Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE LV

Gauthier Farel.

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On éprouve du rafraîchissement à laisser les hommes et leurs folies pour se tourner vers Dieu, à mettre de côté les absurdités qui procèdent du coeur naturel, pour se désaltérer aux fleuves d'eaux vives jaillissant d'un coeur rempli de I Esprit Saint. Guillaume Farel écrivait au printemps de 1534:
«Grâce, paix et miséricorde de la part de Dieu notre Père par notre Seigneur Jésus, seul Sauveur et Rédempteur qui pour nous est mort, mais maintenant règne en gloire aux lieux où il faut le chercher, car Lu i seul est notre vrai trésor céleste. Ce trésor ne peut nous être ôté, ni dérobé, bien que tout s'élève contre Lui. Nous en faisons l'expérience de jour en jour à mesure qu'il plaît au Père Éternel de nous ouvrir la porte pour annoncer Son Fils. - Et si Dieu nous donnait plus de courage nous verrions autre chose, mais nous avons tant de chevaux rétifs qui reculent au lieu d'avancer, étant non seulement peu utiles eux-mêmes mais encore empêchant les autres de marcher. Ceux-là, me semble-t-il, accomplissent les paroles du Seigneur Jésus qui accusait les Pharisiens de ne pas entrer et d'entraver ceux qui entrent.
Mais malgré les croix et les obstacles, Dieu ne laissera point Son oeuvre inachevée et Il manifestera les méchants... Les ennemis ne cessent d'inventer de nouvelles fables et menteries, mais Dieu les fait tourner à leur confusion, car mensonge ne peut vaincre vérité. Il faut que la lumière luise et que les ténèbres prennent fin... Vous savez comment le Seigneur a visité la maison, mettant mes frères à l'épreuve, surtout celui qui est né après moi, car il y a longtemps qu'il est en prison et que ses biens sont confisqués ». C'est Gauthier Farel dont Guillaume parle ici; lui et sa femme avaient ouvertement confessé Jésus-Christ. Sa captivité était un grand chagrin pour Guillaume, non seulement à cause de lui-même, mais aussi pour sa vieille mère qui Était veuve. Gauthier paraît avoir habité avec elle ou du moins dans le voisinage; il fut emprisonné à Gap.

Dans une autre lettre, Guillaume s'exprime en ces termes: « Grâce, paix et miséricorde de Dieu notre très bon Père par son seul Fils Jésus, notre salut et notre vie. Il est la pierre d'achoppement contre laquelle dans sa propre personne et dans celles de ses membres, le monde a tant lutté et il le fera jusqu'au bout. Mais -ce sera en vain, car ni conseil, ni prudence, ni sagesse ne peuvent tenir contre Dieu, et si les iniques élèvent leurs cornes elles seront rompues. Quelque chose qui puisse advenir aux justes, ils ne doivent perdre courage, mais en pleine foi et assurance ils doivent dire avec le saint prophète: Le Seigneur est mon aide, je ne craindrai point, que me ferait l'homme ? Oh ! qu'il est heureux celui à qui le Seigneur donne cette grâce I Que tout va noblement quand tout est perdu selon le monde ! Alors nous expérimentons la vertu de Dieu qui aide puissamment aux siens lorsqu'ils n'ont fiance qu'en Lui. Mais quand nous avons recours à l'Égypte et nous fions aux hommes, Dieu se montre véritable, nous faisant éprouver ce que sont les hommes.

Je l'ai expérimenté quant à mon frère qui a été longuement détenu pour peu de chose. Il a voulu avoir le secours de gens que je croyais en meilleurs termes qu'ils ne le sont (le roi de France et Messieurs de Berne) et Dieu sait ce qu'il en est advenu. J'ai voulu céder au jugement d'autrui contre le mien propre. Dieu soit loué et son bon plaisir s'accomplisse ! Si le Père céleste de sa bonne volonté veut le délivrer, Il a tout en sa main, Il le fera. S'il Lui plaît qu'il en soit autrement, que sa bonne volonté soit faite et ainsi soit-il ! Mais je ne veux cesser de prier pour lui comme faisaient les fidèles quand Pierre était détenu, ni aussi d'user d'autres moyens comme Paul en a usé... Et puissions-nous tous adorer notre Dieu plus purement que nous ne l'avons fait jusqu'ici, craignant plus qu'avant ce très puissant Seigneur et que la crainte de l'homme soit chassée loin de nous. Craignons la malédiction de Dieu qui est annoncée à tous ceux qui n'ont leur confiance en Dieu, et saisissons des deux mains la bénédiction promise à ceux qui souffrent pour Jésus.

