Dans son Abraham sacrifiant, Théodore de Bèze fait dire à Satan :
- Règne le Dieu en son haut firmament:
- Mais pour le moins la terre est toute a moy.
- Et n'en déplaise à Dieu ni à sa Loy,
- Dieu est aux cieux par les siens honoré;
- Des miens je suis en la terre adoré.
- Dieu est au ciel: et bien, je suis en terre.
Voyant le monde comme il va, nous serions tentés de donner raison à Satan. Non pas Satan a menti ! C'est le psalmiste qui dit vrai
- La terre appartient au Seigneur,
- À l'Éternel, au Créateur,
- Et tout ce qui vit sur la terre.
- (Psaume XXIV)
Ces pages vous aideront-elles à trouver
sur cette terre, dont les hommes se croient les
maîtres, la présence de Dieu ? Car
c'est ici, malgré les apparences, TERRE DE
DIEU !
C'est le voeu de l'auteur qui a
groupé autour de cette pensée
centrale seize prédications, faites à
la cathédrale de Saint-Pierre à
Genève et souvent confiées aux ondes
émises par Radio Suisse romande.
Lié par la Parole de Dieu, un
pasteur voudrait vous aider à croire,
à aimer, à espérer.
Genèse 28, v. 16 |
Terre
maudite
Jacob a trompé son père
Isaac, le patriarche d'Israël; il a
frustré son frère Ésaü du
droit d'aînesse; il a usé de
grossière supercherie. Sa faute a
dressé une barrière entre son
frère et lui; entre son père et lui;
entre Dieu et lui.
Il ne lui reste plus qu'à fuir et
à chercher au loin l'oubli de tout ce qui
l'entourait dans sa jeunesse, à fuir sur une
terre où il échappera à son
frère, sur une terre où la
présence de son père ne sera plus un
reproche constant, sur une terre sans Dieu, sur une
terre maudite.
Jacob, c'est nous, hommes d'un
siècle qui S'est dressé contre la
volonté de Dieu. Nous avons
transgressé la Loi, méprisé
l'Évangile. Nous avons fait de la terre de
Dieu une terre modelée à notre image,
pétrie de notre orgueil, souillée de
nos crimes, une terre sans Dieu, une terre
maudite.
Le
passé
qui revit
Jacob fuit à travers le
désert qui s'étend de
Béer-Schéba à Charan. Les rocs
et les arbres ont une silhouette de fantômes;
le crépuscule le remplit de terreur; il
continuerait bien à fuir pour mettre une
plus grande distance entre les siens et lui, entre
Dieu et lui, entre son passé et son
présent; il a peur du sommeil et des
cauchemars qui hantent le coupable. La fatigue le
terrasse. « Il prit une pierre, en fit son
chevet, et se coucha en cet endroit-là.
»
Il voudrait bien faire sa prière
comme autrefois avant de s'endormir. Mais Dieu est
absent de cette terre maudite. Il se souvient...
Mais a quoi bon se souvenir, puisque le
passé est mort, puisqu'il a tué son
passé. Il n'est plus qu'un peloton d'ombre
dans l'ombre de la nuit; il ne fait plus qu'un avec
la terre; il s'endort d'un sommeil animal.
Ainsi l'homme d'aujourd'hui, l'homme qui
n'a plus de foi, l'homme qui a cru pouvoir se passer
de Dieu, souffre de ne
pas
pouvoir, avant de confier son corps au sommeil et
à la nuit, prier le Dieu de son
enfance.
« Je pleure, disait le libre
penseur Littré, parce que je n'ai pas devant
qui faire la confession de mes fautes et m'en
humilier.»
« Je ne puis entendre dire: A
demain! disait Anatole France, sans éprouver
un sentiment d'inquiétude et de tristesse.
»
« Se coucher pour attendre la fin,
c'est déjà tout mon
désir», disait Pierre Loti, jeune
encore, mais ayant perdu la foi.
Qui dira la détresse de ceux qui,
si nombreux en ce siècle, S'endorment comme
Jacob, sans une prière, sans une
présence?
