Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PRÉFACE

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Dans son Abraham sacrifiant, Théodore de Bèze fait dire à Satan :

Règne le Dieu en son haut firmament:
Mais pour le moins la terre est toute a moy.
Et n'en déplaise à Dieu ni à sa Loy,
Dieu est aux cieux par les siens honoré;
Des miens je suis en la terre adoré.
Dieu est au ciel: et bien, je suis en terre.

Voyant le monde comme il va, nous serions tentés de donner raison à Satan. Non pas Satan a menti ! C'est le psalmiste qui dit vrai

La terre appartient au Seigneur,
À l'Éternel, au Créateur,
Et tout ce qui vit sur la terre.
(Psaume XXIV)

Ces pages vous aideront-elles à trouver sur cette terre, dont les hommes se croient les maîtres, la présence de Dieu ? Car c'est ici, malgré les apparences, TERRE DE DIEU !
C'est le voeu de l'auteur qui a groupé autour de cette pensée centrale seize prédications, faites à la cathédrale de Saint-Pierre à Genève et souvent confiées aux ondes émises par Radio Suisse romande.

Lié par la Parole de Dieu, un pasteur voudrait vous aider à croire, à aimer, à espérer.


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DÉSARROI DE L'HOMME MODERNE

Terre de Dieu


Certainement, l'Éternel est en ce lieu, et moi, je ne le savais pas!
Genèse 28, v. 16


Terre maudite
Jacob a trompé son père Isaac, le patriarche d'Israël; il a frustré son frère Ésaü du droit d'aînesse; il a usé de grossière supercherie. Sa faute a dressé une barrière entre son frère et lui; entre son père et lui; entre Dieu et lui.
Il ne lui reste plus qu'à fuir et à chercher au loin l'oubli de tout ce qui l'entourait dans sa jeunesse, à fuir sur une terre où il échappera à son frère, sur une terre où la présence de son père ne sera plus un reproche constant, sur une terre sans Dieu, sur une terre maudite.

Jacob, c'est nous, hommes d'un siècle qui S'est dressé contre la volonté de Dieu. Nous avons transgressé la Loi, méprisé l'Évangile. Nous avons fait de la terre de Dieu une terre modelée à notre image, pétrie de notre orgueil, souillée de nos crimes, une terre sans Dieu, une terre maudite.

Le passé qui revit
Jacob fuit à travers le désert qui s'étend de Béer-Schéba à Charan. Les rocs et les arbres ont une silhouette de fantômes; le crépuscule le remplit de terreur; il continuerait bien à fuir pour mettre une plus grande distance entre les siens et lui, entre Dieu et lui, entre son passé et son présent; il a peur du sommeil et des cauchemars qui hantent le coupable. La fatigue le terrasse. « Il prit une pierre, en fit son chevet, et se coucha en cet endroit-là. »
Il voudrait bien faire sa prière comme autrefois avant de s'endormir. Mais Dieu est absent de cette terre maudite. Il se souvient... Mais a quoi bon se souvenir, puisque le passé est mort, puisqu'il a tué son passé. Il n'est plus qu'un peloton d'ombre dans l'ombre de la nuit; il ne fait plus qu'un avec la terre; il s'endort d'un sommeil animal.

Ainsi l'homme d'aujourd'hui, l'homme qui n'a plus de foi, l'homme qui a cru pouvoir se passer de Dieu, souffre de ne pas pouvoir, avant de confier son corps au sommeil et à la nuit, prier le Dieu de son enfance.
« Je pleure, disait le libre penseur Littré, parce que je n'ai pas devant qui faire la confession de mes fautes et m'en humilier.»
« Je ne puis entendre dire: A demain! disait Anatole France, sans éprouver un sentiment d'inquiétude et de tristesse. »
« Se coucher pour attendre la fin, c'est déjà tout mon désir», disait Pierre Loti, jeune encore, mais ayant perdu la foi.

