En tout autre temps que le nôtre,
cette question même eût
été regardée comme une folie,
autant que comme un blasphème. Aujourd'hui
l'on doit, non-seulement la poser, mais la traiter
sérieusement; car on en est venu à
proclamer la destitution de Dieu, après
avoir réclamé l'abolition de la
famille et de la propriété. Au milieu
de tant de réclamations et de
déclamations, après tant
d'acclamations, le mot de' Dieu n'a plus paru
qu'une exclamation vaine.
Dieu, le protecteur des
familles, le
gardien des biens; Dieu, le refuge des personnes et
l'arbitre des États, doit être
frappé! il est déclaré,
non-seulement un terme vide de sens, une fiction
superflue, une invention absurde, mais une
superstition nuisible, funeste, plus pernicieuse
encore qu'inutile!
Cessez de croire en Dieu, nous
dit-on, cessez de le craindre on de l'aimer, si
vous voulez être libre et heureux. La foi en
une divinité juste et sainte,
toute-puissante, partout et toujours
présente, tel est le principal obstacle
à votre félicité. Le
désir de lui plaire, de lui obéir,
l'espoir d'être un jour réuni à lui, avec ceux que
vous
aimez,
dans le sein d'une paix inaltérable, telle
est la vraie source de vos maux et de vos erreurs.
Pour affranchir les hommes, pour
régénérer la
société, il importe de chasser
incessamment l'idée de Dieu de notre esprit
et de notre conscience; il importe de briser ce
joug odieux, ce dernier reste d'esclavage; il
importe de bannir à jamais ce bourreau de la
raison, ce spectre de la conscience, qui nous
empêche de parvenir à une
indépendance absolue et à un
bien-être illimité. Guérissons
les peuples de cette vieille et honteuse maladie.
Plus on aime l'humanité, plus on doit
détester cette idole risible, ce vocable
imaginé par les rois et les prêtres,
par les tyrans des cours et des sanctuaires pour
asservir les nations, pour les maintenir dans une
enfance stupide, dans une tutelle sans fin. Le jour
où l'on ne daignera plus même siffler
le nom de Dieu, plus même le vouer au
mépris et à l'anathème; le
jour où l'on en aura perdu tout souvenir, ce
jour-là, bénissons-le, car,
dès lors, plus de misère, plus de
guerre ici-bas : tout sera douceur et abondance,
tout sera paix et amour. Notre globe, maintenant
profanée, désolé, sera
redevenu le séjour du pur et universel
bonheur, sera devenu le paradis que nous
souhaitons!...
Voilà ce que vous entendez
prêcher en plusieurs langues, à
travers les parties les mieux cultivés de ce
globe; voilà les conseils dont
l'exécution nous doit procurer toutes les
félicités imaginables.
La négation de Dieu, la
proscription de la foi, l'athéisme, devient ainsi
un service éminent, un bienfait
inappréciable : un service, parce que,
dit-on, le respect de Dieu et des choses
sacrées gêne et comprime l'essor des
hommes vers le bien-être; un bienfait, parce
que la crainte de Dieu et de la vie future
empêche les hommes de faire ou
d'éviter beaucoup de choses qu'il leur
serait agréable d'éviter ou de
faire.
Répondons avant tout à
ces deux sophismes.
La religion comprime-t-elle
l'essor
vers le bien-être, tend-elle à nous
maintenir dans la misère?... Ici il s'agit
d'abord de savoir à quels moyens vous voulez
recourir pour vous élever à la
fortune, à la jouissance des biens
matériels, pour vous affranchir de la
pauvreté. Conseillez-vous des moyens
illicites et immoraux, le vol et la fraude, la
confiscation et la spoliation, l'usure et
l'expropriation, tous les genres d'abus de
confiance ou de pouvoir? En ce cas, oui; la
pensée de Dieu est une gêne et un
obstacle.
Mais ne voulez-vous employer que
des
moyens légitimes, des ressources pures et
honnêtes, la religion ne saurait vous
être un embarras. Elle devient, au contraire,
elle peut du moins devenir un nouveau motif
d'activité, un nouvel aiguillon : l'homme
pieux travaille plus, ou mieux, que l'homme
dénué de foi et de moeurs, parce
qu'il désire acquérir en vue, de
donner, pour faire du bien à sa famille,
à sa commune, à son église,
à quiconque pourrait avoir besoin de son
assistance. L'homme pieux redouble d'énergie, parce
qu'il
aime son prochain, et parce que Dieu a la paresse
en une sainte aversion. L'ouvrier vertueux et
fidèle rougirait de s'enrichir en
dépouillant les riches et en trompant les
pauvres. La crainte de Dieu le stimule, au lieu de
l'importuner; l'amour de Dieu féconde son
travail. Pour lui, Dieu n'est pas un surveillant,
un geôlier ; c'est un aide, un compagnon
d'oeuvre ; c'est un patron toujours prêt
à le soutenir et à le
récompenser. La piété et la
charité le rendent économe et
prudent, laborieux autant que bon, aussi sage que
bienfaisant. Le jour du repos, le jour qu'il
consacre au Seigneur, le dimanche, il ne le
considère pas comme une journée
perdue : non, ce jour est de toutes ses
journées la plus fertile; ce jour
l'empêche de se dissiper le lundi et de
dépenser en peu d'heures le produit de la
semaine entière; ce jour enfin le remplit de
force et de courage pour les travaux de toute la
semaine. La religion l'aide donc à parvenir
à l'aisance, la miséricorde qu'elle
lui recommande éloigne de lui l'indigence,
la foi vérifie pour lui et pour sa famille
ces paroles infaillibles : A qui cherche
premièrement le règne de Dieu et sa
justice, toutes choses seront données de
surcroît.
La religion nous
empêche-t-elle d'agir ou de jouir comme il
nous serait agréable d'agir ou de
jouir?...
Nous convenons que ceux qui
rapportent tout a l'agrément des sens, au
plaisir, aux jouissances matérielles,
à l'intérêt personnel, peuvent
aisément s'impatienter de ce que l'on
cherche encore à subordonner l'agréable au
juste et au bien, au saint et au divin. Nous
comprenons qu'ils se révoltent, lorsqu'on
les invite, au nom d'un Être
immatériel et invisible, au nom de joies
tout intérieures et spirituelles, à
dompter la chair et à vaincre
l'égoïsme. Nous concevons qu'ils taxent
ces exhortations de stupidité et de
tyrannie. Mais un jour ils conviendront à
leur tour qu'ils se trompaient sur la nature et la
fin de l'homme, sur sa vraie félicité
et sur sa vraie liberté; et que ce qu'ils
appellent bon aujourd'hui n'est point le
véritable bien de l'humanité. ils
tomberont d'accord alors avec les serviteurs de
Dieu que les inspirations de l'esprit valent mieux
que les appétits du corps; que Dieu ne met
un frein à nos convoitises que pour nous
rendre heureux; que ce qui nous paraît
d'abord âcre et amer nous semble doux plus
tard; que ce qui est dur et lourd à notre
jeunesse devient pour notre âge mûr,
pour notre vieillesse, pour notre éternel
avenir, un motif de joie, de satisfaction, d'infini
contentement.
il n'y a donc aucune raison
plausible pour inviter les hommes à
proscrire le nom et la pensée de Dieu. il y
a mille motifs, au contraire, pour
répéter avec le sage :
L'insensé seul dit dans son coeur: il n'y a
point de Dieu !
