Ils entendent bien mal l'honneur dû à Christ et sont loin de servir
les intérêts de la foi, ceux qui, pour exalter sa divinité, font
abstraction de son humanité ou la relèguent à l'arrière-plan. Plus
nous prendrons au sérieux ces paroles de saint Paul : Il
s'est anéanti soi-même en prenant la forme de serviteur et se
rendant semblable aux hommes, et ayant paru comme un simple homme,
il s'est abaissé lui-même, s'étant rendu obéissant jusqu'à la mort
et même jusqu'à la mort de la croix (Philip.
II,
7. 8).. plus clairement et glorieusement seront élevées sur ce
fondement la majesté de sa divinité et la gloire adorable de son
amour. Tout ce que les Évangiles nous disent de son développement, est
compris dans ces mots : Il s'en alla
avec eux à Nazareth et il leur était soumis, et il croissait en
sagesse, en stature et en grâce devant Dieu et devant les hommes
(Luc II, 51.
52). Mais cela nous suffit pour reconnaître que sa jeunesse,
comme son enfance, s'est développée d'une manière complètement
humaine.
Il était soumis à ses parents et dans ses rapports avec
eux, il apprenait à obéir et à servir. Il aidait sa mère dans les
soins multiples de la vie domestique. Lorsqu'elle l'envoyait puiser de
l'eau ou fendre du bois, il exécutait ce travail comme s'il n'était
venu dans le monde que pour cela. Cette occupation insignifiante
devenait grande par l'humilité avec laquelle il s'y livrait, lui qui
avait conscience de sa divinité. -
Plus tard, il travailla avec Joseph de son métier de
charpentier. C'est ce que nous apprennent ceux qui disaient de
lui : N'est-ce pas le charpentier, le
fils de Marie ? (Marc
VI, 3.) Cette activité lui fournissait l'occasion d'étendre le
cercle de ses connaissances humaines. La recherche des matériaux de
construction le conduisait par monts et par vaux, et lui facilitait
l'étude de la nature. Elle l'initiait, par exemple, à la connaissance
des lois de la croissance des arbres. L'emploi de ces matériaux
l'amenait à dresser des plans qui exigeaient de la réflexion et du
calcul. Il était obligé de s'exercer dans l'art de mesurer, de
dessiner, de calculer. Tout cela réclamait la justesse du coup d'oeil,
la force au bras, l'adresse de la main, et amenait souvent la sueur
sur son front ; cette situation le plaçait en plein au milieu des
affaires et le mettait en contact avec d'autres ouvriers plus âgés et
plus expérimentés que lui, qui étaient peut-être durs et
grossiers ; l'aimable et doux commençant n'était sans doute pas
traité avec beaucoup d'égards.
Lorsque plus tard, dans le sermon de la montagne, le
Sauveur sait si bien comment je dois me conduire si l'on me frappe
injustement sur une joue, ou si l'on veut me prendre mon habit, ou si
l'on réclame discrètement de moi de l'argent ou tout autre service,
ces conseils lui étaient inspirés par ses souvenirs de jeunesse. Et plus
d'un adolescent a fait les mêmes expériences pendant le temps de son
apprentissage. Le style nerveux de Jésus, qui faisait de ses pensées
comme autant de proverbes ; ce langage loyal et bref qu'il
adressait à chacun, de manière qu'on sût immédiatement où l'on en
était avec lui, tout cela était né et s'était développé dans la rude
atmosphère d'une jeunesse passée dans le commerce des hommes et dans
un travail pénible et assidu.
Le métier de charpentier est certainement un de ceux qui
initient le plus profondément un homme à la vie des familles pour
lesquelles il travaille. Quel événement et quel moment critique dans
l'histoire d'une famille que la construction d'une maison ! Que
de choses dépendent de sa commodité et de sa solidité ! - Quel
champ favorable à la manifestation de l'amour du prochain ! - Il
s'agit, même dans les constructions les plus simples, de se préoccuper
aussi bien du bien-être de la famille que des moyens dont elle
dispose. Il faut avertir celui qui voudrait économiser sur les
fondements, du danger auquel il s'expose (Matth.
VII, 26) ; conseiller à celui dont les plans le mèneraient
trop loin, de s'asseoir d'abord et de calculer la dépense (Luc
XIV, 28), d'autant plus que, par suite du taux élevé de l'argent
fourni par l'usurier et de la sévérité des lois sur les dettes, il
pourrait arriver à celui qui ne peut pas payer, d'être vendu par son
créancier, lui et tout ce qui lui appartient (Matth.
