Pendant de longues années
Ramabaï dirigea les asiles avec un
dévouement admirable. Toujours active elle
ne redoutait aucun effort. Peu à peu, elle
sentit le besoin de se décharger
partiellement sur sa fille et sur ses aides
européennes et indigènes. Dès
lors, elle consacra beaucoup de temps à la
traduction et à la diffusion des
Écritures dans les langues indigènes
et surtout à la méditation, à
la lecture de sa Bible et à la
prière. Mais tout en renonçant
à la direction de Mukti elle en resta
l'âme. Ses facultés intellectuelles se
conservèrent intactes, quoique la
conversation fût entravée par la
dureté de son ouïe. Les nombreuses
Européennes venues pour visiter les asiles
étaient fortement impressionnées par
la personnalité de la fondatrice. Celle-ci
les accueillait avec la distinction et la
grâce des femmes de haute caste et les
frappait par sa modestie et par son esprit de
consécration à Dieu. Si quelqu'un lui
adressait des louanges, sans prononcer un mot elle
sortait de la chambre. L'avenir de son entreprise
ne la préoccupait nullement, elle la considérait
comme l'oeuvre
de Celui qui prend soin des siens.
Le matin du 5 avril 1922, elle rendit le
dernier soupir pendant son sommeil. Ce coeur qui
avait vibré généreusement pour
tant d'infortunes avait cessé de battre. La
nouvelle de sa mort suscita une douleur
générale. Son corps fut
solennellement enseveli dans le cimetière de
Mukti en présence d'une foule de
chrétiens et de païens. Un service de
commémoration fut
célébré à Bombay et un
journal hindou annonça son
décès en appréciant son
activité avec les plus grands
éloges.
Manorama, sa fille, s'était
préparée à lui
succéder. Ses capacités
intellectuelles et sa profonde piété
la désignaient pour cette tâche pleine
de responsabilité, mais une maladie avait
déjoué ce projet. La fille avait
précédé de plusieurs mois sa
mère dans la patrie céleste. La
direction des asiles fut confiée à
l'une des demoiselles missionnaires anglaises, Miss
Hastie, qui s'inspire des principes de la
fondatrice.
Pandita Ramabaï laisse le souvenir
d'une vaillante chrétienne. Le secret de son
activité était une confiance
inébranlable en Dieu. Même quand sa
foi fut soumise à de grandes
épreuves, par des questions
financières ou les redoutables
sécheresses, elle ne désespéra
point du secours d'En-Haut. Dans les
périodes les plus difficiles elle savait
garder la bonne humeur et la gaîté.
Son arrivée au milieu d'un groupe
d'élèves était saluée
par des cris de joie et son passage dans chaque
salle de l'infirmerie était comparable au
rayon de soleil qui dissipe la brume. Son plus
grand bonheur fut d'annoncer l'Evangile à
ses compatriotes et de faire de son oeuvre un
centre missionnaire.
Rendons gloire au Dieu qui a
exaucé ses ardentes prières et lui a
permis de nourrir les affamées, de faire le
sauvetage des veuves
désespérées et de
répandre sur son pays quelques rayons de
l'éternelle vérité. Voici,
pour conclure, un extrait de l'un de ses rapports
annuels qui reflète une foi touchante
alliée à un grand sens
pratique : « Je le sais, mon Dieu
vit et il entend mes prières. Parfois, des
temps difficiles sont survenus et la farine a
diminué considérablement (voir 1 Rois
17: 8-16). mais l'affirmation de saint Paul est
littéralement vraie aujourd'hui comme elle
le fut autrefois : « Dieu qui est
fidèle ne permettra pas que vous soyez
tentés au delà de vos
forces », 1 Corinthiens 10 : 13. Je
le déclare sans crainte, c'est le Seigneur
qui prend soin de nous. Si j'avais mis ma confiance
en mes amies terrestres pour leur demander chaque
année leur appui, j'aurais à peine
reçu le centième de ce que Dieu m'a
donné en réponse à mes
prières. Reconnaissante de tous les dons qui
m'ont été envoyés, je veux
rendre gloire au Père qui prend soin de nous
et qui inspire la générosité
à ses enfants. Des centaines de nos amies
qui soutiennent notre oeuvre ne m'ont jamais vue et
ne m'ont jamais écrit. Ma
personnalité n'a, du reste, rien qui puisse
les stimuler. Elles ne seraient pas
persuadées d'être
généreuses si elles me connaissaient
personnellement. Cette oeuvre est l'oeuvre du
Seigneur. Il me l'a confiée et m'a
envoyé les aides qu'il a choisies. Il
continuera son soutien aussi longtemps que notre
travail sera conforme à sa volonté et
j'ai le devoir bien doux de le louer et de le
glorifier.
