On éprouve du rafraîchissement
à laisser les hommes et leurs folies pour se
tourner vers Dieu, à mettre de
côté les absurdités qui
procèdent du coeur naturel, pour se
désaltérer aux fleuves d'eaux vives
jaillissant d'un coeur rempli de I Esprit Saint.
Guillaume Farel écrivait au printemps de
1534:
«Grâce, paix et
miséricorde de la part de Dieu notre
Père par notre Seigneur Jésus, seul
Sauveur et Rédempteur qui pour nous est
mort, mais maintenant règne en gloire aux
lieux où il faut le chercher, car Lu i seul
est notre vrai trésor céleste. Ce
trésor ne peut nous être
ôté, ni dérobé, bien que
tout s'élève contre Lui. Nous en
faisons l'expérience de jour en jour
à mesure qu'il plaît au Père
Éternel de nous ouvrir la porte pour
annoncer Son Fils. - Et si Dieu nous donnait plus
de courage nous verrions autre chose, mais nous
avons tant de chevaux rétifs qui reculent au
lieu d'avancer, étant non seulement peu
utiles eux-mêmes mais encore empêchant
les autres de marcher. Ceux-là, me
semble-t-il, accomplissent les paroles du Seigneur
Jésus qui accusait les
Pharisiens de ne pas entrer et d'entraver ceux qui
entrent.
Mais malgré les croix et les
obstacles, Dieu ne laissera point Son oeuvre
inachevée et Il manifestera les
méchants... Les ennemis ne cessent
d'inventer de nouvelles fables et menteries, mais
Dieu les fait tourner à leur confusion, car
mensonge ne peut vaincre vérité. Il
faut que la lumière luise et que les
ténèbres prennent fin... Vous savez
comment le Seigneur a visité la maison,
mettant mes frères à
l'épreuve, surtout celui qui est né
après moi, car il y a longtemps qu'il est en
prison et que ses biens sont confisqués
». C'est Gauthier Farel dont Guillaume parle
ici; lui et sa femme avaient ouvertement
confessé Jésus-Christ. Sa
captivité était un grand chagrin pour
Guillaume, non seulement à cause de
lui-même, mais aussi pour sa vieille
mère qui Était veuve. Gauthier
paraît avoir habité avec elle ou du
moins dans le voisinage; il fut emprisonné
à Gap.
Dans une autre lettre, Guillaume
s'exprime en ces termes: « Grâce, paix
et miséricorde de Dieu notre très bon
Père par son seul Fils Jésus, notre
salut et notre vie. Il est la pierre d'achoppement
contre laquelle dans sa propre personne et dans
celles de ses membres, le monde a tant lutté
et il le fera jusqu'au bout. Mais -ce sera en vain,
car ni conseil, ni prudence, ni sagesse ne peuvent
tenir contre Dieu, et si les iniques
élèvent leurs cornes elles seront
rompues. Quelque chose qui puisse advenir aux
justes, ils ne doivent perdre courage, mais en
pleine foi et assurance ils doivent dire avec le
saint prophète: Le Seigneur est mon aide, je
ne craindrai point, que me ferait l'homme ? Oh !
qu'il est heureux celui à qui le Seigneur
donne cette grâce I Que tout va noblement
quand tout est perdu selon le monde ! Alors nous
expérimentons la vertu de Dieu qui aide
puissamment aux siens lorsqu'ils n'ont
fiance qu'en Lui. Mais quand nous avons recours
à l'Égypte et nous
fions aux hommes, Dieu se montre véritable,
nous faisant éprouver ce que sont les
hommes.
Je l'ai expérimenté quant
à mon frère qui a été
longuement détenu pour peu de chose. Il a
voulu avoir le secours de gens que je croyais en
meilleurs termes qu'ils ne le sont (le roi de
France et Messieurs de Berne) et Dieu sait ce qu'il
en est advenu. J'ai voulu céder au jugement
d'autrui contre le mien propre. Dieu soit
loué et son bon plaisir s'accomplisse ! Si
le Père céleste de sa bonne
volonté veut le délivrer, Il a tout
en sa main, Il le fera. S'il Lui plaît qu'il
en soit autrement, que sa bonne volonté soit
faite et ainsi soit-il ! Mais je ne veux cesser de
prier pour lui comme faisaient les fidèles
quand Pierre était détenu, ni aussi
d'user d'autres moyens comme Paul en a
usé... Et puissions-nous tous adorer notre
Dieu plus purement que nous ne l'avons fait
jusqu'ici, craignant plus qu'avant ce très
puissant Seigneur et que la crainte de l'homme soit
chassée loin de nous. Craignons la
malédiction de Dieu qui est annoncée
à tous ceux qui n'ont leur confiance en
Dieu, et saisissons des deux mains la
bénédiction promise à ceux qui
souffrent pour Jésus.