XVIII, 25).
Grâce à la justesse de son coup d'oeil, et au don qu'il
possède d'observer avec intelligence, Jésus sait sonder les secrets de
la nature aussi bien que la vie du peuple. Par ses enseignements
ultérieurs, nous voyons comment il considère la création : elle
lui apparaît comme la propriété de son Père, et il y lit comme dans un
livre ouvert. Mais ce qu'il trouve dans ce livre, ce n'est pas ce
qu'on appelle les lois immuables de la nature ; ce sont
les pensées de Dieu, qui se manifestent à tous les degrés de la
création, depuis l'échelon le plus infime de l'existence jusqu'aux
dernières hauteurs du monde des esprits ; mais de manière
cependant que le degré le plus élevé se reflète dans le plus bas et
que le monde visible tout entier soit la représentation du monde
invisible.
Jésus n'avait pas joui d'une culture savante. Lorsque
plus tard il enseigna dans la synagogue de
Nazareth, ses compatriotes se demandent d'où viennent à cet homme
cette sagesse et ces miracles (Matth.
XIII, 54). Et lorsqu'il enseigne dans le temple, pendant les
fêtes, les Juifs disent avec étonnement : Comment cet homme
sait-il les Écritures, ne les ayant point apprises ? (Jean
VII, 15)
En effet, Jésus ne prétend pas avoir appris les Écritures
dans quelque école savante. Il a reçu sa doctrine directement de son
Père (v.
16). Les Écritures de l'Ancien Testament étaient la nourriture
de son âme. Ce livre renferme les révélations de Dieu à son peuple, et
montre l'histoire de ce peuple dans les dispensations divines dont il
a été l'objet. Ainsi Jésus n'était pas seulement initié au passé et
aux espérances de son peuple, mais encore aux conseils de Dieu pour le
salut du monde pécheur, et aux traces de l'amour éternel, gravées dans
l'histoire de ce peuple.
Chaque Israélite était tenu de lire les Écritures et de
se familiariser avec elles. Mais, pour le Sauveur, ces Écritures
avaient encore une autre signification. Il était lui-même le
contenu et le but de tout l'Ancien Testament, et ce livre était pour
lui comme une lettre qu'il devait trouver sur la terre après son
incarnation.
Vu la grande importance que Dieu attache au sabbat dans
l'Ancien Testament, nous pouvons admettre, sans autre preuve, que ce
jour avait la même signification pour Jésus. Aussi lisons-nous (Luc
IV, 16) qu'il avait l'habitude de se rendre à la synagogue le
jour du sabbat.
La conscience de sa mission messianique se développait
aussi en lui. Nous pouvons bien admettre sans doute que Marie lui
avait dit qu'il était appelé à délivrer son
peuple de ses péchés (Matth.
I, 21), et que Dieu lui donnerait le trône de David son père.
Ainsi le pressentiment du grand avenir qui lui était réservé occupait
son esprit, et son amour pour les hommes le portait certainement à
prier sans cesse en vue de cet objet. Mais son esprit n'était pas
encore rempli de ces pensées d'avenir. Il jugeait avec une sincère
humilité que sa vocation actuelle était d'être soumis à ses parents
comme un simple ouvrier charpentier. C'est ainsi qu'il attendait
péniblement chaque jour ce que le lendemain lui apporterait. Et il
grandissait au milieu des diverses occupations de la vie, comme un
jeune homme que tout le monde aimait à cause de son
caractère doux et aimable, et qui était toujours heureux de rendre
service à ceux qui l'entouraient ; bien connu quant à sa personne
et cependant inconnu et caché aux yeux des hommes quant à son essence
intime.
Le Fils unique était dans le sein du Père. La douce
béatitude de cette communion avec le Père ; la paix profonde dont
il jouissait, lui paraissaient tellement naturelles, qu'il avait
sûrement la conviction qu'elles devaient être le partage de tous ses
semblables, et qu'elles étaient la vraie destination de l'homme.
Quelle douleur ne devait-il pas éprouver lorsqu'il en
voyait qui étaient privés de cette douce paix avec Dieu ! Quelle
douleur surtout, lorsqu'enfin il dut reconnaître qu'il était seul à la
posséder !
Là où il constatait cet éloignement de Dieu, il se
trouvait sans doute comme en présence d'une indéchiffrable énigme.