Qui dira la détresse de ceux qui, si nombreux en ce siècle, S'endorment comme Jacob, sans une prière, sans une présence?

Dieu à la trace de l'homme
Terre sans Dieu ! Et voici que, pendant la nuit qui s'étend sur cette terre brûlée, Jacob eut un songe. « Il vit une échelle posée sur la terre et dont le sommet touchait aux cieux; et voici que des anges de Dieu montaient et descendaient le long de cette échelle. L'Éternel se tenait au sommet, et il disait : je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras... » Dieu le pourchasse; Dieu le traque; Dieu n'a pas renoncé à parcourir cette terre qui s'est révoltée contre lui
« Jacob s'éveilla de son sommeil, et il dit : Certainement, l'Éternel est en ce lieu, et moi, je ne le savais pas ! Combien ce lieu est redoutable ! C'est bien ici la maison de Dieu; c'est ici la porte des cieux ! »

Ce n'est pas seulement ce lieu qui est redoutable : La terre tout entière appartient à Dieu et partout où nous faisons halte sur un sol ingrat et souillé par les hommes, marqué par le démon et portant le signe de la bête, ce lieu peut être pour nous la porte des cieux.

Quand le roi de Babylone, en plein festin sardanapalesque, voit soudain sur les murs les mots mystérieux: Mané, thékel, pharès ! son palais perdu de vices est « la porte des cieux ».

Quand Jedermann, se réjouissant en folle compagnie, s'entend appeler par une présence invisible : Jedermann ! Jedermann ! sa maison est devenue «maison de Dieu ». C'est Dieu qui intervient dans ce monde d'où nous le croyons absent, où nous pensons être à l'abri de son jugement.

« Où fuirais-je loin de ta face? dit le psalmiste. Tu sais quand je m'assieds et quand je me lève; tu découvres de loin ma pensée; tu M'observes soit que je marche, soit que je me couche... Avant que la parole soit sur ma langue, déjà, 0 Éternel, tu la connais tout entière ! »

Présence de Dieu
Redoutable, cette présence de Dieu ! Parce que nous sommes coupables. Terrible, dit le berger Amos, terrible « comme le rugissement du lion » !

Dieu parle. Que dit-il à Jacob? « je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras. Je te ramènerai dans ce pays; car je ne t'abandonnerai point avant d'avoir fait ce que je t'ai promis. »
Dieu me poursuit, mais ce n'est pas le lion qui veut sa proie, c'est un père qui veut retrouver son fils. Dieu me cherche. Et c'est pour me sauver!

Jacob n'a pourtant pas mérité cet amour de Dieu ! Pas plus que les publicains et les gens de mauvaise vie; pas plus que Marie-Madeleine. L'amour de Dieu déconcerte ceux qui aiment à calculer. Il est toujours immérité. Ceux qui croient y avoir droit, ceux-là en sont tenus à l'écart, jusqu'à ce qu'ils se sentent indignes, ravalés au niveau de Jacob, jetés à terre comme l'enfant prodigue. Les hommes ont toujours voulu s'élever jusqu'à Dieu, lui fixer l'heure où ils le rencontreront, limiter sa grâce, la faire descendre en réponse à leurs sacrifices et leurs prières, élever une échelle pour monter jusqu'à Dieu. Ce n'est pas Jacob qui dresse l'échelle. Dieu brise nos échelles, renverse nos tours de Babel; c'est lui qui abaisse l'échelle du ciel jusqu'à nous.

Il n'y a pas de chemin qui monte jusqu'à Dieu. Mais il y en a un qui descend de Dieu.

Jacob sait que Dieu a vu sa souffrance, son désarroi, son coeur meurtri, et Dieu vient non pas avec colère - il en aurait le droit - mais avec bonté. « Je te garderai partout où tu iras. » Grâce imméritée ! Ténacité de l'amour de Dieu !
Jacob se leva et, dressant la pierre dont il avait fait son chevet, il en fit un monument et offrit un sacrifice d'actions de grâces. Et il appela ce lieu «Béthel», c'est-à-dire «maison de Dieu ».