Serait-il possible, d'ailleurs,
de
mettre en pratique une pareille
proposition?
Non, heureusement. Vous aurez
beau
disserter et disputer contre l'existence de Dieu,
déclamer et décréter contre
l'adoration de la divinité, démontrer et déclarer
que la
religion met obstacle et peut-être fin au
bonheur des hommes, met le comble à la
misère des individus et de la
société: en réalité,
peu d'auditeurs vous croiront, et Dieu continuera
de verser des torrents de bienfaits sur vous et sur
ses impuissants blasphémateurs.
C'est que la croyance en Dieu,
quoique voilée en nous, quoique si souvent
obscurcie par nos péchés, nous est
inhérente, nous est naturelle et
innée. C'est que la foi religieuse nous est
une nécessité intérieure et
permanente. C'est que nulle société,
si barbare qu'elle soit, ne peut s'en passer. C'est
que Dieu est l'Être des êtres, et par
excellence nécessaire. Nécessaire
à notre vie, à notre coeur, à
notre jugement, à notre conscience !
Nécessaire à l'univers qui nous
entoure, et dont l'admirable ordre et
l'organisation parfaite et le gouvernement
harmonieux nous révèlent sans cesse
la puissance de son créateur, la sagesse de
son ordonnateur, la bonté de son gouverneur!
Nécessaire au pays où nous vivons,
à l'État dont les
éléments et les fondements n'ont
d'autre origine ni d'autre garantie que l'auteur
des nations, que leur suprême
législateur, que leur juge final!
Nécessaire à ces espaces immenses
où notre terre est comme perdue, à ce
temps qui coule et nous entraîne sans
relâche, à cette
éternité qui nous attend , à
tous. ces océans visibles et invisibles
où Dieu seul sert de boussole à notre
oeil, à notre intelligence!
Nécessaire toujours et partout, à
tout ce qui est ou passe , à tout ce qui
vit, marche, respire, mais
principalement aux êtres qui sentent, pensent
et veulent, dont l'esprit s'élance par
intervalles au delà des horizons terrestres,
dont l'âme aspire parfois à une
perfection illimitée en connaissance, en
dévouement, en sainteté, à une
existence sans fin, remplie par un progrès
sans bornes! Nécessaire à des coeurs
qui ont besoin d'aimer, de se confier en un coeur
absolument bon et sage, juste et saint, qui ont
besoin d'espérer que ce coeur infiniment
charitable se montrera aussi infiniment puissant,
pourra et saura ce qu'il voudra,
c'est-à-dire, daignera satisfaire leurs
légitimes désirs et exaucer leurs
ferventes prières !
La preuve que la religion, au
lieu
d'être une invention inutile et pernicieuse,
est une institution souverainement utile et
absolument indispensable, l'unique chose
nécessaire, c'est que l'on n'a encore rien
découvert qui puisse y suppléer, y
succéder.
Qu'est-ce qui la remplacerait,
qui
la supplanterait? Serait-ce le bien-être et
l'opulence? Serait-ce le pouvoir et ses
honneurs?
Demandez-le à ceux qui
pleurent, à ceux qui ont perdu un parent
aimé, un ami chéri, leur père
ou leur enfant, leur mère ou leur femme. Il
n'est point de richesse, il n'est point de
dignité capable de soulager leur douleur,
mais il est une puissance capable de les consoler,
de les soutenir, de les réjouir même;
et cette puissance, c'est ce que vous nous proposez
de siffler et de proscrire.
Demandez-le à ceux qui ont
des regrets, des remords, des repentirs: et qui de
nous n'en a pas? Demandez-le à ceux qui ont
à se reprocher quelque sentiment coupable,
quelque vile ou criminelle action. Ils sont riches,
peut-être, et considérés parmi
leurs concitoyens; et cependant ni la fortune ni la
gloire ne les empêchent de languir sous le
poids de leur conscience. Qui les absoudra, qui
leur rendra cette paix de l'âme, sans
laquelle il n'est pas de bonheur ? Celui,
évidemment, que vous prétendez vouer
au mépris et à l'anathème
!
Demandez-le à ceux qui
doivent quitter ce monde, quitter leur famille,
leur carrière, leurs affections; à
ceux qui gémissent sur le lit de mort, qui
approchent de ce maître-jour, pierre de
touche des vies et des caractères, qui
voudraient s'en aller en paix, pour le salut de
leur âme et l'édification de leurs
amis. Qui leur apprendra à mourir noblement,
à expirer saintement? Qui sera-ce, si ce
n'est Celui que vous traitez de menteur et
d'imbécile et que vous invitez, à
chercher parmi les bêtes d'autres victimes
!
Demandez-le à ceux qui sont
en quête du mot de cette énigme
antique, que l'on appelle l'existence humaine,
à ceux qui sont tourmentés du besoin
de savoir d'où ils viennent, ce qu'ils sont,
où ils doivent aller; du besoin de savoir ce
qu'ils peuvent connaître, ce qu'ils doivent
faire, ce qu'ils osent espérer. Ce sont
toutefois gens fort instruits, doués de
talent et d'esprit. Eh bien, ils vous disent
sincèrement: Notre esprit, notre talent,
notre instruction, n'ont pas de
quoi nous contenter. Une seule chose, une seule
conviction nous éclaire et nous
tranquillise: c'est la pensée de cet
Être dont le règne est fini, selon
vous; c'est la persuasion que l'homme descend et
dépend de cet Être, qu'il a
été fait par lui, qu'il peut
apprendre de lui ce qu'il doit devenir; c'est la
ferme assurance que cet Être, tout
lumière et tout chaleur, veut aussi que nous
vivions, maintenant et toujours, en
société avec lui, dans une union qui
remplisse de lumière notre intelligence et
nos coeurs d'une chaleur aussi douce que
durable.
Et c'est cette assurance, c'est
cet
Être que l'on nous représente comme un
préjugé funeste, destructif du
bonheur individuel, subversif du repos social,
abominable et maudit, Et c'est l'empire de cet
esprit, et c'est l'influence de ce monde invisible
et immortel, que l'on prétend
anéantir pour le bien et l'avantage des
hommes; que l'on essaye de remplacer par le
règne absolu de la matière, du monde
palpable et visible, par l'empire des instincts et
des appétits physiques, par la
souveraineté restaurée de la chair,
par le triomphe savamment organisé de la
jouissance animale!... Tentative, non
stérile, hélas! mais pourtant aussi
vaine que déplorable ! Si vous nous
ôtez la foi en Dieu, en une divinité
toujours bienfaisante, en une paternelle
providence, en un protecteur d'une bonté
infinie, infinie alors même qu'il frappe et
qu'il afflige; si vous enlevez à
l'État, à la famille, à la
propriété, au travail, l'unique
bouclier, l'unique épée qui les défende toujours,
ne vous
imaginez point que vous nous ayez servis,
éclairés, affranchis, enrichis. Non,
non: vous aurez fait de nous les plus
misérables des créatures, plus
misérables que le mouton qui broute l'herbe,
que le tigre qui s'abreuve de sang: plus
misérables, puisque vous nous aurez
isolés et désolés, puisque
vous aurez déchiré tous nos liens
avec notre céleste consolateur.