Quant à lui, le péché lui était inconnu (2
Cor. V, 21), mais il souffrait d'en subir l'influence. Il est
dit de Loth : qu'il était journellement
affligé de la conduite infâme des abominables habitants de Sodome
(2 Pierre
II, 8. 9) ; et cependant le péché ne lui était pas
étranger. Il en était lui-même infecté intérieurement.
Quel tourment, quelle affreuse oppression devait donc
éprouver l'âme immaculée du Sauveur, lorsqu'il était obligé de voir et
d'entendre les manifestations du péché ! Dans son amour pour les
hommes, il ne sentait pas seulement l'amertume dont leur manque de
paix avec Dieu remplissait leurs coeurs ; mais il prenait
l'amertume de leurs coeurs mauvais dans son propre coeur.
Cet amour du Sauveur pour les pécheurs, il est impossible
de le dépeindre clairement. Saint Paul le fait en ces termes : Il
a été fait péché, quoiqu'il n'eût lui-même aucune connaissance
du péché. Ces paroles ouvrent devant nous l'abîme de l'amour de notre
Sauveur, chargé de cet immense fardeau ; il se tenait
continuellement au pied du trône de la grâce et répandait son coeur
dans une ardente intercession devant son Père. Il s'accoutumait à se
sentir coupable des péchés des hommes. Ce n'est pas seulement en
Gethsémané et à Golgotha qu'il a été fait péché pour nous ; il
l'a été toute sa vie, depuis le premier moment où il a eu conscience
de lui-même. Dans la mesure où il expérimente qu'il est dans le Père
et que le Père est en lui ; dans la mesure où l'affreux abîme qui
sépare l'homme de Dieu s'ouvre devant lui ;
dans la mesure où son coeur se remplit du désir de sauver les pécheurs
et de les combler de sa paix ; dans la même mesure se développe
aussi en lui la conscience qu'il est « l'Agneau de Dieu qui ôte
le péché du monde » (Jean
I. 29).
La quinzième année du règne de Tibère, Anne et Caïphe étant
souverains sacrificateurs, la parole de Dieu fut adressée à Jean dans
le désert, et il vint dans tout le pays qui est aux environs du
Jourdain prêchant le baptême de repentance pour la rémission des
péchés (Luc
III, 23). Zacharie son père avait été averti par un ange que cet
enfant serait grand devant le Seigneur, qu'il ne boirait ni vin ni
cervoise, et qu'il serait rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa
mère. Il devait convertir les enfants d'Israël au Seigneur leur
Dieu ; il devait marcher dans l'esprit et la vertu d'Élie. De
bonne heure on disait de lui : Il est puissant en esprit.
Son coeur était ouvert à l'action de l'Esprit saint. Dès sa jeunesse,
il s'était préparé à sa mission par l'abstinence et la solitude. Le
désert lui fournissait les aliments nécessaires à sa
subsistance ; ils se composaient de sauterelles et de miel
sauvage. Un manteau de poil de chameau lui servait de vêtement, de
chemise et de couverture. C'est ainsi qu'il tenait sa nourriture
directement de la main de Dieu, et elle lui suffisait. Dans ces
conditions, il était complètement libre et indépendant des hommes.
Cette indépendance d'une part, et de l'autre la fermeté avec laquelle.
il était fondé dans la Parole de Dieu, lui donnaient une puissance
extraordinaire sur les esprits.
Il sait qu'il est le précurseur du Sauveur, et il se
reconnaît comme étant celui dont Esaïe a parlé en disant :
« La voix de celui qui crie au désert est : préparez le
chemin de l'Éternel, dressez dans la solitude les sentiers de notre
Dieu » (Ésaïe
XL, 3) ; comme celui dont Dieu a dit par la bouche de
Malachie, le dernier des prophètes : Voici,
je vais envoyer mon ange et il préparera le chemin devant moi, et
aussitôt le Seigneur que vous cherchez et l'ange de l'alliance que
vous attendez entrera dans son temple (Malachie
III, 1).
Il faut aussi remarquer que Malachie dépeint le jour de
l'apparition de Christ comme un jour de jugement, qui sera comme le
feu du fondeur : Le Seigneur sera assis comme celui qui affine et
purifie l'argent. Le jour du Seigneur vient
embrasé comme une fournaise, et tous les orgueilleux et tous eux
qui font la méchanceté seront comme du chaume (Mal.