Dieu
à
la trace de l'homme
Terre sans Dieu ! Et voici que, pendant
la nuit qui s'étend sur cette terre
brûlée, Jacob eut un songe. « Il
vit une échelle posée sur la terre et
dont le sommet touchait aux cieux; et voici que des
anges de Dieu montaient et descendaient le long de
cette échelle. L'Éternel se tenait au
sommet, et il disait : je suis avec toi, je te
garderai partout où tu iras... » Dieu
le pourchasse; Dieu le traque; Dieu n'a pas
renoncé à parcourir cette terre qui
s'est révoltée contre lui
« Jacob s'éveilla de son
sommeil, et il dit : Certainement, l'Éternel
est en ce lieu, et moi, je ne le savais pas !
Combien ce lieu est redoutable ! C'est bien ici la
maison de Dieu; c'est ici la porte des cieux !
»
Ce n'est pas seulement ce lieu qui est
redoutable : La terre tout entière
appartient à Dieu et partout où nous
faisons halte sur un sol ingrat et souillé
par les hommes, marqué par le démon
et portant le signe de la bête, ce lieu peut
être pour nous la porte des cieux.
Quand le roi de Babylone, en plein
festin sardanapalesque, voit soudain sur les murs
les mots mystérieux: Mané,
thékel, pharès ! son palais perdu de
vices est « la porte des cieux ».
Quand Jedermann, se réjouissant
en folle compagnie, s'entend appeler par une
présence invisible : Jedermann ! Jedermann !
sa maison est devenue «maison de Dieu ».
C'est Dieu qui intervient dans ce monde d'où
nous le croyons absent, où nous pensons
être à l'abri de son jugement.
« Où fuirais-je loin de ta
face? dit le psalmiste. Tu sais quand je m'assieds
et quand je me lève; tu découvres de
loin ma pensée; tu M'observes soit que je
marche, soit que je me couche... Avant que la
parole soit sur ma langue, déjà, 0
Éternel, tu la connais tout entière !
»
Présence
de Dieu
Redoutable, cette présence de
Dieu ! Parce que nous sommes coupables. Terrible,
dit le berger Amos, terrible « comme le
rugissement du lion » !
Dieu parle. Que dit-il à Jacob?
« je suis avec toi, je te garderai partout
où tu iras. Je te ramènerai dans ce
pays; car je ne t'abandonnerai point avant d'avoir
fait ce que je t'ai promis. »
Dieu me poursuit, mais ce n'est pas le
lion qui veut sa proie, c'est un père qui
veut retrouver son fils. Dieu me cherche. Et c'est
pour me sauver!
Jacob n'a pourtant pas
mérité cet amour de Dieu ! Pas plus
que les publicains et les gens de mauvaise vie; pas
plus que Marie-Madeleine. L'amour de Dieu
déconcerte ceux qui aiment à
calculer. Il est toujours immérité.
Ceux qui croient y avoir droit, ceux-là en
sont tenus à l'écart, jusqu'à
ce qu'ils se sentent indignes, ravalés au
niveau de Jacob, jetés à terre comme
l'enfant prodigue. Les hommes ont toujours voulu
s'élever jusqu'à Dieu, lui fixer
l'heure où ils le rencontreront, limiter sa
grâce, la faire descendre en réponse
à leurs sacrifices et leurs prières,
élever une échelle pour monter
jusqu'à Dieu. Ce n'est pas
Jacob qui dresse l'échelle. Dieu brise nos
échelles, renverse nos tours de Babel; c'est
lui qui abaisse l'échelle du ciel
jusqu'à nous.
Il n'y a pas de chemin qui monte
jusqu'à Dieu. Mais il y en a un qui descend
de Dieu.
Jacob sait que Dieu a vu sa souffrance,
son désarroi, son coeur meurtri, et Dieu
vient non pas avec colère - il en aurait le
droit - mais avec bonté. « Je te
garderai partout où tu iras. »
Grâce imméritée !
Ténacité de l'amour de Dieu !
Jacob se leva et, dressant la pierre
dont il avait fait son chevet, il en fit un
monument et offrit un sacrifice d'actions de
grâces. Et il appela ce lieu
«Béthel», c'est-à-dire
«maison de Dieu ».
Notre
loi
a-t-elle besoin d'expériences
religieuses?
