Farel, laissant de côté les bois et
les sentiers solitaires, se dirigea directement sur
Genève. L'antique cité lui tenait
à coeur depuis longtemps; comme
Neuchâtel, Orbe et Grandson, Genève
devait être «prise pour Christ».
Depuis plusieurs années Farel y pensait, et
le moment était venu de commencer
l'attaque.
Mais avant de raconter l'arrivée
du serviteur de Dieu à Genève, il est
nécessaire de donner quelques détails
sur l'histoire antérieure de cette
ville.
Genève était une ville
franche, possédant un petit territoire et
ayant appartenu autrefois aux empereurs
d'Allemagne. Environ quatre cents ans avant
l'arrivée du réformateur,
Genève avait obtenu son indépendance,
et depuis lors elle vivait sous deux chefs, le
comte du Genevois et le prince-évêque.
Ces deux gouverneurs, jaloux l'un de l'autre, se
disputaient sans cesse. Genève avait un
dangereux et puissant voisin dans la maison de
Savoie, qui profitait des dissensions entre le
comte et l'évêque pour prendre peu
à peu de l'influence dans la ville. Les ducs
de Savoie désiraient s'emparer de
Genève qui les tentait comme la vigne de
Naboth tenta le roi Achab. En prenant le parti de
l'évêque dans une de ses querelles
avec le comte, ils réussirent à se
débarrasser complètement de ce
dernier. Mais en suite les ducs eurent plus de
peine à supplanter l'évêque;
l'an 1434, Amédée VIII de Savoie
abdiqua en faveur de son fils aîné et
se fit ermite. Peu de temps après, le
concile de Bâle fit du nouvel ermite un pape sous
le nom de Félix V.
Il y avait deux papes à ce moment-là;
Félix s'empressa de se faire
évêque de Genève, sous
prétexte que le droit de choisir les
évêques appartient aux papes. Il dut
bientôt abandonner la tiare, mais il resta
évêque de Genève, et quand il
mourut, son petit-fils Pierre, qui avait huit ans,
lui succéda. Cet enfant ne vécut pas
longtemps; il fut remplacé par son
frère François; pendant tout ce
temps, les ducs de Savoie eurent Genève
entre les mains comme un patrimoine de famille.
Mais lorsque l'évêque François
mourut, il ne se trouva point d'autre moulure de la
maison de Savoie à mettre à sa place,
et le siège épiscopal fut donne
à un étranger qui se déclara
l'ennemi du duc. Les princes de Savoie, regrettant
l'autorité qu'ils avalent eue à
Genève, eurent des dispute continuelles avec
l'évêque pendant treize ans, de 1500
à 1513. Peu a peu, il se forma à
Genève un troisième parti qui ne
voulait plus du duc ni de l'évêque, et
qui désirait que la ville devînt une
cité libre.
En 1513, le duc de Savoie obtint du pape
Léon X qu'il donnât
l'évêché de Genève
à un fils de l'évêque
François, nommé Jean. C'était
un homme maladif et faible dont le duc
espérait se faire un instrument docile. Le
pape, désirant beaucoup le mariage de son
frère, Julien de Médicis, avec la
soeur du duc de Savoie, consentit à donner
en échange l'évêché de
Genève au misérable Jean. C'est ainsi
que s'arrangent les affaires dans la « sainte
Eglise catholique ».
Les Genevois furent très
mécontents de se retrouver sous la
domination d'un prince de Savoie; la tyrannie de
l'évêque Jean, homme lâche et
cruel, les fit d'autant plus soupirer après
la liberté. Quelques-uns des citoyens de
Genève se décidèrent à
demander du secours à Berne et à
Fribourg; ils espéraient que les Suisses,
tenant à la liberté pour
eux-mêmes, seraient disposés à
défendre les opprimés. Les citoyens
genevois firent aux Suisses le
récit des crimes et des exactions de Jean,
se plaignant amèrement de la tyrannie de la
maison de Savoie. Les Suisses promirent alliance et
protection à Genève, mais ces
promesses n'eurent pas un résultat
immédiat; pour le moment, elles ne firent
qu'irriter le prélat savoyard.
Ceux qui avaient demandé
l'alliance des cantons suisses gardèrent le
surnom d'Eidguenots, corruption du mot allemand
« Eidgenossen » qui veut dire: uns par
serment. Les Eidguenots formaient un parti
politique, ils étaient catholiques, et s'ils
avaient quelques aspirations vers
l'Évangile, c'est qu'ils espéraient
obtenir la liberté par son moyen.
Quelques-uns d'entre eux, ne tenant guère au
clergé, se seraient volontiers passés
de tous les prêtres; d'autres étaient
encore sincèrement catholiques, mais tous
étaient d'accord pour détester
l'évêque Jean. Cet état de
choses ne rendait pas la conversion des Genevois
plus probable ou plus facile. Au contraire, un
évangéliste a moins de peine avec des
ennemis déclarés, mais
sincères, qu'avec les gens qui croient
trouver dans l'Évangile un moyen
d'améliorer leur condition ici-bas. Si
étrange que cela puisse paraître, la
dame d'Arnex et les moines de Grandson
étaient · plus près du salut que
les Eidguenots. Ceux-ci auraient permis la
prédication que les moines
défendaient, non par amour de la
vérité, mais parce que les
intérêts des Genevois et leur
liberté y auraient gagné. Ne
sommes-nous pas toujours prêts à
soutenir ce qui nous procure des avantages dans ce
monde ? Des livres évangéliques et
quelques chrétiens avaient
déjà pénétré
dans Genève à cette
époque.