Plaise au Seigneur Dieu que le pauvre
prisonnier comprenne bien ces choses afin qu'il
pousse hardiment en avant, déclarant ce qui
en est du bon Sauveur. Car ce qui m'inquiète
c'est qu'il est peu instruit et je crains qu'il ne
comprenne guère. Je vous recommande sa
pauvre mère veuve et pleine d'angoisser.
Puisse Celui qui dispose de tout à sa plus
grande gloire, nous mener et nous conduire par son
St-Esprit, lequel Il nous fasse suivre, mettant de
côté toute autre prudence, sagesse et
conduite, afin que tout ce qui est en nous,
pensées, paroles ou actions soit à
l'honneur et à la gloire de Dieu pour
l'avancement de sa Sainte Parole. Amen ! »
Pendant que Guillaume Farel écrivait ces
choses, un autre serviteur du Seigneur
«saisissait des deux mains la
bénédiction réservée
à ceux qui souffrent pour Jésus.
» Nos lecteurs n'ont sans doute pas
oublié Alexandre, qui, après avoir
été banni de Genève, alla
prêcher l'Évangile à Lyon. De
grandes bénédictions accompagnaient
ses prédications; aussitôt le sermon
fini, il se cachait dans la maison d'un
évangélique, puis allait
prêcher dans un autre quartier. Mais la
semaine de Pâques, les prêtres
réussirent à mettre la main sur lui;
on le chargea de chaînes et on l'envoya
à Paris pour y être jugé. Le
voyage se fit à pied, et le long de la route
Alexandre parlait de l'amour de Christ à son
escorte. Le capitaine et plusieurs des soldats
furent amenés au Seigneur. Dans toutes les
auberges où ses gardes s'arrêtaient,
Alexandre prêchait aussi et beaucoup de
personnes furent converties par ce moyen. La fin de
l'histoire de ce noble serviteur de Dieu est vite
racontée. Soumis à de cruelles
tortures à Paris, jusqu'à en
être estropié, il fut condamné
à être brûlé vif. Le
visage d'Alexandre était resplendissant de
joie à l'ouïe de cette sentence qui
allait le faire passer des tortures et des
blasphèmes des prêtres en la
présence de son Seigneur bien-aimé.
Il prêcha jusqu'à la dernière
minute. « Rétracte-toi ou tais-toi !
» lui cria un moine. « Je ne veux pas
renier Jésus, répondit le martyr;
arrière de moi, séducteur du peuple !
» En regardant ses cendres,
l'un des moines ne put s'empeser de dire: « Si
celui-ci n'est pas sauvé, qui le sera ?
»
Les prêtres de Genève
étaient à la recherche d'un
prédicateur pour remplacer le père
Furbity, car les Bernois, blessés par ses
discours contre les Allemands, exigeaient qu'il
restât en prison. Il y avait alors à
Chambéry un moine franciscain, nommé
Courtelier, qui jouissait d'une grande
réputation. Il fut invité à
venir prêcher le carême chez les
franciscains de Genève. Courtelier
désirait plaire à tout le monde; il
tint un langage mielleux, adressant force
compliments tant aux prêtres qu'aux
réformés. Il poussa la complaisance
jusqu'à essayer de prêcher
l'Évangile, mais il se contredisait à
chaque instant de la façon la plus
étrange; Farel se leva soudain et dit:
«Vous ne pouvez pas enseigner la
vérité, car vous ne la connaissez pas
! » Le moine, un instant surpris par cette
interruption, n'y répondit pas et continua
à débiter ses compliments. Les
Genevois ne s'y laissèrent pas prendre; ils
ne voulurent rien de cet homme qui leur parlait
sans cesse de leurs vertus et de leur
sainteté.
Les envoyés bernois
étaient mécontents de ne pouvoir
obtenir l'usage d'une église où Farel
pût prêcher; Le Conseil avait toujours
quelque excuse pour refuser. « Vous
prétendez, disaient les ambassadeurs, que
nos prédicateurs prêchent dans des
trous et des recoins comme des étables, eh
bien, donnez-nous une église; vous n'avez
pas besoin d'y aller, si cela ne vous convient pas,
mais chacun sera satisfait.
