Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Préface

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CHERS ENFANTS,

C'est encore à vous que je dédie ce livre.
Vous êtes de petits anges sur la terre, mais vous n'en avez pas moins besoin de guide et d'appui. Les jeunes fourmis ne vont au travail que lorsqu'elles y sont conduites par les anciennes. L'aiglon ne s'approche du soleil que sous les ailes de sa mère; laissez-vous donc aussi instruire et guider par les sages maximes de l'expérience; écoutez donc toujours vos parents et les vieillards.



LA CHAÎNE DE MONTRE.


Rodolphe était élevé à la campagne, chez son père, qui était pasteur d'un grand village. Les goûts et les habitudes de cet enfant, qui avait dix ans accomplis, étaient simples, et son caractère doux et obligeant lui conciliait l'affection générale.
Un de ses cousins était venu le voir, et lui avait montré, avec beaucoup de joie, une chaîne de montre, en bel acier poli et damasquiné, que sa mère lui avait donnée, à son retour de voyage.

Cette chaîne avait singulièrement plu à Rodolphe, qui déjà possédait une montre d'argent, mais qu'il portait modestement attachée à un cordon de soie.
Il s'était bien dit à lui-même, et plusieurs fois, qu'il avait tort de tant penser à cette parure; que pourvu que sa montre tînt à son cou, c'était tout ce qu'il fallait, et que l'envie qu'il avait de posséder une chaîne aussi belle que celle de son cousin, n'était pas sage; que peut-être même elle était coupable devant Dieu.
Mais, malgré ces bonnes et bien sages pensées, la brillante chaîne d'acier et d'or était toujours là, devant ses yeux, et le pauvre Rodolphe soupirait quelquefois péniblement, en se disant qu'il lui serait impossible d'en porter jamais une aussi jolie.

Car cet enfant n'était pas dans la situation de plusieurs autres enfants du même âge, qui reçoivent en abondance de l'argent et des présents de toute espèce, et qui trop souvent n'en connaissent pas la valeur, précisément parce qu'ils en sont comblés.



Le père de Rodolphe était pauvre; il donnait aux indigents tout ce qu'il pouvait économiser sur son modique revenu, et il avait appris à son fils combien il est préférable de procurer un adoucissement à la misère ou aux maux d'un malheureux, que de dépenser l'argent à des vanités, ou à quelque objet superflu.

Rodolphe n'avait donc jamais que de petits sous, et il ne croyait pas qu'il lui fût permis même de faire connaître à son papa ce qu'il éprouvait quant à la chaîne de montre, parce que, se disait-il, ce cher papa est si bon, que s'il savait que j'ai ce désir, il se priverait peut-être de quelque chose pour me faire ce don.

C'était ainsi que ce bon fils exerçait la discrétion et la tendresse de son coeur : il se gardait de manifester un souhait qui eût pu causer à son père un moment de peine.
Est-il beaucoup d'enfants qui agissent ainsi, et qui craignent, comme Rodolphe, d'importuner leur père ou leur mère, et de leur causer quelque privation, lorsqu'ils ont envie ou d'un jouet, ou d'un ruban ?

Cependant la légère tristesse que Rodolphe ressentait, tout en combattant son désir, n'échappa point à sa mère, qui le pressa, un jour, de lui ouvrir tout son coeur et de lui déclarer la cause du chagrin qu'elle voyait bien qu'il nourrissait en secret.
Rodolphe confessa le tout à cette bonne mère, mais en la priant de n'en rien dire à son cher papa, de peur, ajouta-t-il, de lui faire de la peine.
- Non, mon cher enfant, lui répondit sa mère, ni ton père, ni moi, nous ne ressentirons aucune peine de ton désir. Nous avions l'intention de t'acheter quelque objet qui te fît plaisir, à la prochaine foire de la ville, dans un mois, et de te montrer ainsi la satisfaction que tu nous procures, par la grâce de Dieu, dans toute ta conduite, eh bien! ce sera là cet objet. Puisque tu souhaites une chaîne semblable à celle de ton cousin, nous te la donnerons, cher Rodolphe. Encourage-toi, et te montre de plus en plus attentif à ton devoir, pendant ce mois, et tu posséderas ce que tu désires.

