits. Votre action sera d'autant plus efficace que vous serez plus longtemps restées auprès de votre Sauveur.


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MARIE DE BÉTHANIE

(JEAN XI, 1-46.)

Marie, la soeur de Marthe et de Lazare, a été souvent présentée, bien à tort, comme l'idéal de la femme chrétienne et celle des deux soeurs que Jésus préférait. Les paroles de Jean nous permettent de déclarer que le Sauveur les aimait également, puisqu'il dit en parlant d'elles Jésus aimait Marthe et Marie et Lazare (2)

On a fait pour Marthe et Marie ce qu'on avait fait pour les apôtres Pierre et Jean, en poussant jusqu'au contraste leur différence de caractères. Sans doute, Marie est d'une nature mystique et contemplative, mais elle sait agir quand il le faut, et ses actes nous paraissent d'autant plus beaux qu'ils sont plus réfléchis. Marie, qui écoute, assise et recueillie, les enseignements du Sauveur, est la même qui brisera plus tard à ses pieds un vase d'albâtre plein d'un parfum de grand prix. Chez elle, comme chez l'apôtre Jean, le penchant au mysticisme n'excluait pas la décision. Marthe, elle, ressemblait à Pierre par sa nature exubérante, primesautière, et elle proclama dans les mêmes termes que cet apôtre la divinité du Christ.

La première fois que les soeurs de Lazare eurent le privilège de recevoir sous leur toit Jésus et ses disciples, elles ne savaient comment témoigner assez leur reconnaissance. Toutes deux durent songer à leur préparer un repas. Marthe se montrait inquiète, agitée; Marie était, au contraire, calme, heureuse. Jésus s'entretenait avec ses disciples. Marie, tout en s'occupant du repas, s'approchait toujours plus du Maître, jusqu'à ce qu'attirée, subjuguée par cette parole divine, elle se trouva tout à coup assise aux pieds de Jésus. Sa soeur, absorbée par son travail, ne s'aperçut pas d'abord de son absence, mais craignant de faire trop attendre, elle va, elle vient et découvre enfin sa soeur au milieu des disciples, attentive à recueillir les divins enseignements du Maître.

Est-ce à dire que Marie soit moins active que Marthe, parce qu'elle est moins agitée? En présence de Jésus, elle pense qu'elle a moins à donner qu'à recevoir. L'essentiel n'est pas tant d'agir, que de choisir le bon moment pour l'action. Agir quand il faudrait prier ne vaut pas mieux que de prier quand est venu le moment d'agir. Marie le sait bien. Aussi veut-elle mettre à profit le temps que Jésus passe chez elle pour se recueillir et pour l'écouter.

Certainement, Jésus n'a pas quitté Béthanie sans dîner et je suis volontiers porté à croire que Marie, après avoir écoute le Maître, donna un coup de main à sa soeur pour préparer le repas. Mais elle savait faire chaque chose en son temps.

Jésus ne condamne pas la conduite de Marthe, car si nous avons à recevoir, il sait que nous devons aussi donner. Mais il veut que nous y apportions du tact et de la mesure, que nous sachions être actifs sans être agités, et que nous ne parlions pas ou n'agissions pas quand ce serait le moment de nous taire et d'écouter. Les oeuvres sont aussi nécessaires que le recueillement, mais celui-ci doit toujours précéder celles-là. Marie sera d'autant plus capable d'accomplir une bonne oeuvre (Marc, XIV, 7), le moment venu, qu'elle se sera plus longtemps recueillie. Aussi Jésus la loue-t-il d'avoir en cette circonstance « choisi la bonne part » par rapport à sa soeur. Elle a fait en ce moment ce qu'il y avait de mieux à faire : s'asseoir et écouter Jésus Non que Marthe fasse mal, mais la part qu'elle a choisi n'est pas la bonne. Elle y perd au lieu d'y gagner. Marie, au contraire, a tout profit à écouter Jésus et ce qu'elle reçoit ainsi ne lui sera jamais ôté.

L'activité fiévreuse de Marthe compromet sa piété, tandis que l'activité calme et mesurée de Marie se retrempe dans le recueillement. Nous le verrons à la mort de Lazare. L'une toujours en mouvement, se résignera avec peine; l'autre, en l'absence de Jésus, acceptera cette mort sans murmurer. Tandis que le délai mis par le Sauveur à se rendre à l'appel des deux soeurs provoquera le doute dans le coeur de Marthe, il n'ébranlera pas la confiance de Marie. A son arrivée, elles prononceront les mêmes paroles, mais l'accent sera différent. Jésus devra rappeler à Marthe qu'elle est en présence du Fils de Dieu, pour provoquer et raffermir sa foi ébranlée, tandis que, devant la foi de Marie, il accomplira aussitôt son miracle.

