Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XXXIII

Peine et travail.

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L'oeuvre de Farel à Neuchâtel ne devait pas se borner à la destruction des images et à l'abolition de la messe. Il devait aussi édifier; cette partie de son travail était de beaucoup la plus laborieuse. Ceux dont les sentiments n'allaient pas au delà de leur aversion pour le clergé, trouvaient que Farel avait marché de victoires en victoires comme un conquérant. Cela aurait été vrai s il ne s'était agi que de comparer le triste esclavage d'autrefois avec la liberté et la lumière qui l'avaient remplacé. Mais Farel avait les yeux fixés sur Christ. Pour lui, Christ était la mesure de toutes choses. Il ne comparait pas ses nouveaux convertis à d'ignorants papistes, mais au Saint et au Juste qui est assis à la droite de Dieu. Les observateurs superficiels croyaient peut-être voir la moisson dorer les coteaux et les gerbes d'épis mûrs prêtes à être recueillies dans les greniers; le réformateur, au contraire, pensait n'avoir fait que semer, et, comme le laboureur de l'Écriture, il attendait patiemment le fruit en sa saison.

A cette époque, il écrivait à un ami: « Nous pouvons maintenant prêcher Christ en toute liberté; mais que les âmes sont encore loin de la pureté, de la simplicité et de l'amour chrétien I Que de mauvaises herbes à déraciner avant de pouvoir semer la bonne semence I Que de travaux I Que de souffrances à endurer et de dangers à braver! Que d'ennemis puissants à vaincre ! II nous faut des ouvriers qui puissent supporter de rudes labeurs et qui se résignent à semer sans compter sur une riche moisson. »

Farel avait de la peine à trouver des compagnons de travail tels qu'il les désirait. Il écrivit à plusieurs de ses amis, les suppliant, pour l'amour du Seigneur, de venir l'aider, car il y avait alors tant de villes et de villages à évangéliser, qu'il y aurait eu du travail pour une armée d'ouvriers fidèles. « Je ne vous promets pas des montagnes d'or, écrivait-il, mais des épreuves et des difficultés inexprimables; point de loisir, mais du travail; point de repos jusqu'à la fin de la tâche; point de récompense, sinon dans la vie à venir. Dans le temps actuel, il faudra vivre à vos propres frais; certes le champ est vaste et la porte est ouverte, mais seulement à ceux qui désirent nourrir le troupeau au lieu de s'engraisser à ses dépens. Je puis en outre vous offrir la honte et l'opprobre, l'ingratitude en échange d'un service patient, le mal en retour du bien que vous vous serez efforcé de faire. Je ne dis pas ces choses pour vous effrayer, mais pour vous stimuler, combine un vaillant guerrier se sent plein d'ardeur pour la bataille en apprenant qu'au lieu d'être petits et faibles, les ennemis sont forts et nombreux. Je m'adresse à vous comme à un soldat qui est prêt à se rendre au combat et à s'y conduire comme un brave, mais en comptant sur Dieu seul pour obtenir force et notoire. Car la bataille n'est point la nôtre, mais celle du Seigneur. »
Dans une autre lettre, Farel écrit ce qui suit: « Que vous dizaine de plus, sinon que la moisson est grande et qu'Il y a peu d'ouvriers, que je n'ai rien à vous offrir que du labeur et des peines, rien à vous faire envisager, sinon que si le Seigneur n'est pas fidèle à sa promesse, nous serons les plus misérables des hommes ? Le Seigneur ne nous laisse pas sans pain après le travail de la journée, mais celui qu'il nous donne n'est pas de première qualité et nous l'acceptons tel que sa bonté nous l envoie. Je ne veux pas vous tromper, ainsi voilà la vérité. Que Christ lui-même, frère bien-aimé, vous enseigne comment employer votre vie pour sa gloire. »

Cet ami, dont le nom était André, ne se sentit nullement effrayé par la perspective offerte par Farel. Il serait venu tout de suite, mais sa femme craignait les difficultés et les privations. Farel écrivit une seconde fois en ces termes: « Si vous avez reçu de Dieu le don de prêcher l Evangile, prenez garde d'enterrer votre talent. Au lieu d'écouter votre femme, écoutez votre Dieu. Vous aurez à lui rendre compte des âmes qui sont dans les ténèbres de l'esclavage et que votre voix pourrait délivrer et conduire à Christ. Ne soyez pas inquiet parce que je n'ai point de salaire à vous offrir. C est une douce chose d'être pauvre, et même de souffrir pour le Seigneur Jésus. »
André fit à cette lettre la meilleure réponse: il vint lui-même, amenant sa femme, et jusqu'à ce jour, dit la chronique, c'est un des aides les plus fidèles de maître Farel.

Antoine Marcourt, que nous avons vu à Valangin, s'établit aussi à Neuchâtel, puis un bon maître d'école instruisit les enfants dans la foi évangélique. Les choses étant ainsi réglées, Farel se sentit libre de porter ses pas ailleurs.


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CHAPITRE XXXIV

Le sermon du Père Michel.