On peut penser quelle fut la joie de Rodolphe.
J'aurai la chaîne, se répétait-il, tout en travaillant; et ce qu'il y a de meilleur, ce sont mes bons parents qui me la donnent, pour me montrer leur amour! Allons ! elle me sera précieuse, j'en réponds. Plus qu'un mois, et je la tiens !

Ce mois se passa, comme le reste de la vie, bien rapidement; et le premier jour de la foire arriva.
Le père de Rodolphe fit venir son fils dans son cabinet, et en lui donnant un gros écu, il lui dit : « Tu sais, mon enfant, que l'argent que notre bon Dieu nous confie n'est pas à nous, et que l'employer en futilités, c'est en être un infidèle économe. Si donc selon ton désir, je te donne cet écu, pour que tu en achètes la chaîne que tu as souhaitée, c'est en te rappelant qu'il te faut modérer toute envie de ce genre, de peur que tu n'aies pas de quoi donner à ceux qui sont dans le besoin. Mais, va, cher Rodolphe, procure-toi cette chaîne, et porte-la désormais comme un témoignage de la tendre affection de tes parents. »

Rodolphe partit comme un trait, et courut du côté de la ville, où se rendaient aussi beaucoup de marchands et d'acheteurs.
Comme il allait traverser une prairie, pour abréger sa route, il passa devant deux jeunes villageois, assis sur le talus de la haie, et il entendit l'un d'eux qui disait à l'autre C'est impossible ! Il n'y a guère que le tiers. - Quel malheur! répondit l'autre... Cette pauvre mère....
Rodolphe n'entendit pas le reste, et poursuivit sa course. Mais ce qu'il avait entendu l'avait frappé, et il allait quitter le sentier, pour rentrer sur la grande route, lorsqu'il se dit à lui-même : - Ce n'est peut-être pas pour rien que Dieu a voulu que j'entendisse ce qu'on dit ces enfants Allons ! il faut que je retourne, et que je leur demande ce que c'est que ce malheur et cette pauvre mère.

Il revint donc sur ses pas; et il est bien à souhaiter que les enfants qui connaissent et qui aiment le Seigneur, s'accoutument ainsi à obéir aux bons mouvements de charité qui s'élèvent dans leur âme. Car c'est ainsi que l'Esprit de Jésus enseigne et conduit les enfants de Dieu. Il met en eux la pensée et la volonté du bien; et bienheureux est celui qui ne résiste pas à sa douce et sainte influence!
- Quel malheur vous arrive, mes amis ? dit Rodolphe aux enfants, qu'il trouva à la même place, et comptant avec attention de la petite monnaie.

Les enfants furent un peu honteux, et ce ne fut qu'en rougissant beaucoup, que le plus âgé répondit : - Nous avions envie, mon frère François et moi, d'acheter quelque chose à la foire, mais nous n'avons pas assez pour cela.
- Et qui est cette pauvre mère, dont vous parliez il y a moment ? poursuivit Rodolphe.

Les enfants se turent de nouveau, et baissèrent la tête. Rodolphe s'assit à côté de François, et lui répéta sa question avec affabilité.
- C'est notre bonne mère, répondit alors cet enfant; et Joseph et moi nous nous étions mis dans la tête de lui faire cadeau d'une large camisole de flanelle, parce que notre mère est déjà vieille, et qu'elle est malade et qu'elle a souvent froid.