Un dimanche de mars 1534, le père
Courtelier venait de finir son sermon et les gens
allaient quitter l'église du couvent,
lorsque Baudichon se leva et annonça que
Guillaume Farel prêcherait ce même jour
dans cette même église, et qu'on
allait sonner les cloches pour en prévenir
le public. En effet, à la
stupéfaction des moines, Baudichon et ses
amis se mirent à sonner à toute volée
pendant une heure. Au même moment, les
Eidguenots s'emparaient d'un lieu appelé
l'auditoire du couvent, plus spacieux que
l'église. C'était une vaste cour
entourée de galeries, pouvant contenir
quatre à cinq mille personnes; elle se
remplit d'une foule immense d'Eidguenots et de
catholiques désireux d'entendre le fameux
prédicateur. A leur grand étonnement,
Farel parut dans son costume ordinaire, portant le
petit manteau espagnol et le chapeau à
larges bords des laïques.
Le sermon commença. Jamais ses
paroles pleines de vie et de puissance n'avaient
retenti sous les voûtes antiques du couvent.
Personne n'écouta avec plus d'attention
qu'un moine qui jusqu'alors avait été
un ennemi acharné de l'Évangile. Les
paroles de Farel lui semblaient venir du ciel
même; ce jour-là, Christ fit
pénétrer les rayons de son amour et
de sa grâce dans le coeur du franciscain. Il
se nommait Jacques Bernard et était le
frère de Claude Bernard, que nous
connaissons.
Le lendemain, les franciscains
allèrent se plaindre au Conseil des choses
étranges qui s'étaient passées
chez eux et malgré eux. Les Bernois
entraient au même moment dans la salle du
Conseil; ils intervinrent en disant: « Il y a
longtemps que nous vous demandons une
église, et celle-ci a été
donnée de Dieu sans que nous nous en soyons
mêlés. C'est le Seigneur
Lui-même qui a fait prêcher Farel dans
l'auditoire du couvent; .prenez garde de vous
opposer à Dieu. » Le Conseil comprit
qu'il valait mieux céder; les Bernois
allaient partir. « Nous vous recommandons nos
évangélistes, » dirent-ils aux
Eidguenots. A partir de ce moment, Claude Bernard
les prit chez lui, pensant qu'ils y seraient mieux
qu'à la Tête-Noire.
Il y avait aussi à Genève
des délégués de Fribourg; ils
exprimèrent leur vif mécontentement
de l'accueil fait à
Farel; puis, voyant que le Conseil ne pouvait ou ne
voulait pas arrêter les prédications
évangéliques, ils
déclarèrent rompue l'alliance entre
Fribourg et Genève. Les prêtres
perdirent ainsi leurs meilleurs amis et les
réunions évangéliques
devinrent toujours plus nombreuses.
Le clergé imagina alors
d'annoncer une apparition miraculeuse de la Vierge.
Elle s'était montrée vêtue de
blanc et avait ordonné une procession
solennelle à Genève et dans les
environs. Si cet ordre n'était pas
exécuté, la Vierge avait
révélé que la ville serait
engloutie; si, au contraire, on obéissait
promptement, les hérétiques
crèveraient par le milieu comme Judas. Les
Eidguenots, se souvenant de la farce des
écrevisses portant des chandelles, voulurent
s'assurer par eux-mêmes de l'identité
de cette « belle dame en blanc ». Ils
découvrirent que c'était la servante
d'un curé ~ Mais on eut beau
démasquer cette supercherie, les catholiques
crédules n'en firent pas mores leur
procession, pour laquelle des pèlerins
accoururent de toutes les parties de la Savoie. La
vue des images portées dans les rues avec de
la musique et de l'encens excita la colère
de quelques Eidguenots; ils allèrent pendant
la nuit briser des images dont ils jetèrent
les morceaux dans le puits de Ste-Claire. Aussi le
journal de la soeur Jeanne est-il, à cette
époque, rempli de récits lamentables.
« Le lundi de la Pentecôte,
écrit-elle, le père Furbity fut
tiré de sa prison pour venir discuter avec
le Satan Farel. Mais le révérend
père dit: S'il faut que je dispute avec ce
garçon, ce pauvre idiot Farel, je veux que
premièrement il soit tondu et rasé
afin de déloger sort maître le diable,
et alors je serai prêt à donner ma vie
si je ne puis vaincre tous les diables qu'il porte
comme conseillers; mais on n'en voulut rien
faire... et on le reconduisit dans sa prison, ce
qui était chose bien cruelle. Le vendredi
avant les Rameaux, ce maudit
Farel commença à baptiser un enfant
à leur maudite manière; il y assista
beaucoup de gens et même de bons
chrétiens pour voir comment cela se faisait.
Le dimanche de Quasimodo, le chétif Farel
commença à marier un homme et une
femme selon leur tradition, sans aucune
solennité ni dévotion.