Plaise au Seigneur Dieu que le pauvre prisonnier comprenne bien ces choses afin qu'il pousse hardiment en avant, déclarant ce qui en est du bon Sauveur. Car ce qui m'inquiète c'est qu'il est peu instruit et je crains qu'il ne comprenne guère. Je vous recommande sa pauvre mère veuve et pleine d'angoisser. Puisse Celui qui dispose de tout à sa plus grande gloire, nous mener et nous conduire par son St-Esprit, lequel Il nous fasse suivre, mettant de côté toute autre prudence, sagesse et conduite, afin que tout ce qui est en nous, pensées, paroles ou actions soit à l'honneur et à la gloire de Dieu pour l'avancement de sa Sainte Parole. Amen ! »


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CHAPITRE LVI

Combats et victoires.

 

Pendant que Guillaume Farel écrivait ces choses, un autre serviteur du Seigneur «saisissait des deux mains la bénédiction réservée à ceux qui souffrent pour Jésus. » Nos lecteurs n'ont sans doute pas oublié Alexandre, qui, après avoir été banni de Genève, alla prêcher l'Évangile à Lyon. De grandes bénédictions accompagnaient ses prédications; aussitôt le sermon fini, il se cachait dans la maison d'un évangélique, puis allait prêcher dans un autre quartier. Mais la semaine de Pâques, les prêtres réussirent à mettre la main sur lui; on le chargea de chaînes et on l'envoya à Paris pour y être jugé. Le voyage se fit à pied, et le long de la route Alexandre parlait de l'amour de Christ à son escorte. Le capitaine et plusieurs des soldats furent amenés au Seigneur. Dans toutes les auberges où ses gardes s'arrêtaient, Alexandre prêchait aussi et beaucoup de personnes furent converties par ce moyen. La fin de l'histoire de ce noble serviteur de Dieu est vite racontée. Soumis à de cruelles tortures à Paris, jusqu'à en être estropié, il fut condamné à être brûlé vif. Le visage d'Alexandre était resplendissant de joie à l'ouïe de cette sentence qui allait le faire passer des tortures et des blasphèmes des prêtres en la présence de son Seigneur bien-aimé. Il prêcha jusqu'à la dernière minute. « Rétracte-toi ou tais-toi ! » lui cria un moine. « Je ne veux pas renier Jésus, répondit le martyr; arrière de moi, séducteur du peuple ! » En regardant ses cendres, l'un des moines ne put s'empeser de dire: « Si celui-ci n'est pas sauvé, qui le sera ? »

Les prêtres de Genève étaient à la recherche d'un prédicateur pour remplacer le père Furbity, car les Bernois, blessés par ses discours contre les Allemands, exigeaient qu'il restât en prison. Il y avait alors à Chambéry un moine franciscain, nommé Courtelier, qui jouissait d'une grande réputation. Il fut invité à venir prêcher le carême chez les franciscains de Genève. Courtelier désirait plaire à tout le monde; il tint un langage mielleux, adressant force compliments tant aux prêtres qu'aux réformés. Il poussa la complaisance jusqu'à essayer de prêcher l'Évangile, mais il se contredisait à chaque instant de la façon la plus étrange; Farel se leva soudain et dit: «Vous ne pouvez pas enseigner la vérité, car vous ne la connaissez pas ! » Le moine, un instant surpris par cette interruption, n'y répondit pas et continua à débiter ses compliments. Les Genevois ne s'y laissèrent pas prendre; ils ne voulurent rien de cet homme qui leur parlait sans cesse de leurs vertus et de leur sainteté.
Les envoyés bernois étaient mécontents de ne pouvoir obtenir l'usage d'une église où Farel pût prêcher; Le Conseil avait toujours quelque excuse pour refuser. « Vous prétendez, disaient les ambassadeurs, que nos prédicateurs prêchent dans des trous et des recoins comme des étables, eh bien, donnez-nous une église; vous n'avez pas besoin d'y aller, si cela ne vous convient pas, mais chacun sera satisfait.

