« Il n'existe pas de grand homme pour
son valet de chambre », affirme un dicton
populaire. En effet, à vivre dans
l'intimité des génies religieux,
moraux ou intellectuels, on apprend à
connaître leurs manies et leurs faiblesses.
La vie au foyer ne s'harmonise pas toujours avec
les paroles et l'activité publiques. Une
fois révélé, ce
désaccord entre les deux vies entraîne
une moindre admiration.
Il y a une cinquantaine d'année,
une jeune fille cherchait une place de servante.
Elle présentait un certificat des plus
élogieux de la femme d'un
prédicateur, son ancienne patronne. Sa
future maîtresse, après lecture du
certificat, de la questionner :
- Vous avez donc eu sous les yeux de
bons exemples ?
- Comme ça, madame.
- Comment, comme ça ? Que
voulez-vous dire ?
- Voilà. M. le pasteur faisait de
bien beaux sermons. Un jour je l'entendis
prêcher sur la douceur. Il parlait avec tant
d'éloquence que tout le monde pleurait. Mais
en rentrant à la maison, il ne trouva pas le
dîner prêt et il s'est
fâché. Alors, c'est madame qui a
pleuré.
Le Général Booth
appartenait-il à cette classe de gens qui
parlent très bien, mais oublient de mettre
en pratique leurs propres leçons ?
Quelle impression faisait-il sur les personnes qui
partagèrent sa vie familiale ?
Miss Jane Short, qui habita avec les
Booth, s'est laissée interviewer par M.
Harold Begbie :
Je dois l'avouer franchement, je
redoutais d'habiter chez ces braves amis ; les
gens religieux m'avaient infligé tant de
désillusions. Les Booth vivaient-ils,
à leur foyer, fidèles à leur
prédication ? Je craignais de voir des
actions, d'entendre des paroles qui me plongeraient
dans une grande détresse spirituelle. Je ne
pouvais me les représenter traduisant leur
idéal dans leur vie quotidienne, et je les
aimais tellement que je tremblais à
l'idée d'être obligée de jeter
mes héros à bas de leur
piédestal.
Certaines gens
affirment que Mme
Booth était supérieure à son
mari, continue-t-elle, mais ils ne savent ce qu'ils
disent. Mme Booth était merveilleusement
douée, habile à manier la parole et
à convaincre ses auditeurs, elle
possédait le génie de la direction et
de "organisation ; mais le
Général, lui, était une force.
Il dominait toutes les situations. Je n'ai jamais
rencontré un caractère d'une pareille
trempe. À peine avait-il franchi le seuil de
la maison, et chacun sentait son influence. Toutes
les branches de la vie domestique en étaient
transformées. C'était vraiment le
maître.
Vous ne pouviez rien
refuser au
Général. Il décida que je
devais habiter avec eux, et je dus me ranger
à son avis. Quand il avait prononcé
qu'une chose devait être faite, elle
s'accomplissait, et rapidement encore. Il ne
pouvait pas supporter les tergiversations :
elles l'exaspéraient autant que la
stupidité. Toutes les activités de la
maison étaient réglées comme
un chronomètre, mais un chronomètre
qui marcherait deux fois plus vite qu'une horloge
ordinaire. Il avait découvert le secret
d'accomplir en une journée le travail de
deux jours.
C'était un original.
Plus
d'une fois, il me dit avec un éclat de rire
malicieux, car il riait
souvent :
- Soeur Jane, les Booth
forment
une bande d'originaux.
