Nul ne saurait prévoir ce que l'avenir
réserve au maréchal Feng, et nul non
plus ne saurait prédire comment se
révélera l'énergie
cachée dans son coeur. Mais nous savons que
la foi est une force, et que "la prière
fervente du juste a une grande efficace". Il est
donc permis de dire que cet inconnu dépend,
au moins en partie, de l'usage que nous ferons de
cette puissance que Dieu a mise entre nos
mains.
La situation à laquelle le
maréchal Feng doit faire face est plus
compliquée et angoissante qu'on ne le sait
généralement. Jamais, sans doute, la
corruption n'a été pire en Chine
qu'aujourd'hui, et c'est naturellement autour des
places ambitionnées à Pékin
que se concentrent la corruption et les intrigues.
Voilà des années que dure la guerre
civile, et tout semble indiquer que l'on va
au-devant de troubles plus graves encore. Le
maréchal Feng aura besoin d'une sagesse
supérieure pour discerner le sentier du
devoir ; il lui faudra une grande mesure de la
grâce de Dieu et beaucoup de courage.
D'autre part, malheureusement, les
rapports entre la Chine et les puissances
étrangères ne sont pas aussi cordiaux
qu'on pourrait le désirer. Tous les liens qui
unissent la
Chine
aux nations occidentales sont gravement
menacés par la marée montante de
l'anarchie et du désordre. Si les puissances
parviennent encore à obliger la Chine
à se plier aux diverses clauses des
traités, c'est aux dépens de la
cordialité des relations, et cela parce que
certains de ces traités n'ont
été signés par la Chine
qu'à contre-coeur et sous la contrainte de
la "force majeure".
Il ne faut pas oublier que depuis la
révolte des Boxers, en 1900, les
légations étrangères à
Pékin ressemblent à un camp
protégé par les armes. Nous pourrions
nous demander quels seraient les sentiments des
Anglais s'il y avait au coeur de Londres une
forteresse occupée par des gardes
étrangers. Le maréchal Feng a
été récemment accusé
d'avoir tenté de passer par-dessus les
ordonnances policières établies pour
le quartier des légations
étrangères à Pékin. Il
y a là sans doute un incident
regrettable ; mais qu'il nous soit permis de
demander, par exemple, ce qu'aurait ressenti Lord
Kitchener au cas où son automobile eût
été arrêtée au milieu de
Londres par un agent de police au service des
autorités chinoises. Il n'est pas
nécessaire de faire un grand effort
d'imagination pour se représenter qu'un
procédé pareil peut paraître
une provocation.
Si nous disons deux mots de ce qui vexe
les Chinois de Pékin, c'est pour que nos
lecteurs se rendent mieux compte des
difficultés au milieu desquelles se trouve
le maréchal Feng. Comme citoyen chinois, il
ne peut qu'être embarrassé et troublé par le
labyrinthe
politique dans lequel il est engagé, et
comme patriote ardent il peut bien être
tenté de s'irriter contre l'emploi que les
puissances font de la force pour soutenir les
droits des traités.
Nous devons maintenant laisser
inachevée cette histoire émouvante.
Nous en avons dit assez pour montrer que le
maréchal, placé comme il l'est au
milieu des complications et des luttes de la Chine,
occupe un poste extrêmement périlleux.
N'oublions donc pas que la suite de cette vie
dépend, dans une large mesure, de notre
fidélité à remplir le devoir
de l'intercession.
M. Hoste, avec l'amiral Sir James Startin, qui
visitait la Chine, a fait récemment un
séjour à Pékin. Ils
passèrent quelques heures dans le camp du
maréchal Feng, avec lequel ils prirent un
repas. Celui-ci organisa une réunion qu'il
présida lui-même et à laquelle
il avait invité trois cent cinquante de ses
officiers supérieurs, y compris trois
généraux. Les deux hôtes furent
invités à prendre la parole. À
ce sujet M. Hoste écrit :
"Ce jour fut l'un des plus
impressionnants de ma vie ; je quittai le camp
persuadé, plus que jamais, que Feng et le
mouvement qu'il dirige sont inspirés de Dieu
et constituent l'un des événements
les plus remarquables, sinon un fait unique, dans
l'histoire de la chrétienté."
