Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XLV

Troisième attaque.

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Le pauvre jeune homme n'était pas bien loin des murs de l'inhospitalière cité lorsqu'il s'arrêta... Il ne voyait point, comme Balaam, une épée nue sur son chemin, mais il lui sembla que le Seigneur lui barrait le passage; revenant sur ses pas, il rentra dans l'hôtel et monta s'enfermer dans la chambre qu'il venait de quitter. Il appuya la tête sur ses mains et demanda au Seigneur ce qu'II voulait de lui.
Pendant qu'Antoine priait, le Saint-Esprit lui rappela ce verset: "Je te mènerai dans le chemin par lequel tu dois marcher... " Puis les paroles de Farel lui revinrent soudain à la mémoire: « Je me fis maître d'école à Aigle et j'enseignais les petits enfants. »
Ce fut comme un trait de lumière pour Froment ! Il avait voulu être quelque chose, il avait été blessé de ce que les Eidguenots ne l'avaient pas reçu comme un grand prédicateur et de leur mépris pour son apparence chétive. Il ne s'était pas contenté de commencer petitement et en recevant sa tâche de Dieu sans s'appuyer sur les hommes. Maintenant il comprenait ce qu'il devait faire.
Il demanda à un Genevois, dont il avait fait la connaissance dans la rue, s'il pouvait lui indiquer une salle à louer pour une école. « Il y a une grande et belle salle à la Croix-d'Or », répondit son nouvel ami, qui offrit de l'y conduire. Froment loua cette salle, puis il retourna à l'hôtel et de sa plus belle écriture il rédigea l'avis suivant: « Il est venu un homme en cette ville, qui veut enseigner à lire et à écrire en français, dans un mois, à tous ceux et celles qui voudront venir, petits et grands, hommes et femmes, même ceux qui jamais ne furent en école. Et si dans ledit mois ils ne savent lire et écrire, ne demande rien de sa peine. Lequel ils trouveront en la grande salle de la Croix-d'Or. Et là on guérit beaucoup de maladies pour néant "(gratis). Antoine fit plusieurs copies de cet avis et alla lui-même. les afficher dans les endroits les plus fréquentés. Beaucoup de gens s arrêtèrent à les lire; quelques-uns avaient envie d'aller à cette nouvelle école, mais les prêtres flairaient de l'hérésie. « C'est un diable, disait l'un d'eux, debout au milieu du groupe qui discutait l'un des placards, ceux qui vont prendre ses leçons sont immédiatement ensorcelés. » Malgré cet avertissement, un certain nombre de filles et de garçons parurent dans la salle où Froment attendait les écoliers.

Quand les leçons furent finies, il ouvrit ton Nouveau Testament et leur en lut une portion qu'il expliqua clairement et avec simplicité. Puis il demanda à ses élèves sels avaient des malades dans leurs familles et leur donna des simples inoffensifs à emporter.
Ces enfants racontèrent chez eux ce qu'ils avaient entendu; enchantés de leur maître, ils pressaient leurs camarades et même les grandes personnes de venir à la Croix-d'Or. Bientôt toute la ville eut entendu parler de l'école du jeune Français, enfin les parents de ses élèves se décidèrent à aller aussi l'entendre

Ce furent d'abord des Eidguenots qui espéraient que Froment parlerait contre la messe et les prêtres. Ils s'assirent derrière les enfants en attendant la fin des leçons; outre la lecture et l'écriture promises par l'annonce, Froment enseignait l'arithmétique.
Enfin la petite exhortation commença: Antoine lut une histoire de la Bible, en ayant soin d'expliquer tous les mots difficiles. Ensuite il adressa quelques paroles simples et affectueuses à ses auditeurs, leur donnant le message de paix et de grâce. Tous les yeux étaient rivés sur lui tandis qu'il parlait, et en s'en allant les Eidguenots se dirent que jamais ils n'avaient entendu un pareil enseignement: pas un mot des prêtres, mais beaucoup de Jésus-Christ.
Ceux qui l'avaient entendu le racontèrent à leurs amis.