En 1522, Jean de Savoie mourut des
suites de son inconduite; son successeur fut Pierre
de la Baume. Ce nouveau prélat, nous dit
Bonnard, « était fort superbe et ne
s'élevait pas par noblesse de vertu, mais
par celle de sa race, et pour
entretenir cet état il lui fallait faire
grande pompe. Il estimait que c'était
souverain mente chez un prélat de tenir gros
plat et viande à table, avec toutes sortes
de vins excellents, et quand il y était il
s'en donnait jusqu'à passer trente et un.
C'était aussi un grand amateur de chevaux,
voulant chevaucher et tenir en même temps un
autre cheval par la bande, voulant en lui imiter le
cardinal de Sion, qui avait été
estimé l'homme le plus habile de son temps.
Il voulait lui ressembler en finesse, ne le pouvant
en vertu, car le cardinal était savant
ès-lettres et si éloquent qu'il
pouvait rendre raison de tout ce qu'il faisait.
L'évêque était tout le
contraire; ce que le cardinal faisait de sens
rassis, celui-ci le faisait après boire Il
entreprenait une affaire avant dîner, et
après dîner il en faisait une toute
contraire. »
Tel fut le nouveau pasteur de
Genève. Le duc de Savoie et les Eidguenots
ne voulaient pas plus de lui les uns que les
autres. Les nobles de Genève étaient
jaloux de son pouvoir; il finit même par se
brouiller avec son clergé en voulant
complaire au parti eidguenot. Toute l'histoire de
son épiscopat ne présente qu'une
série d'efforts pour s'allier tantôt
à la maison de Savoie, tantôt avec les
Eidguenots, les nobles, les prêtres et
même les Suisses; il espérait toujours
qu'un de ces divers partis le défendrait
contre les autres. De cette façon, il les
irrita tous et eut à les combattre tous.
Enfin, en 1527, Genève fut
débarrassée, sinon de là
domination, au moins de la présence de
Pierre de la Baume.
Le bruit se répandit un jour que
l'évêque avait fait enlever par ses
gens une jeune fille appartenant à une
famille respectable, et refusait de la rendre
à sa mère. Il se forma aussitôt
un attroupement devant les portes du palais
épiscopal; les Eidguenots frappèrent
à coups redoublés, demandant qu'on
leur ouvrît. Mais monseigneur était
à dîner et ne voulait pas être
dérangé. Alors on alla chercher les
magistrats, auxquels les domestiques
n'osèrent pas refuser la porte. Ils
trouvèrent l'évêque tremblant
de peur et l'obligèrent à rendre la
jeune fille qui avait été prise,
dit-il, pour servir de payement à un
musicien.
Toute la ville fut remplie d'indignation
contre Pierre de la Baume; le duc pensa que
c'était un moment favorable pour s'emparer
de lui, puisque personne ne voulait le
défendre. Mais l'évêque, averti
du complot, monta à cheval et se sauva en
Bourgogne, où il avait un château.
Trop contents de se débarrasser de lui, les
Eidguenots favorisèrent sa fuite. Pierre de
la Baume passa les années suivantes à
intriguer du fond de sa retraite pour rentrer en
possession de son diocèse. Il en appelait au
duc, à Charles-Quint et au pape. Il
écrivait des remontrances aux Genevois, qui
ne s'en inquiétaient guère et
accueillaient l'Évangile pour le tenir
à distance. Le prélat n'était
pas leur seul ennemi, ils avaient sans cesse
à se défendre contre le duc de
Savoie. Dans leur péril, ils faisaient appel
aux Suisses, surtout aux Bernois. Ceux-ci soutenant
l'Évangile, les Eidguenots y virent un
nouveau motif d'accueillir les prédicateurs.
Certes leurs mobiles n'étaient pas
élevés, mais il ne faudrait pas les
accuser d'hypocrisie, ils ne connaissaient pas
l'Évangile et n'y voyaient qu'un moyen de
rendre les gens heureux dans ce monde.
Besançon Hugues était
à la tête des Eidguenots restés
catholiques. Baudichon de la Maisonneuve
était l'homme influent du parti
opposé, qui penchait vers
l'Évangile.
L'évêque avait
chargé un vicaire de prendre soin de son
troupeau; ce vicaire était entouré de
sept cents prêtres formant un puissant parti
qui n'était nullement eidguenot.
Besançon Hugues et ses amis en voulaient
plutôt au duc qu'à
l'évêque, mais Baudichon et les vrais Eidguenots
ne
voulaient
plus ni du duc, ni du prélat, ni des
prêtres.