« Certainement l'Éternel est
en ce lieu! » Faut-il attendre pour pouvoir le
dire d'avoir fait comme Jacob une expérience
religieuse, d'avoir reçu comme lui un gage
de la présence de Dieu, un songe, une voix?
Erreur de ceux qui se désolent de ne
recevoir aucun signe, de ceux qui s'étonnent
du silence de Dieu, de ceux qui n'éprouvent rien
quand ils
prient ou qu'ils communient. Certes Dieu peut dans
sa grande bonté nous donner des preuves
tangibles de sa présence, un signe
précurseur de ce que nous éprouverons
dans le ciel. Saul de Tarse a été
ébloui en plein midi sur le chemin de Damas
et Jeanne d'Arc était guidée par des
voix. Un jeune soldat me disait au lendemain de
l'autre guerre : « En pleine bataille, j'ai
senti une main qui se posait sur mon épaule
et Dieu me dit : Ne crains pas, je te
ramènerai à ton foyer. » Ce ne
sont là que des cas exceptionnels; c'est
comme une béquille que Dieu donne parfois a
ceux dont la foi est soumise à de trop rudes
épreuves. Nous n'avons pas à devancer
les temps, à vouloir marcher par la vue.
C'est par la foi qu'il faut marcher. Et la foi,
c'est de mettre sa confiance en un Dieu invisible.
C'est de dire : « Certainement
l'Éternel est dans ce lieu ! » bien que
nous n'ayons aucun signe de cette présence.
Croire, c'est se fier aux promesses de la Parole de
Dieu. Demander un signe, une preuve nouvelle, c'est
être incrédule.
Dieu a donné un signe à
Jacob. En ces temps-là, il fallait bien un
signe pour croire. Dieu n'avait pas encore
envoyé parmi nous son fils. Aujourd'hui nous
avons Jésus-Christ, sa vie, miroir de la
bonté de Dieu, ses souffrances et sa mort sur la
croix. En
Christ, nous contemplons Dieu qui s'abaisse
jusqu'à nous, qui descend jusqu'au plus
profond de notre misère - et en même
temps l'humanité fécondée par
la grâce, réhabilitée,
soulevée jusqu'au ciel et rendue capable
d'éternité. Quel autre signe
attendons-nous, car il y a là plus que le
songe de Jacob !
La
terre que tu
foules...
« Certainement, Dieu est en ce
lieu! » La porte des cieux, c'est pour toi ta
petite chambre, à la porte bien close,
l'Église où tu viens te recueillir,
le champ du repos où tu pleures tes
bien-aimés, la montagne dont tu aimes la
sauvage splendeur, la route où tu chemines
solitaire, la terre étrangère
où tu vis en exil, comme celle de ta patrie.
Sanctifie la terre que tu foules, sanctifie le lieu
où tu vis, toute la terre resplendit de la
présence de Dieu, toute la terre est la
porte des cieux.
Quand on demandait à Livingstone
comment il avait eu le courage d'affronter les
périls de ses expéditions
missionnaires, il aimait à dire: «
Jésus a dit : je suis avec vous tous les
jours jusqu'à la fin du monde. J'ai
simplement cru à cette parole. » Il
n'en demandait pas davantage, n'attendait pas de
révélation supplémentaire, ne
cherchait pas à goûter la
présence de Dieu pour croire à cette
présence.
Il croyait aux promesses de la
Bible.
Toi qui chemines solitaire,
tourmenté par le démon du doute, n'en
demande pas davantage. Crois aux promesses de la
Parole de Dieu. Elles suffisent pour que tu dresses
là où tu es, sans attendre à
demain, la pierre de la reconnaissance,
Béthel, car là où tu es,
là est Dieu, sa présence sainte qui
fait trembler, sa bonté qui rassure.
Ne dis pas comme ce héros d'un
roman de Georges Duhamel : « Si je croyais,
tout serait plus facile. Seulement voilà, je
ne crois pas. Au fond je n'ai pas de chance. »
Ta chance, c'est de connaître le Christ,
signe et preuve suffisante de l'amour de Dieu.
Quelle autre chance attendrais-tu? Quelle autre
échelle de Jacob? Sache que Dieu est
là.