Rodolphe. Et vous n'avez pu économiser assez d'argent pour cela ?
Joseph. Nous avons bien fait tout ce que nous avons pu, mais pas encore assez.
Rodolphe. Qu'avez-vous fait pour avoir ce que vous tenez là?
Joseph. Nous avons fait toutes sortes de métiers, je vous assure, Monsieur. François a gagné quelque chose, en se tenant d'abord, après le travail, sur la route, près de la grande montée du pont, pour mettre et pour ôter le sabot des voitures. Il a aussi retiré quelques sous d'un peu de cristal qu'il a été chercher au pied des Hautes-Roches; et moi j'ai essayé de faire de l'amadou, et aussi des balais de jonc. Nous ne nous sommes pas épargné la peine, Dieu le sait; mais enfin, on nous donne si peu de tout cela ! Nous n'avons donc, en tout, que trois francs et deux sous.
Rodolphe. Combien vous manque-t-il?
- Deux fois autant! répondit François, avec vivacité. Vous voyez donc bien, Monsieur, que c'est impossible.
- Deux fois autant! répéta Rodolphe, tout en tournant et retournant son gros écu dans sa poche.
Joseph. Oui, Monsieur : tout autant; car le marchand nous a dit que cette grande camisole valait au moins dix francs; mais quand nous lui avons dit que c'était pour notre vieille mère qui est malade, il nous a promis de nous la donner pour neuf.
François, en soupirant. C'est donc tout un gros écu qui nous manque.

Alors il s'engagea dans le coeur de Rodolphe un véritable combat entre la charité et.... la vanité. - Pauvres et chers enfants ! se disait-il, quelle joie je leur causerai si.... Mais pourtant, il y a si longtemps que j'ai envie de cette chaîne ! Et d'ailleurs je l'ai bien gagnée... De plus, papa me l'a donnée de si bon coeur! Cependant, cette mère, qui est vieille, et qui a froid!... Et ces deux bons fils, qui se sont épuisés de fatigue et de peine!...

Un profond soupir termina cette lutte, et.... la Charité l'emporta. Oui, Dieu fit cette grâce à Rodolphe, qui, saisissant, et de bon coeur, son écu, le mit dans la main de Joseph, en lui disant : - Que Dieu vous bénisse, braves enfants! Tenez: votre vieille mère n'aura plus froid! Et là-dessus il s'enfuit du côté du village, sans attendre les remerciements des enfants, qui lui criaient l'un et l'autre de toute leur force :
Dieu, notre Sauveur, vous le rendra!... Oui, il vous le rendra au dernier jour!

L'heureux Rodolphe revenait donc chez son père, mais ce n'était pas, cependant, sans soupirer encore : car le sacrifice avait été fait avec vigueur, et cette secousse était suivie d'un peu d'abattement.
- Montre-moi ta belle chaîne ! lui dit sa maman, dès qu'il entra.
- Je ne l'ai pas, répondit Rodolphe un peu confus.
La maman. As-tu acheté quelque autre chose qui te fit plus de plaisir?
Rodolphe. Non maman : je n'ai rien acheté.
La maman. Que veux-tu donc faire de ton écu ?
Rodolphe, avec embarras. Je ne l'ai plus, maman.
La maman. L'aurais-tu perdu, cher enfant ?
Rodolphe. Non, maman.... Jamais, je t'assure, je n'employai si bien mon argent.

La maman insista pour savoir ce que voulait dire Rodolphe, et ce cher enfant lui raconta, tout simplement, et sa rencontre et son aumône.
- Bien, cher fils! Oui, très-bien, mon cher Rodolphe ! dit cette bonne et pieuse mère, en embrassant tendrement son fils. Que Dieu soit béni, pour la miséricorde qu'il t'a faite! Ton bon papa sera bien heureux de cette matinée. Tu nous remplis de joie, cher enfant : car nous voyons que tu aimes le Seigneur Jésus, puisque tu cherches à l'imiter.
- Tu n'auras point de belle chaîne, ajouta-t-elle, mais voici un cordon que j'avais tressé moi-même pour toi, avant que tu m'eusses parlé de ton désir. Porte-le, mon fils; et que chaque jour, en le mettant autour de ton cou, tu te souviennes de ce que dit le Seigneur : « Celui qui donne au pauvre, prête à l'Éternel, qui le lui rendra. »