Le bruit de ces dissensions parvint
souvent aux oreilles de Farel, à
Neuchâtel, à Orbe ou à
Grandson. Il désirait beaucoup se rendre
à Genève, et toutefois il ne se
faisait pas d illusions: il savait que la
majorité des Eidguenots n'accueillerait la
Vérité que par intérêt
terrestre, mais on l'informait aussi qu'il y avait
des. âmes altérées de
l'Évangile.
Dans ses lettres à Zwingli,
Guillaume exprime sa sollicitude pour le salut des
Genevois; "le Seigneur seul connaît la
profondeur de leurs sentiments" disait-il, mais il
en savait assez pour croire qu'un champ de travail
se préparait dans cette ville. Farel ne
pouvait quitter son oeuvre pour aller à
Genève; personne ne voudrait-il y aller
à sa place ? On n'a pas oublié le
jeune Pierre Toussaint qui reprochait si
dédaigneusement à Faber d'être
timide. Il venait d'arriver à Zurich. Farel
écrivit à Zwingli, le suppliant
d'envoyer Pierre Toussaint a Genève. Zwingli
fit de son mieux pour le décider à
partir tout de suite, mais Toussaint eut peur des
Genevois et refusa. Ce fut un amer
désappointement pour Farel; il se tourna
vers le Seigneur, qui ne lui faisait jamais
défaut. « Christ, dit-il, range ton
armée en bataille selon ton bon plaisir!
Chasse la paresse du coeur de ceux qui doivent te
glorifier et réveille-les vivement de leur
sommeil. »
Mais Genève dut attendre le
secours quelque temps encore; le moment que Dieu
avait choisi n'était pas arrive. Il voulait
d abord approfondir l'oeuvre dans les coeurs de
ceux qui avaient déjà reçu
Christ. Farel intercédait pour cette ville
par de ferventes prières à
Dieu.
Ce qui précède explique
les événements qui suivirent le soir
ou Farel et Saunier firent leur entrée dans
l'antique Genève. Pour se rendre compte des
causes de la haine et de
l'exaspération des Genevois contre le duc et
l'évêque, il faudrait lire la liste de
leurs crimes et de leurs cruautés. L'espace
ferait défaut pour la donner et d'ailleurs
elle ne serait pas édifiante. Les Genevois
disaient de leur évêque qu'il ne
songeait pas plus à la vie à venir,
que s'il était une vache ou un cheval.
Lorsque Farel arriva, de la Baume était
toujours réfugié en Bourgogne et s'y
trouvait bien, car, disait-il, le vin y est
meilleur qu'à Genève.
Par une belle journée d'automne,
le 2 octobre 1532, Farel et Saunier
arrivèrent en vue des tours de la
cathédrale de Genève. Ils
allèrent loger à une hôtellerie
nommée la Tour Perce. A peine arrivé,
Farel alla porter aux chefs eidguenots des lettres
de Berne. Grande fut leur joie en apprenant que le
porteur de ces missives était le
célèbre Farel. Que de fois
n'avaient-ils pas entendu parler de ce merveilleux
prédicateur dont la voix de tonnerre avait
renversé le papisme à Aigle, à
Morat, à Neuchâtel, à Orbe et
à Grandson, dans les villes et les
campagnes, au près et au loin ! A leurs
yeux, Farel était l'auteur de cette
révolution religieuse; l'homme naturel ne
comprend pas que toute puissance vient de Dieu, et
que si le St-Esprit ne vient habiter en nous, nous
ne pouvons devenir les témoins de Christ sur
la terre. Les Eidguenots reçurent donc Farel
avec une grande joie; tous désiraient
l'entendre et le bruit se répandit en ville
que « le fléau des prêtres
était arrivé. » Une nonne du
couvent de Sainte-Claire, la soeur Jeanne de
Jussie, dont nous citerons plusieurs fois les
écrits, mentionne l'arrivée de Farel
en ces termes: « Au mois d'octobre vint
à Genève un chétif malheureux
prédicant, nommé maître
Guillaume, natif du Dauphiné. »
Le matin suivant, les Eidguenots
arrivèrent l'un après l'autre
à la Tour Perce; il y avait parmi eux les
principaux citoyens de Genève. Farel les
reçut avec courtoisie;
ils lui racontèrent combien ils soupiraient
après la liberté et les enseignements
bibliques, ajoutant qu'ils seraient contents te
n'avoir plus ni pape ni prêtres. Le pape
était un tyran et les prêtres des
hommes dépravés.
Farel remarqua que les bourgeois de
Genève ne pensaient pas avoir
eux-mêmes besoin de l'Évangile, et ne
se sentaient nullement des pécheurs
coupables et. perdus. «Leur seule idée
de la religion, dit-il plus tard, c'est de manger
de la viande le vendredi et de crier contre les
prêtres. Or Farel n'était point venu
chez les Genevois pour les débarrasser du
pape et de la Savoie, mais pour les affranchir du
joug de Satan et d'eux-mêmes ! « Vous
aurez besoin vous-mêmes de l'Évangile,
leur dit le courageux serviteur de Dieu. Il y a une
liberté pour l'âme que Christ donne et
Il m'a envoyé pour vous le dire. » Les
Genevois ne se fâchèrent point; ils
répondirent qu'ils avaient besoin
d'être instruits et qu'ils étaient
prêts à l'écouter. L'hôte
apporta des bancs et des escabeaux. Farel se tint
debout derrière une table sur laquelle il
mit une Bible.