Notre loi a-t-elle besoin d'expériences religieuses?
« Certainement l'Éternel est en ce lieu! » Faut-il attendre pour pouvoir le dire d'avoir fait comme Jacob une expérience religieuse, d'avoir reçu comme lui un gage de la présence de Dieu, un songe, une voix? Erreur de ceux qui se désolent de ne recevoir aucun signe, de ceux qui s'étonnent du silence de Dieu, de ceux qui n'éprouvent rien quand ils prient ou qu'ils communient. Certes Dieu peut dans sa grande bonté nous donner des preuves tangibles de sa présence, un signe précurseur de ce que nous éprouverons dans le ciel. Saul de Tarse a été ébloui en plein midi sur le chemin de Damas et Jeanne d'Arc était guidée par des voix. Un jeune soldat me disait au lendemain de l'autre guerre : « En pleine bataille, j'ai senti une main qui se posait sur mon épaule et Dieu me dit : Ne crains pas, je te ramènerai à ton foyer. » Ce ne sont là que des cas exceptionnels; c'est comme une béquille que Dieu donne parfois a ceux dont la foi est soumise à de trop rudes épreuves. Nous n'avons pas à devancer les temps, à vouloir marcher par la vue. C'est par la foi qu'il faut marcher. Et la foi, c'est de mettre sa confiance en un Dieu invisible. C'est de dire : « Certainement l'Éternel est dans ce lieu ! » bien que nous n'ayons aucun signe de cette présence. Croire, c'est se fier aux promesses de la Parole de Dieu. Demander un signe, une preuve nouvelle, c'est être incrédule.

Dieu a donné un signe à Jacob. En ces temps-là, il fallait bien un signe pour croire. Dieu n'avait pas encore envoyé parmi nous son fils. Aujourd'hui nous avons Jésus-Christ, sa vie, miroir de la bonté de Dieu, ses souffrances et sa mort sur la croix. En Christ, nous contemplons Dieu qui s'abaisse jusqu'à nous, qui descend jusqu'au plus profond de notre misère - et en même temps l'humanité fécondée par la grâce, réhabilitée, soulevée jusqu'au ciel et rendue capable d'éternité. Quel autre signe attendons-nous, car il y a là plus que le songe de Jacob !

La terre que tu foules...
« Certainement, Dieu est en ce lieu! » La porte des cieux, c'est pour toi ta petite chambre, à la porte bien close, l'Église où tu viens te recueillir, le champ du repos où tu pleures tes bien-aimés, la montagne dont tu aimes la sauvage splendeur, la route où tu chemines solitaire, la terre étrangère où tu vis en exil, comme celle de ta patrie. Sanctifie la terre que tu foules, sanctifie le lieu où tu vis, toute la terre resplendit de la présence de Dieu, toute la terre est la porte des cieux.

Quand on demandait à Livingstone comment il avait eu le courage d'affronter les périls de ses expéditions missionnaires, il aimait à dire: « Jésus a dit : je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. J'ai simplement cru à cette parole. » Il n'en demandait pas davantage, n'attendait pas de révélation supplémentaire, ne cherchait pas à goûter la présence de Dieu pour croire à cette présence.
Il croyait aux promesses de la Bible.

Toi qui chemines solitaire, tourmenté par le démon du doute, n'en demande pas davantage. Crois aux promesses de la Parole de Dieu. Elles suffisent pour que tu dresses là où tu es, sans attendre à demain, la pierre de la reconnaissance, Béthel, car là où tu es, là est Dieu, sa présence sainte qui fait trembler, sa bonté qui rassure.
Ne dis pas comme ce héros d'un roman de Georges Duhamel : « Si je croyais, tout serait plus facile. Seulement voilà, je ne crois pas. Au fond je n'ai pas de chance. » Ta chance, c'est de connaître le Christ, signe et preuve suffisante de l'amour de Dieu. Quelle autre chance attendrais-tu? Quelle autre échelle de Jacob? Sache que Dieu est là.