IV, 1).
Mais Jean-Baptiste sait aussi que l'Éternel veut être la
consolation d'Israël et qu'il a dit : Consolez,
consolez mon peuple, parlez à Jérusalem selon son coeur et
dites-lui que son temps marqué est accompli, que son iniquité est
acquittée, qu'elle a reçu au double, de la part de l'Éternel, la
peine de tous ses péchés (Ésaïe
XL, 1. 2). Ainsi parle Jean-Baptiste ; mais il subordonne
le pardon des péchés à la repentance ; à ceux qui ne se repentent
pas, il dénonce le jugement. Ce jugement, il le regarde comme décisif,
lorsqu'il parle de la cognée qui est déjà
mise à la racine de l'arbre ; du van que le Seigneur a dans
sa main et avec lequel il nettoiera parfaitement son aire,
amassera son froment dans les greniers ; mais brûlera la
balle au feu qui ne s'éteint point (Matth.
III, 12).
Lorsque Jean reconnaît Jésus comme juge du monde, il ne
se trompe pas, car il est réellement le juge des vivants et des morts.
Il ne se trompe pas davantage, lorsqu'il dit que le jugement a
commencé avec la venue de Christ, puisque c'est ici le jugement, que
la lumière est venue dans le monde, mais les hommes ont mieux aimé les
ténèbres que la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises (Jean
III, 19). Mais s'il croyait que ce jugement intérieur devait se
manifester immédiatement comme rémunération finale, il se trompait, en
ce sens qu'il tenait ses regards trop exclusivement fixés sur la fin,
et négligeait les événements qui devaient la préparer.
Mais c'est précisément parce qu'il regardait le jugement
final comme devant avoir lieu immédiatement, que sa prédication était
si sérieuse et si puissante. Que ses saisissantes exhortations à la
repentance aient été si bien accueillies, que le peuple en foule
affluât au désert, cela s'explique par le fait que le sévère
prédicateur de la repentance était aussi un fidèle et doux pasteur des
âmes, qui savait entrer avec amour dans les circonstances personnelles
et dans les dispositions du coeur de chacun. Le
pardon des péchés était le but auquel il voulait conduire les âmes.
C'est comme un miracle à nos yeux, lorsque nous voyons ces foules
accourir avec un tel empressement sur les bords du Jourdain, pour se
faire tancer par ce rude prédicateur de la repentance, et pour
confesser leurs péchés.
Quelle peine l'homme ne se donne-t-il pas, en général,
pour cacher ses péchés et pour les excuser lorsqu'ils viennent au
jour ! Mais ces deux mots : Pardon des péchés et Pasteur
des âmes, donnent le mot de l'énigme.
Si seulement une âme ou quelques âmes, attirées par la
manifestation de la bonté et de l'amour de Dieu (Tite
III, 4), se décidaient courageusement à confesser leurs péchés
au prédicateur de la repentance, et, lavées dans l'eau du baptême pour
la rémission des péchés, obtenaient une bienheureuse paix ; si
ensuite cette âme disait à une autre comment Jean-Baptiste s'entend à
enlever du coeur le fardeau du péché, on comprend comment tous
accouraient à lui et nul ne restait en arrière.
Un grand nombre de ceux qui voient clairement aujourd'hui
les plaies de l'Église, désirent ardemment une nouvelle effusion du
Saint-Esprit. Un tel événement ne nous est pas promis ; nous
n'avons donc pas à l'attendre. Le Saint-Esprit habite déjà dans
l'Eglise de Christ, et il se communique par l'usage consciencieux des
moyens de grâce. Par conséquence, quel fardeau pourrait être enlevé du
coeur des chrétiens évangéliques, quelle consolation dans les troubles
de la conscience, quelle force dans les combats journaliers de la
sanctification, quelle sainte joie ils éprouveraient sous la croix,
si, en toute liberté, ils confessaient leurs péchés et recevaient
l'assurance du pardon !
Il est vrai qu'il ne suffit pas que les âmes altérées de
salut cherchent sérieusement à faire leur paix avec Dieu, il faut
encore des pasteurs remplis du Saint-Esprit. qui sentent eux-mêmes
profondément leurs péchés, et qui en cherchent chaque jour et en
obtiennent abondamment le pardon, des pasteurs expérimentés dans les
voies de Dieu, et animés, de cette charité qui supporte tout, qui
croit tout, qui espère tout (I
Cor. XIII, 7).