Et nous qui ne nous rangeons pas parmi
les douteurs, mais parmi les croyants, combien
avons-nous besoin de nous redire : «
Certainement l'Éternel est en ce lieu.»
Nous oublions constamment cette
réalité, nous vivons, nous pensons,
nous perdons courage, nous chancelons comme si Dieu
n'était pas là.
Et pourtant Dieu est en ce lieu,
là où nous sommes !
Une
conclusion
pratique
Permettez-moi pour conclure de vous
proposer un exercice spirituel. Voulez-vous
aujourd'hui et pendant les jours qui viennent,
plusieurs fois par jour, redire la parole de Jacob
: « Certainement, l'Éternel est en ce
lieu ! » et y penser un moment. Faites-le
à votre éveil, à midi, a
l'heure où le Christ est mort, au sortir du
travail, à la nuit tombante et avant de vous
endormir. Choisissez d'autres moments, peu importe.
Observez vous-mêmes les conséquences
de cet exercice. Il y a des actes et des
pensées dont vous aurez honte, parce que
Dieu est là, des actes et des pensées
de justice et d'amour qui vous seront
suggérés, de saintes énergies
qui vous seront données, parce que Dieu est
là, un apaisement dans l'épreuve, le
chemin du ciel aplani. Voulez-vous faire cet
exercice et prolonger ainsi les réflexions
que vous a suggérées cette
méditation?
Cet exercice spirituel
élémentaire vous aidera à vous
mettre plus résolument dans la main de Dieu,
de ce Dieu qui nous cherche, qui nous veut, non
pour nous détruire, mais pour nous sauver;
non pour nous rendre tristes mais joyeux. Car si la
présence
de Dieu est tout d'abord sujet d'effroi pour qui
lui résiste, elle devient joie pour qui se
soumet à elle. «Quand ceci vit en toi,
dit un serviteur de Dieu, tu peux chanter. Vienne
la douleur, tu chantes; viennent les tribulations,
tu chantes; vienne la mort, tu chantes. Ne laisse
pas ravir ce chant à ton coeur; tout en toi
sera lumière. Chantez, si obscur qu'il fasse
encore, louez, remerciez, magnifiez. »
Luc I, v. 5 |
Idylle
galiléenne ?
Le récit de Noël commence
par ces mots :
« Au temps d'Hérode, roi de
Judée... » Comme si Noël
éclairait d'une douce lumière la
Palestine tout entière, il nous semble
parfois que ce temps du roi Hérode devait
être un âge heureux, les habitants de
la Judée et de la Galilée des bergers
et des pêcheurs vivant paisibles loin des
rumeurs de guerre et des duretés de la lutte
pour la vie. Il nous semble que
ceux qui allaient entendre le sermon sur la
montagne, les disciples de Jésus, devaient
être des privilégiés, un petit
peuple paisible, aux moeurs patriarcales et saines,
des gens bien différents de nous. Les
peintres de Nativités, les auteurs des
Mystères de Noël nous ont
représenté le peuple des bergers
comme un peuple de légende et leur vie comme
une idylle.
Et nous disons, nous qui vivons dans un
monde cruel et sans âme : ce n'est pas de nos
jours que le Christ pourrait vivre parmi nous; il y
a un trop grand abîme entre le message de
Jésus et les temps actuels.
Hérode
le Grand
Que fut le « temps
d'Hérode»? Quelle est la toile de fond
sur laquelle il convient de situer le Christ et ses
disciples?
