Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

APPENDICE I

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Note bibliographique


Les principaux éléments de notre travail proviennent des Archives de l'Hérault (Montpellier), où nous avons trouvé de quoi compléter et corriger nos devanciers. Nommons aussi les Papiers Antoine Court (Genève), dont une copie se trouve à Paris à la Bibliothèque de la Société d'Histoire du Protestantisme français, et la collection du Bulletin de la même Société (1852-1922), où on lira notamment la lettre de Louise Gibert (tome XXXIX), celle de Jeanne Majal, et le Placet à Madame de Pompadour (tome LII). Notre dernier chapitre est établi sur la correspondance de Saint-Florentin (Archives Nationales à Paris, 0' 458-464). Tout ce qui concerne les Actes notariés d'Aigues-Mortes où figurent des noms de prisonniers ou de prisonnières provient d'un dossier que M. P. Falgairolle, de Vauvert (Gard), a constitué, et donné très obligeamment à la Société d'Histoire.

Nous indiquerons quelques publications que nous avons utilisées, et où l'on trouvera des compléments utiles :

Un déporté pour la foi
(Relation d'Étienne Serres 1688, rééditée par Matthieu Lelièvre), Paris, Librairie évangélique, 1881.

Récit de Jean Nissolle de Ganges
(1685-1686), publié dans le Bulletin indiqué plus haut (Tomes X et XI) et réédité avec des notes sous le titre : Jean Nissolle par Matthieu Lelièvre, Paris, Delessert, 1907.

Isabeau Menet, prisonnière à la Tour de Constance
(par A. Lombard), Genève, 1873 (contient les lettres d'Isabeau Menet).

La Tour de Constance et ses prisonnières
, par Ch. Sagnier, Paris, 1880 (contient notamment les lettres retrouvées dans la Tour en 1879). Cet ouvrage a été corrigé sur beaucoup de points déjà par le même auteur dans la 2e Édition de la France Protestante, vol. IV, col. 83 et suivantes (1883).

Marie Durand, prisonnière à la Tour de Constance
, par Daniel Benoît, 3e Édition, Toulouse, 1894 (contient en particulier les lettres de Marie Durand, et utilise les lettres de Paul Rabaut, publiées par Ch. Dardier).

Nous devons des remerciements particuliers à M. le Pasteur Massip, de l'Eglise d'Aimargues-Aigues-Mortes, qui a bien voulu relire ou copier pour nous quelques actes anciens des Registres catholiques d'Aigues-Mortes.


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APPENDICE Il

Quelques lettres écrites à la Tour de Constance


Nous reproduisons ici une lettre de Céphas Guiraud (1687), trois d'Isabeau Menet (1737-1743) et deux de Marie Durand (1755, 1764), en les faisant précéder de quelques indications qui en rendront la lecture plus facile. Nous en avons modernisé l'orthographe et la ponctuation, ne conservant que certains traits qui révèlent l'accent méridional de leurs auteurs. Les mots placés entre parenthèses sont des éclaircissements que nous avons ajoutés au texte.

 

LETTRE DE CÉPHAS GUIRAUD

De Nîmes. Relégué quatre mois à Carcassonne pour n'avoir pas voulu abjurer. Enfermé ensuite plus d'un an à Brescou. Amené à la Tour de Constance et destiné à la déportation. En arrivant il y apprend la mort de son père, qui a expiré le 24 août 1686 dans une « loge de soldat ( ?) » de la Tour de la Reine à 73 ans, après avoir agonisé trois mois dans un cachot. Sa mère Suzanne de Guiraud, née de Carcenat, est passée à Genève avec quatre filles et deux petites filles, deux autres petites filles ayant été conduites dans un couvent de Lyon. L'avocat Ducros, dont parle Guiraud, a été arrêté avec sa femme et deux de ses filles près de Grenoble, ramené à Montpellier et conduit à Aigues-Mortes ; sa femme a abjuré ; ses filles sont dans les prisons de Sommières, avec les quatre Demoiselles Audemard de Nîmes. Elles seront de là envoyées à l'Hôpital de Valence où les atrocités du gouverneur d'Hérapine en tueront une et vaincront l'obstination des autres. La lettre a paru dans les « Lettres Pastorales » de Jurieu, vol. I, lettre XVI, sans que l'auteur en ait été alors nommé (1er avril 1687). Antoine Court en eut une copie, à laquelle il joignit une Relation qui la rattache à Guiraud (voir Bulletin de la Soc. Hist. Prot., XII, 74).

À Aigues-Mortes, de la Tour de Constance, le 12 de février 1687.

