Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE LXIII

Délivrance de Genève.

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Farel priait et prêchait ; Baudichon était dans les environs de Berne, cherchant quelqu'un disposé à prendre la défense de la ville persécutée.
«Croyez-moi, écrivait-il au Conseil de Genève, Dieu nous délivrera de la main de nos ennemis ; ne vous découragez pas si le secours tarde à venir. Vous verrez .des miracles avant qu'il soit longtemps et vous apprendrez comment Dieu peut nous aider. Soyez donc sur vos gardes et n'acceptez aucunes conditions qui ne donneraient pas la première place à Dieu et à son saint Évangile. Veillez à ce que la Parole de Dieu ne soit pas liée. »

Le Conseil genevois partageait les vues de Baudichon. Il fit venir les prêtres ; de neuf cents qu'ils étaient, leur nombre était réduit à trente. « Nous vous *avons donné trois mois, leur dit le Conseil, pour nous fournir la preuve que la messe et les images sont selon la Parole de Dieu. Quelle réponse avez-vous à nous faire ? » Un prêtre, nommé Dupan, répondit pour tous : « Nous ne sommes pas si osés que de nous croire capables de corriger les choses qui nous ont été enseignées pas nos pères spirituels et décidées par l'Église. Mais quant à faire ce que vous nous demandez, nous n'avons ni l'instruction ni l'autorité nécessaires. » «.Alors nous vous interdisons de célébrer la messe désormais, répliqua le Conseil, et nous vous requérons d'aller écouter la prédication de la Parole de Dieu, afin que vous appreniez ce que Dieu commande. Il est convenable que ceux qui font profession d'être des pasteurs et des docteurs se montrent disposés à s'instruire.» Les prêtres ayant allégué leur ignorance, la remarque des autorités ne manquait pas d'à-propos. Quelques-uns des prêtres résolurent de quitter Genève ; d'autres se déclarèrent disposés à suivre les ordres des magistrats. Il fut permis à ces derniers de rester dans la ville s'ils se soumettaient aux lois établies et voulaient porter l'habit laïque. Ainsi s'accomplit la réforme sollicitée par Farel depuis longtemps. « Il ne suffit pas, disait-il aux magistrats, que vous vous conformiez personnellement à l'Évangile ; votre devoir est de confesser publiquement que la messe est une idolâtrie et que les inventions humaines doivent faire place à la Parole de Dieu. » Le Conseil ayant enfin. confessé Christ en public, Dieu allait faire voir sa puissance au peuple genevois.

Les événements les plus divers contribuèrent à la délivrance de Genève : la mort de la reine Catherine d'Aragon en Angleterre ; une querelle de François Ier avec Charles-Quint et le duc de Savoie ; la jalousie de Berne qui craignait de voir le roi de France s'emparer de la Savoie et prendre Genève sous sa protection, toutes ces choses furent comme les anneaux de la chaîne dont Dieu se servit pour lier Satan et délivrer Genève. L'homme voit bien la marche des armées et les actes des rois, mais l'oeil de la foi peut seul discerner le ressort caché qui les fait agir. Dieu combat contre Satan, et il se sert des princes de ce monde dont Il dirige les mouvements à leur insu.
Genève était réduite à la dernière extrémité, lorsqu'un messager de Berne arriva dans ses murs, porteur d'une lettre demandant que le Conseil remît en liberté le père Furbity. Mais cette commission n'était pas le vrai but de son voyage ; on ne lui avait donné cette lettre que pour détourner les soupçons du sire de Lullin, dans le cas où il viendrait à tomber entre ses mains.

Son véritable message était verbal. « Dans trois jours, dit l'envoyé de Berne, vous verrez. les châteaux du pays de Vaud en flammes ; les Bernois arrivent ! » En effet, l'armée de la puissante république approchait à travers mille dangers trop longs à raconter ici. Quand les Genevois montèrent sur leurs remparts, le soir du troisième jour, pour interroger anxieusement l'horizon, ils le virent se teindre en rouge, les incendies annoncés s'allumaient ! Berne avait donné ordre à ses soldats de mettre le feu aux châteaux, véritables repaires de brigands.
Ils devaient aussi détruire toutes les images, mais épargner les hommes, les femmes et les enfants qui ne seraient pas trouvés les armes à la main.
En peu de jours le pays de Vaud tomba entre les mains des Bernois et le 2 février 1536, l'armée victorieuse entra à Genève ! La ville des réformés était libre ! Au mois de février 1536, écrit Froment, Genève fut délivrée de ses ennemis par le pouvoir de Dieu.

