Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Préface

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Aux paysans cévenols à l'âme profonde, qui m'ont fait aimer l'histoire de leurs aïeux,
À mes professeurs,
À Monsieur le Pasteur Charles Bost,
Hommage d'entière et respectueuse gratitude.

A. F.


Pierre Durand est le premier des « Pasteurs du Désert » qui ait été exécuté dans le Languedoc au XVIIIe siècle (1).
Avant lui, dans la province où le Protestantisme ne voulait pas mourir, les « Puissances » avaient envoyé à la Potence, à la roue ou au bûcher, soit des prédicants libres soit des inspirés, que le peuple huguenot avait tenus pour de bons « ministres » et pour des « prophètes », et que les actes judiciaires nommaient des « prédicants » et des « fanatiques ».

Les prédicants d'abord, au lendemain de la Révocation de l'Édit de Nantes, s'étaient levés spontanément, « s'ingérant » à la charge pastorale en vertu d'une vocation toute personnelle. Les inspirés, qui leur avaient succédé, apparaissaient plus affranchis encore de l'ordre traditionnel. Mais les autorités royales n'avaient pas distingué entre eux. Elles les tinrent tous pour des séditieux, en tant qu'ils entretenaient une foi condamnée. Elles s'acharnèrent en outre, contre les prédicants parce que ceux-ci comptaient sur le secours des armées étrangères pour recouvrer la liberté perdue, et sévirent avec plus de rage encore contre les prophètes, comme étant les auteurs et les inspirateurs de la terrible révolte camisarde.
Les protestants d'aujourd'hui ne veulent renier ni les Prédicants ni les inspirés. C'est à ceux-là que la Réforme française doit - après Dieu - d'avoir subsisté sous d'affreuses épreuves.

Les « pasteurs du Désert » cependant, qui à leur tour, émergèrent lentement du chaos sombre où la guerre des Camisards avait laissé le Languedoc protestant, sont dignes d'un hommage tout particulier. Dès 1715 Antoine Court, et avec lui Pierre Corteiz dont on n'a pas assez noté la valeur, entreprirent de restaurer les Églises en leur rendant, par la règle et par la discipline, à la fois la cohésion, la sobriété mystique et la dignité extérieure qui avaient fait leur force aux XVIe et XVIIe siècles. Corteiz, revêtu de la charge de pasteur régulier à Zurich, « consacra » Antoine Court. Tous deux, avec Roger, leur compagnon du Dauphiné, qui avait été « ordonné » dans le Wurtemberg, reconstituèrent peu à peu les paroisses locales ; ils rétablirent les synodes, pour combattre l'illuminisrne des prophètes, l'indépendance des prédicateurs et répudier nettement tout appel à la violence, même défensive.

Une nouvelle période s'ouvrit alors dans notre histoire religieuse. Mais les intendants de la province, les évêques et la Cour ne tinrent aucun compte de la révolution qui s'opérait. Pour toutes les autorités, le culte protestant resta un acte de sédition, et les prédicateurs des perturbateurs du repos public: Ces pasteurs sans armes, par leurs exhortations, enlevaient à la messe et au catéchisme Parents et enfants d'entre les prétendus « nouveaux convertis ». En baptisant et en mariant « au Désert » ils privaient les cures d'un casuel longtemps perçu. Leur ministère pacifique et purement évangélique, continué « sous la croix » avec une inlassable persévérance, resta passible de la mort.

Pierre Durand, nous l'avons dit, est le premier de ces purs martyrs. Il fut pendu à Montpellier en 1732. Il s'était donné tout entier à son Vivarais natal. Attiré de bonne heure aux projets de Roger, de Court et de Corteiz, c'est à lui qu'on dut de voir renaître les anciennes « Églises » dans les montagnes de l'Ardèche. L'emprisonnement de son père, la longue captivité de sa sœur Marie Durand dans la Tour de Constance, le sort douloureux de sa femme et de ses enfants qui trouvèrent un asile en Suisse, ajoutèrent au tragique de sa mort. Son nom vécut longtemps dans le Vivarais, rappelé par une complainte populaire qu'on y chantait encore il y a soixante-dix ans aux veillées d'hiver.

En 1864, le pasteur Meynadier, de Valence, avait raconté sa vie et son procès dans une brochure où il utilisait quelques pièces du dossier judiciaire conservé aux Archives de l'Hérault. Plus tard, le pasteur Daniel Benoît, en retraçant les épreuves de Marie Durand, avait redit la destinée de son frère le pasteur. Les protestants de Privas, depuis lors, avaient institué une sorte de pèlerinage annuel à la maison du Bouchet de Pranles où Marie Durand et Pierre Durand naquirent, et où Marie Durand revint mourir. La Société du Musée du Désert) enfin, fixa en 1924 une plaque commémorative sur le mur de granit de la vieille demeure.

