Les moeurs de ce lointain pays assuraient
autrefois à la femme un sort
équitable. L'hindouisme, la vieille religion
païenne de l'Inde, avait consacré, dans
les Védas
(1),
la
liberté de la compagne de l'homme, ainsi une
gracieuse légende raconte l'histoire d'une
princesse qui parcourut la contrée pour
trouver l'époux de son choix. Mais dans des
écrits plus récents le ton
change : la sujétion et l'esclavage de
la femme sont affirmés. Les parents marient
leur fille très jeune, parfois à un
homme beaucoup plus âgé qu'elle et
toujours sans la consulter. « Que la
femme soit sous l'autorité de son
père dans son enfance, de son époux
pendant sa jeunesse, de ses fils à la mort
de celui-ci ; que la femme ne jouisse jamais
de la liberté. » (Tiré de
la loi de Manou.)
La plupart de ces victimes,
plongées dans une stupide ignorance, acceptent leur
destinée avec résignation. Quand on
organise une école de jeunes filles la
plupart des mères disent :
« À quoi bon une
école ? ma fille sait cuire le riz,
cela lui suffira. » La femme du peuple
est traitée comme une bête de
somme ; celle de haute caste est
prisonnière dans l'appartement qui lui est
réservé : la
zénana ; elle n'en sort pour ainsi dire
jamais. Ainsi, dans la ville de Bombay, port de
mer, un certain nombre de femmes, enfermées
dans leurs demeures, n'ont jamais vu la mer !
L'une d'elles s'est comparée à la
grenouille qui vit dans un puits et ne voit que les
murs de celui-ci et un pan de ciel.
Si misérable que soit la condition de
l'épouse, elle n'est pas la pire. À
peine un homme a-t-il rendu le dernier soupir que
sa femme doit se dépouiller de ses colliers
et bracelets et de ses vêtements pour porter
le costume de la veuve. Dans plusieurs
contrées, on l'oblige à faire tondre
sa chevelure. jusqu'à la fin de sa vie elle
sera la maudite. On l'évitera sur le chemin
et à la maison on la chargera des plus
humbles et des plus durs travaux. Même si
elle est jeune, il lui est rigoureusement
défendu de se remarier. L'homme assez
audacieux pour braver ce préjugé et
épouser une veuve est définitivement
exclu de sa famille et de sa caste :
« jusqu'à sa mort que la veuve ait
une vie de souffrance, de contrainte et de
chasteté et qu'elle soupire après
l'accomplissement de la loi des veuves, qui n'ont
qu'un seul mari, loi qui est la plus
excellente. » (Tiré aussi de
l'ouvrage cité plus haut).
D'autre part les veufs peuvent se
remarier autant de fois qu'ils le désirent.
Naguère régnait une affreuse
coutume, la sati ou suttee. « Si
l'époux d'une femme vient à mourir,
celle-ci mènera une vie de chasteté,
sinon elle montera sur le bûcher pour
être brûlée vive »,
ordonne le livre sacré de Vichnousmriti. Pas
d'autre alternative que le veuvage strictement
observé ou la mort dans les flammes. Un
grand nombre de veuves furent ainsi
consumées vivantes avec le cadavre de leur
mari. Aux funérailles d'un roi ou d'un
prince le même sort était
réservé à toutes leurs
épouses. Plusieurs Européens et,
parmi eux quelques missionnaires, furent les
témoins impuissants de ces drames. Les
énergiques réclamations de ces
derniers, entre autres de l'Écossais Carey,
décidèrent le gouvernement de l'Inde
anglaise à intervenir. En 1829, le vice-roi,
Lord Bentink, interdit la sati en annonçant
qu'il ferait poursuivre comme meurtriers et
complices tous les acteurs et témoins de ces
horribles spectacles. Cet acte de fermeté
mit fin à l'antique coutume.
Malheureusement ce décret ne put
donner à la veuve la situation à
laquelle elle a droit. Le mépris dont on
l'entourait à subsisté ; elle
est aujourd'hui comme autrefois l'être
souillé que l'on tiendra à
l'écart aussi longtemps qu'elle vivra. Au
Pundiab, ceux qui la rencontrent crient :
« Sortez du chemin de la
maudite. » À cause des mariages
précoces, des milliers de fillettes et
même de bébés sont
déjà veuves et ne connaîtront
jamais les joies de la famille. On comptait en Inde
(en 1893) 23 millions de veuves dont 64 000
au-dessous de neuf ans et 13 000 au-dessous de
quatre ans. Actuellement la population est de 319
millions d'habitants.
Les missions chrétiennes luttent contre
ces injustices. Des dames missionnaires fondent des
asiles et des orphelinats pour recueillir ces
pauvres victimes et leur procurer un gagne-pain
honorable. Il était réservé
à l'une de celles-ci de s'occuper de ses
soeurs avec un remarquable succès. La
mentalité formée par une vie
malheureuse est si particulière que seule
une veuve peut la comprendre parfaitement et
apporter une aide efficace. Nous pouvons même
affirmer que cette personne fut un instrument
choisi par Dieu pour une tâche
éminente, instrument qu'Il prépara en
le faisant passer au creuset des privations, des
souffrances et des deuils. Son nom est
Ramabaï, vraie fille de l'Inde, qui a
entrepris la lutte libératrice en faveur de
la veuve souffre-douleur, dont « les
jours ne sont qu'un chapelet de tortures, qu'une
lente agonie de son âme. »
Pour la rédaction de cette
biographie nous avons puisé de nombreux
renseignements dans deux publications
anglaises : A testimony, par Ramabaï
elle-même, et P. Ramabai, the Story of her
Life, par Helen S. Dyer, et nous nous sommes
inspiré de deux excellents articles de la
Bibliothèque universelle et Revue
suisse : « La vie et le rôle
de la femme hindoue » par V. de Floriant
(1894) et - « Une école de veuves
aux Indes », par J. Pictet
(1906).
Parmi les autres publications parues sur
le même sujet nous mentionnons celles de Mme
William Monod, E. von Feilitzsch, P Ipsen et H.
Riehm, qui sont bien documentées et ont
toutes le même titre :
« Pandita Ramabaï » et un
bon article dans l'Annuaire de la Mission suisse
aux Indes de 1923, signé F. Subilia.
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