 

Non loin de la frontière française et voisine de montagnes couvertes de sombres forêts, se trouve la ville d'Orbe, qui appartenait alors à Berne et à Fribourg. Orbe était encore papiste; les prêtres et les moines y régnaient sans rivaux. A la fin de 1530, un marchand d'indulgences arriva dans la ville. Il vendait le pardon à tous ceux qui avaient commis des crimes ou avaient l'intention d'en commettre. La foule ne tarda pas à s'amasser autour du marchand établi sur la place publique et criant à tue-tête: «Voici des indulgences pour tous les péchés passés et futurs ! » Tout à coup, un homme à la barbe rouge et aux yeux étincelants s'avança et dit au vendeur: «Avez-vous un pardon pour quelqu'un qui va tuer son père et sa mère ? » Le marchand qui, sans savoir pourquoi, se sentait mal à l'aise, hésitait à lui répondre. Les yeux de son interlocuteur lançaient des éclairs; sans attendre davantage une réponse, il monta sur le bord de la fontaine qui ornait la place, et, d'une voix de tonnerre, il se mit à prêcher au peuple ébahi, lui expliquant comment Dieu juge le péché, qui était Celui qui avait porté la peine du péché, puis était monté au ciel d'où Il donne maintenant plein pardon, sans argent, sans aucun prix, parce qu'il a acquis avec Son propre sang. Malheur à ceux qui se détournent de Lui pour acheter le pardon d'hommes pécheurs, qui exploitent l'ignorance et la crédulité!

Un maître d'école appelé Marc Romain et un négociant, Christophe Hollard, acceptèrent cette prédication avec joie. L'étranger disparut après avoir prononcé son discours, et plusieurs mois s'écoulèrent; le carême de 1531 arriva. Mais le clergé n'avait pas oublié le prêche du bord de la fontaine. Il y avait deux couvents à Orbe; l'un appartenait aux moines carmélites, l'autre aux nonnes de Sainte-Claire. Ces deux monastères n'étaient séparés l'un de l'autre que par l'église de la paroisse, et un passage secret conduisait de l'un à l'autre; de sorte que les religieuses, faisant profession d'être séparées du monde, trouvaient abondance de société parmi les moines du couvent voisin. Les nonnes du couvent d'Orbe avaient au nombre de leurs amis un prêtre appelé Michel Juliani. Elles le supplièrent de prêcher contre la nouvelle religion pendant le carême. Le Père Michel y consentit et ne fut pas peu flatté, lorsque arriva le jour de son premier sermon, de trouver l'église remplie d'une foule attentive. Non seulement ses amis étaient là au grand complet, mais aussi Marc Romain, Christophe Hollard et quelques autres soupçonnés de luthéranisme. Pendant le sermon, les suspects prirent des notes; le Père Michel ne se doutait pas qu'elles seraient Envoyées à Berne, où son éloquence trouverait peu d'admirateurs.
Il y avait aussi parmi les auditeurs un jeune homme qui écoutait le prêtre avec impatience; il désirait vivement que quelque serviteur de Dieu fût là pour réfuter Juliani et prêcher l'Évangile. Ce jeune homme, il n'avait alors que dix-neuf ans, se nommait Pierre Viret. Son père était apprêteur de drap et tailleur; il avait envoyé son fils, dès l'âge de douze ans, à l'Université de Paris, l'enfant ayant des goûts studieux et le désir d'être prêtre. Il se fit remarquer par sa dévotion aux saints et aux images et par son zèle pour l'étude. Il était depuis peu de temps à Paris lorsque, nous ne savons par quel moyen, ses yeux furent ouverts et Jésus-Christ se manifesta à lui. Pierre Viret aura probablement été mis en relation avec un enfant de Dieu; on a même prétendu que lors de sa dernière visite à Paris, Farel y avait vu Pierre Viret, mais nous n'en avons aucune preuve. Ce qu'il y a de certain, c'est que Viret entendit l'Evangile et le reçut; la semence déposée dans son coeur leva et prospéra lentement mais sûrement. On se préparait à lui administrer la tonsure, mais ne voulant point prendre les insignes romains, il quitta brusquement Paris et revint à Orbe. C'est alors qu'il entendit le discours du Père Michel.

Le clergé d'Orbe remarqua Pierre, et, trouvant ses allures singulières, il ne tarda pas à le soupçonner d'hérésie. Les prêtres eurent de longues conversations avec lui, dans lesquelles ils lui représentaient que l'église de Rome professait la foi des Pères, Jérôme, Chrysostôme et Augustin. « La religion la plus ancienne doit être la meilleure, disaient-ils; il est inutile et sans profit de quitter lés sentiers battus pour se lancer dans la nouveauté et l'inconnu. »
Mais Pierre n'admettait nullement ce droit d'ancienneté en religion: « Qu'y a-t-il de plus ancien, répondait-il, que de mentir et de désobéir à Dieu? Le sentier de Caïn n'est-il pas plus battu que tout autre ? Et, du reste, Dieu lui-même n'est-il pas plus ancien que toutes les inventions humaines ? Je ne veux croire que lui; le Seigneur Jésus est mon Berger; je ne veux pas être le disciple de Jérôme ou d'Augustin, ni même de Martin Luther. Je ne veux suivre que Christ. »

Plus les prêtres redoublaient d'efforts, plus Viret se retirait vers le Seigneur. Il priait ardemment, non seulement pour lui-même, mais pour ceux qui l'entouraient. Il intercédait surtout pour son père et sa mère; bientôt ceux-ci commencèrent à être attirés vers la Parole de Dieu que leur fils leur lisait de temps à autre. Pierre se montrait d ailleurs respectueux et doux.

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