Oui, si Dieu n'est plus, s'il
est
enseveli pour toujours et mort sans devoir
ressusciter jamais. si Dieu, a cessé de
vivre et de régner, l'homme n'est plus de
race divine, et n'est point appelé à
rentrer dans le palais de son père. Si Dieu
est détrôné et brisé,
l'homme n'est plus roi. Si tout, hommes ou choses,
personnes et biens, n'est que matière et
corps, n'est que chair ou poudre, rien n'est plus
sacré, rien n'est plus inviolable. Le saint
nom de Dieu rend seul inattaquables et respectables
les êtres qui l'invoquent et les objets pour
lesquels il est invoqué. Le culte de Dieu
est seul propre à couvrir d'une sanction
révérée ce que nous sommes et
ce que nous avons, l'individu et la chose publique,
le foyer privé et la patrie. M'inclinerai-je
encore devant un mortel, une fois que j'aurai
désappris à m'incliner devant
l'Immortel?
Non, l'homme n'est plus un
être sociable, dès qu'il n'est plus un
être religieux: ce n'est plus alors qu'un
animal plus adroit, plus rusé, plus
vigoureux peut-être, que les animaux qui
l'environnent. Entre lui et ses semblables, il n'y,
a, plus de lien suprême,
plus d'obligation sérieuse, plus de devoir,
plus de motif de reconnaissance ou d'estime, plus
de source de désintéressement et de
vraie sympathie. Le noeud qui le rattachait au
principe de la sympathie et du
désintéressement, à la source
de la justice et de l'amour, ce noeud a
été tranché, brisé,
comme s'il n'était qu'une chaîne
d'esclave, ou qu'une corde de prison, Quel autre
lien peut nous unir encore, peut encore durer? La,
force brutale? la force armée ? l'instinct
physique ? le calcul ? l'astuce ?
l'égoïsme? essayez de bâtir avec
de pareils éléments une
société solide et libre. Essayez de
réunir vos frères au moyen de ce
dissolvant universel. Essayez de leur donner ainsi
la paix et l'amour, que cette chimie sociale et
religieuse, doit leur procurer dans une
plénitude et une pureté primitives.
Essayez, essayez !...
Non, il nous est impossible de
nous
écrier avec vous: Dieu, retire-toi ! Quand
même nous ne sentirions pas le besoin
d'être soutenus et inspirés de ce Dieu
que vous vous appliquez à expulser de
l'humanité et de l'univers ; quand
même nous ne l'aimerions pas, nous ne
pourrions partager vos transports. Nous aimons trop
les hommes, nous aimons trop nos frères,
nous nous aimons trop nous-mêmes, pour nous
priver d'un tel appui. Nous sentons trop notre
impuissance pour rejeter les secours du
Tout-Puissant. Viens ô notre Père,
reviens, ô notre Force, voilà ce que
nous ne cesserons de demander, et pour nous, et
pour notre patrie.
Nous ne pensons donc pas, avec
vous,
que notre pays est perdu, parce que,
çà et là, par intervalles, il
croit encore à Dieu et lui obéit
encore. Nous périssons, au contraire, qu'il
se perdra, s'il ne devient pas plus religieux. Nous
ne nous plaindrons pas d'apercevoir encore quelques
étincelles de foi, au milieu de nos
populations attristées, mais nous nous
plaindrons d'en apercevoir un si petit nombre. Nous
ne signalerons pas la crainte et l'amour de Dieu
comme un obstacle au bonheur public et à une
liberté pacifique; nous signalerons la
diminution de cette crainte, l'extinction de cet
amour, comme la vraie cause des malheurs et des
troubles de notre temps. Ce n'est pas la
destruction de l'esprit religieux, de l'esprit de
prière et de charité, c'est son
retour, c'est sa résurrection que nous
regarderons comme un moyen, comme le principal
moyen de sauver la
société.
Sauver la société, en
la dépouillant de ce qu'elle a
regardé jusqu'à présent comme
le salut par excellence; en la détachant de
celui qu'elle a jusqu'à présent
adoré sous le titre spécial de
Sauveur; en maudissant ce libérateur, en
l'appelant un imposteur, et en tentant de plonger
son oeuvre d'amour dans un éternel
néant! Sauver la société,
à force de conspuer et d'amortir toutes ces
croyances ! consolantes, toutes ces puissances
édifiantes, toutes ces vertus
régénératrices qui de tout
temps ont soutenu et agrandi les nations! Sauver la
société, en recommandant au
mépris des pauvres et des misérables les préceptes,
les
conseils, les encouragements, le.,
bénédictions de celui qui
était venu pour évangéliser
les pauvres et pour guérir les malades!
Sauver la société, en l'exhortant
à quitter le christianisme pour
l'athéisme, à déserter le bon
pasteur qui laisse sa vie pour son troupeau,
à préférer aux douze
Galiléens dont la simple et franche
prédication changea le monde, l'armée
de Spartacus uniquement occupée à
piller, à dévaster, à
s'assouvir de débauche et de carnage
!
Sauver la société par
un tel assemblage de moyens destructeurs et de
ressources meurtrières, quelle
contradiction! Quelle profonde opposition entre le
but et la route! C'est prétendre
récolter le calme, après avoir
semé des tempêtes. C'est exiger de
vifs remerciements de l'homme à qui vous
avez crevé les yeux, pour avoir
été ainsi prémuni contre
certaines maladies auxquelles la vue peut
être exposée.
Et supposons que vous parveniez
à déraciner de mon coeur la
dernière fibre de la piété,
que vous n'y laissiez subsister que l'envie de
jouir et de dominer : pourrez-vous pleinement
satisfaire cette envie? Et si, par vos refus, vous
me rendez mille fois plus mécontent que je
ne le suis à présent, que me
répondrez-vous alors? Que me
répondrez-vous, quand je vous accuserai de
m'avoir ravi mon unique compensation, mon
espérance, mon ciel, mon Dieu? Que me
répondrez-vous, lorsque je vous supplierai
de me tirer de l'affreuse nuit de mon
désespoir? Vous ne pourrez plus
étaler devant moi la frêle fantasmagorie de vos
promesses
illusoires, et vous" n'oserez pas me montrer la
croix où fut attaché le Christ une
seconde fois par vos mains! Que me
répondrez-vous?...
Si le péché rend les peuples
misérables, la justice seule
élève les nations. (PROV. XIV,
34.)
Nous venons d'examiner avec
vous,
chers frères, les mesures qui sont le plus
souvent proposées pour
régénérer et pour pacifier la
société.
Avec nous, vous avez reconnu la
nécessité de les partager en deux
classes très distinctes: d'une part, des
réformes incomplètes et
insuffisantes; de l'autre, des réformes
impraticables, fausses et subversives.
Combien nous désirons que
vous ayez accueilli avec un intérêt
bienveillant, avec une approbation sympathique, les
moyens par lesquels nous avons tenté de
compléter, de perfectionner les
remèdes insuffisants, et de remplacer les
mauvais conseils! Combien nous souhaitons que vous
ayez goûté la pensée qui
renferme toutes nos réflexions : Si le
péché rend les peuples
misérables, la justice seule
élève les nations.
Laissez-nous résumer le tout
en peu de mots, et le remettre sous vos
yeux.
I. La déclaration des droits
de l'homme et du citoyen a besoin
d'être complétée par une
déclaration des droits de Dieu,
c'est-à-dire des devoirs humains.
Il. Le décret de la
liberté a besoin d'être balancé
et soutenu par la pratique de la
piété.
III. Le dogme de
l'égalité a besoin d'être
accompagné et suivi du désir de
l'égalité en vertu, en justice et en
charité, du désir de
l'égalité devant Dieu..