Bientôt la grande salle se remplit d'hommes, de femmes, d'enfants; ils arrivaient longtemps avant l'heure pour être sûrs d'avoir de la place. Dans leur zèle, ils oubliaient le duc de Savoie et l'évêque. Chacun ne parlait que de cette merveilleuse école. « Que c'est différent des discours de nos prêtres I disait-on. Ceux-ci gazouillent les choses les plus sacrées d'une manière profane; leur prédication est pleine de belles paroles et d'affectation, mais ils n'ont aucun respect pour Dieu. » Le clergé commença à s'alarmer; les prêtres répétèrent partout qu'Antoine était un sorcier; ils criaient derrière les gens qui sortaient de la salle de la Croix-d'Or: « Voilà les possédés qui passent I » Mais ils auraient aussi bien pu commander au vent de s'arrêter. Chaque jour l'auditoire de Froment devint plus nombreux, et beaucoup de gens s'en retournaient louant et bénissant Dieu de leur avoir révélé cet amour qui surpasse toute connaissance.

Guérin, le fabricant de bonnets, commença à prêcher lui-même la bonne nouvelle, après avoir fait une confession publique de sa foi en Christ. Vers la fin de novembre, il reçut une lettre de Farel qui avait appris sa conversion. Le réformateur écrivait:
« Grâce, paix et miséricorde vous soient données par Dieu notre Père miséricordieux et par le seul Sauveur et Rédempteur Jésus ! Mon très cher frère, nous sommes tous grandement réjouis qu'il vous en soit advenu selon nos désirs. Nous espérons que le Père qui vous a amené où vous en êtes achèvera son oeuvre en vous. Il vous reste à poursuivre comme vous avez commencé, en toute force, vigueur et diligence, en toute douceur, science, sagesse, gardant la Parole du grand Maître qui a dit: Soyez prudents comme serpents et simples comme colombes. Soyons vrais imitateurs du Sauveur qui prit les enfants entre ses bras si aimablement, tandis qu'II appelle celui qui avait été auparavant loué et approuvé, un Satan, parce qu'il ne comprenait pas les choses de Dieu, mais seulement celles des hommes. Ainsi faites-vous tout à tous, soyez grand avec les grands, petit avec les petits, faible avec les faibles, afin de les gagner tous. Et comme vous enseignez à tous à mettre leur fiance en Dieu, par-dessus tout, montrez que vous le faites vous-même et qu'en toutes choses vous vous attendez à la très grande puissance du Seigneur, qui fera bien en tout si seulement on se remet simplement à Lui... Il faut que le scandale de la croix triomphe et que les adversaires soient connus, mais notre Seigneur le fera en son temps, car Il veut avoir l'honneur de tout, et moins il y a de secours humains, plus Dieu travaille. Car II veut que nous procédions avec grande crainte de Lui, sans regarder à l'homme. Je suis assuré que les pauvres tonsurés (les prêtres) n'ont travaillé qu'à leur propre ruine dans tout ce qu'ils ont fait... mais mon coeur s'efforce de faire du bien et non du mal à personne, selon le commandement du Seigneur. Ayons un peu de patience et continuons à avoir fiance en Dieu, et bientôt nous verrons la délivrance du Père. Mon très cher frère, tâchez, je vous prie, d'enseigner comme si vous deviez rendre raison à chacun des mots et même des lettres, vous servant des propres paroles de la sainte Écriture, fuyant non seulement les phrases et façons de parler qui ne sont pas dans les Écritures, mais aussi les mots que l'Écriture n'emploie pas, sans vous inquiéter de ce que tel ou tel s'en sert... La bénédiction, la grâce, la paix et la miséricorde de Dieu soient sur vous. »


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CHAPITRE XLVI

Une dame ensorcelée.

