Lorsque Marthe, la soeur de Lazare, se
lamentait, devant le Seigneur Jésus, sur la
mort de son frère, notre Sauveur lui
dit : Celui qui croit en moi, ne mourra
jamais.
(Jean
XI, 26.) C'est la
réalisation de cette réponse que
renferme le récit qu'on va lire. Il n'est
que le simple et sincère narré de ce
qui s'est vu dans la vie d'une humble
chrétienne ; mais la grâce et la
fidélité de Dieu s'y manifestent avec
tant d'éclat, qu'il ne peut qu'être en
consolation puissante à toute âme
pieuse qui le lira devant le Seigneur.
C'est donc celui qui croit en
Jésus, qui ne doit pas mourir.
L'incrédule mourra, le faux chrétien
mourra, mais le croyant, le chrétien
véritable, ne mourra pas. La foi,
c'est-à-dire la croyance du coeur en
Jésus, est donc la condition indispensable de ce
bonheur. - Qu'est
donc
cette croyance ? Qu'est-ce qu'avoir la foi en
Jésus ?
La chrétienne dont nous parlons,
et que nous nommerons Jeanne, nous le dira. Elle
avait été instruite, dans sa
première jeunesse, selon le
catéchisme de son église, et sa
première communion s'était faite avec
l'approbation de son pasteur et de ses parents.
Ceux-ci étaient des gens religieux, et
Jeanne menait dans sa famille une vie honnête
et entourée de l'estime qu'obtient la
probité.
Ainsi se passa la jeunesse de cette
femme. L'accomplissement de ses devoirs
domestiques, son assiduité aux
assemblées du culte, des lectures assez
fréquentes de la Bible et de quelques livres
de dévotion, et la régularité
de ses moeurs, en un mot tout ce qui se nomme
intègre et honorable dans le monde, formait
la conduite de Jeanne, qui ne se doutait pas
même que la vraie religion lui fût
encore inconnue et que sa piété ne
fût qu'une illusion.
Elle l'apprit, cependant, lorsque, ayant
été appelée, comme domestique,
dans une ville étrangère, elle y dut
rencontrer des disciples vivants du Seigneur
Jésus, et qu'ensuite elle y entendit la
prédication d'un ministre de cette
grâce du Père, dont Jeanne n'avait pas
encore. entendu la voix dans son âme.
Les impressions que les enseignements et
les exemples de la dame qu'elle servait avaient
produites en elles, venaient de réveiller et
de disposer son coeur. Elle s'était donc
aperçue déjà que sa religion
n'était pas celle qui sauve, et ce fut dans
un service de la semaine, dans une des
méditations familières que le
Ministre qu'elle écoutait adressait, le soir, à un
petit nombre de disciples, que cette conviction
s'affermit en elle et l'éclaira
tout-à-fait.
C'était sur l'oeuvre parfaite du
Sauveur que le Ministre parlait ; et
après avoir montré que puisque le
Sauveur a sauvé son Église
éternellement par son sacrifice, il
n'était point mort pour ceux qui, finalement
et au dernier jour, seront condamnés et
perdus, il fit cette question ;
« À quoi donc connaîtrai-je
si je suis un de ceux pour qui Jésus a
été
sacrifié ? »
« Ce ne sera pas, dit-il, en
m'imaginant que j'en suis un ; mais ce sera si
Dieu lui-même me le dit.
Beaucoup de gens, ajouta-t-il, se
croient eux-mêmes sur ce point si important,
et toute leur religion consiste en ce qu'ils se
persuadent que Jésus les a sauvés.
Mais chacun, cependant, peut comprendre, que si un
pauvre mendiant se persuade qu'il sera
l'héritier d'un certain seigneur, ce n'est
pas une raison pour qu'il le soit en effet. De
même, si une âme se persuade qu'elle
sera sauvée, ce n'est pas à dire que
sa persuasion soit fondée. Tant que Dieu ne
le lui aura pas dit lui-même, et à
elle-même aussi, la croyance de cette
personne-là, et toute sa religion, quelque
bonne opinion qu'elle en ait, n'est qu'une
illusion, qu'une idée qu'elle s'est
formée, mais qui n'aura point de valeur, ni
au lit de mort, ni surtout au jugement de
Dieu. »
Ces derniers mots frappèrent
tellement Jeanne, qu'elle n'entendit plus la suite
du discours. Elle fut troublée,
agitée, inquiète, dès ce
soir-là ; et une amie, à qui
elle confia son ennui, lui conseilla d'en aller
parler avec le pasteur dont les réflexions
l'avaient frappée ; et ce conseil fut
suivi.