IV. Le précepte de la
fraternité a besoin d'être
fondé à la fois sur le sentiment
consciencieux de la responsabilité
individuelle et sur un amour religieux du
prochain.
V. La reconnaissance du droit au
bonheur, au progrès, exige, non-seulement
des idées justes sur le bonheur et le
progrès, mais le désir commun de
s'entr'aider dans la recherche du bonheur, dans la,
réalisation du progrès.
VI. La promulgation de la
souveraineté du peuple demande, pour appui
et pour contre-poids, le respect universel de la
souveraineté de Dieu, l'universel respect de
la justice divine.
VIl. Le patriotisme, la vertu
civique, ne sera vraiment utile qu'en s'unissant
aux vertus domestiques et aux devoirs envers
Dieu.
VIII. L'éducation publique,
l'instruction populaire n'est pas tout, ne sert pas
à tout, ne suffit point : il y faut joindre
l'éducation intérieure, l'instruction
qui s'acquiert dans la famille et par
l'église.
IX. L'organisation du travail
est
incompatible avec la désorganisation des
travaux : pour, s'opérer, elle doit
procéder de l'organisation préalable
et morale des travailleurs, par une saine
organisation de leur coeur et de leurs
moeurs.
1) Loin de proposer l'abolition
de
la propriété, il importe, d'une part,
d'accroître le nombre des
propriétaires et d'affermir les titres de
toute possession légitime; d'autre part,
d'apprendre à tous, pauvres ou riches,
à savoir se détacher, en esprit et en
effet, des biens et des Jouissances
matérielles, à mettre la possession
de soi-même au-dessus de toute autre
possession, à ne vouloir posséder que
pour donner, à craindre la misère de
l'âme mille fois plus que les misères
du corps.
2) Au lieu de viser à la
dissolution de la famille, il importe de multiplier
les familles véritables, civilement et
religieusement consacrées, de resserrer les
liens de famille, de cultiver les affections et
d'honorer les vertus, domestiques de relever le
culte du foyer, le culte domestique; enfin, de
replacer, le mariage sur sa base divine, sur le
fondement de la foi.
3) Au lieu de travailler à la
complète destruction de la religion, de la
vie religieuse, au lieu de conseiller le
mépris de Dieu et des choses sacrées,
il importe de ramener les peuples à leur
chef invisible, à leur souverain spirituel;
il importe de les convaincre qu'en dehors du
règne de Dieu il ne saurait y avoir pour
eux, ni liberté, ni bien-être, ni
paix, ni avenir.
En retraçant ce tableau, nous
nous attendons à deux genres d'objections et
de réclamations.
Les uns nous diront: « Au fond
vous ne cessez de nous parler de devoirs et de:
Dieu! Vous oubliez que nous sommes
émancipés et majeurs, que nous ne
sommes plus à l'école. Vous devriez
savoir qu'à notre âge on substitue les
droits aux devoirs et l'homme à Dieu! Vous
le devriez savoir, puisque vous prétendez
nous conseiller uniquement ce qui est mâle,
raisonnable et juste! »
Les autres nous répondront :
« Nous n'avons pas de parti pris contre vos
conseils de morale et de religion, contre votre
rappel aux devoirs et à Dieu; mais nous ne
nous sentons pas en état de mettre ces
conseils en exécution, de remplir ces
devoirs, de servir ainsi Dieu ! Ce n'est pas assez
de nous indiquer ce qu'il faudrait' penser ou
faire; il est nécessaire de nous donner la
puissance de le penser, la faculté de le
faire. Nous sommes disposés à vouloir
: c'est le pouvoir qui nous manque; c'est la
possibilité d'agir selon vos conseils qu'il
faudrait nous communiquer! »
Voici ce que nous
répliquerons aux premiers, avec autant de
franchise qu'ils nous en ont
montré.
Vous avez une fausse idée du
devoir, à notre avis. Vous n'y voyez qu'une
obligation gênante et importune, qu'une
privation, qu'une sujétion, qu'une
servitude, qu'un joug, qu'une chaîne, qu'un
poids difficile ou impossible à supporter,
et qui mérite, par conséquent,
d'être secoué et
rejeté. Cette idée erronée,
vous l'avez, parce que vous prenez le devoir pour
l'ordre inflexible d'un maître tyrannique. Si
vous saviez le regarder comme l'expression
salutaire d'une volonté bienveillante comme
le voeu. d'une personne essentiellement bonne,
c'est-à-dire qui ne peut souhaiter et
opérer que le bien, que votre bien et votre
bonheur; si vous saviez faire refluer et remonter
le devoir, non pas à une
nécessité inaccessible, inexplicable,
implacable même, non pas à une aveugle
et inexorable fatalité, non pas à
Satan, mais à un être aussi aimable
qu'aimant, mais à un Père qui,
par-dessus tout, est bienfaisance et
miséricorde; alors vous y verriez une
disposition faite en votre faveur, dans votre
unique et véritable intérêt,
une mesure prise exclusivement pour votre
félicité, une loi
arrêtée et appliquée en vue de
votre bonheur présent et à
venir.
Si vous saviez apercevoir au
fond de
ce fait universel et incontestable, non un ennui et
un esclavage, non un mensonge diabolique et
suranné, mais un pur et immortel bienfait :
alors vous y salueriez une source de satisfactions
et une garantie de liberté. Si vous saviez
regarder l'idée de devoir comme la preuve
d'un infini dévouement, comme une marque de
sollicitude de la part d'un père qui
conseille à ses enfants la poursuite de
telles choses, parce que l'expérience et la
réflexion lui ont appris que leur bonheur
dépend de cette poursuite, et de cette
poursuite seulement; si vous saviez la regarder
comme l'expression d'une tendresse divine, ardente à
désirer que tous
les hommes prennent le seul chemin qui mène
sûrement et directement vers la vraie fin de
leur nature : alors vous considéreriez le
devoir comme ce chemin même, et non pas comme
l'opposé de votre destination, de votre
constitution. Dès lors aussi, bien loin de
vous révolter contre l'idée de
devoir, bien loin de la bannir et de la supplanter
par la notion de droit, vous vous empresseriez de
réclamer votre part au devoir, comme un
privilège, comme un honneur, comme une
jouissance.
À la tête de tous vos
droits, vous vous hâteriez d'inscrire LE
DROIT AU DEVOIR ; le droit sublime de servir Dieu
et les hommes, le droit céleste de louer
Dieu et d'obliger les hommes; LE DROIT AU DEVOIR,
ce droit inconnu aux bêtes et aux brutes, et
réservé à leurs maîtres,
aux êtres intelligents et libres ! Vous
seriez fiers et heureux de réclamer partout
ce précieux droit, parce que vous auriez
compris que la joie la plus douce consiste à
donner ce que l'on a, ce que l'on est, à se
donner et à se confier, comme Dieu se donne,
comme Dieu donne et aime. Vous ne parleriez plus
même de devoir, de dette et d'obligation! Un
besoin nouveau se serait, en effet,
déclaré en vous avec une
énergie extraordinaire ; le besoin
même sur lequel vous fonderiez avec raison,
avec autorité, l'admirable droit au devoir.
Vous dévouer aux autres, à vos
frères, à vos semblables, vous serait
devenu nécessaire, serait nécessaire
à votre propre repos, à votre
contentement personnel, à votre coeur enfin,
à ce coeur qui est la vie et le tout de l'homme, et
qui, plus
vaste
que le monde, ne peut être rempli que par une
affection plus grande encore, par l'affection d'un
Dieu. Vous ne diriez plus en gémissant, on
en murmurant : Il faut, je dois! Vous diriez avec
délices : Je veux, j'aime à vouloir !