« C'est un livre, dit-il, ce livre
seul qui pourra vous enseigner à
connaître Jésus-Christ. C'est une
chose légitime que de s'affranchir de la
tyrannie dans les choses terrestres, mais c'est une
chose nécessaire d'avoir la liberté
dans les choses célestes, de fermer
l'oreille aux papes, aux prêtres, aux
conciles et de n'écouter que Dieu parlant
par sa Parole. »
Farel leur prêcha avec
simplicité et ils l'écoutèrent
attentivement. Puis les Eidguenots se
levèrent pour s'en aller, après
l'avoir remercié. En retournant chez eux ils
se disaient l'un à l'autre: « Nous ne
devrions avoir pour maître ni
l'évêque, ni le duc, pi saint Pierre
lui-même, mais Jésus-Christ seul.
»
On avait annoncé une seconde
réunion pour le même jour; cette
nouvelle remplit les prêtres et les chanoines de
crainte et de chagrin.
Farel
était tombé au milieu d'eux comme la
foudre. Que faire !
« Ce malheureux prédicant,
écrit la soeur Jeanne, commença
à prêcher en son logis, en une
chambre, secrètement; il y allait un grand
nombre de gens qui étaient avertis de sa
venue et déjà infestés de son
hérésie » En effet, la seconde
réunion fut encore plus nombreuse que la
première. Le matin, Farel avait surtout
parlé de l'autorité des Ecritures,
qui doivent faire loi pour nous; cette fois il
annonça la grâce de Dieu, le pardon
gratuit pour les pécheurs, donné non
par un prêtre; mais par Dieu lui-même.
« Les prêtres, dit-il, bâtissent
avec du foin et du chaume sur le fondement de
Dieu,- mais le Seigneur édifie avec des
pierres vivantes, les âmes qu'II a
sauvées complètement et à
toujours. Noue salut n'est pas dû en partie
à nos jeûnes, nos prières et
nos pénitences. Non, c'est Christ qui
accomplit toute l'oeuvre, Lui et personne d'autre.
»
Après la réunion,
plusieurs bourgeois prièrent Farel de venir
dans leurs maisons, leur expliquer les
Écritures. Ils commençaient à
entrevoir que la bonne nouvelle ne se rapportait
pas uniquement au bonheur d'ici-bas. Peu à
peu Christ se révélait à eux
et ils désiraient le mieux connaître.
Parmi les auditeurs les plus sérieux, il y
avait un fabricant de bonnets, nommé
Guérin, dont nous entendrons encore
parler.
Mais d'autres Genevois, excités
par leurs femmes et par les prêches,
arrivèrent remplis de colère à
la Tour Perce et ordonnèrent à Farel
de quitter la ville sur le champ. Les rues
étaient pleines de prêtres qui
s'efforçaient de provoquer une
émeute. Les magistrats, inquiets de cette
agitations citèrent Farel et Saunier devant
eux à l'Hôtel-de-Ville, pour
répondre de leur conduite. La plupart
d'entre eux n'était ni pour ni contre
l'Évangile; ils ne voulaient pas offenser le
clergé et encore moins les Bernois. Lorsque Farel
entra dans la
salle du Conseil, tous les regards se
tournèrent avec curiosité vers cet
homme qui avait la réputation d'avoir mis la
contrée en feu des Alpes au Jura. "C'est
donc vous, lui dit un des magistrats, qui parcourez
le monde pour soulever des rebellions partout. Vous
êtes un fauteur de troubles et vous
n'êtes venus ici que pour faire du mal. Nous
vous ordonnons de quitter la ville à
l'instant."
Farel répondit avec calme: "Je
n'excite pas à la rébellion, je ne
fais que prêcher la vérité;
j'offre de prouver la vérité de ce
que je prêche. Je suis prêt à
sacrifier non seulement mon bien-être, mais
encore mon sang jusqu'à la dernière
goutte". Ceux des magistrats qui étaient des
Eidguenots écoutaient Farel avec admiration
et parlèrent en sa faveur; ensuite Farel
présenta des lettres de Messieurs de Berne,
recommandant le réformateur à leurs
bons amis et alliés de Genève La vue
de ces lettres fit changer de sentiment au Conseil.
On se borna à prier les deux
prédicateurs de ne pas troubler la
tranquillité publique, puis on les laissa
aller.
Mais un conseil d'un autre genre se
tenait pendant ce temps chez le vicaire de
l'évêque; il avait rassemblé
les prêtres en toute hâte. As
hérétiques dont ils entendaient
parler depuis des années étaient
enfin arrivés au milieu d'eux I Que
fallait-il faire ? Le vicaire n'était pas
très disposé à se mettre en
avant; plusieurs des prêtres le trouvaient
faible et timide.