Et nous qui ne nous rangeons pas parmi les douteurs, mais parmi les croyants, combien avons-nous besoin de nous redire : « Certainement l'Éternel est en ce lieu.» Nous oublions constamment cette réalité, nous vivons, nous pensons, nous perdons courage, nous chancelons comme si Dieu n'était pas là.
Et pourtant Dieu est en ce lieu, là où nous sommes !

Une conclusion pratique
Permettez-moi pour conclure de vous proposer un exercice spirituel. Voulez-vous aujourd'hui et pendant les jours qui viennent, plusieurs fois par jour, redire la parole de Jacob : « Certainement, l'Éternel est en ce lieu ! » et y penser un moment. Faites-le à votre éveil, à midi, a l'heure où le Christ est mort, au sortir du travail, à la nuit tombante et avant de vous endormir. Choisissez d'autres moments, peu importe. Observez vous-mêmes les conséquences de cet exercice. Il y a des actes et des pensées dont vous aurez honte, parce que Dieu est là, des actes et des pensées de justice et d'amour qui vous seront suggérés, de saintes énergies qui vous seront données, parce que Dieu est là, un apaisement dans l'épreuve, le chemin du ciel aplani. Voulez-vous faire cet exercice et prolonger ainsi les réflexions que vous a suggérées cette méditation?

Cet exercice spirituel élémentaire vous aidera à vous mettre plus résolument dans la main de Dieu, de ce Dieu qui nous cherche, qui nous veut, non pour nous détruire, mais pour nous sauver; non pour nous rendre tristes mais joyeux. Car si la présence de Dieu est tout d'abord sujet d'effroi pour qui lui résiste, elle devient joie pour qui se soumet à elle. «Quand ceci vit en toi, dit un serviteur de Dieu, tu peux chanter. Vienne la douleur, tu chantes; viennent les tribulations, tu chantes; vienne la mort, tu chantes. Ne laisse pas ravir ce chant à ton coeur; tout en toi sera lumière. Chantez, si obscur qu'il fasse encore, louez, remerciez, magnifiez. »


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EN CE TEMPS-LÀ,

SI SEMBLABLE AU NOTRE...


Au temps d'Hérode...
Luc I, v. 5


Idylle galiléenne ?
Le récit de Noël commence par ces mots :
« Au temps d'Hérode, roi de Judée... » Comme si Noël éclairait d'une douce lumière la Palestine tout entière, il nous semble parfois que ce temps du roi Hérode devait être un âge heureux, les habitants de la Judée et de la Galilée des bergers et des pêcheurs vivant paisibles loin des rumeurs de guerre et des duretés de la lutte pour la vie. Il nous semble que ceux qui allaient entendre le sermon sur la montagne, les disciples de Jésus, devaient être des privilégiés, un petit peuple paisible, aux moeurs patriarcales et saines, des gens bien différents de nous. Les peintres de Nativités, les auteurs des Mystères de Noël nous ont représenté le peuple des bergers comme un peuple de légende et leur vie comme une idylle.

Et nous disons, nous qui vivons dans un monde cruel et sans âme : ce n'est pas de nos jours que le Christ pourrait vivre parmi nous; il y a un trop grand abîme entre le message de Jésus et les temps actuels.