Je veux, parce que c'est un bien pour moi; je veux,
parce qu'il veut, parce qu'il l'a voulu, Celui qui
est le bien même, qui est mon bien, mon
bienfaiteur, Celui qui est amour et bonté,
Celui qui ne peut vouloir sans aimer, dont chaque
volonté est une bénédiction,
un bienfait ineffable pour ceux qui
l'accomplissent, filialement. En un mot : vous
auriez faim et soif de justice et de
charité; et vous seriez bienheureux !
(Matth. V, 6.)
Il est vrai, pour concevoir
ainsi le
devoir, il faut d'abord croire que l'ordre moral et
éternel de ce monde n'est pas un pur et
simple effet du hasard, un caprice, un coup de
dé, un jeu de la fortune; il faut croire
qu'il est l'ouvrage prémédité
d'une intelligence infiniment sage et bonne ; il
faut donc croire que cette intelligence, cette
cause suprême, existe réellement,
sinon visiblement; il faut donc croire qu'il existe
un être en qui cette justice et cette
charité sont pleinement
réalisées et constituent son essence
même; croire qu'il existe un être
absolument équitable et foncièrement
affectueux, une providence surnaturelle et pourtant
mêlée à toutes nos affaires;
croire que Dieu règne, et ne règne
que par la justice et l'amour; croire qu'il vit,
qu'il sera toujours présent à notre
vie; croire enfin que Dieu est et
qu'il se manifeste comme le
rémunérateur de ceux qui le
cherchent, qui cherchent sa justice, qui en ont
faim et soif! Il faut donc tout d'abord croire...
(Hébr. XI, 6.)
Et que répondrons-nous aux
autres, à ceux qui assurent qu'ils ont le
vouloir, mais qu'ils manquent du
pouvoir?
Ou vous vous croyez plus faibles
que
vous ne l'êtes en
réalité;
Ou vous ne voyez pas que l'aveu
sincère de votre faiblesse est un
commencement de puissance, un gage assuré de
force.
Ou vous vous croyez plus faibles
que
vous ne l'êtes en réalité! Le
Tout-Puissant se montre envers vous beaucoup
meilleur, peut-être, que vous ne le pensez.
S'il vous a mis au coeur le désir de faire
le bien, de remplir vos devoirs, de conformer toute
votre vie aux lois de la justice et de la
charité ; s'il a rempli votre âme de
ces beaux voeux, ayez confiance, mettez-vous
gaiement à l'oeuvre ! car alors il vous a
donné aussi, à votre insu, les moyens
d'agir, les moyens de faire sa volonté et de
bâter la venue de son règne. Alors,
amis, prenez patience et courage : le
Très-Fort est avec vous! Cessez de vous
plaindre de votre imbécillité,
abandonnez-vous sans réserve aux
inspirations, aux impulsions d'en haut! Veuillez,
veuillez vouloir, et vous pourrez; vous pourrez
vouloir et faire, vous voudrez pouvoir, vous
pourrez ! Entrez sans partage, sans
hésitation, dans la voie où
l'Éternel vous appelle, où le
prodigieux mouvement de notre
siècle vous forcera de marcher,
malgré vous, où vous ne marcherez
bien, avec fruit pour vous-mêmes, avec
avantage pour vos frères, qu'en y
avançant volontiers, avec une fermeté
spontanée et soutenue, les yeux,
fixés sur ce soleil de justice qui brille
d'un éclat incomparable autour de la croix
du Calvaire !
Ou vous ne voyez pas que l'aveu
de
votre faiblesse est un germe de puissance, un gage
certain de force 1 Il l'est cependant, puisqu'il
atteste qu'en vous l'orgueil d'une fausse
indépendance a fait place à
l'humilité, au sentiment d'une
dépendance filiale. N'espérant plus
rien de votre capacité propre, de votre
vertu propre, vous êtes disposés, vous
serez de plus en plus disposés à vous
tourner vers la source. de toute force et de toute
puissance réelle. Et cette source,
étant en même temps la bonté
même, vous refusera-t-elle le pouvoir de
puiser dans ses profondeurs les secours dont vous
avez besoin ? Ayant mis votre confiance, non plus
en vous-mêmes, mais en Dieu, ne vous
sentez-vous pas soutenus par son bras invincible?
Et vous sentant soutenus si merveilleusement,
partout défendus et abrités contre
toutes sortes d'ennemis et d'adversités,
pourriez-vous fermer votre âme à la
reconnaissance envers votre protecteur? Mais
comment témoignerez-vous cette
reconnaissance, si ce n'est en cherchant à
plaire à votre protecteur, en faisant sa
volonté, c'est-à-dire en l'aimant,
lui et ceux qu'il vous donne à aimer, en,
chérissant vos frères et en leur
faisant du bien, en remplissant
enfin ces devoirs de justice et de charité
que vous vous jugiez incapables de remplir?
L'esprit dont notre société a le plus
besoin, l'esprit sans lequel elle ne sera pas
sauvée', l'esprit de sacrifice et d'amour,
n'est donc pas au-dessus de vos forces, lorsque vos
forces sont celles de Dieu; lorsque c'est à
Dieu que vous demandez de vous communiquer cet
esprit et de vous le conserver.
Peut-être, cette heureuse
disposition à la dépendance envers
Dieu n'est-elle chez vous qu'une lueur
passagère. Eh bien, gardez-vous de la
laisser s'affaiblir et disparaître;
retenez-la, affermissez-la, augmentez-la
promptement. Pour l'augmenter et l'affermir, il est
un moyen très simple, dédaigné
par les prétendus forts, mais employé
par ceux qui sont réellement puissants, par
ceux qui fondent et édifient, au lieu de
ravager et de démolir, par les vrais
héros de la foi et de l'amour. Ce moyen
vulgaire, c'est la prière. Essayez de prier,
suppliez Dieu de vous fortifier, de vous
délivrer de l'égoïsme et de la
vanité, de l'amour-propre et de la
sensualité, des maladies dont souffre le
vieil homme, et que nous avons tous
héritées d'Adam et de ses fils.
Approchez du nouvel homme, de ce second Adam qui
est à la fois le Fils de Dieu et le Fils de
l'homme; approchez de lui pour devenir son
héritier, son frère, son ami;
entretenez-vous avec lui, - il vous a parlé
le premier, puisqu'il vous a aimés le
premier; - écoutez. le dans le silence de
vos frêles raisonnements et de vos mesquines
convoitises : voyez si des forces nouvelles, des
facultés
inconnues, d'indicibles grâces ne viennent
pas rajeunir insensiblement et retremper votre
coeur, réjouir et éclairer votre
âme, Direz-vous encore : « J'ai bien le
vouloir, je n'ai pas le pouvoir? » Non, vous
direz : « Gloire à Dieu, qui nous a
donné le vouloir et l'exécution !...
»
Et maintenant, retournons-nous
ensemble vers ceux de nos frères qui croient
pouvoir sauver la société sans le
secours de Dieu, sans le secours de la
religion.
Ils prétendent sauver un
monde dégénéré,
uniquement en étendant, en universalisant
les droits de l'homme et du citoyen, en nous
procurant le plus de liberté et de bonheur
que nous puissions désirer ou supporter.
ilspromettent en même temps de
reconnaître pour Sauveur celui qui aura le
mieux étendu nos droits, le plus
augmenté nos libertés et nos
félicités...