« Non seulement les
prédicants doivent être punis,
disaient-ils, mais encore tous ceux qui les ont
reçus dans leurs maisons et qui veulent se
mettre à vivre autrement que leur
évêque et leurs pasteurs ne le leur
ont enseigné. »
« Il ne faut condamner personne
sans l'entendre, » objecta le vicaire.
« Si nous discutons, tout sera
perdu, répondit un des prêtres, ce
serait reconnaître par-là que le
peuple a le droit de juger les enseignements de
l'Église. >>
La plupart des membres du clergé
dirent qu'il ne fallait pas entendre la
défense de Farel, mais le condamner sans lui
donner l'occasion de parler.
Cependant quelques prêtres
insistèrent pour qu'on demandât
à Farel de venir leur expliquer chez le
vicaire ce qu'il avait prêché à
la Tour Perce. Leur projet, comme celui des Juifs
envers Paul, était de le tuer s'il se
rendait à leur invitation. Ils
s'étaient promis que si
l'évangéliste entrait chez le
vicaire, il n'en sortirait pas vivant. La soeur de
Ste-Claire nous raconte ce complot dans son
journal, elle n'y voyait aucun mal et pensait au
contraire que ce serait une chose agréable
à Dieu
Un Messager fut donc envoyé
à la Tour Perce pour prier Farel et Saunier
de venir expliquer aux prêtres ce qu'ils
enseignaient.
Mais les Eidguenots avaient l'oreille au
guet, ils soupçonnèrent ce que les
prêtres voulaient faire et plusieurs d'entre
eux allèrent supplier Farel de se sauver.
Pendant qu'ils étaient à la Tour
Perce, le messager du vicaire arriva. Farel et
Saunier, enchantés d'avoir une occasion de
prêcher l'Évangile, prirent Robert
Olivétan avec eux, et se rendirent chez le
vicaire
La foule remplissait les rues, des
prêtres couraient çà et
là, excitant le peuple à insulter les
évangélistes. « Oh ! les chiens,
criait-on, voilà ces chiens
d'hérétiques qui passent I!»
Cependant personne ne mit la main sur eux et ils
arrivèrent sains et saufs dans cette maison
où la mort les attendait. Non seulement les
prêtres qui étaient chez le vicaire,
mais encore ceux qui attendaient dans la rue,
avaient juré que Farel mourrait sur place. Les
trois amis durent
attendre
quelques moments, car deux magistrats eidguenots
étaient arrivés avant eux et ils
exigeaient que les prêtres donnassent leur
parole qu'aucun mal ne serait fait aux
évangélistes. Les prêtres
promirent tout ce qu'on leur demanda;
néanmoins les magistrats voulurent assister
à l'entrevue, ne se fiant pas
entièrement à la parole des
prêtres.
Enfin les évangélistes
furent introduits. Le vicaire occupait la place
d'honneur, revêtu de ses somptueux habits
sacerdotaux. A sa droite et à sa gauche
siégeaient les principaux prêtres,
revêtus de leurs divers costumes.
L'un d'entre eux, appelé de
Veigy, se leva et apostropha Farel en ces termes:
« Guillaume Farel, dis-moi qui t'a
envoyé et ce que tu viens faire ici. »
« Dieu m'a envoyé, répondit le
réformateur, et je suis venu pour
prêcher sa Parole. »
« Pauvre chétif, dirent les
prêtres en haussant les épaules. Dieu
t'envoie, dis-tu, comment cela ? Peux-tu montrer
par quelque signe évident que tu viens de sa
part ? Comme Moïse devant Pharaon, nous
prouveras-tu par des miracles que c'est bien de
Dieu que tu viens ? Si tu ne le peux, exhibe-nous
la licence de notre révérendissime
prélat, l'évêque de
Genève. Jamais prêcheur ne
prêcha en son diocèse sans son bon
plaisir. » Puis toisant Farel de la tête
aux pieds, le chanoine de Veigy continua: «
D'ailleurs tu ne portes point habit tel que font
ceux qui ont coutume de nous annoncer la Parole de
Dieu.. Tu portes l'habillement de gendarmes et de
brigand. Comment es-tu si hardi que de
prêcher ? La Ste-Eglise n'a-t-elle pas
défendu que les gens laïques
prêchent sous peine d'excommunication ? Tu es
un déceveur et un méchant homme.
»
Comme un réformateur le dit plus
tard, Farel pensait que Jésus-Christ a
commandé de prêcher l'Évangile
à toute créature et que les vrais
successeurs des apôtres
sont ceux qui se conforment aux ordres de Christ.
Le pape de Rome et toute sa race n'ont aucun titre
à cette succession apostolique qu'ils
allèguent, puisqu'ils ne se souviennent plus
des doctrines de Christ.
Mais Farel n'eut pas le temps de
répondre au chanoine de Vigie, car tous les
prêtres se mirent à frapper du pied,
à hurler, parlant tous à la fois,
l'accablant d'injures et faisant un vacarme
épouvantable. Ils se précipitaient
sur lui, le tirant à droite et à
gauche et lui faisant mille questions à la
fois. «Viens çà, méchant
diable de Farel, que vas-tu faisant
çà et là, troublant toute la
terre ? D'où viens-tu ? Es-tu baptisé
? » etc., Ni la voix de Farel, ni celle du
vicaire ne pouvait s'entendre. Enfin le vicaire
réussit à faire taire son
clergé.