Je l'ai vu, au milieu
du repas,
se mettre à genoux pour remercier Dieu pour
de l'argent contenu dans une lettre qu'il venait
d'ouvrir. À certains moments, il
était sérieux et grave, comme un juge
à la cour ; et, la minute
d'après, il riait et se gaussait de ses
propres bizarreries. En un clin d'oeil, il
changeait d'humeur : il passait du plus sombre
abattement à une joie contagieuse qui
forçait tout son entourage à rire
avec lui. En ce temps-là, il souffrait de
névralgies et de troubles gastriques, on
avait peine à supporter la vue de ses
souffrances. Mais il oubliait immédiatement
toutes ses douleurs en présence d'un travail
exigeant son attention, ou d'une personne à
consoler, surtout lorsqu'il s'agissait de Mme
Booth. Il aimait sa femme et l'entourait de tendres
attentions. Ses prévenances affectueuses
constituaient un spectacle charmant. Mm' Booth
était gravement malade. Ses maux, certains
jours, la rendaient irritable et exigeante, elle ne
pouvait supporter le moindre bruit. L'amour du
Général, à ces
moments-là, brillait dans tout son
éclat. Jamais une parole rude, ni de ces
encouragements qui cinglent comme des coups de
cravache. Il se montrait doux, courtois,
chevaleresque ; il la courtisait comme au
temps de leurs fiançailles ; il la
servait, la soignait et apaisait ses nerfs avec un
dévouement sans égal. Je ne dis pas
qu'il ne s'irritait jamais. Il était parfois
un peu trop sévère pour les enfants.
Mais son amour pour sa femme était
merveilleux. Interrogeant mes souvenirs, je dois
reconnaître que cet amour fit sur moi une
inoubliable impression.
La maison des Booth, à Londres,
se dressait dans une rue tranquille d'un faubourg
bourgeois. Elle présentait le type cossu de
ces demeures de la bourgeoisie anglaise, sans
style, mais très confortables avec leurs
grandes pièces éclairées par
de larges baies vitrées. La fantaisie et le
caprice étaient bannis de cette
maison.
L'exactitude constituait la
première vertu aux yeux du
Général. À l'heure
fixée, on servait le repas : malheur
à l'enfant qui arrivait cinq minutes en
retard à table. Partout, dans la maison,
triomphaient l'ordre et la propreté. Dans
ses Lettres sur la Religion quotidienne, le
Général exprime ses idées sur
ce point :
Chaque foyer doit être aussi
propre que les circonstances le permettent. La
propreté, déclare un diction
populaire, est fille de la
piété ; si ce n'est pas tout
à fait exact, elles sont certainement
proches parentes. Je sais qu'il est difficile pour
certaines salutistes à la santé
fragile, ou mères de familles nombreuses,
avec peu ou point d'aide, de garder en ordre, et
dans un état d'impeccable propreté,
leurs mansardes encombrées, ou leurs pauvres
masures croulantes. Cependant, une ferme
décision et quelques habiles arrangements,
même dans ce cas, accompliront beaucoup plus
qu'on ne le pense. On peut inculquer, de
très bonne heure, des habitudes de
propreté aux enfants. Les maris qui
jouissent de quelques loisirs prêteront
joyeusement la main à leurs femmes
surchargées de travail, ils les aideront
à nettoyer les murs, le plafond et les
planchers. Pourquoi pas ? Je ne vois rien
d'indigne d'un homme dans ces travaux ; j'y
découvre, au contraire, quelque chose de
très humain, je dirai même de
très chrétien.
Ceux qui ont la
responsabilité du foyer feront bien de ne
pas s'encombrer de bibelots superflus et inutiles,
qui augmentent le temps et la peine
nécessaires au nettoyage... Quand je regarde
le service de table et la cuisine à la mode,
d'un usage si commun, même dans les demeures
ouvrières, j'essaye d'évaluer la
somme de travail requise par ces sacrifices au
goût du jour. Nappes et serviettes à
laver, piles de couteaux, fourchettes,
cuillères, verres, assiettes, plats, pots,
bols, saladiers, casseroles, marmites, poêles
à frire, etc..., sans parler des heures
consacrées à l'achat et à la
préparation de ces menus compliqués
qui, trop souvent vident la bourse et ruinent
l'estomac et la santé de la
famille.
On peut dire la même
chose
des habits à la mode, des meubles inutiles,
des rideaux, portières et autres
fanfreluches, nids à poussières et
à microbes, et de tous ces prétendus
ornements qui envahissent les maisons
d'aujourd'hui, et sans lesquels nos pères
vivaient bien...
