Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE X

Au soir de la vie.

-------

Au soir de la vie. Miss N. Pandita Ramabaï. Manorama, sa fille

 Pendant de longues années Ramabaï dirigea les asiles avec un dévouement admirable. Toujours active elle ne redoutait aucun effort. Peu à peu, elle sentit le besoin de se décharger partiellement sur sa fille et sur ses aides européennes et indigènes. Dès lors, elle consacra beaucoup de temps à la traduction et à la diffusion des Écritures dans les langues indigènes et surtout à la méditation, à la lecture de sa Bible et à la prière. Mais tout en renonçant à la direction de Mukti elle en resta l'âme. Ses facultés intellectuelles se conservèrent intactes, quoique la conversation fût entravée par la dureté de son ouïe. Les nombreuses Européennes venues pour visiter les asiles étaient fortement impressionnées par la personnalité de la fondatrice. Celle-ci les accueillait avec la distinction et la grâce des femmes de haute caste et les frappait par sa modestie et par son esprit de consécration à Dieu. Si quelqu'un lui adressait des louanges, sans prononcer un mot elle sortait de la chambre. L'avenir de son entreprise ne la préoccupait nullement, elle la considérait comme l'oeuvre de Celui qui prend soin des siens.

Le matin du 5 avril 1922, elle rendit le dernier soupir pendant son sommeil. Ce coeur qui avait vibré généreusement pour tant d'infortunes avait cessé de battre. La nouvelle de sa mort suscita une douleur générale. Son corps fut solennellement enseveli dans le cimetière de Mukti en présence d'une foule de chrétiens et de païens. Un service de commémoration fut célébré à Bombay et un journal hindou annonça son décès en appréciant son activité avec les plus grands éloges.

Manorama, sa fille, s'était préparée à lui succéder. Ses capacités intellectuelles et sa profonde piété la désignaient pour cette tâche pleine de responsabilité, mais une maladie avait déjoué ce projet. La fille avait précédé de plusieurs mois sa mère dans la patrie céleste. La direction des asiles fut confiée à l'une des demoiselles missionnaires anglaises, Miss Hastie, qui s'inspire des principes de la fondatrice.

Pandita Ramabaï laisse le souvenir d'une vaillante chrétienne. Le secret de son activité était une confiance inébranlable en Dieu. Même quand sa foi fut soumise à de grandes épreuves, par des questions financières ou les redoutables sécheresses, elle ne désespéra point du secours d'En-Haut. Dans les périodes les plus difficiles elle savait garder la bonne humeur et la gaîté. Son arrivée au milieu d'un groupe d'élèves était saluée par des cris de joie et son passage dans chaque salle de l'infirmerie était comparable au rayon de soleil qui dissipe la brume. Son plus grand bonheur fut d'annoncer l'Evangile à ses compatriotes et de faire de son oeuvre un centre missionnaire.

Rendons gloire au Dieu qui a exaucé ses ardentes prières et lui a permis de nourrir les affamées, de faire le sauvetage des veuves désespérées et de répandre sur son pays quelques rayons de l'éternelle vérité. Voici, pour conclure, un extrait de l'un de ses rapports annuels qui reflète une foi touchante alliée à un grand sens pratique : « Je le sais, mon Dieu vit et il entend mes prières. Parfois, des temps difficiles sont survenus et la farine a diminué considérablement (voir 1 Rois 17: 8-16). mais l'affirmation de saint Paul est littéralement vraie aujourd'hui comme elle le fut autrefois : « Dieu qui est fidèle ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces », 1 Corinthiens 10 : 13. Je le déclare sans crainte, c'est le Seigneur qui prend soin de nous. Si j'avais mis ma confiance en mes amies terrestres pour leur demander chaque année leur appui, j'aurais à peine reçu le centième de ce que Dieu m'a donné en réponse à mes prières. Reconnaissante de tous les dons qui m'ont été envoyés, je veux rendre gloire au Père qui prend soin de nous et qui inspire la générosité à ses enfants. Des centaines de nos amies qui soutiennent notre oeuvre ne m'ont jamais vue et ne m'ont jamais écrit. Ma personnalité n'a, du reste, rien qui puisse les stimuler. Elles ne seraient pas persuadées d'être généreuses si elles me connaissaient personnellement. Cette oeuvre est l'oeuvre du Seigneur. Il me l'a confiée et m'a envoyé les aides qu'il a choisies. Il continuera son soutien aussi longtemps que notre travail sera conforme à sa volonté et j'ai le devoir bien doux de le louer et de le glorifier.