Alors Farel levant la tête,
répondit avec fermeté et
simplicité: « Messieurs, je ne suis
point un diable... et si je vais et viens
çà et là, c'est pour
prêcher Jésus-Christ et
Jésus-Christ crucifié pour nos
péchés, ressuscité pour notre
justification, tellement que celui qui croit en Lui
a la vie éternelle. Ambassadeur de
Jésus-Christ, je suis obligé de
prêcher à ceux qui me veulent
ouïr... et c'est pour cette cause et non pour
une autre, que je suis venu en cette ville. Ayant
été conduit devant vous pour rendre
raison de ma foi, je suis prêt à le
faire, non seulement cette fois, mais toutes et
quantes fois qu'il vous plaira de me
ouïr paisiblement. Ce que j'ai
prêché et ce que je prêche est
la sincère vérité et non une
hérésie. Je le maintiendrai
jusqu'à la mort. Quant à ce que vous
me dites, que je trouble la terre et cette ville en
particulier, je répondrai comme Elie
à Achab: C'est toi, 0 roi, qui troubles tout
Israël et non pas moi. Oui, c'est vous et les
vôtres qui troublez le monde par vos
traditions, vos innovations et vos vies tant
dissolues. »
Les prêtres qui avaient
écouté en silence jusqu'à ces
derniers mots, bondirent de rage. «Il a
blasphémé, s'écria l'un d'eux,
qu'avons-nous plus besoin de l'entendre I Il est
digne de mort ! » Farel se retourna et regarda
celui qui avait dit cela. « Parle les paroles
de Dieu, et non celles de Caïphe », lui
dit-il avec calme. Mais cette réponse ne fit
qu'augmenter la fureur des prêtres. «
Tuez-le, tuez-le. Au Rhône. le chien de
luthérien », s'écriaient-ils de
toutes parts. Et tous tombèrent sur les
pauvres prédicateurs, les battant, leur
crachant à la figure, criant, hurlant de
toutes leurs forces.
Le vicaire, les deux Eidguenots et
quelques hommes d'église moins fanatiques,
s'efforçaient en vain de délivrer
Farel et ses amis. Enfin, Besançon Hugues,
l'un des deux magistrats, s'écria:
«Vous êtes de méchantes gens,
nous vous avons amené ces gens sur votre
promesse qu'on ne leur ferait aucun mal. et vous
voulez les meurtrir et les tuer en notre
présence; je vais faire sonner les grandes
cloches pour convoquer le Conseil
général. »
Les prêtres craignant que. si le
Conseil s'assemblait à cause de
l'émeute, les Eidguenots ne les fissent tous
bannir, lâchèrent leurs victimes et
retournèrent s'asseoir à leurs
places. Le vicaire dit à Farel et à
ses amis de quitter la salle afin de laisser
délibérer le Conseil
épiscopal. Farel et ses compagnons sortirent
donc roués de coups et couverts de crachats;
ils allèrent attendre dans la galerie.
Pendant ce temps le bas clergé et la
populace ameutée dans la rue
s'impatientaient; le bruit et la foule allaient
croissant sous les fenêtres; de la galerie
où ils étaient, les
évangélistes entendaient à la
fois le bruit d'une vive discussion dans la salle
du Conseil et les clameurs de la foule qui
remplissait non seulement la rue mais la cour et le
jardin. Quatre-vingts prêtres vigoureux,
armés de solides boitons, s'étaient placés vers la
porte pour
défendre, disaient-ils, la sainte foi
catholique. Ils surveillèrent toutes les
issues afin qu'aucun des trois
hérétiques ne pût
s'échapper. Ils voulaient, dit la soeur
Jeanne, « faire mourir de male mort ce
méchant et ses complices ».
Le tapage allait toujours croissant et
Farel se promenait avec ses amis dans la galerie,
à l'extrémité de laquelle le
vicaire avait posté un de ses domestiques,
une arquebuse à la main. Excité par
les cris du dehors, et ne pouvant plus se contenir
à la vue du fameux hérétique
se promenant si tranquillement à quelques
pas de lui, le domestique finit par coucher Farel
en joue et tirer sur lui. Mais l'amorce brûla
sans que le coup partît. Guillaume se
retourna avec calme et dit au valet: « Ces
pétarades ne me font pas peur ». Comme
tant d'autres fois, Dieu avait
protégé son fidèle
serviteur.
Enfin la porte de la salle
épiscopale s'ouvrit; les magistrats
eidguenots avaient eu le dessus. Les prêtres
avaient grand peur de Messieurs de Berne; les
Eidguenots leur firent comprendre qu'ils
s'exposaient d'une manière certaine à
leur déplaisir s'ils touchaient à
Farel. Le vicaire se borna donc Assommer le
réformateur et ses deux amis de quitter
Genève dans un délai de six heures,
sous peine du feu. Le bruit se répandit que
les hérétiques allaient sortir et
à mesure que Farel s'approchait de la porte,
la foule se groupait autour, les prêtres au
premier rang, brandissant leurs gourdins et
grinçant les dents de rage. En entendant
leurs hurlements, Farel s'arrêta un instant
à considérer ce qu'il devait faire.