J'ai cru, ma très chère mère, qu'avant d'être transplanté dans un nouveau monde, comme on nous menace, il était de mon devoir de vous donner de mes nouvelles, et de vous apprendre les véritables sentiments de mon âme. Que vous êtes heureuse, vous et mes chères soeurs, que Dieu par son Infinie miséricorde vous aye conservées si longtemps dans votre retraite et garanties des embûches qu'on vous a si souvent tendues, mais plus encore de vous avoir conduites d'une manière si miraculeuse hors de ce triste et malheureux royaume, pour vous faire goûter ses divines consolations dans ses saintes assemblées, avec toute cette liberté qu'on peut souhaiter. N'oubliez jamais de si grands bienfaits, si vous voulez, que Dieu continue ses bénédictions et ses grâces sur vous et sur les vôtres. Priez continuellement pour la liberté de Sion, pour tous nos pauvres frères qui sont malheureusement succombés (qui ont abjuré) et pour les prisonniers de Jésus-Christ. Vous avez glorieusement commencé, mais tout cela ne sera rien si vous ne persévérez jusques à la fin. Abandonnez-vous donc à sa divine Providence et soyez assurées que Dieu vous donnera tout ce qui vous est nécessaire en cette vie et en celle qui est à venir s'il est vrai que vous lui ayez fait un agréable sacrifice de vos biens, de votre famille et même de vos vies. Ne tournez jamais la tête en arrière pour regretter ce que nous avez abandonné, ne faites pas comme la femme de Lot, pour n'en recevoir la même punition.
J'avoue qu'il faut des efforts extraordinaires et une très grande grâce pour surmonter les mouvements de la nature et la tendresse qui nous lie si fortement à d'autres nous-mêmes, mais quand il s'agit de la gloire de Dieu et de notre salut, nous ne devons pas balancer un moment à suivre notre devoir, car celui qui n'aime pas plus son Sauveur que père, mère, mari, femme et enfants n'est pas digne d'être appelé son disciple. Ainsi, ma très chère mère, et mes soeurs, faites paraître jusqu'à votre dernier soupir la différence que vous faites entre le Ciel et la Terre, entre le parfait amour que nous pouvons avoir pour notre divin Rédempteur, et celui que nous devons avoir pour toutes les choses du monde, et assurons-nous de sa protection et de sa grâce. si nous persévérons jusques à la fin.

La mort de mon père m'a extrêmement édifié et consolé, et sa patience et persévérance m'ont donné une sainte joie, et une assurance certaine de son bonheur, de sorte que bien loin de m'en affliger, je souhaite de déloger comme lui pour être avec Jésus-Christ, puisque je me trouve présentement sur ses os. De sorte que je réserve mes larmes pour le triste et déplorable état de l'Eglise, et pour le mortel endurcissement de mes pauvres frères pour lesquels je prie nuit et jour le Seigneur de vouloir les faire revenir de leur égarement, et de leur faire grâce et miséricorde. C'est la véritable affliction qui dévore mon coeur, et le triste accablement de mon âme, car pour moi je n'ai jamais été plus content ni plus en repos que je me trouve présentement. De sorte qu'après avoir exactement considéré le monde et toutes ses vanités, j'estime avec Saint Paul que, tout bien compté, les souffrances du temps présent ne sont point à contrepeser à la gloire qui doit être révélée en nous. Ainsi, ma très chère mère, je suis entièrement résolu de faire mon devoir jusques à mon dernier moment.

On a déjà conduit à Marseille cent prisonniers, et le septième de ce mois nous partîmes septante de Montpellier pour nous rendre ici. On a amené de Sommières vingt-quatre filles ou femmes, et demain on en doit amener quarante. C'est le rendez-vous général. Je ne sais ce qu'il en arrivera de tout ceci. Cependant tout le monde est parfaitement résolu au grand voyage. Monsieur Ducros est toujours ici, il pourra bien être de l'embarquement avec ses filles qui n'ont pas changé (de religion) et quatre de Monsieur Audemard.

Quelle que soit notre destinée, nous serons toujours sous les yeux de Dieu et sous sa protection. Priez pour nous comme nous prions pour vous et que tous vos amis et toutes vos Églises redoublent de prières pour des pauvres malheureux qu'on mène peut-être à la boucherie.

Adieu ma très chère mère et mes soeurs. Soyez assurées que je serais fidèle à mon Dieu jusques à mon dernier moment, en quelque endroit que je meure.