Nous sommes de leur avis. Nous
cherchons dans le présent, aussi bien que
dans le passé, l'être à qui
l'humanité doit cet accroissement de bonheur
et d'indépendance. Il ne nous est pas
difficile de découvrir ce que nous
cherchons. Il y a longtemps, en effet, que
l'humanité a décoré du titre
de Sauveur Jésus de Nazareth! La vie, les
paroles, la mort, l'influence posthume de ce
Sauveur, nous les examinons avec, une froide
sévérité; et il nous est
impossible de ne pas penser que l'humanité
avait raison, a raison encore et aura toujours
raison d'appeler Sauveur ce
même Jésus de Nazareth, celui que
l'antiquité chrétienne nommait le
philosophe crucifié !
Qui donc a plus fait pour notre
liberté et pour notre bonheur? ouvrez les
pages de l'histoire et comparez les nations qui ont
fleuri avant la venue du Christ, païennes ou
juive, avec les peuples qui ont brillé sous
l'empire de la loi chrétienne. De quel
côté apercevez-vous plus
d'égalité, de fraternité, de
progrès de tout genre? Ouvrez les pages de
l'Évangile, et rapprochez-les des codes et
des constitutions où les diverses
générations du monde
proclamèrent les droits des
sociétés et des individus. Y a-t-il
une charte, une seule, qui égale
l'Évangile en libéralisme et en
philanthropie? Où trouvez-vous des
déclarations plus précises et plus
nobles sur les droits imprescriptibles de l'homme,
sur sa souveraineté, sur sa liberté,
sur l'égalité et la
solidarité, sur le peuple et sur la patrie,
sur l'éducation et sur le travail, sur la
propriété et sur la famille ?
Où se rencontre-t-il des enseignements plus
généreux et plus profonds sur le
bonheur humain et sur la misère humaine; sur
l'amour mutuel des hommes; sur
l'intérêt dû aux pauvres et aux
faibles, aux souffrants et aux affligés?
Où se préoccupe-t-on davantage de
notre perfection et de notre avancement? Où
nous conseille-t-on mieux les voies de la justice
et de la charité? où songe-t-on plus
souvent à garantir la vraie liberté
et la paix véritable? Où marque-t-on
une sympathie aussi vive, aussi franche, pour ceux
qui manquent de cette paix et de cette
liberté ? Relisons
seulement les discours par lesquels le Christ
ouvrit sa carrière messianique, le Sermon
prononcé sur la montagne (saint Matthieu V,
VI, VII). Quel autre langage est aussi attentif
à nos besoins, aussi propre à les
satisfaire? Quelle autre constitution est, autant
que l'Évangile, assortie à la nature
de l'homme, et convenable aux
nécessités de la
société, plus bienfaisante et plus
civilisatrice, en un mot, plus sociable? Quel autre
orateur enfin, quel autre prédicateur est
aussi capable de nous rendre contents? (Philippiens
IV, 11.)
D'où vient cependant que vous
dédaignez cette voix, que vous
méprisez cette parole?
Cela vient de deux causes.
Tantôt on ne connaît ni le Christ ni
l'Évangile; tantôt on se refuse
à les écouter, parce que l'on
répugne à remplir les conditions
qu'ils imposent à leurs
disciples.
Pour ceux qui ne connaissent ni
le
Christ ni l'Évangile, nous n'avons qu'un
voeu à former : c'est que les saintes
Écritures, les vérités
qu'elles annoncent et l'esprit qu'elles
répandent, soient mis à portée
de leur intelligence et de leur coeur. Puisse ce
saint volume prendre partout la place qui lui
appartient, une place usurpée par tant
d'écrits insipides ou empoisonnés,
dont s'inondent nos villes et nos campagnes!
Puisse-t-il être enfin médité
chaque jour, sur chaque table, dans chaque
famille!
Quant à ceux qui rejettent
l'Évangile hautement et de propos
délibéré, montrons-leur du
moins la contradiction où
ils se mettent avec eux-mêmes, avec leurs
propres doctrines. Ils veulent le but, mais ils
répudient les moyens qui seuls y peuvent
conduire. Ils veulent les effets, le
résultat, mais ils repoussent les causes et
les conditions, sans lesquelles ce résultat
ne saurait jamais s'obtenir. Ainsi, ils veulent les
droits de l'homme et du citoyen, sans vouloir les
devoirs qui rendent ces droits possibles. Ils
veulent la liberté, sans vouloir la
piété qui empêche cette
liberté de dégénérer en
désordre et en désastre. Ils veulent
l'égalité, sans vouloir la vertu qui
la préserve d'un abîme
d'iniquités où elle finit par se
perdre elle-même. Ils veulent la
fraternité, sans vouloir cette
obéissance commune à un père
commun qui la défend seule des
écueils de l'anarchie et du despotisme. Ils
veulent le bonheur et le progrès, mais en
les plaçant exclusivement où ils ne
se trouvent qu'en partie, dans le bien-être
matériel; mais en s'appliquant moins
à les procurer aux autres qu'à
eux-mêmes.
Ils veulent la souveraineté
du peuple, mais sans s'inquiéter de la
souveraineté de Dieu, seule capable de
régler et d'assurer celle du peuple. Ils
veulent le patriotisme, mais sans l'asseoir sur ses
fondements durables, les vertus domestiques et les
sentiments religieux. Ils veulent
l'éducation publique, mais en la privant de
ses plus fermes appuis, la famille et la religion.
Ils veulent l'organisation du travail, mais
à force de désorganiser les travaux,
mais sans songer d'abord à moraliser les
travailleurs. ils veulent diminuer la pauvreté et
même
éteindre la misère, ils veulent
multiplier la fortune et répandre le luxe,
mais en abolissant le droit de
propriété, mais en déchirant
les titres de toute possession personnelle et
héréditaire. Ils veulent que chacun
jouisse des douceurs du mariage et du
ménage, mais pour cela ils proposent le
démembrement de la, famille, la dissolution
de tout lien conjugal, paternel ou filial. Ils
veulent que la paix et l'amour règnent entre
les individus et parmi les peuples, mais en
proscrivant la religion qui consacre et consolide
la paix, mais en niant ou en insultant la source de
l'amour, la divinité!
Est-ce assez de contrastes et
d'oppositions? assez de dissonance et de
disproportion entre la fin et les moyens, entre les
instruments et l'oeuvre projetée?
Rouvrez l'Évangile, pour voir
si vous y découvrez ce même
désaccord et ce même contre-sens,
cette même cause d'erreurs et de
stérilité!...
Mais il reste une dernière
contradiction qui est comme la racine de toutes les
autres, et que la puissance de Dieu seule sait
couper et extirper...
L'esprit de sacrifice,
dites-vous,
voilà ce qui manque à la
société. C'est cet esprit qui doit
régénérer la
société; c'est lui qui est le vrai
remède des maladies et des plaies publiques.
L'égoïsme, la corruption
générale, tel est le mal qu'il s'agit
de détruire! La corruption
publique!
La corruption sociale,
l'égoïsme général!... D'accord. Mais de quoi se
compose cet égoïsme de tous, cette
corruption' universelle? D'égoïsmes
privés, apparemment, et de corruptions
individuelles.
À cette réponse, les
uns se taisent, les autres répliquent: Non.
Selon ceux-ci, l'individu, vous et moi, nous sommes
naturellement bons, excellents, presque parfaits;
en nous nulle corruption, nul égoïsme!