Le moment qui allait suivre serait sans doute son
dernier. « Ce vilain n'osait sortir, dit
encore la soeur Jeanne, car il craignait que les
gens d'église ne le missent à mort.
Quand on vit qu'il ne voulait sortir,
deux des chanoines allèrent le menacer par
grosses paroles, disant que puisqu'il ne voulait
sortir bon gré et de par Dieu, qu'il sortit
par tous les grands diables dont il était le
ministre et
serviteur. L'un d'eux lui donna un grand coup de
pied et l'autre de grands coups de poings sur la
tête et au visage et en grande confusion le
mit dehors avec ses deux compagnons. Mais les coups
des deux chanoines n'étaient rien en
comparaison de la bande armée qui entourait
la porte comme une mer en furie. Pendant un moment
on put croire que c'en était fait des
prédicateurs. Tout à coup, la foule
s'écarta pour livrer passage aux magistrats
qui arrivaient avec « tout le guet de la ville
». Ils délivrèrent les
évangélistes, les placèrent au
milieu de leurs hallebardiers et prirent le chemin
de la Tour Perce. Mais les quatre-vingts
prêtres armés dont nous avons
parlé, voulurent tenter un dernier effort.
Ils coururent en avant se poster dans un endroit
où leurs ennemis devaient passer; « ces
bons prêtres, dit la soeur Jeanne, ne
pouvaient se contenter de voir les
hérétiques chassés de la ville
». Quand Farel passa au lieu où les
«bons prêtres» s'étaient
embusqués, l'un d'eux s'élança
sur lui l'épée à la main pour
tâcher de le « transpercer au travers du
corps ». Mais un des magistrats vit la chose
et arrêta à temps le bras de
l'assassin, « de quoi plusieurs furent marris
», ajoute la soeur Jeanne.
Les prêtres comprirent que pour le
moment il n'y avait plus rien à faire, et
ils se contentèrent de poursuivre de loin
les prédicateurs en criant: Au Rhône !
Au Rhône I jusqu'à la Tour
Perce.
De retour dans leur hôtel, devant
lequel les magistrats mirent des gardes, nos trois
amis se consultèrent; ils sentaient qu'il
fallait partir. Le Seigneur n'a-t-il pas dit:
« Si l'on vous persécute dans une
ville, fuyez dans une autre ». Toutefois ces
fidèles serviteurs regrettaient de quitter
les âmes affamées de
vérité qui les avaient si bien
accueillis.
« Elles entendront encore
l'Évangile au temps voulu de Dieu, dit
Farel, il ouvrira la voie. »
De grand matin, quatre Eidguenots
vinrent chercher les prédicateurs pour les
emmener en bateau. Les prêtres étaient
déjà sur pied et quand ils virent la
petite bande qui était de sept personnes en
tout, ils se mirent à crier: « Les
diables s'en vont I » Mais la main de Dieu
protégeait son serviteur et nul n osa le
toucher.
Les voyageurs atteignirent sains et
saufs le bateau; leurs amis eidguenots saisirent
les rames et bientôt les
évangélistes disparurent,
emportés rapidement sur les flots, laissant
derrière eux la populace qui
vociférait et leur criait des injures. Comme
jadis les trois Hébreux dans la fournaise,
ces fidèles serviteurs de Dieu avaient
été gardés de tout mal. Mais
les Eidguenots ne voulurent pas lés
débarquer dans les ports de la Côte;
ils choisirent pour aborder une plage
déserte entre Morges et Lausanne. Les
Genevois prirent congé de leurs amis avec
affection, puis Farel et Saunier prirent la route
d'Orbe. Telles furent les deux premières
journées de Farel à Genève.
La réception orageuse que Farel avait
trouvée à Genève ne le
découragea nullement. Le souvenir de ces
âmes altérées de
vérité et de paix, augmentait son
désir de voir le jour où l'on
pourrait "prendre Genève pour Christ". Après une
courte visite
à Orbe, il se rendit à Grandson,
où il rencontra Antoine Froment qui,
malgré son extrême jeunesse,
était devenu le pasteur d'Yvonand, petit
village des environs. Guillaume projetait d'envoyer
Froment tenir tête aux « robustes
prêtres » de Genève. Le jeune
pasteur avait montré à Boudevillers
qu'il ne manquait pas de courage.- Il avait
seulement vingt-deux ans, il était
frêle, timide et de petite taille, mais il
avait un avantage très grand aux yeux de
Farel, c'est qu'il n'était
«personne». Guillaume alla donc vers lui
et lui fit le récit de ses aventures
à Genève, insistant sur les bonnes
dispositions des Eidguenots pour l'Évangile.