Tout Israël était soumis au
roi Hérode le Grand, redevable
lui-même de son pouvoir à l'empire de
Rome. Obséquieux à l'égard des
Romains, Hérode était hautain et
cruel à l'égard de ses sujets. Des
fleuves de sang marquèrent son
arrivée au pouvoir. C'est en vain qu'il
chercha à gagner les faveurs des
Israélites en leur élevant un temple
magnifique. Il était détesté
pour ses crimes. Au sein d'immenses richesses,
Hérode était malheureux,
dévoré par la
crainte d'être empoisonné, jaloux de
quiconque risquait de devenir son rival. C'est
ainsi qu'il fit assassiner son beau-frère
Aristobule, le grand-père de sa femme,
âgé de quatre-vingt-deux ans, sa
belle-mère, sa femme elle-même,
Marianne, qu'il avait aimée avec passion,
ses trois fils et de nombreux chefs du peuple. Au
milieu d'une cour brillante de flatteurs et
d'ambitieux, C'est un coeur
désespéré qui ne connaît
plus que la haine. Pensant bien que sa mort serait
une délivrance pour ses sujets, il avait
donné l'ordre de faire assassiner tous les
principaux notables juifs aussitôt
après, afin que tout le peuple eût
à se lamenter et à craindre son nom
jusqu'au delà de la mort. Tel est le roi
Hérode d'après le plus récent
historien de cette époque. Tel est celui qui
devait faire mourir tous les petits enfants de
Bethléem quand les mages lui apprirent qu'un
prince était né.
Fonctionnaires
et soldats
Son entourage était aussi
corrompu que lui. Les juges avaient une si triste
réputation que Jésus conseille de
n'avoir jamais affaire à eux : «
Mets-toi d'accord avec ton adversaire, de peur que
cet adversaire ne te livre au juge, et le juge au
réclamateur, et que tu ne sois jeté en prison. Tu
n'en sortiras
pas,
je te le dis en vérité, que tu n'aies
payé jusqu'au dernier sou. »
Pour gagner les faveurs de Rome,
Hérode accablait d'impôts la
Judée. Les agents du fisc ou péagers
pressuraient le peuple et faisaient de gros
bénéfices. Jean-Baptiste doit leur
dire : « N'exigez rien au delà des
tarifs ! » Même le sympathique
Zachée s'accuse d'avoir
prélevé plus qu'il ne devait. Aussi
les péagers étaient-ils'
détestés. On leur était soumis
cependant, car ils étaient escortés
de soldats, ces soldats à qui Jean-Baptiste
dit : « Contentez-vous de votre solde; ne
prenez rien par violence; ne commettez pas de
rapines. » Ce qui en dit long sur les
exactions auxquelles ils se livraient.
Un
peuple
malheureux et mai dirigé
Le peuple était
profondément malheureux. D'innombrables
malades, aveugles, épileptiques,
lépreux, mendiaient aux carrefours. Non
seulement on ne savait pas soigner les maladies,
mais encore on les déclarait châtiment
de Dieu. Le malade, abandonné des siens, se
croyait encore abandonné de' Dieu et en
proie aux démons.
La décadence des moeurs
était générale. De la cour
d'Hérode au menu peuple se multipliaient les
adultères, trahisons,
faux ménages. Et ceux qui
réagissaient contre cet abandon des lois de
Dieu n'avaient que mépris pour les
«gens de mauvaise vie»; loin de les aider
à se relever, ils les accablaient par leur
dédain. Les honnêtes gens, ceux qui se
séparaient du peuple corrompu, les
pharisiens, étaient bouffis d'orgueil.
Jésus verra clair en leur reprochant leur
hypocrisie. Car la plupart d'encre eux se
contentaient de sauver les apparences, de passer
pour vertueux, alors que le coeur était
plein de violence et d'impureté.
« Malheur à vous, scribes et
pharisiens hypocrites, parce que vous fermez la
porte du royaume des cieux au visage des hommes.
»
« Malheurs à vous, aveugles,
conducteurs d'aveugles. Vous purifiez le dehors de
la coupe et du plat, et vous êtes remplis au
dedans de rapines et d'immondices. »
Vingt ans avant la naissance de
Jésus une terrible famine avait accru les
souffrances du peuple. Les citernes étaient
à sec, le poisson périssait dans les
rivières sans eau, le bétail mourait
dans les champs et le gibier dans les forêts.
La terre, desséchée et dure comme de
la pierre, ne portait plus de fruit et les hommes
mouraient par milliers.
Le peuple juif ne respirait que haine
pour l'étranger; les juifs
n'avaient aucune relation avec les Samaritains,
auxquels ils reprochaient d'être des
sang-mêlé. Ils attendaient l'heure de
la révolte contre Rome. Quelques tentatives
de soulèvement avaient été
cruellement réprimées. Hérode
fit brûler vifs les chefs de l'insurrection.