C'est la société qui est pervertie et
dépravée, c'est elle qu'il faut
convertir et purifier, mais non les individus! ou
bien, si ce n'est pas toute la
société, c'est seulement tel parti,
telle secte, telle portion de la nation,
c'est-à-dire le parti qui n'est pas le
nôtre, le parti de nos adversaires. Quant
à nous, quant à vous, quant à
nos amis, politiques ou religieux, nous sommes tous
désintéressés, tous
dévoués, tous exempts de corruption
et d'égoïsme, tous remplis de l'esprit
de sacrifice!...
C'est cette réplique que nous
osons appeler une contradiction grossière.
Comment, l'individu est
désintéressé et la
société est égoïste;
l'individu est droit et pur, la
société est corrompue! Mais qu'est-ce
donc que la société, sinon une
collection d'individus, sinon la réunion de
ces personnes si droites et si pures, si probes et
si dévouées? La
société, c'est l'ensemble, le tout,
le 'corps; les individus sont les parties et les
membres. Se peut-il que les membres soient sains et
que le corps soit gangrené? que les parties
soient ce qu'elles doivent être et que
l'ensemble se trouve dans un désordre
irrémédiable ? Non, non : l'ensemble,
c'est-à-dire les fractions réunies, ne vaut ni
moins
ni plus que les fractions prises à part: ce
que valent les fractions, l'ensemble le vaut. Non,
non, il faut choisir: ou la société
est saine et heureuse, et alors les individus le
sont aussi; ou la société est
corrompue et misérable, et alors les
individus ne sont pas autre chose.
Selon vous, la société
est corrompue : elle l'est de même suivant
l'Évangile. Mais si, suivant vous, les
individus, vos individus du moins, sont purs et
droits; selon l'Évangile, les individus ne
sont ni droits, ni purs; ils ne sont pas meilleurs
que la société, et doivent être
améliorés pour que la
société soit ramenée à
l'ordre et au bonheur.
Dans quel camp se trouvent la
logique à la fois et la
vérité? Qui raisonne ici
conséquemment, et 'qui dit vrai? De votre
système j'en appelle à votre
jugement, de vos préjugés de parti ou
d'école à votre coeur, au coeur tel
qu'il se prononce durant le sommeil des
passions.
Vous le sentez, nous sommes en
face
de la différence la plus complète qui
sépare le Sauveur de l'Évangile de
tout autre sauveur.
Le Sauveur de l'Évangile
s'adresse aux individus, premièrement,
directement, personnellement, avant et plutôt
que de s'adresser à la
société. Car le Sauveur des hommes
connaît l'homme, cet élément,
cet aliment de la société. Il sait
qu'en définitive on ne parle à
personne, si l'on ne parle pas à l'individu,
à la personne humaine. Il sait qu'en
guérissant les individus, on est sûr
de sauver la nation.
C'est donc les individus que le
Christ exhorte à rentrer en eux-mêmes
et à se convertir, à se
dépouiller de la corruption et de
l'égoïsme, à quitter l'esprit
d'usurpation pour l'esprit d'abnégation et
de sacrifice, pour l'esprit d'amour.
Marchez-vous, nous dit-il,
marchez-vous dans la voie qui mène à
Dieu ? Tournez-vous autour de cet unique centre de
vie et de bonheur, comme la terre tourne autour du
soleil, son maître et son bienfaiteur ? Ne
vous êtes-vous pas éloignés de
lui? Ne cherchez-vous pas à vous en
écarter, comme si votre fin, votre
félicité se trouvait loin et hors de
sa présence? Vous vous retirez ; et en
même temps vous vous plaignez d'être
malheureux et mécontents! Un corps qui fuit
le jour, qui se cache dans un antre humide et
infect, au lieu de se laisser
pénétrer par les rayons qui
réchauffent et éclairent, se
paralyse, se consume, se meurt dans la souffrance.
Il en est ainsi des âmes et des nations.
Elles aussi languissent et périssent,
lorsqu'elles fuient le principe de la vie morale et
spirituelle, la source de la vraie
félicité et de la vraie perfection;
lorsqu'elles essayent follement de résister
à ce principe, de mépriser ou de
tarir cette source! C'est là
l'inévitable effet d'une cause souveraine...
Si ces nations, si ces âmes désirent
recouvrer la santé et l'espérance,
qu'elles s'empressent de se rapprocher de Celui
qu'elles combattaient, qu'elles blessaient ou
affligeaient; de Celui qui est tout ensemble
justice et amour, dont le coeur est prêt
à pardonner quiconque
avoue ses fautes et se repent de ses
péchés; de Celui que vous avez
méconnu, dont vous avez lésé
les justes droits, mais qui ne refuse pas d'oublier
les injures qu'il devait venger et qui se
plaît à rendre le bien pour le
mal!
Mais je n'ose pas m'en
approcher,
répondez-vous, je n'ose pas. Sa majestueuse
sainteté me confond et m'arrête, aussi
bien que son juste courroux. Le remords qui gronde
dans ma conscience atteste que je mérite
mille châtiments. L'usage que j'ai fait de ma
liberté et de mon amour, la manière
dont je les ai prodigués et
prostitués, mon ingratitude, ma
désobéissance, mes parjures, tout ce
passé misérable se dresse devant moi
pour m'accuser, et me crie qu'un serviteur aussi
infidèle, un enfant aussi
dégénéré ne peut
reparaître devant son maître et son
père!
Viens, cependant, viens, mon
frère, mon ami, réplique le Christ !
Viens, je serai ton avocat; je veux être
médiateur entre toi et ton Juge? Viens et
regarde ma croix! La victime qui expire là,
en priant et en bénissant, meurt pour toi;
elle s'immole pour te racheter, pour te
réconcilier avec l'éternelle justice,
pour pacifier ta conscience à la fois et ton
arbitre suprême. Sache que, sur cette croix
dédaignée, le secret et l'exemple de
tout sacrifice a été livré au
monde. Le Juste s'y est librement offert en
expiation à la justice; et, par ce don de
son amour, il a appris aux pécheurs qui se
repentent et qui croient en lui, que la justice
leur pardonne, qu'elle abandonne
son droit, qu'elle y renonce par charité,
par miséricorde. Mais sache en même
temps qu'à ce pardon est mise une condition
salutaire: sache qu'il ne te sera accordé
qu'autant que tu voudras sérieusement imiter
ton médiateur et ton juge, abandonner aussi
ton droit dans l'intérêt de tes
frères, et être de même
miséricordieux et compatissant ; qu'autant
enfin que tu ne voudras dominer qu'en
servant!
Sache qu'il ne suffit pas de
contempler la croix avec une admiration
passagère, de t'écrier comme le
capitaine romain : Cet homme est vraiment un Dieu!
ou comme le citoyen de Genève : Si la mort
de Socrate est celle d'un sage, la mort de
Jésus est celle d'un Dieu! Sache qu'il faut
avoir part à ma croix comme à mon
corps, à ma mort comme à ma vie,
à ma chair crucifiée comme à
ma parole outragée; qu'il faut s'unir
intimement à tout ce que je voulais
être et avoir durant mon existence terrestre.