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LETTRES D'ISABEAU MENET-FIALAIS

Isabeau Menet, fille de François Menet, marchand drapier de Beauchastel (Ardèche), mariée le 19 avril 1731 avec François Fialais (ou Fialès), travailleur de terre de Saint-Georges-les-Bains. Arrêtée avec son mari (25 ans) et sa soeur Jeanne, vers le 1er juillet 1735, pour avoir assisté à une assemblée du pasteur Pradon tenue le 29 mars 1735 dans la Grange des Blaches, au bord du ruisseau de Turzon, à une demi-lieue des villages de Saint-Georges, Bruzac et Saint-Marcel. Accouche dans les prisons de Pont-Saint-Esprit d'un fils, Michel-Ange (1er février 1737), dont sa soeur est la marraine.

François Fialais, envoyé aux galères par jugement du 1er mars 1737, entre au bagne de Marseille le 23 mai. Meurt à l'Hôpital de Marseille le 24 avril 1742. Le Major des galères envoya la montre du père au jeune fils. Cette montre est à la Biblioth. du Prot. français.

Jeanne Menet s'échappe des prisons du Pont-Saint-Esprit le 27 mars 1737 et gagne Genève aussitôt, avec ses cousines Juventin et Delhomme. Recueillie par la soeur de sa mère, Elisabeth Torras-Bessonnet, elle est aussi en relation avec deux oncles Pierre et Paul Torras qui habitent Turin. Épouse le 21 nov. 1739 François-Augustin Lombard, et a de lui un premier enfant Paul, qui mourut jeune.

Isabeau Menet fut écrouée à la Tour de Constance vers le 13 juin 1737 en même temps que Marie Vey (dite Marie de Goutet), femme du tisserand Jean de Goutet. Le beau-père de celle-ci, Noé Vey, tisserand de Chastant (Pierregourde, Ardèche), 72 ans, allait aux galères où il mourut en 1741.

Nous publions les trois lettres qu'Isabeau Menet a écrites de la Tour à sa soeur, d'après la transcription qu'en a, donnée M. Alex. Lombard dans son volume de 1873. Nous avons apporté au texte quelques corrections.

 

I


À la Tour de Constance, ce ? automne 1737).

MA TRÈS CHÈRE SOEUR,

J'ai reçu en son temps votre chère lettre en date du 9 mai par laquelle j'ai ressenti, je vous assure, un extrême plaisir, d'apprendre que vous jouissiez d'une parfaite santé. Je fais des voeux très ardents à ce grand Dieu pour qu'il lui plaise vous la continuer, et vous comble de ses plus rares faveurs. Soyez assurée de ma santé et de celle de mon fils, laquelle nous avons assez bonne, loué soit Dieu !

Mon mari a bien été malade (à Marseille), mais à présent il se trouve mieux, Dieu merci. Il m'a écrit il n'y a que quelques jours ; il me charge de vous remercier vos compliments, il vous assure de toute son affection. Je vous suis bien obligée des voeux que vous formez au ciel pour moi et de l'exhortation que vous me faites à la persévérance. Soyez assurée, ma chère soeur, que je les mettrai en effet, que toutes les menaces du monde ne seront pas capables de me faire abandonner le dépôt de la foi. Je m'estime fort heureuse que Dieu me trouve digne de souffrir persécution pour son saint nom, ainsi, j'espère que ce bon Père de miséricorde ne me déniera pas le secours nécessaire pour supporter les épreuves qu'il lui plaira m'imposer.

Vous me demandez si nous avons tant de liberté comme au (Pont) Saint-Esprit. Puisque vous souhaitez de savoir notre état triste, il est juste de vous en instruire. Je vous dirai que nous sommes 22, et que nous avons deux heures le matin et deux heures le soir que nous allons en la Basse Cour du Fort, et le reste du jour et toute la nuit nous sommes enfermées dans notre Tour.

Vous me dites de vous excuser, mais je vous excuse facilement pourvu qu'à l'avenir vous me donniez plus souvent de vos chères nouvelles qui me sont d'une grande consolation.

Ayez la bonté d'assurer de mes respects mes chers oncles et ma chère tante de même que mes cousins et cousines. Je leur souhaite à tous un million de bénédictions. Soyez toujours bien obéissante à mes chers oncles, suppliez-les de se souvenir de moi et de mon cher époux. Je vous recommande d'être, toujours bien sage. Soyez honnête et modeste, accompagnez-vous des honnêtes gens. Ne négligez pas le service de Dieu puisque vous en avez si bien l'occasion. Portez l'honneur et le respect à nos chers oncles et à notre chère tante ; faites en sorte de vous procurer leur amitié, cela vous tournera à honneur.

