Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XXIX

La Parole qui est comme un marteau et qui brise la pierre.

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La prédication continua tous les jours. J. Wildermuth écrivait: « Je retiens Farel ici et je le fais prêcher dans les maisons, parce que je sais qu'il peut ainsi faire du bien, quoique cela m'attire des menaces; mais je puis bien apprendre à les braver, sachant que Dieu est plus fort que l'homme et que le diable ». La bonne nouvelle retentissait donc partout, non seulement dans les maisons mais en plein air; les vents et la neige de décembre n'empêchaient pas la foule de se rassembler partout où elle entendait la voix de Farel. A peine l'apercevait-on dans la rue qu'on accourait, chacun avait quelque question à lui poser; la plus commune était celle-ci: Que faut-il que je fasse pour être sauvé?
Farel avait passé une semaine à Neuchâtel, lorsqu'il écrivit à son ami le prédicateur de Noville: « Je ne veux pas vous laisser dans l'ignorance, cher frère, quant à l'oeuvre que Christ accomplit parmi ses élus, car contre toute espérance, Il a touché les coeurs de plusieurs ici. Malgré les défenses tyranniques et l'inimitié des hommes à la tête rasée, on vient en foule entendre la Parole de Dieu sur les places publiques, dans les granges et les maisons. On écoute avec attention et presque tous acceptent ce qui leur est dit, bien que ce soit tout le contraire des erreurs qu'on leur a enseignées jusqu'à maintenant. C'est pourquoi, rendez grâce avec moi au Père des miséricordes; je retournerais volontiers auprès de vous à Aigle, mais la gloire de Jésus-Christ et la soif qu'éprouvent ses brebis, m'oblige gent à continuer en présence de souffrances que la langue ne peut exprimer. Mais Christ me rend toutes choses faciles; oh mes amis, puisse sa cause être la chose la plus précieuse que nous connaissions. »

Quelques jours après, le réformateur fut appelé à Morat, où beaucoup d'âmes s'étaient converties l'été précèdent. Les habitants s'étaient réunis pour décider s ils voulaient que la messe continuât ou non. La majorité décréta l'abolition de la messe d l'établissement d'une prédication évangélique dans l'église. Mais comme la prédication n'est pas la même chose que le culte, les croyants de Morat avaient maintenant à chercher dans la Bible comment les convertis au Seigneur Jésus devaient adorer Dieu. Ils avaient appelé Farel pour conférer avec lui de ces sujets. Plusieurs autres villes réclamèrent aussi sa visite, et ainsi s'écoula le printemps de 1530. Le détail des aventures te Farel à cette époque serait trop long; il allait ça et là, accompagné partout de la même bénédiction divine et de la même opposition de l'ennemi.
«Jeudi dernier, écrivaient Messieurs de Berne au comte de Gruyères, maître Guillaume Farel, prescheur d'Aigle, passant sur votre territoire, a logé une nuit à Saint-Martin-de-Vaud, accompagné d'un héraut portant nos armoiries. Le vicaire de l'endroit avec deux autres prêtres est venu assaillir le dit Farel de mauvaises paroles; ils l'ont frappé avec un pot en terre et notre héraut de même, en appelant Farel un hérétique et un diable. Lesquelles violences et injures nous regardons comme nous ayant été faites personnellement. Nous vous prions de punir les coupables comme ils le méritent et comme vous y engagent les traités conclus entre nous, faute de quoi nous serions obligés d'y mettre ordre nous-mêmes. »

Cette plainte n'est qu'une entre bien d'autres adressées par les autorités bernoises à ceux qui maltraitaient Farel et ses collègues. D'autre part, Messieurs de Berne recevaient des réclamations continuelles de l'évêque de Lausanne et de leurs alliés fribourgeois, qui les suppliaient d'arrêter les prédications. En conséquence, Farel reçut plusieurs fois des avertissements de ses protecteurs, le priant de ne pas trop s'avancer, de ne point prêcher dans les endroits où personne ne le demandait, de ne pas offenser, de ne pas briser les images, d'éviter ce qui pouvait causer de l'émotion. Farel obéissait autant qu'il le jugeait convenable; il faisait profession de ne recevoir d'ordres que de Dieu, et tout en étant reconnaissant de l'appui des Bernois, il ne donnait à personne le droit de faire des plans pour lui, ni de limiter ses actions. « Il serait à désirer, disait-il, que les bourgeois de Berne eussent autant de zèle pour l'Évangile que ceux de Fribourg en ont pour l'idolâtrie. »