Marthe est aussi agitée par la douleur que par la joie. A la mort de Lazare, elle ne tient pas en place et sans respect des convenances, dès qu'elle aperçoit Jésus, elle court à sa rencontre. Puis elle revient pour prévenir avec ménagement et, à l'oreille, sa soeur, dont elle connaît la nature impressionnable, afin de ne pas lui causer une trop vive émotion et ne pas hâter la brusque sortie des invités ou des amis. Mais ceux-ci croient deviner le motif du départ de Marie dont les pleurs redoublent et veulent l'accompagner au sépulcre.

Dès que Marie rencontre le Christ, elle se jette à ses pieds en sanglotant (Jean XI, 33). La voyant pleurer ainsi, il est ému à son tour et se met à pleurer en silence (34). Puis il s'approche du sépulcre et donne l'ordre de l'ouvrir pour en laisser sortir Lazare. Quand, tout à coup, Marthe, par une touchante sollicitude pour le Maître et pour sa soeur, mais parlant encore quand elle aurait dû se taire et adorer, s'écrie : Il sent déjà mauvais.

Marie a dû être, sans aucun doute, la plus affectée des deux soeurs par la mort de Lazare, et nous pouvons du reste le déduire du récit de Jean, qui nous apprend que les juifs étaient venus pour rendre visite à Marie (45) et pour la consoler (31). On connaissait sa nature aimante, impressionnable et on savait qu'elle avait besoin d'être entourée de sympathie et d'affection.

La joie qu'éprouva Marie à la résurrection de Lazare dut être aussi grande qu'à sa mort sa douleur avait été profonde. Aussi offrit-elle à Jésus, en reconnaissance de cette délivrance, ce qu'elle avait de plus précieux. Elle profita de ce qu'il était chez elle à table pour briser un vase d'albâtre contenant du nard d'un grand prix et répandre sur les pieds du Sauveur ce parfum acheté pour embaumer le corps de Lazare, et resté sans usage depuis sa résurrection.

Le maître se réjouit de cette « bonne oeuvre », et il loue aussitôt Marie d'avoir su agir, comme il l'avait loué jadis d'avoir su écouter. Il la défend même pour cet acte contre sa soeur qui lui reprochait son inaction. Quand il le faut, Marie sait agir, et, tandis que Marthe, si active et si exubérante d'ordinaire, garde le silence et s'associe peut-être en secret au blâme des disciples, Marie accomplit par cette offrande symbolique l'acte qui pouvait le plus à, cette heure émouvoir le coeur du Sauveur.

De nos jours encore, quand on voit des femmes pieuses s'asseoir aux pieds du Christ, consacrer leur fortune ou leurs économies à répandre dans l'Église et dans le monde le parfum précieux de l'Évangile, et témoigner ainsi leur amour au Sauveur, ne se trouve-t-il pas des disciples du Christ pour s'écrier eux aussi : A quoi bon cette perte? Pourquoi négliger les pauvres ? Comme si ceux qui donnent pour les oeuvres religieuses ne sont pas les mêmes qui contribuent à fonder ou à faire vivre les oeuvres philanthropiques! Ignorez-vous que, lorsqu'une femme chrétienne est assez généreuse pour briser un vase d'albâtre aux pieds du Sauveur, le parfum peut arroser le corps de Christ tout entier et l'odeur de cette charité chrétienne remplir le monde?

Ces disciples, en blâmant l'action de Marie, condamnent l'enthousiasme. Si on les écoutait - hélas ! on ne les écoute que trop - sous prétexte que nous avons des pauvres, nous ne ferions rien pour orner nos temples, afin de porter ainsi les âmes au recueillement et à l'adoration ou pour améliorer le chant religieux, afin de les élever à Dieu. N'oublions pas que si l'offrande de Marie fut agréable au Christ, l'art, la musique, la poésie sont agréables à Dieu, Offrons-lui ce que nous avons de plus cher afin que Jésus puisse dire de nous : Il a fait ce qu'il a pu. Comme Marie, avec l'approbation de notre conscience, nous obtiendrons aussi la louange de notre Maître.

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(1) Ce qui nous fait croire que Simon était mort. quand eurent lieu la résurrection de Lazare et l'onction de Béthanie, c'est que Matthieu (XXVI, 6) et Marc (XIV, 3) ne disent pas que ces faits se passèrent chez Simon, mais dans la maison de Simon. 
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(2) Jean emploie pour exprimer l'amitié de Jésus pour Lazare le verbe qui exprime la tendresse (II, 3) et pour marquer l'attachement qu'il ressent pour ses soeurs il se sert du verbe qui renferme un sentiment plus noble (Il, 5).
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