« Je recueille des jeunes filles et le ferai jusqu'à ce que le Seigneur y mette fin. Une amie me demandait dernièrement : N'est-ce pas le moment de renoncer à recevoir de nouvelles élèves ? Vos ressources ne sont-elles pas très limitées ? C'est vrai, nos moyens financiers sont restreints et même je n'ai pas un liard de fortune ni de revenu assuré. je ne possède que mes vêtements et ma Bible. Je comprends que l'on m'interroge : Comment prendrez-vous soin de ces centaines d'élèves qui vous arriveront prochainement ? Comment les instruirez-vous ? Je ne le sais pas : « Dieu peut vous combler de toutes sortes de grâces, afin que, possédant toujours en toutes choses de quoi satisfaire à tous vos besoins, vous ayez encore en abondance pour toute bonne oeuvre. » 2 Corinthiens 9: 8. Parce que j'avais cette confiance en Dieu seul j'ai eu la hardiesse de réunir tant de jeunes personnes dans mes asiles. »

Une brèche a été faite dans la muraille derrière laquelle nos pauvres soeurs hindoues étaient tenues en prison, esclaves ignorantes et méprisées. L'Inde, aujourd'hui encore plongée dans les ténèbres du paganisme et de l'immoralité, voit pourtant la lumière pénétrer dans les masses, apportant la santé morale, la liberté et la paix. Dieu a suscité des hommes et des femmes de coeur et de foi, des personnalités puissantes et capables de conduire leurs compatriotes vers la Vérité et la Vie. Nous avons vu ce qu'a pu faire l'amour de celle qui fut considérée comme une mère par des milliers de pauvres veuves ; son exemple a été suivi par d'autres et l'avenir est plein de promesses merveilleuses. Dieu, qui a donné aux Indes une Pandita Ramabaï et un Sadhou Sundar Singh, Dieu veut que ce peuple soit sauvé et vienne un jour au Christ ! À Lui soit la gloire !

Mais l'oeuvre est immense. Ramabaï l'a dit elle-même :
« Tout le travail accompli par nos missionnaires dans ce vaste pays est la goutte d'eau versée dans l'Océan. Notre oeuvre de secours ajoute une parcelle à la goutte d'eau, mais chaque parcelle la fait grossir. » Réjouissons-nous de ces progrès, en souhaitant qu'ils ne soient pas trop lents ; chaque année de retard ajoute à la souffrance des veuves un anneau de plus. Elles sont des millions qui n'ont pas vu se lever pour elles le Soleil de Justice. Ne voulez-vous pas, ami lecteur, aider à les secourir ? Il y a là-bas, dans ce pays mystérieux, au milieu de ces foules qui cherchent avec passion le chemin de la paix, il y a quelques-uns de vos compatriotes qui ont tout quitté, par amour pour ces frères et soeurs hindous. Évangélistes, professeurs, médecins, gardes-malades, institutrices, ils consacrent leurs forces et leurs talents à cette oeuvre de relèvement que Ramabaï leur a demandé d'accomplir avec elle. Ils sont partis et chaque jour d'autres ouvriers demandent à les rejoindre. Mais les Comités de Missions ont des ressources limitées ; il faut que tous les enfants de Dieu de notre pays consentent à unir leurs efforts pour faire triompher le Christ aux Indes.

Ami lecteur, si votre coeur a pleuré au spectacle de vos petites soeurs esclaves et méprisées, si votre coeur a chanté de joie au spectacle des délivrances merveilleuses et des miracles modernes dont Mukti et le Sharada-Sadan ont été les témoins, ne voulez-vous pas, vous aussi, apporter un verre d'eau au prisonnier, un rayon de soleil à l'aveugle, un message de joie à l'opprimé ?

Ramabaï vous redit aujourd'hui : « Ce sera glorieux pour vous de travailler à cette oeuvre. »




APPENDICE I

Notes sur Manoramabaï.

Nécrologie publiée par Mlle Marie Staehelin, missionnaire, dans le Bulletin de la Mission Suisse aux Indes :
« Manoramabaï est morte le 24 juillet 1921, à l'âge de 40 ans, d'une maladie de coeur, à l'hôpital d'une mission américaine à Miradj, aux Indes.
» Combien la nouvelle de la mort de Manoramabaï nous afflige, nous qui aimons les femmes aux Indes !