Peu importe le nombre
des
meubles, ils doivent être propres. Les
parquets doivent être lavés, le linge
blanc, les meubles époussetés et
frottés, les lits aérés chaque
jour et faits avant le déjeuner, les enfants
débarbouillés, peignés,
vêtus d'habits sans trous ni tache ;
par-dessus tout, la maîtresse du logis doit
être propre et tirée à quatre
épingles. Tout, au foyer chrétien,
doit être propre.
L'ordre doit régner au
foyer. L'ordre, dit-on, est la première
règle du ciel. Sur ce point, nul doute
possible : l'ordre est non seulement la loi au
ciel, mais aussi la loi de l'Univers que Dieu a
créé et, sauf où le
péché a mis la confusion et le chaos,
cette loi est observée.
Les salutistes doivent
veiller
à faire régner l'ordre dans leur
demeure ; par là, j'entends organiser
leur travail au foyer d'une manière
méthodique et systématique
...
Chaque foyer doit avoir
ses
heures fixes pour les repas, la prière, le
lever et le coucher, et pour toutes les autres
activités. Chaque membre de la famille doit
se plier joyeusement et fidèlement à
ces règles, car l'esprit de joyeuse
obéissance est la vertu la plus
importante.
Celui qui conseillait l'ordre et la
propreté à ses convertis, ne
souffrait chez lui ni désordre, ni
poussière. Son bureau était un
modèle de bonne tenue. Au salon et à
la salle à manger, les chaises
étaient alignées comme des soldats
à la parade ; les tapis, devant les
fauteuils, ne devaient pas bouger d'une
ligne ; lecteurs ou enfants ne pouvaient se
permettre d'abandonner livres ou jouets sur une
table. Le Général était
l'ordre incarné.
Il était aussi intraitable au
sujet de la propreté personnelle. Bien avant
que le bain quotidien soit dans les moeurs en
Angleterre, le Général se baignait
à l'eau froide au saut du lit ; et, une
fois par semaine, il prenait un bain chaud. Peu lui
importait la vétusté, les multiples
reprises de son linge, mais il se montrait exigeant
sur la propreté de ce linge. Comme la
blanche hermine, il avait la phobie des
taches.
Écoutez-le parler sur ce
sujet :
Malheureusement, certaines
personnes
n'attachent pas assez d'importance à la
propreté personnelle. Elles se farderont et
peindront le visage, elles se couvriront d'habits
fastueux, de falbalas et de bijoux, et leur corps
ne sera pas lavé, elles seront
souillées de la tête aux pieds.
Certains salutistes, il m'en coûte de
l'avouer, ne sont pas exempts de blâme
à ce sujet. Tout en ne soignant pas autant
le dehors de la coupe et du plat, ils
négligent les choses plus importantes. Cela
ne devrait pas être. L'apôtre Paul est
très net sur ce sujet, non seulement il
ordonne que le coeur soit purifié des
souillures d'une mauvaise conscience, mais il
ajoute : « le corps lavé
d'une eau pure ».
La propreté corporelle
exige des bains fréquents, pour
débarrasser de toutes souillures le visage,
les mains, les pieds et toutes les parties du
corps. Cette espèce de pureté offre
de multiples avantages :
1° La propreté
physique est une garantie de bonne santé,
les savants, qui ont étudié ce sujet,
déclarent que notre peau est couverte de
millions de petites ouvertures, par lesquelles nous
rejetons les impuretés de notre sang et nous
buvons l'air et la lumière et leurs vertus
hygiéniques. Il est important pour notre
santé que ces « petits
pores », ainsi les nomme-t-on, soient
gardés en bon état pour qu'ils
accomplissent convenablement leurs fonctions. Si
tout ou partie de ces millions de petites bouches
se trouvent obstruées 'par la crasse, on
comprend qu'il en résulte quelque
maladie.
2° La propreté
physique rend votre compagnie plus agréable.
Un visage barbouillé, des mains, des doigts,
des dents malpropres, dégoûtent ceux
qui nous approchent, surtout s'ils ont
eux-mêmes des habitudes de propreté.
La crasse manifeste sa présence de tant de
façons, qu'elle finit toujours par inspirer
la répugnance.