Un dimanche de mars 1534, le père Courtelier venait de finir son sermon et les gens allaient quitter l'église du couvent, lorsque Baudichon se leva et annonça que Guillaume Farel prêcherait ce même jour dans cette même église, et qu'on allait sonner les cloches pour en prévenir le public. En effet, à la stupéfaction des moines, Baudichon et ses amis se mirent à sonner à toute volée pendant une heure. Au même moment, les Eidguenots s'emparaient d'un lieu appelé l'auditoire du couvent, plus spacieux que l'église. C'était une vaste cour entourée de galeries, pouvant contenir quatre à cinq mille personnes; elle se remplit d'une foule immense d'Eidguenots et de catholiques désireux d'entendre le fameux prédicateur. A leur grand étonnement, Farel parut dans son costume ordinaire, portant le petit manteau espagnol et le chapeau à larges bords des laïques.

Le sermon commença. Jamais ses paroles pleines de vie et de puissance n'avaient retenti sous les voûtes antiques du couvent. Personne n'écouta avec plus d'attention qu'un moine qui jusqu'alors avait été un ennemi acharné de l'Évangile. Les paroles de Farel lui semblaient venir du ciel même; ce jour-là, Christ fit pénétrer les rayons de son amour et de sa grâce dans le coeur du franciscain. Il se nommait Jacques Bernard et était le frère de Claude Bernard, que nous connaissons.

Le lendemain, les franciscains allèrent se plaindre au Conseil des choses étranges qui s'étaient passées chez eux et malgré eux. Les Bernois entraient au même moment dans la salle du Conseil; ils intervinrent en disant: « Il y a longtemps que nous vous demandons une église, et celle-ci a été donnée de Dieu sans que nous nous en soyons mêlés. C'est le Seigneur Lui-même qui a fait prêcher Farel dans l'auditoire du couvent; .prenez garde de vous opposer à Dieu. » Le Conseil comprit qu'il valait mieux céder; les Bernois allaient partir. « Nous vous recommandons nos évangélistes, » dirent-ils aux Eidguenots. A partir de ce moment, Claude Bernard les prit chez lui, pensant qu'ils y seraient mieux qu'à la Tête-Noire.
Il y avait aussi à Genève des délégués de Fribourg; ils exprimèrent leur vif mécontentement de l'accueil fait à Farel; puis, voyant que le Conseil ne pouvait ou ne voulait pas arrêter les prédications évangéliques, ils déclarèrent rompue l'alliance entre Fribourg et Genève. Les prêtres perdirent ainsi leurs meilleurs amis et les réunions évangéliques devinrent toujours plus nombreuses.

Le clergé imagina alors d'annoncer une apparition miraculeuse de la Vierge. Elle s'était montrée vêtue de blanc et avait ordonné une procession solennelle à Genève et dans les environs. Si cet ordre n'était pas exécuté, la Vierge avait révélé que la ville serait engloutie; si, au contraire, on obéissait promptement, les hérétiques crèveraient par le milieu comme Judas. Les Eidguenots, se souvenant de la farce des écrevisses portant des chandelles, voulurent s'assurer par eux-mêmes de l'identité de cette « belle dame en blanc ». Ils découvrirent que c'était la servante d'un curé ~ Mais on eut beau démasquer cette supercherie, les catholiques crédules n'en firent pas mores leur procession, pour laquelle des pèlerins accoururent de toutes les parties de la Savoie. La vue des images portées dans les rues avec de la musique et de l'encens excita la colère de quelques Eidguenots; ils allèrent pendant la nuit briser des images dont ils jetèrent les morceaux dans le puits de Ste-Claire. Aussi le journal de la soeur Jeanne est-il, à cette époque, rempli de récits lamentables. « Le lundi de la Pentecôte, écrit-elle, le père Furbity fut tiré de sa prison pour venir discuter avec le Satan Farel. Mais le révérend père dit: S'il faut que je dispute avec ce garçon, ce pauvre idiot Farel, je veux que premièrement il soit tondu et rasé afin de déloger sort maître le diable, et alors je serai prêt à donner ma vie si je ne puis vaincre tous les diables qu'il porte comme conseillers; mais on n'en voulut rien faire... et on le reconduisit dans sa prison, ce qui était chose bien cruelle. Le vendredi avant les Rameaux, ce maudit Farel commença à baptiser un enfant à leur maudite manière; il y assista beaucoup de gens et même de bons chrétiens pour voir comment cela se faisait. Le dimanche de Quasimodo, le chétif Farel commença à marier un homme et une femme selon leur tradition, sans aucune solennité ni dévotion.
Le dimanche de Miséricordia, une dame riche, pervertie par l'erreur luthérienne, vint au couvent de Sainte-Claire, et ne pouvant garder son venin, elle le vomit devant les pauvres religieuses, leur disant que le monde avait été dans l'erreur et l'idolâtrie et que nos pères avaient mal vécu et avaient été trompés parce qu'on ne leur avait pas fait connaître les commandements de Dieu. Incontinent la mère vicaire lui dit:
Dame, ne voulons point ouïr tels propos; si vous voulez deviser avec nous de notre Seigneur et dévotion comme autrefois, nous vous ferons bonne compagnie, sinon nous vous ferons visage de bois... car, dit-elle, nous voyons bien que vous avez bu le poison de ce maudit Farel. Mais la dame continua ses piquantes paroles, jusqu'à ce que la mère vicaire et sa compagnie lui barrèrent la porte au nez. Néanmoins, elle demeura longtemps à parler au bois, disant que les soeurs obéissaient au diable plutôt qu'à Dieu.