« Je recueille des jeunes
filles et le ferai jusqu'à ce que le
Seigneur y mette fin. Une amie me demandait
dernièrement : N'est-ce pas le moment
de renoncer à recevoir de
nouvelles élèves ? Vos
ressources ne sont-elles pas très
limitées ? C'est vrai, nos moyens
financiers sont restreints et même je n'ai
pas un liard de fortune ni de revenu assuré.
je ne possède que mes vêtements et ma
Bible. Je comprends que l'on m'interroge :
Comment prendrez-vous soin de ces centaines
d'élèves qui vous arriveront
prochainement ? Comment les
instruirez-vous ? Je ne le sais pas :
« Dieu peut vous combler de toutes sortes
de grâces, afin que, possédant
toujours en toutes choses de quoi satisfaire
à tous vos besoins, vous ayez encore en
abondance pour toute bonne oeuvre. » 2
Corinthiens 9: 8. Parce que j'avais cette confiance
en Dieu seul j'ai eu la hardiesse de réunir
tant de jeunes personnes dans mes
asiles. »
Une brèche a été
faite dans la muraille derrière laquelle nos
pauvres soeurs hindoues étaient tenues en
prison, esclaves ignorantes et
méprisées. L'Inde, aujourd'hui encore
plongée dans les ténèbres du
paganisme et de l'immoralité, voit pourtant
la lumière pénétrer dans les
masses, apportant la santé morale, la
liberté et la paix. Dieu a suscité
des hommes et des femmes de coeur et de foi, des
personnalités puissantes et capables de
conduire leurs compatriotes vers la
Vérité et la Vie. Nous avons vu ce
qu'a pu faire l'amour de celle qui fut
considérée comme une mère par
des milliers de pauvres veuves ; son exemple a
été suivi par d'autres et l'avenir
est plein de promesses merveilleuses. Dieu, qui a
donné aux Indes une Pandita Ramabaï et
un Sadhou Sundar Singh, Dieu veut que ce peuple
soit sauvé et vienne un jour au
Christ ! À Lui soit la gloire !
Mais l'oeuvre est immense. Ramabaï
l'a dit elle-même :
« Tout le travail accompli par
nos missionnaires dans ce vaste pays est la goutte
d'eau versée dans l'Océan. Notre
oeuvre de secours ajoute une parcelle à la
goutte d'eau, mais chaque parcelle la fait
grossir. » Réjouissons-nous de ces
progrès, en souhaitant qu'ils ne soient pas
trop lents ; chaque année de retard
ajoute à la souffrance des veuves un anneau
de plus. Elles sont des millions qui n'ont pas vu
se lever pour elles le Soleil de Justice. Ne
voulez-vous pas, ami lecteur, aider à les
secourir ? Il y a là-bas, dans ce pays
mystérieux, au milieu de ces foules qui
cherchent avec passion le chemin de la paix, il y a
quelques-uns de vos compatriotes qui ont tout
quitté, par amour pour ces frères et
soeurs hindous. Évangélistes,
professeurs, médecins, gardes-malades,
institutrices, ils consacrent leurs forces et leurs
talents à cette oeuvre de relèvement
que Ramabaï leur a demandé d'accomplir
avec elle. Ils sont partis et chaque jour d'autres
ouvriers demandent à les rejoindre. Mais les
Comités de Missions ont des ressources
limitées ; il faut que tous les enfants
de Dieu de notre pays consentent à unir
leurs efforts pour faire triompher le Christ aux
Indes.
Ami lecteur, si votre coeur a
pleuré au spectacle de vos petites soeurs
esclaves et méprisées, si votre coeur
a chanté de joie au spectacle des
délivrances merveilleuses et des miracles
modernes dont Mukti et le Sharada-Sadan ont
été les témoins, ne
voulez-vous pas, vous aussi, apporter un verre
d'eau au prisonnier, un rayon de soleil à
l'aveugle, un message de joie à
l'opprimé ?
Ramabaï vous redit
aujourd'hui : « Ce sera glorieux
pour vous de travailler à cette
oeuvre. »
Nécrologie publiée par Mlle Marie
Staehelin, missionnaire, dans le Bulletin de la
Mission Suisse aux Indes :
« Manoramabaï est morte
le 24 juillet 1921, à l'âge de 40 ans,
d'une maladie de coeur, à l'hôpital
d'une mission américaine à Miradj,
aux Indes.
» Combien la nouvelle de la mort de
Manoramabaï nous afflige, nous qui aimons les
femmes aux Indes !