Si nous avions le courage de confesser nos péchés, nous
ferions aussi l'expérience du soulagement qu'éprouverait notre coeur,
et de la confiance enfantine avec laquelle il
pourrait respirer et prier.
D'un autre côté, Jean-Baptiste reprenait sans ménagement,
avec franchise et hardiesse, tous ceux qui refusaient de se convertir
et de confesser leurs péchés. Race de vipères ! disait-il
aux pharisiens et aux sadducéens qui croyaient n'avoir pas besoin de
repentance.
Lorsque Jean-Baptiste exhortait ceux qu'il baptisait, à
marcher dans la crainte et l'amour de Dieu, par exemple lorsqu'il
disait aux péagers : « Soyez honnêtes », aux
soldats : « Soyez débonnaires », et à tous :
« Ayez pitié de vos frères nécessiteux », cela ne signifiait
pas qu'ils dussent en quelque sorte acheter le pardon de leurs péchés
par un supplément de bonnes oeuvres, mais montrer leur repentance par
une nouvelle vie, une conduite conforme à la volonté de Dieu est un
fruit convenable à la repentance (Matth.
III, 8).
La paix avec Dieu n'est pas le résultat de la
sanctification ; mais elle est conservée par elle, tandis qu'elle
est détruite par le relâchement.
Dans sa prédication, Jean-Baptiste insistait sur la
nécessité d'aller à Jésus.
Au sein de cet immense mouvement des esprits, il arrivait
ce qui a lieu souvent. Ceux qui étaient profondément saisis
intérieurement, entraînaient les autres. Car un grand nombre les
suivaient sans avoir été réellement touchés, et jugeaient sur
« ouï-dire ». Mais bientôt cet enthousiasme général se
refroidit. On peut s'en convaincre par cette parole du Sauveur :
Jean était une chandelle allumée et
brillante, et vous avez voulu pour un peu de temps vous réjouir à,
sa lumière. (Jean
V, 35).
Cependant lorsque l'engouement produit par Jean-Baptiste
fat calmé, il resta dans le peuple un saint respect pour cet homme
puissant ; le sentiment qu'un prophète de Dieu s'était levé parmi
eux. C'est, ce que savaient aussi les souverains sacrificateurs et les
scribes. C'est pourquoi ils n'osaient pas dire que le baptême de Jean
venait des hommes.
Parmi ceux qui venaient à Jean pour être baptisés, se présenta aussi
un simple ouvrier, qui lui était inconnu, mais dont la personnalité
fit sur lui une profonde impression. Car Jean-Baptiste était doué
comme peu d'hommes du discernement des esprits.
Jésus, lui aussi, demanda le baptême, mais comme les
motifs de cette demande durent singulièrement résonner aux oreilles
d'un prédicateur aussi expérimenté que Jean-Baptiste !
Zundel décrit cette scène d'une manière extrêmement
vivante. « Nul n'était venu demander le baptême sous l'impression
d'une pareille douleur. Nous sommes tombés si bas ! disait cet
ouvrier ; nous nous sommes égarés si loin de la bonne voie ;
nous nous sommes si complètement détournés du chemin de la vie et de
la volonté du Père céleste ! - Qui ? Nous tous, c'est là le
fardeau qui pèse sur le monde entier. - Sans doute, mais toi ?
dût demander Jean au regard expérimenté et pur duquel brillaient
certainement la pureté et l'innocence de Jésus. Toi aussi ?
Avec quelle stupeur, à la pensée de la simple possibilité
qu'il pouvait avoir lui-même besoin de ce baptême, Jésus dut lui
répondre : « Qu'il ne soit pas question de moi, je viens à
ton baptême pour tous ! Nous sommes tous perdus. Je demande les
consolations divines pour tous les hommes ». C'est ainsi que
Jésus se présente à Jean, accablé de honte et de douleur à cause des
péchés des hommes, mais au travers de cette douleur apparaissent une
pureté enfantine, une mâle décision, une sainte assurance, comme
Jean-Baptiste n'en avait jamais vu. Il dut alors lui dire :
« Qui es-tu ? Comment t'appelles-tu ? » Et une
révélation subite lui fit connaître Celui qu'il avait devant lui.