Vous me dites que si j'ai besoin de quelque chose, vous me l'enverrez. Je vous prie de m'envoyer un fichu de soie des plus forts et un mouchoir d'indienne qui soit beau et carré, avec deux peignes d'ivoire. Je vous demande pardon si je vous donne cette peine ; j'espère de votre bonté que vous m'accorderez cette grâce. Si je vous suis utile en quelque chose, vous n'aurez qu'à me le marquer et je m'en acquitterai avec empressement.

Mon frère (Jean-François Menet, avocat, habitant Royas, près St-Laurent-du-Pape, Ardèche), qui se porte, Dieu merci, à merveille, m'a écrit une lettre, et me marque avoir reçu la vôtre, dans laquelle vous me faites vos tendres compliments, de quoi je vous suis bien obligée. Il est toujours à Nîmes. Je me recommande à vos ferventes prières, et soyez assurée que vous avez bonne part dans les miennes. Mon fils qui se fait grand a une dent, vous embrasse dans son innocent langage.

Adieu ma chère soeur, je vous recommande à Dieu et aux Paroles de sa sainte grâce, et suis avec une cordiale affection

Votre bonne soeur,
Isabeau MENET de Fialès.

J'ai ici une bonne amie, nonobstant vous, qui est Mademoiselle Durand (Marie Durand). Elle vous ressemble, beaucoup ; que c'est cause que d'abord en entrant ici je lui dis qu'elle ressemblait à ma soeur ; et depuis nous nous sommes toujours appelées soeurs l'une l'autre. Elle vous embrasse de tout son coeur, de même que Marie de Goutet et toutes les prisonnières. Ayez la bonté d'assurer de mes tendres amitiés ma cousine Delhomme et ma cousine Galine (Galin).

Je vous prie de vous informer d'une nommée Marguerite Loubière, femme de Jourdan, et d'une Madeleine Loubière sa nièce, qui sont de Nîmes et qui sont réfugiées à Genève. Vous nous feriez bien plaisir de nous en donner des nouvelles (il s'agit de parents de la prisonnière Suzanne Loubier).

 

II


De la Tour de Constance ce 23 décembre 1739.
MA TRÈS CHÈRE SOEUR,

Celle-ci sera pour vous apprendre l'état de ma santé, laquelle est assez bonne pour le présent, de moi et de mon fils, grâces au Seigneur. Je souhaite que la vôtre en soit de même, et aussi de tous ceux que vous aimez le plus, c'est-à-dire de mes chers oncles et ma chère tante et toute leur chère famille. Je ne cesse de faire des voeux au Seigneur pour votre conservation de tous. Le Seigneur vous donne à tous de prospérer en son amour et en sa grâce, pour le prier tous en esprit et en vérité afin qu'il soit apaisé envers nous et envers tout son peuple ; qu'il soit ému de compassion envers moi et envers tout son peuple, car nous en avons extrêmement besoin. Car nous l'avons irrité à courroux : c'est la cause que son Église est agitée de toutes parts. Dieu veuille, par sa grâce, lui donner la tranquillité de son Esprit et la réjouir dans ses tristesses, et la consoler dans ses afflictions afin qu'elle cesse de pleurer et de se lamenter, car nos péchés nous attirent tous ces maux qui nous accablent. Prions le Seigneur tous, de bon coeur, qu'il lui plaise d'abréger nos peines et nos souffrances (à) tous, bien que nos crimes les attirent.

Mais nous devons imiter Jésus-Christ notre divin chef qu'il a pâti le premier, lui juste, pour nous injustes qui l'avons justement mérité. Car puisqu'il (cela) a été fait au bois vert, que ne sera-t-il pas fait au bois sec ? puisqu'il a enduré toutes les malédictions qu'ils étaient préparées pour nous, mais comme un bon frère qu'il (mais que, comme un bon frère, il) a bien voulu nous exempter des peines et souffrances de l'enfer pour nous acquérir un poids de gloire éternelle afin de nous faire triompher de la félicité de Paradis.

Dieu nous fasse, la grâce de le suivre, en quelle part qu'il nous appelle, puisque c'est pour sa gloire et pour notre salut, car quant à moi je m'estime bien heureuse que le Seigneur m'ait appelée pour souffrir opprobre pour son nom puisque telle est sa volonté ! Dieu me fasse la grâce d'aller jusqu'au bout de la lice, car je sais que Jésus-Christ nous y attend avec ses bras ouverts. Soyez toujours persuadée que je n'ai d'autres sentiments que de suivre Jésus-Christ. Car les souffrances du temps présent ne sont point à contrepeser à la gloire qui nous doit être révélée dans le Ciel, et bienheureux seront ceux qui les (le) considéreront et qui délaisseront le monde et les choses du monde pour rechercher cette perle d'un si grand prix. Qu'importe que nous soyons les haïs du monde pourvu que nous soyons de son bon grain, son froment savoureux qu'il doit mettre dans son grenier. C'est (il est) notre origine et nous sommes le souffle de sa bouche. Allons à lui puisqu'il nous a promis qu'il nous aidera en ce temps opportun. Soyons-lui fidèles jusque à la mort afin que nous puissions acquérir cette couronne d'immortalité bien heureuse.