Le duc de Savoie ne put s'opposer aux Bernois ; il avait bien autre chose à faire ! Le roi de France l'attaquait, Charles-Quint l'abandonnait ; quatre mois après la délivrance de Genève, il fut chassé de ses États par les armées françaises. Toutes sortes de malheurs fondirent sur lui à la fois. Son pays était ravagé par la peste, ses alliés se tournaient contre lui, son fils, l'héritier de la couronne, mourut, sa femme, la belle et fière Béatrice de Portugal, atteinte au coeur par tant de chagrins, prit une maladie de langueur et mourut aussi. Il ne resta plus au malheureux duc que deux ou trois villes, et sur son lit de mort, le souvenir, de Genève et des réformés le hantait sans cesse.

Et l'évêque, Pierre de la Baume ? Celui-là vécut encore quelque temps dans son château d'Arbois, mais un jour devant le trône de Dieu il répondra de la manière dont il s'est acquitté de sa charge. Les Bernois exécutèrent à la lettre les ordres qui leur avaient été donnés ; le château de Peney fut complètement rasé, celui de Chillon fut pris. Le gouverneur de ce donjon avait reçu l'ordre de faire mettre à la torture et ensuite à mort les prisonniers genevois, dès que les Bernois se montreraient. Outre les trois délégués de Baudichon, il y avait dans les cachots de Chillon, Bonivard, le prieur du couvent de St-Victor à Genève. C'était un des premiers défenseurs des libertés de la ville ; il y avait six ans qu'il était dans les prisons de Savoie ; on montre encore sur le pavé de son cachot la trace de ses pieds, creusée par ses continuelles promenades autour du piller auquel il était enchaîné. Les soldats bernois n'espéraient guère trouver les prisonniers vivants, mais le gouverneur avait eu peur de Messieurs de Berne et n'avait pas osé toucher à un cheveu de leurs têtes. Ils furent amenés à Genève avec grande joie et grand triomphe.

L'oeuvre de Farel n'était cependant pas accomplie. A vues humaines les ennemis de Genève s'étaient fondus comme la neige au soleil. Toutefois l'adversaire invisible de Christ, celui dont les armées papistes n'étaient que les instruments, avait d'autres moyens d'attaque.Puisque Satan n'avait pas réussi à étouffer l'Évangile par la puissance de l'évêque ni par les armées de Savoie, il allait maintenant changer de tactique et chercher à susciter à la vérité des adversaires cachés dans Genève même. Ces nouveaux ennemis ne se montrèrent pas tout de suite ; pendant un temps, la joie fut sans mélange dans la cité délivrée. Les uns rendirent grâce à Dieu qui les avait secourus. 137 autres se glorifièrent dans leur liberté et disaient : Qui sera maître sur nous ? Pour ceux-là, le joug aisé de Christ est un fardeau plus lourd que  le joug de Savoie, et le service de Dieu bien plus pénible que la tyrannie de l'évêque. Mais les Genevois ne se rendaient pas encore compte de ces choses tout ce qu'ils savaient pour le moment c'est que le duc, l'évêque, les prêtres et les moines avaient disparu pour toujours et que Genève était libre.


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CHAPITRE LXIV

Derniers jours de Faber.

 

  Au printemps de cette même année, au milieu de la joie générale, une triste nouvelle parvint à Farel. Maître Faber était mort à l'âge de quatre-vingt-dix ans. Quelques auteurs pensent même qu'il était âgé de près de cent ans. Ce n'en fut pas moins un grand chagrin pour le disciple qui l'avait tant aimé ; Farel nous le dit et raconte ce qu'il a appris des derniers moments de son vieil ami, probablement par Gérard Roussel.