Cependant il ne le connaissait encore qu'extérieurement,
et seulement pour l'avoir contemplé. Il n'avait pas encore été témoin
de l'événement destiné à légitimer Jésus, car Dieu lui avait
dit : Celui sur lequel tu verras l'Esprit descendre et s'arrêter,
c'est Lui qui baptise du Saint-Esprit (Jean
I, 33). Mais cette divine confirmation lui fut accordée après le
baptême de Jésus.
On a trouvé étrange que Jean ne dût pas connaître Jésus
avant de le baptiser, attendu que leurs mères s'étaient bien connues.
En parlant ainsi, on oublie que, si même Jean avait appris comment
Jésus avait échappé au massacre des enfants de Bethléem, il avait
difficilement pu être en rapport avec lui plus tard, d'autant plus que
lui-même s'était retiré de bonne heure dans le désert.
Jean refuse d'abord de baptiser Jésus. C'est
moi, lui dit-il, qui ai
besoin d'être baptisé par toi et tu viens à moi !
Mais Jésus répondant, lui dit : Ne t'y
oppose pas pour le moment ; car c'est ainsi qu'il nous faut
accomplir tout ce qui est juste (Matth.
III, 14. 15).
Le baptême de Jean était une ordonnance divine, qui
appartenait à l'avènement du règne de Dieu sur la terre ; le
Sauveur s'y soumit parce qu'il se mettait à la place des pécheurs.
Lorsque Jésus sortit de l'eau, le
ciel s'ouvrit sur lui, et
Jean vit l'Esprit de Dieu descendant comme une colombe et venant
sur lui. En même temps une voix vint des cieux qui dit :
C'est ici mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection
(Matth.
III, 16. 17).
Pour le Sauveur, qui est dans le sein du Père, sur lequel
les anges de Dieu montent et descendent (Jean
I, 51), qui a sa demeure dans le monde invisible, il n'y a rien
d'extraordinaire à ce que le ciel s'ouvre sur lui. Partout où il est,
c'est la porte du ciel qui ne s'ouvre pour nous pécheurs que s'il nous
est donné, comme au serviteur d'Elie (2
Rois VI, 17), de jeter un regard derrière le voile.
Quant à Jean, il contemple maintenant avec une sainte
joie la réalisation des promesses divines.
La descente du Saint-Esprit sur Jésus ne doit pas être
comprise comme s'il en avait été privé jusqu'alors. Il avait été conçu
du Saint-Esprit ; depuis son enfance, il vivait et se fortifiait
sous son influence. Toute sa vie précédente avait été pénétrée du
Saint-Esprit, qui le maintenait dans une communion d'amour avec le
Père. Mais maintenant, cet Esprit lui est donné sans mesure, et ainsi
il se trouve consacré pour sa mission messianique. Par la voix qui
vient du ciel, Dieu déclare, ce dont avait déjà témoigné le fait de la
communication du Saint-Esprit, que Jésus est le Fils de Dieu fait
homme. Le Sauveur s'est présenté au baptême sous le fardeau des péchés
du monde, et il a demandé grâce pour lui.
Maintenant, au début de la carrière dans laquelle il
s'engage pour les pécheurs, le Père lui donne cette assurance : C'est
ici mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis, toute mon affection.
Alors Jésus fut emmené par l'Esprit dans le désert pour y être tenté
par le diable (Matth. IV, 1). Quelle peine l'incrédulité ne s'est-elle
pas donnée, et quelle sagacité n'a-t-elle pas déployée pour prouver
que le diable n'existe pas ! Nous lui serions profondément
reconnaissants, si elle parvenait à le chasser du monde.
Malheureusement, le diable est loin de s'opposer à ce que
l'incrédulité établisse cette preuve ; il ne demanderait pas
mieux que de voir les gens refuser de croire à son existence. Il fera
même tous ses efforts pour les confirmer dans cette illusion. Demandez
à un voleur ou à ses compagnons, s'il est nécessaire de fermer les
portes des magasins pendant la nuit ou d'établir des gardes. Vous
pouvez être sûrs qu'il vous répondra que toutes ces précautions sont
inutiles, attendu qu'il n'y a dans le monde que d'honnêtes gens. Quand
un homme fort et bien armé garde l'entrée de sa maison, tout ce qu'il
a est en sûreté (Luc
XI, 21).
Que Jésus ait été tenté par le diable, cela n'est pas
arrivé par hasard. Il a été conduit par l'Esprit de Dieu dans le
désert afin d'y être tenté par le diable.