Manoramabaï était appelée notre soeur par toutes les hospitalisées de Mukti. Combien va manquer sa chaude compréhension pour les plus bas tombées, et son éducation calme et ferme pour une multitude de jeunes filles ! Dans notre Mission aussi, quand nous avions des jeunes femmes en danger moral, nous les envoyions pour deux ans à Mukti, et il fallait les entendre, à leur retour, parler de mother and sister (mère et soeur) !

» Manoramabaï avait trois ans quand sa mère l'emmena en Europe et en Amérique, où elle étudia les méthodes d'éducation chrétienne. Le trait particulier de Manoramabaï fut qu'elle renonça à se marier, chose inouïe aux Indes, pour se vouer plus complètement à sa tâche.

» Pandita Ramabaï et sa fille nous ont montré à nous, ouvrières de la Mission, ce que l'on peut obtenir de nos soeurs quand l'amour de Christ nous presse.

» Pour ces deux mille femmes, Pandita Ramabaï était mère et Manoramabaï était soeur, au vrai sens du mot. Elles cherchent à les amener toutes à Jésus non par la force, mais par l'exemple. Peut-on s'imaginer un asile de deux mille réfugiées, dépendant seulement de deux femmes, aux Indes, où la femme ne compte guère ? N'est-ce pas une preuve vivante de la puissance de Dieu ? » (Actes 2: 17.)




Manoramabaï a vivement ressenti la difficulté qu'il y a pour les Indiens patriotes à concilier leur attachement à leur pays et à leur héritage national avec leurs convictions chrétiennes. Le conflit qui s'élève dans leurs coeurs n'a jamais été plus aigu que maintenant. Ils ne veulent ni renoncer à leur patriotisme, ni sacrifier leur amour pour les missionnaires auxquels la reconnaissance les lie étroitement. Le problème de l'évangélisation de l'Inde, les méthodes nouvelles qu'il faut trouver, pour ménager les susceptibilités nationales, la nécessité de la fidélité à l'Évangile, la crainte de l'affaiblir en l'indianisant, ce problème inquiétant préoccupait Manoramabaï et elle en cherchait la solution. Pour se faire comprendre, elle se servit de la comparaison suivante dans une conférence de missionnaires à Bombay. « Nous avons eu à Mukti, dit-elle, un bébé qui nous a donné beaucoup de soucis ; il ne voulait pas prendre de nourriture et il ne pouvait pas mettre ses dents ! Une de nos veuves qui en avait la garde lui écrasait son riz et le lui mettait avec patience dans la bouche avec les doigts. Elle fit ainsi pendant longtemps, mais ne voyait pas pousser les dents. Un beau jour, elle pousse un, cri et retire vivement son doigt de la bouche du bébé ; les dents avaient brusquement poussé et il l'avait mordue !
» Que pensez-vous que fit la nourrice ? A-t-elle abandonné l'enfant ? Non ! mais elle a compris qu'il fallait changer sa méthode d'alimentation. Elle a pris une cuillère.

» Ainsi de l'Inde. Elle a grandi ; l'Eglise réclame son autonomie ; le patriotisme s'est développé ; les missionnaires entendent parfois des paroles désagréables ; mais ce n'est pas le moment de nous abandonner. Non ! Ne nous abandonnez pas ! Mais changez la méthode d'alimentation ! »




APPENDICE II

Note sur la Mission suisse aux Indes.

Le Comité Suisse de Secours pour la Mission aux Indes (Mission canaraise évangélique) s'occupe spécialement des deux grands districts du Canara du Sud et des Mahrattes du Sud, dans la présidence de Madras et dans celle de Bombay. Il a la responsabilité de douze stations, sur lesquelles trente missionnaires (messieurs, dames et demoiselles), vingt-deux pasteurs indiens, soixante-neuf évangélistes, vingt lectrices de la Bible et plus de deux-cent-cinquante autres ouvriers sont à l'oeuvre. L'Eglise compte près de douze mille membres et les écoles chrétiennes sont fréquentées par huit mille enfants. Les quatre orphelinats de la Mission groupent des centaines d'enfants et les hôpitaux soignent des milliers de malades. Tous ceux qui voudraient s'intéresser à cette oeuvre et devenir souscripteurs peuvent s'adresser au Secrétariat de la Mission aux Indes, Lausanne, Rue de Bourg 35 ; ils recevront gratuitement le Bulletin que le Comité publie tous les deux mois.


Chapitre précédent Table des matières -