Notre vénéré maître, dit Farel, fut pendant plusieurs jours si effrayé à la pensée du jugement, qu'il ne cessait de dire : je suis perdu ! je me suis attiré la mort éternelle parce que je n'ai pas osé confesser la vérité devant les hommes. Jour et nuit il ne cessait de se lamenter ainsi. Gérard Roussel, qui ne le quittait pas, l'exhortait à prendre courage et à mettre sa confiance en Christ. Faber répondit : Nous sommes condamnés par le juste jugement de Dieu, parce que nous avons su la vérité que nous aurions confesser devant les hommes. C'était un triste spectacle que ce pieux vieillard en proie à une si profonde angoisse et à une telle frayeur du jugement de Dieu. Mais à la fin le Seigneur le délivra de ses craintes et il s'endormit paisiblement dans le sein de son Sauveur. Voici comment la reine de Navarre raconte la fin de son vieil ami. Faber avait dit une fois : « Oh ! que l'absence de Christ doit nous être pénible si nous avons la pensée de l'Esprit ! Et combien nous devons soupirer après sa présence où nous ne pouvons être admis qu'en quittant la terre. 0 mort, que tu es douce pour les fidèles et pour un coeur spirituel. Tu es l'entrée dans la vie. »Mais à la fin de sa vie, Faber fut tourmenté par la pensée qu'il avait fui les peines, les souffrances de la mort, qu'il aurait dû subir avec joie pour l'amour de la vérité. Le vieillard pensait avec remords à ces nobles jeunes gens, Jacques Pavannes, Louis de Berquin, qui étaient montés courageusement sur le bûcher, tandis que lui s'était enfui. Faber ne renia jamais la vérité et ne trahit point sa foi, mais n'aurait-il pas dû comme ses jeunes frères exposer sa vie et sceller la vérité de son témoignage par sa mort ? Cette pensée l'oppressait toujours plus à mesure que s'approchait le moment de paraître devant le Seigneur, car il disait qu'il n'avait pas comme ses amis la couronne du martyre pour se présenter devant Dieu.

La reine de Navarre l'invita un jour à dîner avec d'autres hommes pieux et savants dont elle aimait la société. Mais Faber était triste et ne prenait point de part à la conversation générale ; il finit même par se mettre à pleurer. La reine s'informa du sujet de sa tristesse. « Comment pourrais-je être gai, Madame, lui répondit-il, moi qui suis le plus grand criminel qu'il y ait au monde ». Marguerite lui demanda avec étonnement ce qu'il voulait dire, lui qui avait été si pieux dès sa jeunesse. « Certes, répliqua Faber, j'ai commis un crime qui pèse d'un grand poids sur ma conscience. » La reine de Navarre le pressa de s'expliquer plus clairement. « Comment pourrai-je, dit enfin le vieillard avec abondance de larmes, paraître devant le tribunal de Dieu, moi qui ai enseigné le pur Évangile à tant de gens qui, pour avoir suivi mes enseignements, ont eu à subir la torture et la mort, tandis que moi, leur lâche pasteur, j'ai fui,' comme si un vieillard tel que moi n'avait pas déjà bien assez vécu 1 je n'avais d'ailleurs pas lieu de craindre la mort, mais plutôt de la désirer. Cependant je me suis enfui secrètement des lieux où s'obtenait la couronne de martyr, et j'ai été d'une honteuse infidélité envers mon Dieu .»
La reine s'efforça de calmer Faber et de le consoler par plusieurs raisonnements et en lui citant divers exemples de gens pieux qui avaient fait comme lui. Marguerite ajouta que nous ne devons jamais douter de la miséricorde du Seigneur. Tous les convives de la reine se joignirent à elle pour tâcher de consoler Faber.
Le vieillard reprit un peu courage et dit : « Il ne me reste, qu'à m'en aller à Dieu dès qu'il lui plaira de m'appeler et aussitôt que j'aurai fait mon testament.» Puis se tournant vers la reine il lui dit : « Vous serez mon héritière ; votre aumônier Gérard Roussel aura mes livres ; je donne mes habits et tout ce que je possède aux pauvres et je recommande mon âme à Dieu. » « Mais alors, dit la reine en souriant, que restera-t-il pour moi qui dois être votre héritière ? » « je vous lègue, répondit Faber, le soin de distribuer ce que je lègue aux pauvres. »
« C'est convenu, dit la reine, et je vous assure que cet héritage me fait plus de plaisir que la moitié des terres du roi mon frère, s'il me les laissait. » Avec une figure plus sereine Faber se leva alors en disant adieu à la. compagnie, il alla s'étendre sur un lit dans la pièce voisine. Quand on alla pour l'éveiller, on trouva qu'il s'était endormi en Jésus.