Du moment que le Sauveur était vraiment homme, il fallait
qu'il fût tenté, afin que sa pureté et son innocence natives
devinssent une obéissance libre et volontaire. Cette tentation de
Jésus correspond à la tentation du jardin d'Eden. Si nos premiers
parents avaient supporté l'épreuve, et que toute l'humanité se fût
développée sans péché, conformément à la volonté de Dieu, la tentation
du Sauveur, et en général l'incarnation du Fils de Dieu, n'eussent
point été nécessaires. Mais quoiqu'il fût complètement pur de tout
péché, dès qu'il se constituait Sauveur des pécheurs, il fallait qu'il
fût pour ainsi dire officiellement consacré pour la mission publique
dont il s'était chargé. Ce qui a été perdu au commencement par le
péché du premier Adam, devait être surabondamment
réparé par le second Adam. Si le premier a succombé à la tentation, le
second l'a d'autant plus complètement vaincue dans toutes ses
manifestations.
Le Sauveur se prépare intérieurement, dans le silence et
la solitude, à la grande oeuvre dont il s'est chargé. Son dévouement à
Dieu et à l'oeuvre qu'il se propose d'accomplir est si complet, sa
préoccupation relative à cet objet est si intense qu'il oublie les
besoins du corps.
Après quarante jours cependant, ces besoins réclament
leurs droits. C'est à cette circonstance que Satan rattache sa
tentation. Si lu es le Fils de Dieu,
lui dit-il, dis que ces pierres deviennent
des pains (Matth.
IV, 3).
Être Fils de Dieu et avoir faim ! deux choses
incompatibles ! Use donc de ta puissance divine pour apaiser ta
faim.
Celui qui a changé l'eau en vin ; celui qui a
rassasié dans le désert des milliers d'hommes avec quelques pains,
pouvait sans doute changer des pierres en pains, mais s'il avait fait
usage de ce pouvoir, il se serait procuré lui-même ce soulagement.
C'eût été un acte d'incrédulité et de désobéissance par lequel il se
serait soustrait volontairement à la direction de Dieu, qui l'avait
conduit au désert pour le faire jeûner. C'eût été un acte d'impatience
par lequel il se serait approprié prématurément ce que Dieu voulait
lui accorder par le ministère des anges, lorsque son heure serait
venue.
Ainsi sa position personnelle vis-à-vis de Dieu, aussi
bien que sa mission de Sauveur, lui imposait l'obligation de repousser
la diabolique insinuation.
Il est venu, non pour se faire servir, mais pour
servir ; non pour jouir, mais pour rendre le salut et la vie à
l'humanité. Il est écrit : L'homme ne
vivra pas de pain seulement mais de toute parole qui sort de la
bouche de Dieu (Matth.
IV, 4). Par ces paroles, Jésus a vaincu la tentation à la
convoitise de la chair (1
Jean Il, 16), et cela non seulement pour sa personne, mais aussi
pour sa mission. Il ne veut pas satisfaire ses besoins corporels en
temps inopportun.
Il sait que c'est la parole de Dieu qui donne au pain sa
vertu nutritive, et peut par conséquent conserver la vie sans le
secours du pain ni d'aucun aliment. Il ne veut pas non plus laisser
croire que sa mission consiste à donner le pain matériel, ou à
procurer à ses adhérents des commodités et des jouissances
terrestres ; mais étant lui-même le pain
vivant qui est descendu du ciel, il veut donner la vie au monde en se
donnant, lui-même comme nourriture des âmes (Jean
VI, 51).
Alors le diable le mena dans la
ville sainte, le mit sur le haut du temple et il lui dit : Si
lu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit qu'il
ordonnera à ses anges de le porter dans leurs mains, de peur que
ton pied ne heurte contre quelque pierre (Matth.
IV,
6).
On s'est étonné que le Sauveur ait permis à Satan
d'exercer une telle puissance sur lui, au point de le conduire partout
où bon lui semblait. Mais il ne faut pas oublier que Jésus avait été
conduit au désert par la volonté de Dieu, et devait être abandonné,
pendant tout le temps qu'il y passerait, entre les mains de Satan.
Plus tard, lorsque le Sauveur dit : Le
prince de ce monde vient, mais il n'a rien en moi (Jean
XIV,
30), il ne s'est pas seulement laissé conduire çà et là par lui,
mais il s'est encore laissé crucifier.