Puis, nous ne devons
pas
l'oublier, la propreté physique marche
souvent de pair avec la propreté morale.
Sans doute, il existe des individus, soucieux de la
propreté de leur corps, qui ne
s'inquiètent nullement de la propreté
de leur esprit, et ne recherchent point cette perle
de grand prix : un coeur pur. Pourtant, s'il
est vrai que, selon l'expression humoristique d'un
prédicateur, « Dieu possède
quelques enfants bien sales », le plus
grand nombre de ses enfants associent la
pureté intérieure et la
propreté extérieure.
Il ne faudrait pas conclure des lignes
précédentes que la vie du
Général à son foyer se
consumait en une perpétuelle chasse à
la poussière et au désordre. Il
connaissait aussi l'art d'être père.
Il savait, à certaines heures,
déposer sa sévère contenance,
pour redevenir enfant avec ses enfants. Il leur
abandonnait joyeusement une heure ou deux de ses
soirées, lorsqu'il était au logis.
C'étaient alors des parties de plaisir, un
vacarme indescriptible. Il s'étendait de
tout son long sur le parquet, et les plus jeunes
enfants s'attelaient à ses bras, tirant
de-ci, de-là, pour le relever. D'autres
fois, les enfants lui emmêlaient les cheveux.
Un soir, sa fille Emma, alors âgée de
six ans, s'amusa à lui faire des
papillotes ; bientôt toute la tête
du Général se hérissa de
tortillons de papier. Au moment où la
fillette achevait son oeuvre, la servante vint
annoncer une visite. Le Général
dû quitter son fauteuil, pour descendre au
salon recevoir son visiteur. Déjà il
franchissait le seuil de la chambre, mais ses
enfants se pendirent aux basques de son habit et le
tirèrent en arrière, en riant aux
larmes. Le Général se joignit aux
rieurs lorsqu'il contempla dans la glace sa
tête empapillotée.
Le Général
s'intéressait aux collections de
timbres-poste de ses fils, il dirigeait avec
sagesse leurs ventes et leurs échanges. Il
s'occupait aussi de leurs favoris : lapins,
cochons d'Inde, rats blancs, poules et coqs. Cette
ménagerie enfantine l'amusait ; il
prodiguait avis et conseils à ses
garçons sur la manière de loger et de
nourrir leurs élèves, et collaborait
à la construction des clapiers. Bramwell
Booth, qui fut le second Général, se
souvint toujours de l'intérêt que son
père prit à sa tentative
d'élevage de vers à soie. La
magnanerie de Gore road n'a sans doute jamais
fourni de quoi tisser une modeste pochette, mais
elle a contribué à former la
chaîne indéchirable de tendre
affection qui unit le fils au père.
À la naissance de Lucy, la
cadette de la famille, William Booth vint annoncer
l'événement à ses autres
enfants, réunis dans la salle
d'études, en ces termes :
- J'ai une grande nouvelle à vous
apprendre : le Bon Dieu nous a envoyé
un magnifique cadeau.
Et tous de crier :
- C'est un cadeau vivant ?
- Mais oui.
- Alors, c'est un chien.
- Non.
- Un âne ?
- Un lapin ?
- Un cochon d'Inde ?
Ils auraient égrené tous
les noms d'animaux connus, si le
Général, interrompant leurs
tentatives de devins, n'avait
déclaré :
- C'est un bébé.
Cris de joie et supplications de toute
la bande qui désirait voir ce cadeau vivant.
Ils suivirent leur père, et, marchant sur la
pointe des pieds, ils se glissèrent
silencieusement dans la chambre où chacun
fut admis à contempler le nouveau
bébé. Les garçons avaient bien
prié ces derniers temps, demandant un
âne, mais le Bon Dieu leur envoyait une
petite soeur à la place de
l'âne ; ils s'efforceraient de trouver
la volonté du Seigneur « bonne
agréable et parfaite ». Plus tard,
ils n'auraient plus voulu échanger la
soeurette pour le plus beau des roussins
d'Arcadie.