Le dimanche de Miséricordia, une
dame riche, pervertie par l'erreur
luthérienne, vint au couvent de
Sainte-Claire, et ne pouvant garder son venin, elle
le vomit devant les pauvres religieuses, leur
disant que le monde avait été dans
l'erreur et l'idolâtrie et que nos
pères avaient mal vécu et avaient
été trompés parce qu'on ne
leur avait pas fait connaître les
commandements de Dieu. Incontinent la mère
vicaire lui dit:
Dame, ne voulons point ouïr tels
propos; si vous voulez deviser avec nous de notre
Seigneur et dévotion comme autrefois, nous
vous ferons bonne compagnie, sinon nous vous ferons
visage de bois... car, dit-elle, nous voyons bien
que vous avez bu le poison de ce maudit Farel. Mais
la dame continua ses piquantes paroles,
jusqu'à ce que la mère vicaire et sa
compagnie lui barrèrent la porte au nez.
Néanmoins, elle demeura longtemps à
parler au bois, disant que les soeurs
obéissaient au diable plutôt
qu'à Dieu.
Le jour de Sainte-Croix, qui
était un dimanche, un religieux de saint
François posa l'habit après le sermon
et le foula dédaigneusement aux pieds, ce
qui réjouit fort les
hérétiques. » Voilà
comment parlait et jugeait la pauvre nonne que les
aveugles conducteurs d'aveugles encourageaient dans
son péché et sa folie, quoiqu'ils
s'appelassent les prêtres de Dieu.
Un dimanche du mois de mai, après
le sermon, les croyants s'assemblèrent dans
l'auditoire pour rompre le pain. A leur grande
surprise, un prêtre s'avança vers la
table, revêtu de ses somptueux ornements, et commença
à les
ôter l'un après l'autre. Il jeta
à terre sa chape, son aube et son
étole, et parut vêtu comme un
laïque. "J'ai dépouillé le vieil
homme, dit-il, et me voici prisonnier du Seigneur
Jésus. Frères, je vivrai et je
mourrai avec vous, pour l'amour de
Jésus-Christ." Les
évangéliques pleuraient de joie, et
« le laïque » Farel tendit au
prêtre le pain et le vin, puis tous
bénirent le Seigneur de sa grâce et de
sa miséricorde. L'ecclésiastique
était Louis Bernard, frère de Jacques
et de Claude Bernard dont nous avons
parlé.
Dieu avait abondamment béni cette
famille; la petite fille de Claude,
âgée de sept ou huit ans, rendait
déjà témoignage à
Christ; les prêtres ne pouvaient
répondre aux textes qu'elle leur citait et
ils disaient que cette enfant était
possédée. Quel cercle heureux et
paisible devaient former les trois frères
Bernard, la femme de l'un d'eux, sa petite fille et
les trois évangélistes qu'il logeait
chez lui !
Peu après ces choses, arriva
à Genève un nouveau
réfugié français, Gaudet,
chevalier de Saint-Jean de Jérusalem. Puis
le petit cercle s'augmenta encore par le mariage de
Louis Bernard; il était devenu membre du
Conseil des Deux Cents, et il épousa une
veuve de bonne famille. Les prêtres et leurs
amis furent indignés. a Comment,
disaient-ils, ce prêtre a osé
épouser une femme ! >> « Ah !
répondaient les Eidguenots, vous criez parce
que Bernard s'est marié, et vous ne dites
rien quand les prêtres ont des femmes
illégitimes, vous trouvez cela tout naturel
! » Cela ne pouvait leur paraître
blâmable, puisque les papes donnaient
l'exemple. Cette même année-là,
le pape Clément, étant mort, fut
remplacé par Paul III qui, lorsqu'il
était cardinal, se déguisa en
laïque pour épouser une dame de
Bologne. L'auteur catholique déjà
cité dit qu'il avait deux enfants, un
garçon et une fille, et que ce
saint-père fut soupçonné
d'avoir empoisonné sa mère, sa soeur,
son fils et son beau-fils.
« C'était, dit le même auteur, le
monstre le plus affreux de son époque. Il
excitait sans cesse les rois de France et d'Espagne
à brûler les protestants. Comme on
demandait à ce pape de réformer les
abus du papisme; il chargea une commission,
composée de cardinaux et
d'évêques, d'indiquer les moyens
à employer. La commission s'en prit aux
papes eux-mêmes et demanda l'abandon de leurs
vices et de leurs crimes. Mais Paul III
déclara qu'il ne déshonorerait pas le
saint-siège en confessant les vices des
papes. Au contraire, il publia une bulle in Coena
Dominé, ordonnant de maudire, chaque
Jeudi-Saint, tous ceux qui parlaient contre les
droits et les privilèges du siège
pontifical. " Voilà, d'après
l'histoire, le bon exemple que la
chrétienté recevait de son chef.
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