Mme Goforth, missionnaire en Chine,
publie à son tour les lignes
suivantes :
"On raconte que Tsao-Kun,
Président de la Chine, avait offert la main
de sa fille au maréchal Feng, qui
était veuf ; mais celui-ci refusa et
choisit lui-même pour fiancée une
jeune chrétienne de Pékin, professeur
dans les Unions chrétiennes de jeunes
filles. Cette nouvelle a plus d'importance que ne
pourrait le supposer le lecteur européen. Si
Feng avait accepté la proposition du
Président, et épousé ainsi une
païenne, il aurait eu de l'avancement, de
l'appui pour ses troupes et du prestige parmi les
grands et les puissants .... Le
Président est très riche, un refus
peut le blesser et le rendre hostile. Nous pouvons
nous représenter combien grande fut,
probablement, la tentation d'accepter cette offre
en nous rappelant que Feng et son armée
furent, plusieurs années durant, dans la
gêne, les soldats comptant sur leur chef pour
subvenir à leur subsistance et à
celle de leurs familles qui souffraient de la
faim ; mais Feng est avant tout
chrétien.
Il se fût compromis aux yeux de
ses hommes et du peuple s'il avait
épousé une personne
élevée dans le paganisme et
accoutumée au faste. Mais, grâce.
à Dieu, il a choisi une meilleure part.
Connaissant les Chinois comme je les connais, je ne
puis me représenter un acte plus convaincant
de la sincérité de Feng, pour ses
30,000 soldats, dont 18,000 sont baptisés,
que ce refus d'épouser une païenne
riche et de choisir plutôt une humble
chrétienne qui gagnait dix dollars par
mois."
Un Américain, M. Davis, eut le
privilège de faire dernièrement une
campagne d'évangélisation dans les
troupes de Feng. Il en rendit compte de la
manière suivante.
(2)
"Après avoir
séjourné quatre mois à
Pékin et observé cette armée,
du simple soldat jusqu'au commandant en chef, je
puis, comme la reine de Séba, qui avait fait
un long voyage pour voir un roi
fameux, m'écrier : "On ne m'en avait
point raconté la moitié."
Plus j'étudie ces hommes, plus
j'en suis émerveillé.
Réfléchissez donc : Il y a une
douzaine d'années un major, du nom de Feng,
qui avait cinq cents hommes sous ses ordres, se
convertit. Comme il lui était interdit de
leur prêcher Christ dans les casernes, il les
envoya au culte dans les églises de la
ville. Aujourd'hui cet officier est le
défenseur de la capitale, et son
armée, aux deux tiers chrétienne,
travaille à l'établissement de la
justice en Chine. Elle est remarquable au point de
vue moral et spirituel : "C'est de
l'Éternel que cela est venu, c'est une chose
merveilleuse à nos yeux." Ps.
CXVIII : 23.
Un officier américain, après avoir
passé deux semaines auprès des
troupes de Feng, déclara :
"Voilà les meilleurs soldats de
la Chine." Ce n'est pas seulement une force
militaire, mais aussi une école dont les
élèves sont instruits au point de vue
physique, professionnel, intellectuel et spirituel.
Ces soldats-étudiants travaillent ainsi
pendant trois ans, sans vacances ; ce qui
équivaut à quatre années de
collège.
De l'heure de la diane à celle de
la retraite, chacun est occupé. En
été, on se lève à
quatre heures du matin pour commencer la
journée par un culte en plein air. Le
capitaine de chaque compagnie entonne un cantique,
puis les têtes s'inclinent pendant qu'un
gradé ou un simple soldat prie à haute voix pour
implorer la bénédiction
divine.
Viennent ensuite les exercices
corporels. Pendant vingt minutes les hommes, en
courant, escaladent de curieux talus afin
d'apprendre à gravir les montagnes et de
s'assouplir les muscles.
Puis viennent les exercices militaires
proprement dits, des travaux d'artisans, des
leçons d'instruction primaire, des lectures
de morale, puis le culte de midi, et ainsi de
suite, du matin au soir, alternent l'étude,
les exercices et les services religieux.