Je n'aurais pas tant tardé à vous écrire, mais c'est que on m'avait donné l'épreuve de mon cher époux, en me disant qu'il était mort. C'était son frère Fialès qui me l'avait écrit, et je n'ai pas voulu vous écrire sans savoir la chose claire. De ce que (de quoi) je rends grâces au Seigneur, que j'ai appris par une de ses lettres comme il est en bonne santé. Grâces soient rendues à Dieu, et cela m'a mis d'huile dans mon coeur, de ce que je ne saurais lui rendre tant de grâces comme il lui a plu de me faire, car après la douleur j'en ai ressenti de la joie. Le Seigneur veuille par sa grâce nous rassembler quand bon lui semblera afin que nous puissions le prier avec plus d'ardeur que nous n'avons jamais fait. Il vous fait bien ses compliments et vous embrasse tous en esprit du profond de son coeur, et j'espère, qu'il vous écrira.

Je vous remercie bien de la bonté que vous avez eue pour moi de m'envoyer les deux mouchoirs que je vous avais prié et je vous suis bien obligée. Si je pouvais faire quelque chose pour vous faire plaisir, je le ferais du meilleur de mon coeur. Mais comme vous savez, je suis esclave, puisque telle est la volonté du Seigneur : ainsi je ne puis pas faire grand chose comme je le souhaiterais.

Je finis, ma très chère soeur, en vous priant de me croire que je suis avec une amitié sincère

Votre très affectionnée soeur,
Isabeau MENET de Fialès.

P.-S. - Je vous prie d'assurer mes chers oncles de mes très humbles respects, de même que ma chère tante et toute la chère famille et de leur faire bien mes compliments. Vous ferez aussi mes compliments au cousin Delhomme et à sa soeur, de même que à la cousine Galin. Marie de Goutet vous fait ses compliments et aussi toutes les prisonnières en général. Mon fils votre filleul se fait bien grand, Dieu merci ; il vous embrasse de tout son coeur en son innocent langage. Suzon Loubière (Loubier) vous prie de faire tenir l'incluse à sa nièce.

Pour à l'égard des mouchoirs, je ne les ai pas encore reçus, mais mon cher père m'a écrit qu'ils étaient à Beauchastel, qu'il me les envoyerait. Il y a ici une prisonnière qui s'appelle Marie Vernet, de Saint-Fortunat, qui vous prie de vous informer d'un certain M. Vernet, son cousin, que elle lui fait bien ses compliments. Elle souhaiterait de savoir si sa tante est encore en vie. Quand vous me ferez le plaisir de m'écrire, vous nous le ferez savoir : son cousin il est marchand.

 

III


À la Tour de Constance, ce 26 décembre 1743, et de Beauchastel, le 13 janvier 1744.

MA TRÈS CHÈRE SOEUR,

La présente est pour vous faire savoir l'état de ma santé, laquelle est assez bonne pour le présent. Grâces au Seigneur lui en soient rendues, de m'avoir préservée de tant de fléaux et de dangers. Je prie le Seigneur du profond de mon coeur et de mon âme qu'il vous veuille conserver, vous et votre cher époux et enfant lequel a plu au Seigneur de vous donner. Le Seigneur le fasse croître en toutes sortes de vertus chrétiennes et loyales pour être dans le sein de l'Eglise du Seigneur. Je vous souhaite à tous la paix et la bénédiction du Seigneur, et qu'il nous fasse la grâce de nous assembler, en son nom, pour le prier avec plus de liberté que nous n'avons pas fait jusques ici.

Je vous prie, ma chère soeur, au nom de Dieu, de vous souvenir de moi dans vos saintes prières, de même que de mon cher enfant, lequel je vous donne, que vous le regardiez comme votre cher enfant, pour le recommander à mon cher père et mère, qu'ils aient soin de son salut afin de lui faire reconnaître que son cher père est mort pour la profession de l'Évangile. Je me fie que vous en aurez le soin, de le tirer devers vous comme vous m'avez promis, car c'est la seule cause que je le livra à mon frère ; car je peux dire après Dieu qu'il m'était d'une grande consolation à mon entour, quoique jeune. J'espère que Dieu y pourvoira pour lui et pour moi, car il faut attendre tout d'en haut puisque les hommes ne peuvent rien sans sa divine Providence. Le Seigneur soit apaisé envers nous et envers sa chère Église, !