Il restait à écrire à nouveau la vie de Pierre Durand en s'aidant de tous les documents accessibles et en essayant d'éclaircir certaines des contradictions apparentes qu'ils présentent parfois. M. André Fabre s'est attaché à ce labeur, vers lequel nous avons été heureux de l'orienter en lui apportant une très modeste collaboration. Il a dépouillé entièrement le dossier judiciaire du martyr et ce qui reste du dossier de son père, il a lu la correspondance que Durand a entretenue avec Antoine Court, il a étudié les registres originaux de baptêmes et de mariages récemment retrouvés dans une demeure protestante de l'Ardèche, et où certains actes sont non seulement transcrits en lettres grecques, mais quelquefois même écrits (maladroitement, cela va sans dire) en langue grecque. Et enfin il a voulu, en recherchant les anciens plans de la citadelle de Montpellier, fixer l'emplacement non seulement du cachot où fut enfermé le pasteur, mais du gibet où s'acheva triomphante dans sa simplicité, cette existence terrestre consacrée à Dieu. C'est dire que ce travail apporte aux amis de notre histoire des précisions nouvelles.

Nous souhaitons qu'il se répande non seulement dans ces Églises du Vivarais dont le passe fut grand, mais dans toutes nos communautés de France. Depuis peu, elles reviennent avec ferveur à ces années d'autrefois où dans les larmes et dans le sang les persécutés fondaient, sans le savoir, toutes les libertés d'aujourd'hui. Qu'elles sachent trouver dans l'exemple des forts, le secret d'une activité évangélique sûre de l'avenir. Le Dieu des pères reste le Dieu des enfants.

Charles BOST.



Avant-propos


La vie de Pierre Durand, à qui les Églises protestantes de l'Ardèche et de la Haute-Loire doivent leur résurrection au XVIIIe siècle, n'a pas encore été exactement racontée.

Les pasteurs Étienne Arnaud, dans son Histoire des protestants du Vivarais, et Daniel Benoît, dans son ouvrage sur l'héroïne de la Tour de Constance, ont omis de nombreux détails et sont arrivés ici et là, faute d'une documentation suffisante, à des conclusions erronées.
Nous nous sommes donc efforcés de compléter leurs esquisses, et nous devons dire à quelles sources nous avons puisé.

M. le pasteur Charles Bost, sans lequel rien ne se fût fait, a bien voulu nous faire-part de sa riche information et de son expérience historique approfondie. Nous lui en exprimons ici notre entière reconnaissance. C'est à ses indications que nous avons dû de pouvoir tout d'abord relever les multiples données des archives de l'Ancienne Intendance à Montpellier. Le dossier C 201, procès criminel intenté à Pierre Durand, nous en a fourni l'essentiel, mais il était nécessaire de le rectifier ou de le compléter par d'autres dépositions. Les cartons C 195, C 197, C 199, C 399 et C 413 ont été dépouillés avec soin. Leurs pièces diverses concernent les poursuites exercées contre les parents du pasteur vivarois, Pierre Rouvier son beau-frère, Étienne Durand son père, Marie sa soeur, Isabeau Sautel-Rouvier enfin, sa belle-mère.

Au cours d'un voyage en Ardèche, et grâce à l'avis reçu de M. Bost, nous avons eu en mains le très intéressant registre de mariages ouvert par le proscrit peu de temps avant sa mort. Ce précieux cahier, dont nous parlerons longuement en son temps, est la propriété d'un notable protestant qui nous a permis de le recopier et d'en faire prendre une photographie.

Agrandir la carte du Vivarais


Revenu à Paris, nous nous sommes imposé la lecture attentive de toute la correspondance des pasteurs du désert, entre 1715 et 1733. Elle est conservée à la Bibliothèque de la Société de l'Histoire du Protestantisme français. (Papiers Court : séries 601-1 à 601-5 ; 601-12 ; 607-1 ; 613-3 ; 617-G1 ; 617-G2 ; 617-H1 ; 617-Q ; 617-R; 639 ; 640 -2).

Il ne nous parait pas que les biographes de Durand aient jamais eu connaissance de ces documents, d'une importance capitale. Là en effet, dans les lettres écrites à leurs amis et leurs compagnons d'armes, les artisans de la Restauration de nos églises se sont livrés sans contrainte, avec leurs sentiments vrais et leur connaissance exacte des faits qui les concernaient. Il y a, dans ces quinze gros manuscrits in-folio, recopiés sur les originaux de Genève, un nombre considérable d'informations inédites que nous avons largement utilisées et qui nous ont permis d'élucider maints problèmes restés sans eux très obscurs.

Différents articles parus dans le Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme français, et particulièrement sous la signature de M. Ch. Bost, nous ont permis de rejoindre la trace des parents du martyr, détenus comme otages ou partis pour l'exil, à la suite de son incessante activité et des poursuites qu'elle ne manqua pas de provoquer.