L'entretien qu'elle eut donc, peu de
jours après, avec ce pasteur, lui apporta la
délivrance de Dieu. Ce fut la Parole
même de l'Évangile qui la lui procura.
Elle vit clairement que le don de Dieu, c'est la
vie éternelle, que le Père nous a
donnée en Jésus. Elle comprit alors
que le Sauveur a vraiment racheté, par son
sang, tous ceux des hommes pour lesquels il s'est
livré en sacrifice, et que l'Écriture
appelle l'Eglise de Dieu ; et ce fut aussi ce
même jour-là qu'elle reconnut et
sentit, dans son coeur, une confiance
entière en ce que Jésus a fait pour
son peuple.
Elle crut donc réellement au
Sauveur. Jusqu'alors elle avait regardé sa
religion comme étant son appui devant Dieu,
et la raison pour laquelle il lui pardonnait ses
péchés ; et, en particulier,
elle avait pensé qu'elle serait
sauvée, parce qu'elle s'était
habituée à le croire ; mais non
point parce que Dieu le lui avait dit.
Dès ce jour-là, au
contraire, elle vit que la foi ne se reposait que
sur ce que Dieu dit et promet ; et comme elle
trouva dans son âme une sincère
croyance en la nature divine et en l'oeuvre du
Sauveur, qu'elle adorait comme le Fils
éternel du Père, et dans le sacrifice
duquel elle voyait l'expiation de tous ses
péchés, elle crut aussi la
déclaration de Dieu qui dit, que
« quiconque croit au Nom du Fils de Dieu,
doit savoir qu'il a la vie
éternelle. »
Je vois maintenant, dit-elle au Ministre
du Seigneur, que mon salut m'a été
donné, tout entier, par notre Père
céleste, et que c'est son Fils, notre
Sauveur, qui l'a accompli. Je n'ai donc plus la
pensée que ma religion entre en compte, pour
quoi que ce soit, dans ce rachat de mon âme.
Dieu m'a aimée par
grâce en Jésus, avant que je fusse
encore créée ; et ç'a
été aussi, comme dit
l'Écriture, avant que je fusse dans ce
monde, et quand j'étais sans force, (car
alors je ne pouvais rien faire, ) que Jésus
m'a vue de loin, qu'il a eu pitié de moi et
qu'il m'a sauvée, en s'offrant pour moi en
sacrifice. Oui, ajouta-t-elle, sans effort et comme
en parlant d'une chose toute simple, je comprends
clairement que l'amour de Dieu est infini, et que
puisqu'il a eu pour moi tant de charité, il
faut maintenant que je ne vive plus que pour lui.
Il me l'a dit, à présent : je
suis donc sûre que je suis son enfant.
Maintenant, donc, il faut que je pense à lui
obéir en toute chose, en gardant de tout mon
coeur ses saints commandements, pour lui montrer
ainsi mon amour et ma sincère
gratitude.
Cette foi était en effet dans le
coeur de Jeanne et ce qui le prouva, ce fut sa
conduite dès ce même temps.
« Celui qui demeure en Christ, dit la
Parole, doit vivre comme Jésus-Christ
lui-même a vécu ; et
ceux-là, dit-elle encore, sont enfants de
Dieu, lesquels sont conduits par l'Esprit de
Dieu ; car la foi sans les oeuvres est morte
en elle-même est-il aussi écrit ;
mais en ceci se manifeste la foi que Dieu donne aux
élus, c'est qu'elle est sainte et que
l'amour pour Dieu, la soumission à sa
volonté, la patience dans l'épreuve,
la charité à l'égard du
prochain, la fraternité non feinte envers
l'Eglise de Jésus, et le renoncement
à soi-même et aux convoitises du
monde, en sont les effets visibles et les
excellents fruits.