Satan veut que le Sauveur fasse une action
extraordinaire. Il doit se précipiter du haut du temple pour être
porté par les anges de Dieu aux yeux du peuple stupéfait. De cette
manière il se créera tout, d'un coup, avec le moins de peine possible,
une immense popularité et se légitimera comme Messie. Cette fois, le
diable procède avec plus de prudence. Il voit que le Sauveur est
profondément versé dans les Écritures, et qu'il se sent étroitement
lié par la Parole de Dieu. Il pense pouvoir user du même moyen ;
et, mutilant la promesse contenue dans le Psaume
XCI, 11, 12, il passe sous silence les mots du v.
11: afin, qu'ils le gardent dans toutes
les voies.
En effet, il aurait difficilement persuadé le Sauveur que
sa voie était de se précipiter du haut du temple. Jésus lui
répondit : Il est aussi écrit : Tu ne tenteras point le
Seigneur ton Dieu. Ici, Jésus vainc la tentation de la convoitise des
yeux. Il ne cherche pas sa propre gloire ; il n'a aucun désir
d'exciter l'étonnement et l'admiration de la foule. Il veut bien
conduire les pécheurs à la gloire et poser sur leur tête une couronne
d'honneur. Cette couronne, il ne nous la procure pas en s'élevant
lui-même ; mais en s'exposant à l'opprobre et en devenant, pour
le peuple, un objet de mépris et de raillerie. Il a supporté l'affront
que Pilate lui a infligé en l'exposant publiquement
avec la couronne d'épines et en disant : Voilà
l'homme (Jean
XIX, 5).
Enfin, Satan continue ses attaques sans prendre les
moindres précautions pour cacher son dessein. Il dit à Jésus : Je
le donnerai tous les royaumes du monde et leur gloire si, en te
prosternant devant moi, tu m'adores (Matth.
IV, 8, 9).
Domination, éclat et gloire terrestres, richesse et
puissance royales, en un mot un règne brillant embrassant le monde
entier : voilà ce que Satan offre au Sauveur, à la condition
qu'il se prosterne devant lui, c'est-à-dire qu'il rompe complètement
avec Dieu. Cette tentation à l'orgueil de la vie, le Sauveur la vainc
par cette parole : Tu adoreras le
Seigneur ton Dieu, et lit le serviras lui seul (Matth.
IV, 10).
Il est doux et humble de coeur, et ne craint pas de laver
les pieds de ses disciples ; il s'est fait pauvre Pour nous, afin
que par sa pauvreté nous fussions rendus riches (2
Cor. VIII, 9). Il est roi sans doute, un roi dont la domination
doit s'étendre à tous les peuples de la terre ; mais son royaume
n'est pas de ce monde. Il ne fonde pas son règne en faisant des
guerres sanglantes, mais en répandant son propre sang pour la
rémission des péchés.
Le Sauveur a vaincu ; il reste dans le sein du Père.
Il dédaigne, pour remplir sa mission, le bien-être charnel, et choisit
la voie du renoncement. Il dédaigne le chemin d'un vain faste et des
honneurs humains, et choisit la voie de l'abaissement et de
l'opprobre. Il dédaigne le chemin d'une domination mondaine et d'une
puissance orgueilleuse, et choisit la voie de l'humilité et de la
souffrance. En un mot, il est décidé à se tenir fermement dans le sein
du Père, jusqu'à souffrir la mort de la croix. Telle est la manière
dont le Seigneur est fermement résolu de débuter publiquement dans sa
mission rédemptrice. Alors le diable le
laissa, et les anges vinrent et le servirent (Matth.
IV,
11).
Après la tentation, vint un temps de rafraîchissement.
Dans le paradis, Adam tombe et le paradis devient un désert ;
dans le désert Jésus triomphe et le désert devient un paradis. Lorsque
saint Luc dit que le diable laissa Jésus pour un temps, il fait sans
doute allusion à la Passion, dont Jésus dit : Le
prince de ce monde vient.
Tandis que chacun est tenté
lorsqu'il est attiré et amorcé par sa propre convoitise
(Jacq. I,
14), pour le Sauveur, la tentation vient exclusivement du dehors
et est immédiatement surmontée. Si la tentation à la convoitise de la
chair, à la convoitise des yeux et à l'orgueil de la vie était née
dans son propre coeur, il aurait été souillé par ces convoitises et
lui aussi aurait pu s'appliquer ces paroles : Personne
ne pourra en aucune manière racheter son frère. (Ps.
XLIX, 8).
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