Enfin l'ouvrage de M. Hugues sur les Synodes du Désert nous a fourni les procès-verbaux des délibérations tenues entre 1715 et 1732 au cours des assemblées officielles convoquées par les chefs de nos Églises renaissantes.

Nous avons trouvé, dans notre travail, une source d'intérêt continuel. Il nous a donné, pensons-nous, une vue assez exacte de l'intense labeur de réorganisation poursuivi dans les communautés huguenotes méridionales pendant les 30 premières années du XVIIIe siècle. Mais surtout, il nous a fait suivre pas à pas un homme dans son labeur, ses courses et ses souffrances ; il nous a mis en contact avec son attachante personnalité.

Une telle entreprise doit être très riche en enseignements. S'il est vrai que la tradition sans vie religieuse dessèche ceux qui s'en réclament, il ne l'est pas moins qu'une étude saine du passé doit avertir, rendre confiance, et enthousiasmer. Les difficultés que le protestantisme français traverse de nos jours sont moins immédiatement angoissantes que les périls endurés il y a deux siècles. Mais elles demeurent pourtant réelles, et nous croyons que les exemples des hommes de Dieu, des bons ouvriers d'autrefois, ont encore quelque chose à nous dire. Ils nous répètent la nécessité d'une discipline trop souvent oubliée, d'une foi point trop individualiste, point trop sentimentale, et qui sache mettre Dieu au centre de toute notre vie, comme au centre du monde entier. Ils nous répètent que l'Évangile est une réalité, un idéal suffisamment grands pour qu'on lui sacrifie ses aises, et plus encore s'il est nécessaire. Ils nous répètent qu'une piété sincère doit engager toute l'activité du croyant, matérielle, intellectuelle, spirituelle.

La mission de Pierre Durand ne pouvait être que fort limitée, et se borner au réveil du protestantisme épuisé par la souffrance et les départs pour l'exil. Mais des temps nouveaux sont venus. Aurons-nous, pour faire revivre ce qui s'éteint ou conquérir ce qui se ferme au christianisme, l'audace, la netteté de vues, l'abnégation surtout du pasteur vivarois ?

Nous ne pouvons oublier, en terminant, que ce travail consacré à l'histoire de nos Pères a été préparé, et presque entièrement écrit dans les régions qu'ils ont jadis parcourues pour y oeuvrer, y souffrir ou y mourir. Nous remercions donc ceux, quels qu'ils soient, qui nous ont placé dans l'ambiance nécessaire à la poursuite de notre tâche. Des maisons se sont ouvertes, en Ardèche ; nos professeurs et des amis nombreux ont rivalisé de complaisance pour nous conseiller, nous guider dans des régions peu connues, ou nous aider dans la révision toujours délicate du texte. D'autres encore ont bien voulu dessiner pour l'illustration de nos pages quelques-uns des lieux où le destin de notre héros s'est fixé pour toujours, l'intérieur de la maison paternelle, au Bouchet de Pranles ; la « combe » d'où il s'échappa avant de « prendre le désert » ; le hameau de Gamarre, l'un de ses rendez-vous préférés avec ses alliés religionnaires et ses collègues. La Cause enfin a pris à sa charge lès frais d'une édition coûteuse.

Tous ont apporté leur collaboration à l'ouvrage, très encourageante et très précieuse.

Pourquoi, revenu aux souvenirs, me retrouvé-je près d'une ancienne ferme vivaroise, au bord d'une route sinueuse? Il était tard. Accueilli dans l'humble logis avec la dignité simple qui règne dans ces foyers huguenots où l'Esprit n'est pas encore une chose morte, j'avais bientôt ouvert pour le culte de famille la grande Bible contemporaine des années d'angoisse et de persécution. Longtemps la conversation se prolongea. À la fin, il fallut partir. La nuit était tombée. Le ravin disparaissait 'presque dans l'obscurité, ne laissant plus deviner que ses parois déchirées, le chant éternel du torrent, et les étoiles au-dessus de tout.

« J'ai reconnu, dit l'Ecclésiaste, que tout ce que Dieu a fait demeurera toujours... et que Dieu agit ainsi afin qu'on le craigne. Ce qui a déjà été sera, et ce qui sera a déjà été, et Dieu ramène ce qui est passé... »

Il n'y avait aucune lassitude dans cette parole qui s'imposait à moi ; rien qu'un grand espoir

« L'amour ne meurt jamais ».

André FABRE.

Glasgow, 1er janvier 1929.


1. Nous n'avons garde d'oublier Alexandre Roussel, pendu à Montpellier en 1728 ; mais il mourut avant d'être parvenu à l'entière charge pastorale. Étienne Arnaud, pendu à Alès eu 1718, avait été Camisard. 
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