Je vous avais fait réponse de la chère vôtre en date du 22 août, que je la donna (ma réponse) à Mlle Dembre la veuve, de Nîmes, qu'il (elle) me promit de vous la faire tenir comme celle de Suzon Loubière, qu'elle envoya à sa soeur Madon Loubière, avec un paquet des hardes, et elle (Suzon) est fort surprise que dans la lettre qu'elle a reçue de sa soeur du depuis, qu'il (elle) ne donne aucune réponse de vous, et même elle marque qu'elle ne vous connaît pas.

Je vous prie et sa soeur aussi, de savoir si elle a reçu le paquet qu'il (elle) lui a envoyé et de lui recommander que quand elle écrira à sa soeur de vous le faire savoir, et vous de même à elle, pour nous donner des nouvelles l'une de l'autre (les unes des autres). Comme je vous avais prié de lui donner un écu de six livres, si vous lui avez donné, vous me le ferez savoir, que sa soeur me le rendra. Si vous ne l'avez pas fait, que vous voyez qu'il (elle) en aye besoin, je vous prie de le lui donner, et moi aussi je vous serai obligée.

Je vous souhaite une heureuse année suivie de plusieurs autres de bienveillance, où Jacob voie venir ses captifs de retour. Qu'elle soit couronnée de toute sorte de bonheur pour la délivrance de notre chère Église et la paix du royaume [et] de toute la terre, afin que son nom en soit glorifié et les fidèles édifiés.

Je vous prie, ma chère soeur, de me recommander aux prières de l'Eglise, car j'en ai grandement besoin, aux afflictions où je me vois réduite. Le Seigneur me fasse la grâce de prendre le tout venant de sa main,

Je vous apprends, par bonne nouvelle, que dans tout le Languedoc l'on fait des Assemblées fort fréquemment et à plein jour, et l'on baptise et l'on épouse sans crainte. Grâces au Seigneur lui en soient rendues, et qu'il lui plaise d'augmenter le nombre des élus et fidèles.

Je vous prie, ma chère soeur, de m'apprendre en me donnant de vos chères nouvelles, que je languis fort d'en recevoir, si vous avez reçu une lettre il y a quelque temps que j'envoya à mon cher père pour vous faire tenir, d'une prisonnière qu'elle remet à sa tante. Je vous prie de lui faire faire répondre car elle en languit beaucoup d'en avoir.

J'embrasse de tout mon coeur mon cher beau-frère vôtre époux, de même que votre fils mon neveu, et votre belle-mère et beau-frère.

Je vous prie d'assurer de mes très humbles respects mes chers oncles et tante et mes chers cousins et cousines, lesquels je vous prie, de même que vous, de se souvenir de moi dans leurs prières : j'en fais de même dans les miennes. Je leur souhaite une heureuse année suivie d'un grand nombre d'autres. Je finis en vous souhaitant une parfaite santé et une bonne prospérité, et suis, en vous embrassant du plus profond de mon coeur, ma très chère et tendre soeur,

Votre très affectionnée et bonne soeur,
La veuve FIALÈS, née MENET.

Pour Jeanne Lombard, née Menet.
Marie de Goutet vous embrasse toutes les prisonnières vous saluent.

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DEUX LETTRES DE MARIE DURAND


Ces deux lettres de Marie Durand adressées : la première à sa nièce Anne Durand alors à Genève, la seconde au Pasteur Paul Rabaut à Nîmes, ont été déjà publiées par D. Benoît (Marie Durand, pp. 239 et 295). Nous les avons transcrites d'après les originaux qui sont à la Bibl. du Prot. français (Papiers Sayn-Sérusclat, et Papiers Rabaut).


I


À la Tour de Constance, ce 23 novembre 1755.