Les enfants adoraient ce père qui
partageait leurs jeux et leurs bonheurs. Ils
acceptaient sa parole comme une autorité
incontestable lorsqu'il leur parlait de la Bible.
Il leur était permis de discuter de tous les
sujets : questions de littérature,
d'histoire, d'économie politique ; mais
nul ne se serait permis de discuter
l'autorité paternelle et la valeur
suprême de la « Parole de
Dieu ».
Le Général croyait
à la discipline et à la vertu du
châtiment ; ses enfants acceptaient
cette foi paternelle comme un article de leur
religion. Le père aimable et complaisant,
prêt à jouer à cache-cache avec
ses enfants, cédait la place au juge
sévère si l'un d'entre eux violait la
règle de la maison. Plus tard, un de ses
fils écrira :
Peut-être se montra-t-il un peu
trop sévère. Pour moi, je suis
certain d'avoir été fouetté
plusieurs fois sans juste raison ; mais je
suis également convaincu que cette
discipline qui régnait à notre foyer
nous fut salutaire. Pas un membre de la famille ne
devint paresseux ou négligent. Tous prirent
la vie au sérieux. Combien de familles sont
ruinées par manque de discipline et de
justes punitions !
Pour oublier les difficultés et
les ennuis de la vie publique, William Booth se
réfugiait dans sa bibliothèque. Il
aimait ses livres et en absorbait avec joie le
contenu. Peut-être ne se montra-t-il pas
toujours très judicieux dans le choix de ses
lectures. On pourrait lui reprocher quelque
étroitesse : « que celui qui
est sans péché, sur ce
point-là, lui jette la première
pierre ».
Il ne tolérait point les fictions
religieuses, mais il se permettait quelques romans.
Il exécrait Dickens et admirait les
Misérables, de Victor Hugo ; enfant, il
s'était délecté aux histoires
de Fenimore Cooper ; plus tard Walter Scott
lui ouvrit un monde nouveau ; vers la
cinquantaine, il revint avec plaisir à ses
premières lectures. Les récits de
voyage, l'histoire et les biographies, avec leurs
révélations des conditions
matérielles, intellectuelles et morales de
la vie des hommes, l'attiraient. Il avait toujours
un de ces livres en cours de lecture. Il
s'éprit pendant un moment de l'Histoire de
la Révolution française, et prit
parti pour Robespierre et pour Danton, dont il se
constitua l'éloquent défenseur. Il
lut et relut sans jamais s'en lasser le
César de Froude. Les oeuvres de Mallock et
le Socialisme du professeur Flint étaient
ses livres de chevet en économie
politique.
Mais il trouvait le véritable
repos à la campagne. Quitter Londres et les
taudis de Whitechapel, s'enfoncer dans les bois ou
parcourir les sentiers qui serpentent par plaines
et monts, lui constituait un véritable bain
de jouvence. Il redevenait alors enfant, il riait,
chantait, plaisantait et gambadait comme un
écolier en rupture de classe. Il aimait
surtout se promener sur les berges d'une
rivière, ou suivre les méandres d'un
ruisseau en écoutant le gazouillis de l'eau
parmi les roseaux et les joncs. Dans toutes ses
randonnées, il emportait sa Bible de poche
et, dans le silence des bois ou à
l'accompagnement du son doux et soyeux des eaux
courantes, il lisait quelques chapitres sur la
proclamation de la gloire divine par la Nature,
quelques textes sur les arbres puissants ou sur les
flots purificateurs.
La description d'une journée du
Général à Hadley Wood, sa
maison, pendant la dernière partie de sa
vie, fournira une excellente conclusion à ce
chapitre. Nous l'empruntons à un article du
Commissaire Kitching, qui fut le secrétaire
particulier du Général William
Booth :
J'arrivais ordinairement à
Hardley Wood aussitôt le petit
déjeuner. Règle
générale, ma première question
était :
- Le Général est
descendu ?
- Oui, me répondait-on
le
plus souvent, depuis six heures et demie, il
écrit.