Sache qu'il faut mortifier, crucifier, tout ce que
j'ai laissé crucifier, tout ce que j'ai
mortifié; qu'il faut vivifier et ressusciter
tout ce que tu as enseveli et oublié, Dieu
et l'éternité. Sache que je me suis
fait homme, pour que l'homme devienne ce que je fus
sous les traits de l'homme. Sache que si Dieu s'est
fait chair en ma personne, c'est afin que tu
deviennes à ton tour dévouement et
charité, amour et bonté,
c'est-à-dire ce que j'ai été,
ce pourquoi et par quoi je suis mort et
ressuscité. Tu vois la foule de
misères et de souffrances qui t'environne;
et tu y fermes ton coeur! Mais
si Dieu faisait comme toi, qu'en arriverait-il pour
toi? N'as-tu, pas tout reçu de lui? Vaux-tu
mieux que lui? Et puisque tu as tout reçu,
tu refuses de donner une partie de tes biens, de
tes loisirs, de ta vie? Apprends plutôt,
ô mon fils, apprends à souffrir avec
ceux qui souffrent! Depuis que, la
miséricorde divine s'est
révélée sur le Calvaire, tu
n'as plus d'excuse; tu ne peux plus dire: « La
stricte justice suffit, c'est assez de la loi du
talion., charité bien entendue commence par
soi-même! » Non; une telle justice est
inique, une telle charité est mal entendue.
L'équité exige que tu uses
d'indulgence et de dévouement, que tu juges
ou que tu donnes avec la mesure avec laquelle Dieu
te juge ou te donne. Puisque tu as
été gracié, tu n'as plus le
droit de condamner; puisque Dieu a fait à
ton égard abandon de ses légitimes
prétentions, oseras-tu conserver, dans leur
exclusion, les droits que tu pourrais avoir sur tes
frères? Ton droit, aujourd'hui, n'est-ce pas
la charité, l'oubli de ton droit et de
toi-même? n'est-ce pas la miséricorde,
aux entrailles si humaines et si fécondes?
Ton droit, n'est-ce pas LE DROIT Au DEVOIR, le
droit de pratiquer l'amour et d'accomplir des
sacrifices!
Oui, si l'esprit de sacrifice
doit
ranimer la société, et y circuler, en
haut comme en bas, avec le sang et le souille du
Christ, relevons la croix que notre
indifférence a laissé renverser, ou
qu'ont abattue nos mauvaises passions. Qui ne croit
plus à la vertu de la croix, à la
salutaire nécessité de crucifier ses convoitises,
ne croira pas
davantage à l'heureux devoir de se
sacrifier, de sacrifier son avoir et sa personne,
pour la société et l'humanité.
Qui traite cette croix de folie et
d'absurdité, taxera de folie aussi et de
duperie tout genre de sacrifices, tout genre de
dévouement.
En haut comme en bas, cependant,
l'on est arrivé à reconnaître
que la société ne sera sauvée
que par le goût des sacrifices
!...
Malheur à nous, si, nous
bornant à reconnaître cette claire et
pressante vérité, nous n'allons pas
jusqu'à la pratiquer en toutes choses,
par-dessus toutes choses ! Malheur aux riches et
aux puissants si, fermant les yeux, les mains, le
coeur, ils passent sans compassion devant ceux que
torturent la faim et la nudité, qu'abrutit
la misère ou qu'égarent l'ignorance
et l'erreur! Malheur aux grands et aux riches,
s'ils ne rougissent pas de mépriser et
d'humilier la pauvreté honnête et
imméritée, la vertu touchante de
l'homme de rien, le courage do l'indigent, ce
courage qu'ils devraient non-seulement
récompenser, mais admirer et imiter. Mais
malheur aussi aux pauvres et aux faibles, s'ils se
persuadent que le but de la vie n'est autre chose
que la vie matérielle, que la satisfaction
des appétits qui sont communs à
l'homme et à l'animal ! Malheur à
eux, car ils ont perdu le droit de se consoler par
ces paroles édifiantes : Le Christ a
été des nôtres, humble et
indigent comme nous, n'ayant pas de quoi manger et
boire, ne sachant où reposer sa tête!
C'est aux petits et aux faibles,
il
est vrai, que le Christ s'est surtout
adressé et dévoué. C'est
l'état du pauvre dont il lit choix, pour
ainsi dire ; et il en fit choix pour l'ennoblir, le
relever, le magnifier devant les puissances de la
terre ; pour rendre la misère respectable et
sacrée, pour la recommander aux sympathies
et aux dons de la richesse. En glorifiant
l'indigence, en divinisant l'abnégation, il
accorda une sorte de privilège aux pauvres
et aux souffrants.
Oui, le pauvre a une sorte de
privilège, s'il sait être pauvre avec
le Christ et en Christ. Il est plus libre alors que
le riche, n'étant pas, comme le riche,
esclave de ses biens, esclave des soucis qu'ils
causent, des tentations auxquelles ils exposent. Il
est plus indépendant, puisqu'il
possède tout ce dont il est capable de se
passer; puisqu'il ne croit pas perdre la vie et
l'être, en perdant son avoir; puisqu'il est
toujours prêt à donner le peu qu'il a.
il a une source de jouissances délicieuses,
puisque, sentant mieux les peines du pauvre, les
angoisses du nécessiteux, il s'estime
heureux d'y compatir, heureux de sympathiser avec
ses semblables, quel que soit leur rang; puisqu'il
sait apprécier toutes les choses de ce monde
à leur juste valeur, en les mettant en
regard de Dieu et de l'éternité;
puisqu'il n'envisage rien à travers le
prisme mensonger de l'ambition ou de la
volupté. Le pauvre, qui pense et vit ainsi,
le bon pauvre, est plus près de son Sauveur,
plus semblable à son Dieu, par
conséquent plus apte à faire l'oeuvre de Dieu,
cette
oeuvre
d'amour et de sacrifice qui
régénère les âmes et
pacifie les esprits.
Ah! si les pauvres comprenaient
enfin leur mission dans la société,
ils cesseraient de rougir ou de s'indigner de leur
abaissement : ils n'y verraient plus rien
d'avilissant ou d'ignominieux. ils ne se croiraient
pas des barbares, parce qu'ils ne sont pas aussi
instruits, ni aussi satisfaits d'eux-mêmes,
que ceux qu'ils sont appelés à
éclairer par leur exemple et à
ennoblir. Ils se glorifieraient plutôt de
leur bassesse, en sentant que l'humilité est
la véritable source des forces
réelles et vives, des forces du
caractère et du coeur. Ils se rendraient
dignes et capables de la vocation que Dieu leur
adresse, en se rapprochant avec joie du Christ, de
sa crèche et de sa croix, et non en s'en
éloignant avec mépris ou avec
colère, et non en les abandonnant pour une
recherche acharnée et souvent armée,
de ces plaisirs fugitifs et dangereux que
promettent la fortune et le pouvoir. Pour s'en
rendre dignes et capables, ils se
dévoueraient sans réserve à
Dieu et à leurs devoirs, se souvenant avec
reconnaissance que le Christ s'est immolé
pour les hommes, pour leurs droits, pour leur
salut; et loin de songer à
déposséder, à tuer ceux dont
ils envient ou détestent les jouissances,
ils s'efforceraient de dépouiller l'envie,
de tuer lit haine qui tyrannise leur
âme.
Quelle liberté, quelle gloire
attendrait le pauvre, s'il s'appuyait sur, Dieu et
sur ses promesses infaillibles ! Il serait notre
espérance et notre lumière; et les races les plus
éloignées béniraient son nom,
puisqu'il aurait, par toute sa vie, rendu bon
témoignage à cette consolante parole
du prophète Dieu a fait les nations
guérissables!
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