Quelques patriotes avaient dû « prendre
le maquis ». Depuis tant d'années
qu'ils vivaient comme des hors la loi, on finissait
par les confondre avec ces « brigands»
qui dévalisaient les voyageurs et dont parle
la parabole du bon Samaritain.
Les juifs haïssaient les
étrangers; mais entre eux il n'y avait
guère de solidarité. Lorsqu'à
Bethléem on vit arriver à
l'hôtellerie une femme épuisée
de fatigue, personne ne se dérangea pour lui
faire une place. Et Marie ne trouva qu'une
étable pour y passer la nuit et mettre au
monde son fils premier-né.
L'égoïsme régnait.
On vivait dans une atmosphère de
suspicion, de rancoeur, d'angoisse et la religion
elle-même aux mains de prêtres et de
chefs sans âme inspirait encore la crainte;
elle n'était plus génératrice
d'amour.
«Du temps d'Hérode, roi de
Judée...
» Les ténèbres
régnaient sur une terre abreuvée
d'angoisses... »
En
ce
temps-là, un enfant...
C'est en ce temps-là que le Fils
de Dieu a vécu parmi nous, comme un simple
homme, partageant le pain et les souffrances d'un
peuple malheureux.
Tandis qu'Hérode le tyran se
mourait d'une maladie infâme, le corps
déjà décomposé sous ses
parements somptueux et dégageant une odeur
insupportable, rêvant encore de quelque crime
avant de mourir, un enfant jouait à
Nazareth, fragile créature, exposé
aux brimades des soldats romains, aux paroles
brutales et haineuses des patriotes
galiléens, aux brigands qui hantaient la
campagne. Un enfant jouait... Et du ciel Dieu
voyait son Fils exposé à tous les
dangers de ce monde. « Dieu a tant aimé
le monde, qu'il a donné son Fils... »
Il l'a donné en ce temps-là, en ce
triste temps, en ce temps d'angoisses, « au
temps d'Hérode, roi de
Judée».
En
ce
temps-là, l'Évangile
d'amour
C'est aux hommes « de ce
temps-là» que le Christ prêchera
l'amour et la justice, le pardon des offenses et la
bonté de Dieu et la vie qui triomphe de la
mort.
« Heureux, dit-il aux hommes de ce
temps-là, heureux ceux qui pleurent, heureux
ceux qui ont faim et soif de la
justice, heureux ceux qui procurent la paix,
heureux ceux qui sont persécutés.
»
Christ ira jusqu'à donner sa vie
pour les hommes «de ce temps-là».
Il offrira son corps aux soufflets des pharisiens,
sa tête à la couronne d'épines
tressée par les soldats, ses mains et ses
pieds aux clous qui l'attachent à la croix,
sa douleur et son cri d'angoisse aux railleries des
passants.
« À peine, dira saint Paul,
mourrait-on pour un homme de bien. » Christ
est mort pour des injustes, pour les hommes du
temps d'Hérode. C'est pour eux qu'il
implorait le pardon de Dieu. « Père,
pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font.
»
Et c'est avec une poignée
d'hommes de ce temps-là, d'hommes et de
femmes du peuple et même de pharisiens, de
péagers au service d'Hérode, de
soldats de Rome, que le Christ vainqueur de la mort
fera la conquête du monde et brisera avec les
armes de l'amour et de la foi le vieil et puissant
empire des Césars.
Si des hommes avaient inventé
cette histoire, cette victoire de l'amour au temps
de la haine, cette épopée du Christ
au temps d'Hérode, on sourirait de
l'invraisemblance d'un tel récit.
Mais ce n'est point un récit
forgé par des hommes. C'est un fait
historique en face duquel on ne peut que se
prosterner et adorer. C'est en ce temps-là,
si semblable au nôtre, en ce temps où
Dieu paraissait avoir abandonné les hommes
à leur impiété et à
leur révolte, que le ciel est venu
jusqu'à nous et que les hommes, des hommes
comme nous, des hommes comme toi et moi, des hommes
comme ce rival que je hais et cet ennemi que je
combattrai jusqu'à la mort, ont vu parmi eux
le Saint et le juste.
Dieu, « en ce temps-là
», est venu jusqu'à nous.
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