Quelques jours après, le père de Rodolphe, qui lui avait aussi témoigné toute son approbation, le prit avec lui dans une visite qu'il voulait faire à un hameau de la montagne, assez éloigné de son village. Le pasteur et son fils y étant arrivés, après une longue marche, ils entrèrent dans une chaumière isolée, où ils trouvèrent, dans la seule chambre qu'il y eût d'habitable, une femme d'un certain âge, et que des douleurs retenaient sur un fauteuil qu'elle ne quittait pas.
- Toujours bien souffrante, chère Marguerite! dit le pasteur en prenant affectueusement la main de la malade. Mais toujours bien patiente, n'est-ce pas?
- Dieu soit loué! cher pasteur, répondit-elle, je suis un peu mieux depuis huit jours environ. Mes braves fils, qui, grâces à Dieu, sont sages et tout remplis d'égards envers moi, m'ont acheté, à la foire, une bonne camisole de fine flanelle, qui m'a fait un bien merveilleux.

Rodolphe eut un frisson dans tout le corps, et à peine osa-t-il regarder Marguerite, qui ne savait point que son bienfaiteur fût si près d'elle.
Le pasteur, qui avait conduit à dessein Rodolphe dans cette cabane, demanda à Marguerite comment ses enfants avaient pu lui faire ce beau présent.

Rodolphe toucha du doigt le bras de son père, comme pour l'empêcher de parler; mais Marguerite, qui ne se doutait de rien, répondit avec sentiment : - C'est un jeune monsieur qui a rencontré mes enfants, et qui leur a mis un écu, oui, mon cher pasteur, tout un gros écu dans la main, parce que ces pauvres enfants lui avaient dit, tout naïvement, ce qu'ils voulaient faire, mais qu'ils n'avaient pu amasser que trois francs, ou à peu près.
- Ah ! ajouta-t-elle, je ne sais pas qui est ce bon jeune homme, ni mes enfants non plus; mais il n'y a pas eu de soir, que dans notre prière nous n'ayons demandé, de tout notre coeur, à notre Père céleste, de le bénir abondamment : et à toute heure, je puis dire, j'en fais autant dans mon âme.
Rodolphe s'était mis derrière son père; car il était si touché, qu'il craignait que Marguerite ne vit ses larmes.
Mais il ne put se cacher plus longtemps. François entra chargé d'un fagot de broussailles, et après avoir salué le pasteur, et déposé son fardeau, il vint se tenir debout à côté du fauteuil de sa mère, d'où ses yeux se portèrent sur Rodolphe, qu'il reconnut à l'instant.
- Ma mère ! s'écria-t-il : l'as-tu vu ?
- Quoi! François? dit la mère.
- Notre cher bienfaiteur ! cria l'enfant, en prenant une main de Rodolphe, qu'il couvrit de baisers.

Je vous laisse penser, enfants, qui lisez cette histoire, quels furent les remerciements de la pauvre Marguerite, et combien Rodolphe eut sujet de rendre grâces à Dieu, qui, par son bon Esprit, lui faisait goûter une telle joie, après lui en avoir ouvert la source.
Aussi, en revenant avec son père, lui disait-il, et bien sincèrement : - Ah! mon bon papa, qu'eût été le plaisir que la plus belle chaîne m'eût procuré, au prix de celui que j'ai dans le coeur, à la pensée de la pauvre Marguerite et de ses deux bons fils !
- Oui, mon cher Rodolphe, ajouta le père, les privations que tu sauras t'imposer, pour obéir à Dieu, et pour exercer une vraie charité, se changeront, dans ton âme, en un riche trésor de paix et de joie. C'est ainsi que notre Sauveur bénit magnifiquement l'oeuvre de miséricorde que sa grâce nous a préparée, et dans laquelle il nous conduit lui-même.

Et combien de fois Rodolphe, en passant à son cou le cordon qu'avait tressé sa mère, n'a-t-il pas dit et répété : - Que le Seigneur est bon, lorsqu'il se sert de nous pour accomplir ses bienfaits! 0 mon Dieu ! enseigne-moi à aimer mon prochain comme moi-même, et à ouvrir mon coeur et mes mains aux malheureux!




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