Marguerite de Navarre le pleura sincèrement et le fit enterrer dans l'église de Nérac. Elle connaissait aussi la tristesse qui avait assombri les derniers jours de son vieil ami, car elle n'avait pas eu beaucoup de cet opprobre de Christ qui rend plus heureux que toute autre chose.
Néanmoins Marguerite était une servante du Seigneur, elle était chère à Celui qui, méprisant la honte, a porté la croix à la place de bien des rachetés qui ont redouté la mort et l'opprobre soufferts pour l'amour de Lui.
Farel écrivit à l'un de ces croyants timides, Michel d'Arande, pour lui raconter les derniers moments de Faber. Michel avait connu le vieux docteur et avait reçu l'Évangile par son moyen. Il avait même prêché avec Farel pendant les jours heureux de Meaux et soupiré après le temps où sa bien-aimée France se convertirait. Mais lui aussi avait eu peur de l'opprobre et de la mort, et maintenant il était évêque papiste en Dauphiné !
La lettre de Farel toucha profondément Michel. «Je me suis senti transpercé par l'épée de l'Esprit, écrit-il à Farel, vous m'exhortez si solennellement, les reproches que vous me faites au nom du Seigneur Jésus sont si justes, que je n'ai pas un mot à y répondre. je ne puis que vous supplier de m'aider par vos prières et de ne pas cesser de m'avertir, afin que je sois enfin retiré du bourbier dans lequel je suis. » Mais nous ne savons si Michel d'Arande sortit du bourbier avant d'être retiré de ce monde.

Nous dirons maintenant adieu à maître Faber, mais en prenant congé de l'aimable vieillard, nous rappellerons quelques-unes de ses paroles: « Paul, le vaisseau que Dieu avait rempli, était mort au monde, à lui-même et à la création. Il ne vivait plus de sa propre vie, mais de celle de l'Esprit de Dieu. C'est ce qu'il nous dit lorsque l'amour de Jésus qui remplissait son coeur le forçait à s'écrier : « Ce n'est plus moi qui vis, mais Christ qui vit en moi. » Il était tellement rempli de Christ que tout ce qu'il pensait et disait c'était Christ. Il a nommé Christ au moins quatre cent quarante-neuf fois dans ses épîtres. Paul n'a pas cherché à nous conduire à la créature, mais au Créateur, le Fils de Dieu qui nous a faits et créés fils de Dieu Son Père en s'offrant Lui-même pour nous. Paul cherchait à nous conduire vers Celui qui nous a purifiés dans Son sang de la lèpre d'Adam, notre premier père, et nous a rendus nets... Oui, c'est à Lui et non à des hommes ou à des choses faites de mains d'homme que Paul nous conduit. Allons donc à Christ avec une pleine confiance. Puisse-t-Il être notre seule pensée, notre conversation, notre vie, notre salut et notre tout. »
Maintenant nous laisserons Faber reposer en Jésus, jusqu'à ce que le jour se lève et que les ombres s'enfuient.. Alors cette tombe, si longtemps oubliée, s'ouvrira et celui dont elle renferme le corps ressuscitera pour être toujours avec le Maître qu'il aimait. En attendant, que l'expérience de Faber nous serve d'avertissement afin que nous évitions la pelouse agréable aux pieds lassés, le sentier défendu.

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