Je t'aurais fait réponse de tes deux lettres d'abord les avoir reçues, ce qui fut trois jours l'une après l'autre, ma chère petite, n'eût été certaines nouvelles qui se sont répandues sur le sujet de la liberté des pauvres captifs affligés, et j'ai voulu avant t'écrire, examiner si ces nouvelles seraient solides. On a commencé de libérer des prisonniers qu'il y avait aux Citadelles de Montpellier et de Nîmes, mais ces gens-là n'étaient pas jugés. Ce qui nous donne meilleur augure, c'est huit forçats qui ont été délivrés de leurs chaînes tout récemment, et on nous assure que nous, misérables Maras (Ruth 1, 20), aurons part à ce bonheur (Le 11 septembre cinq forçats du Dauphiné, et le 4 novembre trois forçats du Mas d'Azil avaient en effet été libérés). Mais c'est un bruit public. Cependant la liberté des dits forçats nous donne de grandes espérances, d'autant mieux que nos frères libres se donnent d'émulation à invoquer le saint nom de Dieu, dans des assemblées nombreuses et fréquentes, et personne ne dit le mot. Ainsi, mon cher ange, ne t'afflige point.
Le temps nous semble long, et, en effet, à l'est, parce que nous sommes naturellement impatients ; notre chair murmure toujours ; mais, ma chère fille, mortifions nos mauvaises passions. Soyons de ces violents qui ravissent le Ciel. Cherchons le règne de Dieu et sa justice, et toutes choses nous serons données pardessus. Délaissons nos voies et retournons à l'Éternel ; car, dans sa plus grande colère il se souvient d'avoir compassion. Il aura pitié de sa désolée Sion et la remettra dans un état renommé sur la terre. Prions pour sa paix, car Dieu promet que ceux qui l'aiment auront prospérité. Ah ! ma chère Miette, confions-nous en ce Père de miséricorde, en l'invoquant de toutes les puissances de nos âmes, et il aura pitié de nous ; il nous fera éprouver des jours calmes et sereins. Nous aurons encore la douce satisfaction de nous voir et de nous embrasser. Je serais au comble de mes désirs, et ma félicité serait parfaite dans ce Monde, de me voir auprès d'un enfant que je chéris et que j'aime plus que moi-même.

Tu trouves mes lettres à ta fantaisie, ma chère petite ; c'est l'amitié que tu as pour moi, qui fait que tu n'y découvres pas les défauts, car pour le style ni les termes je n'y fais guère d'attention quand il est question de t'écrire, et, pour te dire vrai, je n'en recopie jamais aucune, si ce n'est que j'écrive à des grands. Mais, hélas ! quel encens me donnes-tu ? Quels éloges fais-tu de moi ! Tu me jettes dans la confusion ! il est vrai que j'ai le bonheur d'être aimée et que personne ne me hait que par l'esprit de jalousie que, bien souvent, il provient d'un trop grand amour ; mais cela n'est pas un mérite dont j'en sois digne : c'est la grâce de mon Dieu qui veut adoucir mes amertumes.

Cependant, ma tendre petite, sois toujours sage, douce, patiente, modérée. Aie toujours ta confiance en notre divin Sauveur, et il ne t'abandonnera point. Tu es malade ma chère enfant, que je te regrette ! Le Seigneur veuille par sa pure grâce, te donner la santé la plus solide et te remettre bientôt entre mes mains ! Dieu nous accordera cette faveur au moment où nous y penserons le moins.
Ma santé serait assez bonne, mais j'ai un dégoût pareil au tien. Ton état triste n'y contribue pas peu. Si je pouvais te donner tout le soulagement qui te serait nécessaire, je serais encore tranquille dans ma situation. Il faut pourtant se soumettre à la volonté du Seigneur et baiser la verge qui nous frappe.

Je te dirai que ton oncle Brunel a gagné ton procès. Toutes mes compagnes te font mille compliments, principalement Mme de Sinsens. Présente les miens bien empressés à M. et à Mme Chiron, et à tous tes amis et amies Adieu, mon cher ange, adieu, mon tout ; crois moi non une bonne tante, mais une tendre mère. Aime-moi toujours comme je t'aime, et sois persuadée que rien ne mettra de bornes à mon amour que la mort. Je suis ta sincère tante.

La DURAND.

Je ne te mande pas encore tes chemises, je veux voir l'effet de nos affaires, parce que si je deviens libre je t'envoyerai prendre. Mon amie (Goutès) t'embrasse tendrement Fais-moi réponse, ma chère amour, d'abord ma lettre reçue car je languis d'avoir de tes nouvelles.
Fais mes compliments à la petite Gaussain (parente de la prisonnière), dis-lui que son frère et sa mère se portent bien et l'embrassent. Il n'est pas besoin de me recommander la circonspection : j'ai su tout ce que tu me dis dans ta dernière lettre, Sur ton sujet, à l'égard de la tromperie des hommes, mais je ne t'en aurais rien dit. Sois prudente et sage et ne t'afflige pas du reste. Je n'ai pas encore su le nom ni l'endroit du Monsieur qui se chargea de ta précédente (lettre). Adieu ma chère, ma tendre Miette.