Le jour de Sainte-Croix, qui était un dimanche, un religieux de saint François posa l'habit après le sermon et le foula dédaigneusement aux pieds, ce qui réjouit fort les hérétiques. » Voilà comment parlait et jugeait la pauvre nonne que les aveugles conducteurs d'aveugles encourageaient dans son péché et sa folie, quoiqu'ils s'appelassent les prêtres de Dieu.

Un dimanche du mois de mai, après le sermon, les croyants s'assemblèrent dans l'auditoire pour rompre le pain. A leur grande surprise, un prêtre s'avança vers la table, revêtu de ses somptueux ornements, et commença à les ôter l'un après l'autre. Il jeta à terre sa chape, son aube et son étole, et parut vêtu comme un laïque. "J'ai dépouillé le vieil homme, dit-il, et me voici prisonnier du Seigneur Jésus. Frères, je vivrai et je mourrai avec vous, pour l'amour de Jésus-Christ." Les évangéliques pleuraient de joie, et « le laïque » Farel tendit au prêtre le pain et le vin, puis tous bénirent le Seigneur de sa grâce et de sa miséricorde. L'ecclésiastique était Louis Bernard, frère de Jacques et de Claude Bernard dont nous avons parlé.
Dieu avait abondamment béni cette famille; la petite fille de Claude, âgée de sept ou huit ans, rendait déjà témoignage à Christ; les prêtres ne pouvaient répondre aux textes qu'elle leur citait et ils disaient que cette enfant était possédée. Quel cercle heureux et paisible devaient former les trois frères Bernard, la femme de l'un d'eux, sa petite fille et les trois évangélistes qu'il logeait chez lui !

Peu après ces choses, arriva à Genève un nouveau réfugié français, Gaudet, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem. Puis le petit cercle s'augmenta encore par le mariage de Louis Bernard; il était devenu membre du Conseil des Deux Cents, et il épousa une veuve de bonne famille. Les prêtres et leurs amis furent indignés. a Comment, disaient-ils, ce prêtre a osé épouser une femme ! >> « Ah ! répondaient les Eidguenots, vous criez parce que Bernard s'est marié, et vous ne dites rien quand les prêtres ont des femmes illégitimes, vous trouvez cela tout naturel ! » Cela ne pouvait leur paraître blâmable, puisque les papes donnaient l'exemple. Cette même année-là, le pape Clément, étant mort, fut remplacé par Paul III qui, lorsqu'il était cardinal, se déguisa en laïque pour épouser une dame de Bologne. L'auteur catholique déjà cité dit qu'il avait deux enfants, un garçon et une fille, et que ce saint-père fut soupçonné d'avoir empoisonné sa mère, sa soeur, son fils et son beau-fils. « C'était, dit le même auteur, le monstre le plus affreux de son époque. Il excitait sans cesse les rois de France et d'Espagne à brûler les protestants. Comme on demandait à ce pape de réformer les abus du papisme; il chargea une commission, composée de cardinaux et d'évêques, d'indiquer les moyens à employer. La commission s'en prit aux papes eux-mêmes et demanda l'abandon de leurs vices et de leurs crimes. Mais Paul III déclara qu'il ne déshonorerait pas le saint-siège en confessant les vices des papes. Au contraire, il publia une bulle in Coena Dominé, ordonnant de maudire, chaque Jeudi-Saint, tous ceux qui parlaient contre les droits et les privilèges du siège pontifical. " Voilà, d'après l'histoire, le bon exemple que la chrétienté recevait de son chef.

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