Jeanne dut le démontrer. Elle dut se voir « exposée,
comme
dit St-Jacques, à diverses
épreuves, et chez elle la patience dut avoir
son oeuvre complète ; » car
ce fut pendant plusieurs années que
« sa foi, selon l'expression d'un autre
Apôtre, fut essayée dans le feu et le
creuset de tentations
multipliées. »
Un triste et fâcheux mariage,
qu'elle contracta peut-être sans avoir assez
consulté la Parole de Dieu, fut pour elle le
commencement des chagrins les plus pénibles.
Celui qu'elle avait aimé d'abord comme un
disciple de Jésus, et chez qui elle avait
cru discerner l'enseignement de l'Esprit-Saint,
elle dut, hélas ! après quelque
temps d'illusion, le voir tel qu'il était,
c'est-à-dire un coeur encore étranger
à l'amour dit Sauveur.
Ce premier et profond chagrin fut comme
l'entrée de tous ceux qui suivirent.
Beaucoup d'égarements et de chutes se
manifestèrent chez celui qui ne
s'était pas soumis à Jésus. La
servante de Dieu multiplia en vain ses
avertissements, ses supplications et tous les
procédés de la douceur et d'un long
support : tout échoua contre un coeur
que la crainte du Seigneur ne gouvernait pas. La
pauvreté se fit sentir. Le petit gain de
Jeanne ne pouvait suffire à une
dépense que le travail de son mari ne
soutenait plus, et Jeanne fut contrainte, pour
vivre elle-même, et pour alimenter son mari
devenu malade, d'entrer de nouveau en service et
d'y travailler avec persévérance et
même au-dessus de ses forces.
Elle le fit, dans la persuasion que
c'était le chemin que Dieu lui dressait
devant les pas ; et ce fut pendant les
années de son service, et en même
temps de la douleur, sans cesse renouvelée,
que lui causait la conduite de
son mari, que son âme se réfugia
toujours plus intimement vers le Sauveur, et
qu'elle se mûrit dans la communion du
Saint-Esprit, par une lecture toujours plus
abondante de la Parole de son Dieu.
Cependant une nouvelle épreuve se
joignait aux premières. Jeanne
commençait à ressentir les atteintes
d'une maladie menaçante et cruelle, et il
fallait qu'elle entrevit un combat
prolongé : car son mal était de
nature, s'il ne pouvait être surmonté,
à la faire passer par des tourments
extrêmes et qui, peut-être, devraient
durer pendant plusieurs ans.
Ah ! ce fut dans ces longues
angoisses, et dans cette lutte prolongée,
que la foi de la servante du Seigneur fut mise
à l'épreuve. Pendant que le corps est
fort et en santé, il est encore facile
à l'enfant de Dieu de dire à son
Père que la volonté se fasse !
Mais lorsque le Jardin de Gethsémané
appelle le fidèle à y suivre son
Sauveur jusque dans son agonie ; lorsque Dieu
semble faire à son enfant, comme dit un
prophète, « une plaie
d'ennemi, » et que, comme disait Job, des
nuits de travail sont assignées : que
s'il est couché, le malade dit : quand
me lèverai-je ; quand la nuit
aura-t-elle achevé sa mesure, et le point du
jour finira-t-il mes
inquiétudes ; » c'est alors
qu'il reconnaît si vraiment son âme est
soumise à Dieu ; si sa foi en
Jésus saisit les consolations de sa
présence et de sa grâce, et si c'est
bien l'enseignement du Saint-Esprit que son coeur
préfère, même au milieu de la
peine et sous le poids d'une croix presque
accablante.
Jeanne passait par cette discipline du
Seigneur.
« Les jours de l'affliction,
comme disait Job, l'avaient prévenue ;
sa délivrance était passée
comme une nuée, et déjà elle
voyait que Dieu l'amenait à la mort :
à la maison assignée à tous
les vivants. » Elle avait dû
quitter son service et se retirer dans une chambre,
qu'une main bienfaisante lui avait
préparée, et où elle se vit
bientôt retenue dans un lit de souffrance
qu'elle ne put que rarement quitter.