II


MONSIEUR ET TRÈS HONORÉ PASTEUR,

C'est à vous que nous avons recours, c'est en votre bonté pastorale que je viens chercher un remède pour tâcher de prévenir un venin (un homme venimeux : peut-être l'intendant) qui tâche de se répandre contre nous, comme il l'a fait dans chaque occasion. Il y a quelques jours qu'une personne nous dit que notre liberté de conscience était donnée et qu'en conséquence nous avions la nôtre, pourvu que personne ne s'y opposât. Mais qu'il se pourrait qu'on représentât que la plus grande partie de nous, étions fort âgées, et qu'en ce cas, on nous retiendrait. Cette personne n'a pas sorti cette raison d'elle-même, il la tient d'un, dont ils sont trop... (le mot n'a pas été écrit, et la première lettre est illisible ; le sens est : esclaves), et c'est uniquement l'intérêt qui (le) porte à nous nuire, et qu'il (et il) l'a toujours fait. Il y a quelque apparence : puisque lors de la nouvelle si publique de notre liberté on se hâta de se rendre à la source de nos maux (c'est-à-dire : d'aller interroger cette personne), ce qu'on fit encore le jour avant que j'appris (se) d'agir contre notre âge (c'est-à-dire : qu'on agirait en se réglant sur la considération de notre âge).

On m'a assurée que le Duc de Fitz James arrive en (dans la) province, le mois prochain, avec dix mille hommes. Ce seigneur a fait son possible pour nous tirer d'ici, il y a deux ans passés, et ne pouvant alors nous arracher toutes de ce funeste lieu, il sortit les deux qui (y) étaient par ordre du gouvernement. Une avait resté vingt-cinq ans et l'autre trois ans et six mois. Le temps devenu plus favorable, je vous prie de lui faire passer un placet pour le Roi et un pour lui, pour le supplier de se rendre favorable pour nous auprès de Sa Majesté. Peut-être qu'il recevait des ordres de notre auguste monarque, Louis le Bien-Aimé, pour nous rendre libres. Faites vos efforts, Monsieur mon très honoré et cher pasteur, pour briser le lacs qu'on voudrait nous tendre. Si nous n'avons de grâces de ce côté-là (du Roi), nous n'en aurons point d'ici. La nouvelle chimérique nous rendit toutes malades. Elle, nous réduisit dans l'état le plus abattu. Je dis chimérique, quoique le Père Gardien des Cordeliers et les plus distingués de cette ville nous assurent toujours qu'elle était réelle, mais que quelqu'un se mit contre. Celui qui nous apporta la nouvelle si affirmative, greffier de cette ville, dit à une de nos compagnes, qu'il (qui) lui disait que ladite nouvelle avait été fausse : « Elle ne le sera pas ; nous travaillons pour cela ». Il ne dit pas : « je », mais « nous travaillons ».
La personne qui nous parla sur la liberté de conscience, nous dit qu'on nous relâcherait, mais « parce qu'il faut » dit-elle « rendre » cela fait qu'on nous retient. Ce rendre est : les biens qui sont à la Régie. Vous pouvez tirer des conséquences sur ces deux raisonnements. Je ne peux pas confier sur ce papier le nom d'où a été tiré ce que je vous dis ci-dessus. C'est toujours le même qui nous a été nuisible. Il est intrigant en tout et fort intéressé. Dieu veuille confondre ses desseins et achever Son oeuvre ! Au nom des entrailles de la divine Miséricorde, donnez-vous tous les soins possibles pour nous arracher de notre sépulcre si affreux. Je suis très persuadée de la bonté pieuse et charitable que vous avez pour nous, Monsieur et très cher pasteur. Que nous avons bien besoin de tous vos secours.

Le grand Dieu bon et pitoyable vous prête son secours tout-puissant en tout, bénisse votre digne personne et votre aimable famille, vous protège tous, et accomplisse par vos précieuses mains, la grande oeuvre de la paix la plus désirée, et m'accorde la grâce de la plus grande satisfaction que je désire au monde, qui est, après la paix de l'Eglise, celle d'avoir le doux avantage de voir celui que j'aime, que j'honore, que je respecte, pour lequel je me ferai toute ma vie l'honneur de me dire avec les sentiments de la plus respectueuse vénération.

Monsieur et très honoré pasteur,
Votre très humble et très obéissante servante,
La DURAND.

 

À la Tour de Constance, ce 26 août 1764.

Mes plus respectueuses salutations à tous ceux qui vous sont chers. Puissiez-vous, et le sacré talent que vous avez reçu du ciel, revivre en eux jusques à la fin des siècles.
Toutes mes compagnes vous assurent de leurs profonds respects et joignent leurs voeux aux miens pour votre chère conservation et celle de vos dignes vous-mêmes.
Incendiez ma lettre, s'il vous plaît.

Ayez-la charité de prier le Bon Dieu pour nous, en particulier pour notre malade. Notre santé est fort altérée de presque toutes.

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