Je ne veux pas dire
qu'il en
était ainsi tous les jours ; mais
lorsqu'il était en bonne santé, le
Général s'employait à la
solution de quelque problème difficile, bien
avant que d'autres personnes, ses cadets de trente
ou quarante ans, n'aient quitté leur
lit.
Peu importe l'endroit
où
il se trouvait : en Europe, en Asie, en
Afrique, en Amérique, ou en Australie, sa
façon de vivre ne variait guère. On
peut la résumer en un mot :
Simplicité. Ce mot qualifie ses repas comme
le reste. Des rôties beurrées, une ou
deux tasses de thé, parfois un oeuf à
la coque : voilà son déjeuner.
Avec ce régime, il accomplit de longues et
pénibles journées de travail.
Après le déjeuner avait lieu le culte
de famille ; le Général lisait
les textes indiqués dans le Guide du Soldat,
parfois il ajoutait quelques réflexions
suggérées par sa lecture et une
vibrante prière.
Le premier visiteur du
Général était son fils, M.
Bramwell Booth, alors Chef d'État-Major de
l'Armée du Salut. Il était ponctuel.
Il venait présenter à son père
les questions en litige. Pendant une heure ou deux,
le père et le fils examinaient et
discutaient. J'ai souventes-fois vu le
Général, à la fin de la
discussion, suivre son fils et continuer ses
explications jusqu'à la grille du jardin.
Parfois il s'agissait de questions importantes.
D'autres fois il exprimait son intérêt
personnel pour ses officiers à
l'étranger ; mais chacune de ses
paroles montrait l'activité prodigieuse de
son cerveau.
Après le départ du
Chef d'État-Major, le Général
rentrait dans sa chambre et s'asseyait à
nouveau à son bureau. Il ne manquait jamais
d'occupation ; d'abord l'énorme pile de
lettres venues des cinq parties du monde et
traitant la plupart des intérêts les
plus importants, puis quelques épreuves
d'imprimerie à corriger, ou un article
à écrire pour la presse salutiste.
S'il avait un rendez-vous en vue, il jetait
quelques notes sur un agenda. Un coup de sonnette
appelait son secrétaire, et le
Général lui dictait son courrier.
Pendant ce temps-là, les
télégrammes arrivaient de tous les
points de l'horizon, des officiers faisaient la
navette entre le 101 de Queen Victoria street et
Hadley Wood, porteurs de messages urgents. Parfois
c'était un journaliste à la recherche
de copie intéressante, qui mendiait une
interview du Général. Pas une minute
de répit.
Cela nous menait à
l'heure
du dîner. Il n'était guère plus
compliqué que le déjeuner. Le menu
variait un peu, mais il restait toujours des plus
simples : une soupe aux légumes, un
plat de macaroni au fromage, un peu de pudding au
riz non sucré. Le Général ne
buvait pas là son dîner, pas
même un verre d'eau. Il était un ferme
partisan de la sieste après le dîner.
Pendant de longues années, il ne manqua
point à cette habitude, il y retrouvait une
vigueur nouvelle pour achever son travail
quotidien. Il n'aurait pu mener à bien sa
tâche sans ce repos, si court fût-il.
Il se levait après ce rapide somme,
rafraîchi physiquement et intellectuellement,
et il reprenait sa tâche que le dîner
avait interrompue. Puis sonnait l'heure du
thé, qu'il prenait souvent avec un ou deux
de ses Commissaires, utilisant même ces
minutes pour leur donner ses instructions sur
l'oeuvre spirituelle ou sociale de
l'Armée.
Après cela il mettait
ses
pantoufles, le gaz était allumé, les
rideaux fermés et le Général
laissait courir sa plume sur le papier. Deux ou
trois heures plus tard, le Chef d'État-Major
revenait et les séances d'affaires
recommençaient ; elles duraient parfois
jusqu'à 11 heures, et même plus tard
dans la nuit. Le Général se couchait
alors, mais il ne trouvait pas toujours le sommeil,
car les préoccupations de la journée
l'agitaient encore ; il se tournait et
retournait sur sa couche jusqu'à ce que
l'aube blanchisse ses fenêtres. Tel
était l'emploi du temps d'une journée
du Général.
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