« Oui, disait-elle au pasteur
qui la visitait, j'ai de grands maux, et mon pauvre
corps y succombe et s'en va ; mais le Seigneur
les a tous pesés et mesurés, et il ne
me laissa jamais seule. Il se tient près de
moi, et sa Parole me nourrit et me console chaque
jour. Lui aussi a souffert, et bien plus que moi,
et il est si fidèle, que dès que je
le prie, il me répond et me soulage. Non, il
ne me donnera pas une épreuve plus pesante
que ma force n'est grande ; et d'ailleurs,
quelle qu'elle soit, elle ne sera jamais bien
longue ; car nous ne sommes ici-bas qu'en
passage, et la fin de notre course s'approche
à chaque instant. Qu'il plaise seulement
à notre Sauveur de me donner son Esprit,
selon sa promesse, afin que je ne me plaigne pas,
mais que je lui sois soumise, en toute patience,
jusqu'à la fin du
combat. »
Il sembla pendant quelques semaines que
le mal s'était arrêté, et
Jeanne put espérer que le Seigneur avait
relevé sa main, Mais ce relâche ne la
séduisit point, et pendant les jours
où ses douleurs cessèrent, son coeur
ne devint point léger et sa communion de
prières avec Dieu n'en fut point affaiblie.
C'était la piété qui
l'unissait au Sauveur, quand l'affliction pesait
sur elle, et cette
piété demeurait la
même, lorsque l'angoisse de son corps avait
cessé. Aimer Jésus et ne vivre qu'en
sa présence était le besoin de son
coeur, et l'Esprit de consolation qui le lui
enseignait dans la nuit de l'épreuve, ne se
retirait pas d'elle lorsqu'un peu de lumière
revenait éclairer son âme.
« Il est mon Dieu,
disait-elle, et je suis sa servante. Qu'il fasse
à mon égard tout ce qui lui semblera
bon ! S'il me guérit, ce sera pour que
je le serve encore ici-bas, et sa grâce m'en
fournira le moyen ; et s'il en a
ordonné autrement, que sa sainte
volonté s'accomplisse ! Il ne me
laissera pas dans la tentation, et sa charitable
compassion ne se détournera pas de moi.
N'a-t-il pas promis à ses enfants
d'être avec eux, même au milieu des
grosses eaux de l'affliction, et si St-Paul
disait : Je puis tout en Christ qui me
fortifie ; ne pourrai-je pas aussi recevoir du
Seigneur la même force ? Je me repose
sur lui et j'espère en sa
fidélité. Il m'a rachetée, et
Dieu qui nous a donné son Fils, nous dit
aussi qu'il nous donnera toutes choses avec
lui. »
« Ceux qui se confient au Seigneur,
est-il écrit, ne seront pas
confus. » Jeanne se reposait
sincèrement sur son Dieu, et son Dieu s'est
montré puissant dans la délivrance de
son enfant.
Après un soulagement de courte
durée, le mal empira soudain, et il fut
bientôt évident que le Sauveur ne
tarderait pas à venir pour son enfant.
Jeanne le comprit, et elle en fut saintement
réjouie. Ce fut dès lors que sa foi
se montra dans toute sa réalité, et
qu'il fut manifesté que cette foi était en effet,
comme
dit un apôtre, « une subsistance
des choses espérées et une
démonstration des choses encore
invisibles. »
La fin de cette vie se hâtait pour
Jeanne, et elle se plaisait à le voir et
à le dire, comme le voyageur, sur une mer
orageuse, se plaît à penser que la
terre est près, et s'égaie, et
reprend ses forces, quand il voit briller dans la
nuit le fanal qui indique le port.
Quelle différence entre les
sentiments de cette chrétienne
sincère, et ceux qu'une illusion religieuse
eût pu produire en elle, si l'Esprit-Saint
n'eût pas été avec son
âme ! On peut encore rencontrer une
certaine tranquillité dans la mort des gens
pieux selon ce monde : mais toute cette
espèce de résignation se borne
à ne plus résister, parce qu'enfin il
faut mourir, et à espérer un
état heureux dans l'avenir, parce que Dieu
est trop bon, pensent-ils, pour ne pas
récompenser la vertu.
Où est Jésus ;
où est l'efficace de son sang ;
où est la puissance de sa
résurrection ; et où sont aussi
les promesses du Père et les consolations de
l'Esprit de vie et d'adoption, dans une telle mort,
dans ce départ forcé du monde et de
ses liens ?
Venez voir mourir une chrétienne,
et vous y apprendrez une tout autre leçon.