 

Plusieurs des Eidguenots, il faut l'avouer, soutenaient Froment seulement dans l'espoir qu'il les débarrasserait de la tyrannie des prêtres. Néanmoins, beaucoup de pécheurs étaient amenés des ténèbres à la lumière et du pouvoir de Satan à Dieu.
Les prêtres et les moines, de plus en plus irrités, allaient de maison en maison, avertissant les gens; ils les haranguaient sur les marchés et dans les rues. « Qu'est-ce que ce petit insensé peut savoir ? disaient-ils, il n'a que vingt-deux ans et c'est un diable. » « Cet insensé, répondait le peuple, vous apprendra à être sensés, ce diable chassera le diable dont vous êtes possédés. »

Tous les jours dé nouvelles âmes étaient sauvées, car Dieu faisait alors à Genève une oeuvre merveilleuse. Sa puissance s'accomplissait dans l'infirmité d'Antoine.

Un jour, on vit arriver dans la salle de la Croix-d'Or, deux dames. L'une avait l'air grave et doux, le maintien modeste; l'autre, au contraire, resplendissait d'ornements et de bijoux; en outre, elle était couverte de croix et de rosaires. Si nous sommes de vrais chrétiens, c'est par la crois de Christ que nous sommes crucifiés au monde et le monde à nous. Cependant, on voit fréquemment des croix d'or, d'argent, de bois, de pierre, mêlées aux parures mondaines. Ainsi accoutrée, cette dame vint se placer en face du prédicateur, qu'elle regardait d un air de dérision et de moquerie. Son amie se plaça modestement près d'elle.

Froment était monté sur une table, comme il le faisait toujours pour être mieux entendu. Il avait à la main un livre dont il lut quelques paroles, puis il commença à les expliquer. Pendant ce temps, la dame aux pompeux atours faisait le signe de la croix en marmottant des Ave et des Pater. Mais Antoine continua son exhortation sans s'en inquiéter; il parla de l'amour de Dieu qui avait donné son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle. Il annonça le pardon gratuit et le salut parfait qui sont offerts à toute âme fatiguée et chargée qui vient à Christ.
Peu à peu, l'expression de moquerie de la dame disparut; ses yeux étaient comme rivés sur le prédicateur, et cependant elle ne l'entendait pas même; c'était une autre voix qui lui parlait, celle du ciel qui se fait entendre aux morts et les réveille pour la vie éternelle. Quel était donc ce livre dans lequel le prédicateur avait lu des paroles si merveilleuses qu'elles semblaient procéder de la bouche même de Dieu ?
Le sermon était terminé; les enfants et les grandes personnes s en allèrent; seule la dame ne bougea pas de sa place. Froment descendit de sa chaire improvisée. « Est-ce vrai, tout ce que vous avez dit là ? » lui demanda soudain l'étrangère. « Oui, madame, » répondit Antoine. « Ce livre est-il vraiment le Nouveau Testament ? » « Oui. » « Est-ce qu'il y est question de la messe ? » « Non, madame. » « Voulez-vous me le prêter ? » demanda la dame après un instant d'hésitation.
Froment le lui confia volontiers; elle le cacha soigneusement sous son manteau et partit avec sa compagne.

En route, les deux amies échangèrent à peine un mot, et quand la belle dame fut arrivée chez elle, elle monta droit à sa chambre et s'y enferma, seule avec le Livre. Elle défendit à sa famille de l'attendre pour les repas ni de la déranger sous aucun prétexte.
Trois jours et trois nuits se passèrent ainsi; la dame ne mangeait ni ne buvait, mais elle lisait le Nouveau Testament et priait. Au bout de trois jours, elle sortit de sa retraite, en disant: « Le Seigneur m'a pardonné et m'a sauvée, Il m'a donné l'eau vive. »