Hérode le Grand
Que fut le « temps d'Hérode»? Quelle est la toile de fond sur laquelle il convient de situer le Christ et ses disciples?
Tout Israël était soumis au roi Hérode le Grand, redevable lui-même de son pouvoir à l'empire de Rome. Obséquieux à l'égard des Romains, Hérode était hautain et cruel à l'égard de ses sujets. Des fleuves de sang marquèrent son arrivée au pouvoir. C'est en vain qu'il chercha à gagner les faveurs des Israélites en leur élevant un temple magnifique. Il était détesté pour ses crimes. Au sein d'immenses richesses, Hérode était malheureux, dévoré par la crainte d'être empoisonné, jaloux de quiconque risquait de devenir son rival. C'est ainsi qu'il fit assassiner son beau-frère Aristobule, le grand-père de sa femme, âgé de quatre-vingt-deux ans, sa belle-mère, sa femme elle-même, Marianne, qu'il avait aimée avec passion, ses trois fils et de nombreux chefs du peuple. Au milieu d'une cour brillante de flatteurs et d'ambitieux, C'est un coeur désespéré qui ne connaît plus que la haine. Pensant bien que sa mort serait une délivrance pour ses sujets, il avait donné l'ordre de faire assassiner tous les principaux notables juifs aussitôt après, afin que tout le peuple eût à se lamenter et à craindre son nom jusqu'au delà de la mort. Tel est le roi Hérode d'après le plus récent historien de cette époque. Tel est celui qui devait faire mourir tous les petits enfants de Bethléem quand les mages lui apprirent qu'un prince était né.

Fonctionnaires et soldats
Son entourage était aussi corrompu que lui. Les juges avaient une si triste réputation que Jésus conseille de n'avoir jamais affaire à eux : « Mets-toi d'accord avec ton adversaire, de peur que cet adversaire ne te livre au juge, et le juge au réclamateur, et que tu ne sois jeté en prison. Tu n'en sortiras pas, je te le dis en vérité, que tu n'aies payé jusqu'au dernier sou. »

Pour gagner les faveurs de Rome, Hérode accablait d'impôts la Judée. Les agents du fisc ou péagers pressuraient le peuple et faisaient de gros bénéfices. Jean-Baptiste doit leur dire : « N'exigez rien au delà des tarifs ! » Même le sympathique Zachée s'accuse d'avoir prélevé plus qu'il ne devait. Aussi les péagers étaient-ils' détestés. On leur était soumis cependant, car ils étaient escortés de soldats, ces soldats à qui Jean-Baptiste dit : « Contentez-vous de votre solde; ne prenez rien par violence; ne commettez pas de rapines. » Ce qui en dit long sur les exactions auxquelles ils se livraient.

Un peuple malheureux et mai dirigé
Le peuple était profondément malheureux. D'innombrables malades, aveugles, épileptiques, lépreux, mendiaient aux carrefours. Non seulement on ne savait pas soigner les maladies, mais encore on les déclarait châtiment de Dieu. Le malade, abandonné des siens, se croyait encore abandonné de' Dieu et en proie aux démons.

La décadence des moeurs était générale. De la cour d'Hérode au menu peuple se multipliaient les adultères, trahisons, faux ménages. Et ceux qui réagissaient contre cet abandon des lois de Dieu n'avaient que mépris pour les «gens de mauvaise vie»; loin de les aider à se relever, ils les accablaient par leur dédain. Les honnêtes gens, ceux qui se séparaient du peuple corrompu, les pharisiens, étaient bouffis d'orgueil. Jésus verra clair en leur reprochant leur hypocrisie. Car la plupart d'encre eux se contentaient de sauver les apparences, de passer pour vertueux, alors que le coeur était plein de violence et d'impureté.
« Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous fermez la porte du royaume des cieux au visage des hommes. »
« Malheurs à vous, aveugles, conducteurs d'aveugles. Vous purifiez le dehors de la coupe et du plat, et vous êtes remplis au dedans de rapines et d'immondices. »

Vingt ans avant la naissance de Jésus une terrible famine avait accru les souffrances du peuple. Les citernes étaient à sec, le poisson périssait dans les rivières sans eau, le bétail mourait dans les champs et le gibier dans les forêts. La terre, desséchée et dure comme de la pierre, ne portait plus de fruit et les hommes mouraient par milliers.