Entrez dans l'humble et pauvre demeure de cet
enfant de Dieu, et ne perdez pas une des paroles
qu'elle va dire ; et comme son âme les
prononce sur le bord même de
l'éternité et en la présence
du Souverain Juge, écoutez-les donc avec
respect et les serrez bien avant dans votre
coeur !
Le jour du ciel, l'immortalité
bienheureuse, allait donc
s'ouvrir et commencer pour l'âme de Jeanne,
et ce ne fut pas pour elle une surprise. Ce qu'elle
avait cru sur le témoignage de Dieu, et ce
qu'elle avait attendu avec patience, elle savait et
elle sentait qu'elle allait le voir, le contempler
et le saisir.
Alors, selon la promesse du Seigneur,
qui est le Berger des brebis, l'âme de cet
enfant de Dieu ne fut point laissée. Elle
« marchait par la vallée de
l'ombre de la mort, mais elle n'y craignit aucun
mal, parce que son Sauveur y fut avec elle, et que
son bâton et sa houlette l'y soutinrent et
l'y consolèrent. »
Quelques enfants de Dieu étaient
auprès d'elle. Son pasteur était
alors en voyage : mais Celui qui paît
Israël était présent, et Jeanne
demeurait sous son regard. Elle demanda qu'on lui
lût quelque portion de la Parole, car elle
pouvait encore l'entendre, quoique
déjà ses yeux fussent ternis par le
voile de la mort. On lui lut la prière du
Sauveur à son Père, dans le XVIle
chapitre de St-Jean, et quand elle fut
terminée, elle s'écria, comme en
forçant sa voix au travers de la mort :
« Oh ! quelle paix parfaite !
quel bonheur ! Que Dieu est grand et
glorieux ! Bénissons, bénissons
l'Éternel !...
Que Dieu est grand et glorieux !
répéta-t-elle à plusieurs
reprises. Oh ! quel bonheur ineffable !
Oh ! quel parfait bonheur !... je
n'aurais jamais cru que ce fût si beau !
Oh ! que c'est beau ! Je ne croyais pas
que la mort fût si belle !.... Non,
n'ayez pas peur de la mort. Elle n'est qu'une ombre
pour le chrétien ! Ce n'est qu'un
passage !... Oh ! que le coeur de l'homme
est incrédule ! Pourquoi ne pas croire
Dieu ! Que
Dieu est
grand ! Que Dieu est bon ! Qu'il est doux
de l'aimer ! (Chants de Sion, 158 ; )
oui, qu'il est doux de l'aimer ! Ah !
l'on ne se repent jamais de lui avoir donné
son coeur ! Je l'ai su une fois ; mais
jamais comme à présent. Que sa gloire
est magnifique ! Dites, dites avec moi :
Qu'il est doux de
l'aimer !... »
Après quelque repos, elle
s'écria, comme dans une extase :
« C'est une nouvelle vie devant
moi !... Je le vois !... je
l'entends !... Suis-je encore en ce
monde ? »
On lui lut alors les premiers versets du Psaume
XXXIV.... « Des
épreuves ! des détresses !
s'écria-t-elle. C'est dans son amour que le
Seigneur les envoie.... Elles nous apprennent
à l'aimer ! .... C'est une
vallée de larmes que nous traversons mais
Jésus l'a traversée avant
nous. »
Quelqu'un entra, et Jeanne dit à
cette personne, et avec compassion :
« J'espère que vous
possédez aussi ce grand bonheur. Si vous ne
l'avez pas, faites tout pour le posséder....
Oh ! que je voudrais que tout le monde
possédât ce bonheur !
Ineffable !
ineffable ! »
« Où est notre
soeur ? » demanda-t-elle, en nommant
celle qui depuis plusieurs mois l'entourait de ses
soins. Dans ce moment, répondit-on, elle est
à l'assemblée des Missions
évangéliques. « Que Dieu la
bénisse ! dit-elle. Pour moi, je vais
dans une bien plus belle assemblée. Quels
chants de gloire ! Que Dieu est grand !
Oh ! que Dieu est
grand ! »
Un pasteur qu'on avait fait demander
arriva, et, sur le désir de Jeanne, il lut
d'abord le XLIIe
psaume, puis le XVe
chapitre de la première
Épître aux Corinthiens. Votre
âme, lui dit-il en suite,
est-elle revêtue de la robe de Christ ?