L'armée de Feng est parvenue à un
degré remarquable d'entraînement. Les
hommes renoncent à l'immoralité,
à l'alcool et au tabac ; ils sont
alertes et fortement musclés, de vrais
athlètes ; leurs regards sont clairs
(comme ceux des gens honnêtes et qui ne
prennent pas d'opium). Un amiral anglais, qui passa
par Pékin, fut impressionné par les
corps vigoureux de ces soldats et ravi par leur
souplesse aux exercices de gymnastique.
L'une des particularités de cette
troupe est le travail professionnel. Il fut
introduit par le général, qui voulait
que tout homme, une fois licencié du service
militaire, eût un métier. Quand vous
visitez les casernes, vous pouvez voir des jeunes
soldats qui fabriquent des souliers, d'autres qui
cousent des habits ou tricotent des bas, tissent
des tapis, font des chaises ou d'autres
meubles.
Vous seriez encore plus
étonné de l'activité
spirituelle. Dans mes premières visites au
camp, je fus impressionné par la vue des
centaines d'hommes qui
chantaient des cantiques en entrant au
réfectoire pour prendre leur repas et qui,
la tête inclinée, prononçaient
une fervente prière. Imaginez ma surprise
quand j'appris qu'il en était chaque jour
ainsi !
Une autre scène me frappa
davantage. L'heure de midi est annoncée par
un coup de canon. Dix minutes après, les
hommes, réunis par compagnies devant leurs
quartiers, entendent une lecture biblique suivie
d'une prière. Le service est dirigé
par le capitaine, ou parfois, pour varier, chaque
compagnie est divisée en groupes
confiés à des sous-officiers qui font
de véritables cultes de famille.
Les cantiques sont aimés de tous ;
vous entendez leurs accords le matin, à midi
et le soir, aux heures des cultes, avant les repas
et pendant la marche. Le chant
préféré commence par les
mots : "En avant, soldats chrétiens."
D'autres ont aussi les faveurs des troupiers :
"Debout, debout pour Jésus" ; "Vous qui
sur la terre habitez" ; "Oh ! jour
heureux."
Ce fut une joie et un privilège
que de travailler au milieu de ces hommes pour leur
prêcher la Parole de Dieu. Avant notre
départ pour la Chine nous avions
demandé qu'on intercédât
auprès du Seigneur pour la réussite
de notre entreprise. Notre appel, adressé
par circulaires à vingt mille personnes de
plusieurs pays, a été entendu et nous
a donné l'occasion de glorifier
l'Éternel. À notre arrivée, le
maréchal Feng nous avait fait le meilleur accueil
et nous
avait
encouragés dans notre campagne
d'évangélisation.
Jamais je n'oublierai un culte auquel prirent
part quatre mille hommes réunis en plein air
par une journée splendide. Placé avec
mon interprète sur une tribune, je pus
constater l'attention de tous les assistants :
l'Esprit de Dieu agissait sur les consciences.
Quand je demandai qui voulait être
chrétien, tant de mains se levèrent
que je crus à une erreur. Mon traducteur
répéta la question et, à ma
grande joie, des centaines de mains se
levèrent de nouveau, scène admirable
suivie d'émouvantes déclarations de
foi chrétienne. Puis le
général Chang, chef de cette brigade,
adressa une sérieuse exhortation et pria
pour ceux qui venaient de faire profession de
christianisme.
Une distribution de Nouveaux Testaments
clôtura ce culte. Les hommes
s'approchèrent par compagnies, en chantant
des cantiques, et des majors remirent à
chacun son exemplaire. Après une
brève allocution et une prière
incisive de Chang, les hommes reçurent
l'ordre de tenir leur Testament au dessus de leur
tête, ouvert au passage Il
Timothée II : 15.
"Efforce-toi de te présenter
devant Dieu comme un homme éprouvé,
un ouvrier qui n'a point à rougir et qui
dispense avec droiture la Parole de la
vérité."
Ce spectacle incomparable, cette
multitude de Testaments ouverts, me fit tressaillir
de joie et me donna une vision des temps où
la terre entière connaîtra
l'Éternel."
1
Tiré de la revue China's
Millions, numéro de juillet 1924.
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