Le peuple juif ne respirait que haine pour l'étranger; les juifs n'avaient aucune relation avec les Samaritains, auxquels ils reprochaient d'être des sang-mêlé. Ils attendaient l'heure de la révolte contre Rome. Quelques tentatives de soulèvement avaient été cruellement réprimées. Hérode fit brûler vifs les chefs de l'insurrection. Quelques patriotes avaient dû « prendre le maquis ». Depuis tant d'années qu'ils vivaient comme des hors la loi, on finissait par les confondre avec ces « brigands» qui dévalisaient les voyageurs et dont parle la parabole du bon Samaritain.

Les juifs haïssaient les étrangers; mais entre eux il n'y avait guère de solidarité. Lorsqu'à Bethléem on vit arriver à l'hôtellerie une femme épuisée de fatigue, personne ne se dérangea pour lui faire une place. Et Marie ne trouva qu'une étable pour y passer la nuit et mettre au monde son fils premier-né. L'égoïsme régnait.
On vivait dans une atmosphère de suspicion, de rancoeur, d'angoisse et la religion elle-même aux mains de prêtres et de chefs sans âme inspirait encore la crainte; elle n'était plus génératrice d'amour.
«Du temps d'Hérode, roi de Judée...
» Les ténèbres régnaient sur une terre abreuvée d'angoisses... »

En ce temps-là, un enfant...
C'est en ce temps-là que le Fils de Dieu a vécu parmi nous, comme un simple homme, partageant le pain et les souffrances d'un peuple malheureux.

Tandis qu'Hérode le tyran se mourait d'une maladie infâme, le corps déjà décomposé sous ses parements somptueux et dégageant une odeur insupportable, rêvant encore de quelque crime avant de mourir, un enfant jouait à Nazareth, fragile créature, exposé aux brimades des soldats romains, aux paroles brutales et haineuses des patriotes galiléens, aux brigands qui hantaient la campagne. Un enfant jouait... Et du ciel Dieu voyait son Fils exposé à tous les dangers de ce monde. « Dieu a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils... » Il l'a donné en ce temps-là, en ce triste temps, en ce temps d'angoisses, « au temps d'Hérode, roi de Judée».

En ce temps-là, l'Évangile d'amour
C'est aux hommes « de ce temps-là» que le Christ prêchera l'amour et la justice, le pardon des offenses et la bonté de Dieu et la vie qui triomphe de la mort.
« Heureux, dit-il aux hommes de ce temps-là, heureux ceux qui pleurent, heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, heureux ceux qui procurent la paix, heureux ceux qui sont persécutés. »

Christ ira jusqu'à donner sa vie pour les hommes «de ce temps-là». Il offrira son corps aux soufflets des pharisiens, sa tête à la couronne d'épines tressée par les soldats, ses mains et ses pieds aux clous qui l'attachent à la croix, sa douleur et son cri d'angoisse aux railleries des passants.
« À peine, dira saint Paul, mourrait-on pour un homme de bien. » Christ est mort pour des injustes, pour les hommes du temps d'Hérode. C'est pour eux qu'il implorait le pardon de Dieu. « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. »

Et c'est avec une poignée d'hommes de ce temps-là, d'hommes et de femmes du peuple et même de pharisiens, de péagers au service d'Hérode, de soldats de Rome, que le Christ vainqueur de la mort fera la conquête du monde et brisera avec les armes de l'amour et de la foi le vieil et puissant empire des Césars.

Si des hommes avaient inventé cette histoire, cette victoire de l'amour au temps de la haine, cette épopée du Christ au temps d'Hérode, on sourirait de l'invraisemblance d'un tel récit.
Mais ce n'est point un récit forgé par des hommes. C'est un fait historique en face duquel on ne peut que se prosterner et adorer. C'est en ce temps-là, si semblable au nôtre, en ce temps où Dieu paraissait avoir abandonné les hommes à leur impiété et à leur révolte, que le ciel est venu jusqu'à nous et que les hommes, des hommes comme nous, des hommes comme toi et moi, des hommes comme ce rival que je hais et cet ennemi que je combattrai jusqu'à la mort, ont vu parmi eux le Saint et le juste.
Dieu, « en ce temps-là », est venu jusqu'à nous.

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