Claudine Levet, tel était son nom, demanda ensuite à voir Froment pour lui déclarer ce que le Seigneur avait fait pour son âme. On envoya un messager le chercher; quand il arriva, elle se leva pour le recevoir, mais elle ne put parler. « Ses larmes, dit Froment, tombaient sur le plancher. » Enfin elle put inviter son visiteur à s'asseoir et lui dit comment Dieu avait ouvert le ciel à une pécheresse comme elle et l'avait sauvée par le précieux sang de son Fils. Il l'écoutait plein de joie et d'étonnement. Claudine lui raconta aussi comment elle avait été amenée à la Croix-d'Or par sa belle-soeur, Paula Levet, qui l'avait longtemps suppliée en vain de venir, car Claudine craignait d'être ensorcelée. Les prêtres avaient dit que ceux qui allaient entendre Froment étaient, non seulement ensorcelés, mais encore damnés. Enfin, par amitié pour Paula, Claudine céda à ses instances; mais avant de se risquer chez le sorcier, elle appliqua sur ses tempes du romarin fraîchement cueilli, se frictionna la poitrine avec de la cire vierge et suspendit à son cou tout ce qu'elle possédait en fait de reliques, de croix et de chapelets. Elle espérait ainsi, tout en échappant aux enchantements du prédicateur, pouvoir mieux réfuter Paula après l'avoir entendu elle-même. « Et maintenant, continua-t-elle, comment pourrais-je jamais bénir assez le Seigneur de ce qu'II m'a ouvert les yeux ! »
Le lendemain, Claudine quitta ses atours et revêtit un costume modeste et simple. Puis elle vendit ses bijoux, ses dentelles et tous ses ornements; l'argent qu'elle en retira fut consacré aux pauvres, surtout aux enfants de Dieu qui venaient de France se réfugier à Genève à cause des persécutions. Claudine Levet ouvrit sa maison à ces pauvres exilés et rendit un humble mais fidèle témoignage de ce que le Seigneur avait fait pour elle.

Ses amies furent aussi surprises que contrariées d'un tel changement. Lorsqu'elles se rencontraient, elles ne pouvaient d'abord que parler de cette mystérieuse transformation. « Hélas I se disaient-elles, comment se fait-il qu'elle ait été changée en si peu de temps ? Nous l'aimions tant, et voilà qu'elle s'est perdue. C'est qu'elle a entendu ce chien qui lui a jeté un sort ! » Finalement, elles se décidèrent à ne plus aller voir Claudine.

Mais celle-ci ne se découragea pas; elle se montra désormais modeste, douce et bienfaisante. Ses amies. qui l'observaient de loin, se demandaient si, en changeant, Claudine n'avait point choisi la bonne part. Bientôt elles revinrent la visiter. Claudine leur parla avec affection et humilité et leur donna des Nouveaux Testaments. Peu après, Dieu bénit' les efforts de sa servante, qui eut la joie de voir ces mêmes dames, autrefois si indignées contre elle, déposer aussi leurs beaux atours, recevoir l'Évangile et se consacrer aux pauvres et aux malades.

Il est facile d'admirer ces transformations-là chez notre prochain, surtout si ceux dont il est question ont vécu il y a plusieurs siècles. Mais sommes-nous prêts à faire de même ? Les habits somptueux, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie sont du monde et non pas de Dieu, aussi bien au XXe siècle qu'au XVIe. Il y a des églises où l'on prononce le voeu solennel de renoncer au monde et à ses pompes. Il y en a où ces engagements se prennent au nom de petits enfants qui sont habillés pour la circonstance dans des robes baptismales dont le prix aurait suffi à vêtir chaudement dix ou vingt petits déguenillés qui grelottent de froid. Lorsque ces mêmes enfants sont devenus grands, ils ratifient les engagements pris en leur nom, juste à l'époque où ils se proposent de faire leur entrée dans le monde. Est-il possible qu'il s'agisse de ce même monde auquel ils viennent de renoncer par serment ? Nous voyons dans le sixième chapitre de la seconde épître aux Corinthiens qu'il est question de sortir du monde et non pas d'y entrer, car si nous voulons être les amis du monde, il nous faudra être les ennemis de Dieu.

Les Testaments distribués par Claudine avaient été envoyés par Farel avec des livres et des traités imprimés aux frais de ses amis de Lyon. Ces Nouveaux Testaments étaient de la version de Faber, la seule qu'on eût alors. Aimé Levet, le mari de Claudine, fut d'abord très mécontent des nouvelles opinions de sa femme, mais la douceur et la docilité de Claudine l'amenèrent à désirer de lire la Bible lui-même. Il alla aussi entendre la prédication de Froment et crut en Jésus-Christ.

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