Manoramabaï était
appelée notre soeur par toutes les
hospitalisées de Mukti. Combien va manquer
sa chaude compréhension pour les plus bas
tombées, et son éducation calme et
ferme pour une multitude de jeunes filles !
Dans notre Mission aussi, quand nous avions des
jeunes femmes en danger moral, nous les envoyions
pour deux ans à Mukti, et il fallait les
entendre, à leur retour, parler de mother
and sister (mère et soeur) !
» Manoramabaï avait trois ans
quand sa mère l'emmena en Europe et en
Amérique, où elle étudia les
méthodes d'éducation
chrétienne. Le trait particulier de
Manoramabaï fut qu'elle renonça
à se marier, chose inouïe aux Indes,
pour se vouer plus complètement à sa
tâche.
» Pandita Ramabaï et sa fille
nous ont montré à nous,
ouvrières de la Mission, ce que l'on peut
obtenir de nos soeurs quand l'amour de Christ nous
presse.
» Pour ces deux mille femmes,
Pandita Ramabaï était mère et
Manoramabaï était soeur, au vrai sens
du mot. Elles cherchent à les amener toutes
à Jésus non par la force, mais par l'exemple.
Peut-on s'imaginer un asile de deux mille
réfugiées, dépendant seulement
de deux femmes, aux Indes, où la femme ne
compte guère ? N'est-ce pas une preuve
vivante de la puissance de Dieu ? »
(Actes 2: 17.)
Manoramabaï a vivement ressenti la
difficulté qu'il y a pour les Indiens
patriotes à concilier leur attachement
à leur pays et à leur héritage
national avec leurs convictions chrétiennes.
Le conflit qui s'élève dans leurs
coeurs n'a jamais été plus aigu que
maintenant. Ils ne veulent ni renoncer à
leur patriotisme, ni sacrifier leur amour pour les
missionnaires auxquels la reconnaissance les lie
étroitement. Le problème de
l'évangélisation de l'Inde, les
méthodes nouvelles qu'il faut trouver, pour
ménager les susceptibilités
nationales, la nécessité de la
fidélité à l'Évangile,
la crainte de l'affaiblir en l'indianisant, ce
problème inquiétant
préoccupait Manoramabaï et elle en
cherchait la solution. Pour se faire comprendre,
elle se servit de la comparaison suivante dans une
conférence de missionnaires à Bombay.
« Nous avons eu à Mukti, dit-elle,
un bébé qui nous a donné
beaucoup de soucis ; il ne voulait pas prendre
de nourriture et il ne pouvait pas mettre ses
dents ! Une de nos veuves qui en avait la
garde lui écrasait son riz et le lui mettait
avec patience dans la bouche avec les doigts. Elle
fit ainsi pendant longtemps, mais ne voyait pas
pousser les dents. Un beau jour, elle pousse un,
cri et retire vivement son doigt de la bouche du
bébé ; les dents avaient
brusquement poussé et il l'avait mordue
!
» Que pensez-vous que fit la
nourrice ? A-t-elle abandonné
l'enfant ?
Non ! mais elle a compris qu'il fallait
changer sa méthode d'alimentation. Elle a
pris une cuillère.
» Ainsi de l'Inde. Elle a
grandi ; l'Eglise réclame son
autonomie ; le patriotisme s'est
développé ; les missionnaires
entendent parfois des paroles
désagréables ; mais ce n'est pas
le moment de nous abandonner. Non ! Ne nous
abandonnez pas ! Mais changez la
méthode d'alimentation ! »
Le Comité Suisse de Secours pour la Mission aux Indes (Mission canaraise évangélique) s'occupe spécialement des deux grands districts du Canara du Sud et des Mahrattes du Sud, dans la présidence de Madras et dans celle de Bombay. Il a la responsabilité de douze stations, sur lesquelles trente missionnaires (messieurs, dames et demoiselles), vingt-deux pasteurs indiens, soixante-neuf évangélistes, vingt lectrices de la Bible et plus de deux-cent-cinquante autres ouvriers sont à l'oeuvre. L'Eglise compte près de douze mille membres et les écoles chrétiennes sont fréquentées par huit mille enfants. Les quatre orphelinats de la Mission groupent des centaines d'enfants et les hôpitaux soignent des milliers de malades. Tous ceux qui voudraient s'intéresser à cette oeuvre et devenir souscripteurs peuvent s'adresser au Secrétariat de la Mission aux Indes, Lausanne, Rue de Bourg 35 ; ils recevront gratuitement le Bulletin que le Comité publie tous les deux mois.
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