Froment l'écoutait avec grand
intérêt. En terminant, Farel fixant
sur le timide jeune homme ses yeux
étincelants, lui dit: «Va, essaie si tu
peux avoir accès dans Genève et y
prêcher. » Antoine fut d'abord
frappé de stupeur. «Comment oserais-je,
dit-il enfin, aller affronter des ennemis qui vous
ont fait fuir, maître Farel ? »
« Fais comme moi à Aigle,
répondit Farel, je me fis maître
d'école et j'enseignais des petits enfants,
profitant de l'occasion pour leur parler de
Jésus-Christ jusqu'à ce que la porte
me fût ouverte pour la prédication.
Mon cher Froment, tu crains Messieurs de
Genève... mais n'étais-tu pas avec
moi quand je m'en allai à Neuchâtel et
que je prêchais au milieu des places, des
rues et des villages circonvoisins ? Ne te
souviens-tu pas que nous reçûmes
souvent nos censes (rentes), à savoir coups
et outrages, principalement une fois à
Valangin où mon sang est demeuré plus
de quatre ans sur les pierres d'un petit temple
près duquel les femmes et les prêtres
me battaient en pressant ma tête contre les
murailles, tellement qu'il ne s'en fallut
guère qu'ils ne nous tuassent tous les deux
? »
Malgré ces paroles
encourageantes, Antoine ne se décida pas
encore à partir, et quelques-uns des évangélistes
pensaient comme lui qu'il était encore trop
jeune pour être envoyé dans l'antre du
lion.
A cette époque, Antoine Saunier,
Robert Olivétan et d'autres hommes pieux, se
rendirent dans les Vallées vaudoises afin de
s'entendre avec les Vaudois au sujet de la
traduction de la Bible en français. Ceux-ci,
heureux d'apprendre qu'on allait se mettre à
l'oeuvre, collectèrent quinze cents
écus d'or pour les frais d'impression. Ces
pauvres gens durent sans doute s'imposer bien des
privations pour réunir une telle somme ! On
commença la traduction. Farel se chargea
d'abord de la revoir, mais ensuite il remit cette
partie du travail à Olivétan.
Au mois d'octobre, Guillaume reparut
à Yvonand. « Antoine Froment, dit-il,
je te demande encore une fois au nom du Seigneur
Jésus-Christ, si tu veux aller à
Genève ? » Antoine répondit
comme précédemment, qu'il
était jeune, faible, sans réputation,
que Genève était la forteresse de
l'ennemi. « N'aie pas peur, ré pondit
Farel, c'est une grande chose que de n'être
«pet sonne», car ainsi tu seras
entièrement libre et nul ne fera attention
à toi. Dieu te dirigera et te conduira dans
le chemin que tu devras prendre ».
Oui, Froment ira cette fois, non pour
plaire à son ami, mais pour l'amour de
Christ. Se jetant à genoux, il dit: "O Dieu,
je ne me fie à nulle puissance humaine, je
me remets entièrement à toi. A toi je
remets la cause, te priant de la conduire
puisqu'elle est tienne".
Le jeune pasteur réunit son petit
troupeau pour lui faire ses adieux. Tous
prièrent avec lui afin que Dieu lui
donnât de faire connaître Sa Parole.
Puis Froment prit. congé d'eux ainsi que de
Farel, et partit pour Genève. Il passa par
Lausanne et les rives du Léman; parfois il
s'arrêtait en se demandant s'il
n'était pas fou d'entreprendre une pareille
tâche. Mais ces paroles lui revinrent
à la mémoire avec force: « Dieu
a choisi les choses folles de ce monde pour couvrir
de honte les sages; et Dieu a choisi les choses
faibles de ce monde pour couvrir de honte les chose
fortes; et Dieu a choisi les choses viles de ce
monde, et les méprisées, et celles
qui ne sont point, pour annuler celles qui sont; en
sorte que nulle chair ne se glorifie devant Dieu.
» Ainsi fortifié, Antoine reprit sa
route.
A cette époque les Genevois
étaient fort préoccupés d'un
phénomène resplendissant qu'on voyait
dans le ciel toutes les nuits. L'astre brillant
devait être le présage d'un
événement miraculeux.
Antoine, à son arrivée
à Genève, se sentit tout
intimidé et mal à son aise au milieu
des étrangers; personne ne se souciait de
lui; il n'obtenait que des réponses
brèves et méfiantes. Froment se
rappelait les noms de quelques-uns des principaux
Eidguenots, amis de Farel; il alla leur faire
visite. Mais ces grands personnages ne lui firent
pas bon accueil; ils trouvaient que Farel aurait pu
leur envoyer au moins un savant docteur et non pas
un homme chétif, mal mis et qui avait
presque l'air d'un enfant. Ces messieurs auraient
eu honte d'opposer le petit Antoine Froment aux
savants prêtres de Genève.
Découragé, le pauvre
Antoine retourna à son hôtel ne
sachant que faire. Il voyait bien que les
Eidguenots, même ceux qui étaient
favorables à l'Évangile, ne voulaient
rien de son humble personne. En conséquence
il demanda sa note, la paya, fit son paquet et
franchissant la porte de Suisse, il quitta
Genève.
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