- « Grâce à Dieu,
certainement ! répondit-elle. Je vais
vers Jésus, et il me tarde d'être avec
lui ! Seigneur Jésus, viens
bientôt ! Oh ! qu'il me tarde qu'il
vienne ! »
« Chantez un cantique !
dit-elle avec un grand désir. Chantez.
« Nous n'avons point de cité
permanente, tant qu'ici-bas le Seigneur nous
retient. » (Chants de Sion, 190.. ) On le
chanta. Elle le suivit avec intérêt,
puis elle s'assoupit pendant quelques moments, au
bout desquels, reprenant un peu de force, elle
demanda qu'on chantât encore le
cantique : « Non, ce n'est pas
mourir, que d'aller vers son Dieu. »
(Chants de Sion, 233.) Elle fit quelque effort pour
le chanter elle-même ; mais elle ne le
put, et à chaque verset elle
répétait : « Oh !
que c'est beau ! Que Dieu est grand et
glorieux ! »
Enfin on lui lut encore le
cantique : « Je vais enfin quitter
la terre ; je vais enfin entrer aux
cieux ! » (Cant. 197.) Et comme on
lisait ces mots : « Ne pleurez pas
sur moi, mes frères ! Soyez joyeux de
mon départ, » elle
s'écria : « Je le crois
bien !... Ah ! ne vous avisez pas de
pleurer !... C'est trop beau ! Je suis
trop heureuse ! Bénissez
Dieu !.... »
Alors s'adressant à une personne
de la maison de son pasteur, elle lui dit, avec
effusion de coeur : « Dites à
mon cher pasteur que je m'en vais vers Dieu avec
joie, dans une parfaite paix, car mon Sauveur m'y
attend ! Dites-lui que j'aurais bien voulu le
revoir, pour lui témoigner ma
reconnaissance. Il a été mon
père !... Je l'aime comme une
fille... » Elle se tut quelques moments,
Puis elle reprit : « Quand mon
père et ma mère m'auraient abandonnée,
toutefois l'Éternel me recueillera !
... Oh ! quelle miséricorde de Dieu,
envers moi, pécheresse
indigne. »
Non, reprit une des personnes
présentes, mais étrangère
à Jeanne et à ceux qui l'entouraient,
vous n'êtes plus indigne. Quand on a si bien
vécu, on peut avoir une belle mort,
aussi.
« Quoi ! moi !
répliqua aussitôt la
chrétienne, et avec une indignation
prononcée, je ne suis pas indigne !...
Je l'ai toujours été et je le serai
toujours. C'est par grâce, oui, par
grâce ! répéta-t-elle avec
un accent profond de gratitude. C'est le sang de
Jésus qui est toute ma
dignité !... Qui oserait se vanter
d'avoir bien vécu ? Lequel d'entre les
pécheurs, comme sont tous les hommes,
parlerait ainsi ?.... Que la grâce, et
rien que la grâce de Dieu, soit
exaltée ! Oh ! que chacun la
recherche pendant qu'il en est
temps ! »
Le Seigneur était tout
près : il allait venir, et son enfant
recevait encore de lui la force de le glorifier, en
quelque sorte, sur le seuil même de la
cité céleste. Son esprit était
lucide et recueilli. Toutes ses paroles, à
la fois graves et triomphantes, étaient
comme des voix qui déjà venaient du
ciel : car son corps était refroidi et
ses yeux fermés.
« Quel bonheur parfait,
ineffable ! prononça-t-il encore avec
une grande douceur. - Ah ! il faut la voir
cette gloire ineffable ! Il faut la sentir,
comme, je la sens !... Quelle
félicité ! Non ! n'ayez pas
peur de la mort !... Je vous le dis :
c'est la porte des cieux ! »
Elle se tut alors, et elle demeura dans
ce silence jusqu'au moment où, en faisant un
dernier effort, elle dit
encore : « 0 mort ! où
est ton aiguillon ! 0 sépulcre,
où est ta victoire !!... » Et
quelques instants après, elle cessa de
soupirer ici-bas, tandis que son âme,
lavée au sang précieux de l'Agneau,
entrait dans le sanctuaire éternel, et
continuait ses ravissements dans la demeure
même de Dieu, et en présence de ce
bien-aimé Sauveur qu'elle avait adoré
et servi sur la terre.
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