Un jour d'avril 1530, le curé de Tavannes, village situé non loin de Bienne, était occupé à chanter la messe. Tout à coup entrent deux hommes, dont l'un monte en chaire et se met à prêcher. Le prêtre n'eut pas de peine à deviner que c'était Guillaume Fard; son compagnon, âgé de dix-huit ou dix-neuf ans, se nommait Antoine Boyve. Quelques historiens pensent qu'il était cousin de Farel, mais cela n'est pas certain. Nous ignorons pourquoi, dès son arrivée en Suisse, on l'a toujours appelé Antoine Froment. Il nous raconte que le sermon prêché par Farel à Tavannes fut si rempli de puissance et d'énergie que le peuple se leva comme un seul homme pour détruire les images. Le curé, effrayé, s'enfuit, et les habitants de Tavannes écrivirent à Messieurs de Berne: « Nous vous remercions de nous avoir envoyé un prédicateur pour nous annoncer le saint Evangile de Dieu, lequel nous avons reçu, et nous désirons, Dieu aidant, vivre selon la vérité. »

L'évêque de Bâle eut bientôt connaissance des choses qui se passaient dans son diocèse. Il en écrivit aussi à Messieurs de Berne en leur disant: «Un nommé Farel parcourt notre diocèse en vomissant beaucoup d'injures contre notre personne, ce qu'il n'a sans doute pas appris dans l'Évangile... il cherche à répandre aussi sa doctrine parmi nos sujets... il prétend avoir un ordre de vous, mais nous ne pouvons tolérer qu'un étranger vienne semer le trouble et la désunion parmi les nôtres et nous signaler à leur mépris, ce qu'un moindre que nous ne permettrait pas... Nous vous prions instamment d'inviter le dit Farel à laisser en paix les lieux de notre dépendance et à se contenter de prêcher là où il est appelé et où l'on se fait plaisir de l'entendre. Autrement, s'il persistait dans son injurieux dessein, ou s'il était cause de quelque effusion de sang, nous agirions contre lui selon l'exigence du cas, afin de nous mettre à l'abri chez nous de sa présence.»
Mais Farel était sourd aux plaintes de l'évêque, et la prédication continua comme auparavant. Voici ce qu'in catholique a écrit sur ces temps émouvants. «Farel croyait entendre une voix du ciel qui lui criait « Marche» ! et il marchait comme la mort, sans s'inquiéter des robes rouges et bleues, des manteaux d'hermine ou de soie, des couronnes de ducs ou de rois, des vases sacrés, des tableaux, des statues qu'il regardait comme de la poussière. D'histoire, d'art chrétien, de tradition, de formes, il se moquait insolemment. Si vous le hissez sur une borne, il entraînera le peuple qui passera dans la rue. Descendez-le dans une mine, les ouvriers quitteront leur travail pour l'écouter et le suivre. Si vous le transportez dans une chaire entourée d'images, il prendra un couteau ou un marteau pour déchirer ou briser ce qu'il appelle des idoles. Montbéliard, Aigle et Bienne, remués par sa parole, avaient chassé leurs moines et institué un culte nouveau. Il ne passait pas dans une ville sans que les habitants en vinssent aux mains. Le ciel souffre violence, disait-il ordinairement, et il accomplissait sans remords sa mission de bruit et de ruines. Les magistrats eux-mêmes, effrayés des tentatives de l'étranger, n'osaient le garder qu'un moment. La révolte accomplie, ils lui ouvraient les portes de la ville, et Farel, content, prenait son bâton de pèlerin et s'en allait à pied, à travers les montagnes, chercher une autre cité où sa voix pût éveiller quelque nouvelle tempête. Le cheval d'Attila coupait l'herbe sous ses pieds, le bâton de Farel abattait sur le grand chemin les croix du Christ et les images de la Vierge. »


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CHAPITRE XXX

La glorieuse puissance de Dieu.

 

En juin, Farel reparut à Neuchâtel, accompagné d'Antoine Froment. Son absence avait duré six mois, et pendant ce temps il y avait eu beaucoup de conversions. Il recommença à prêcher dans les rues et les maisons. Un jour, les Neuchâtelois s'avisèrent de le conduire à la chapelle de l'hôpital, en disant que c'était là qu'il devait prêcher. Les prêtres s'efforcèrent de lui barrer le chemin, mais la foule se précipita comme un torrent dans l'édifice, entraînant le réformateur avec elle. « Quand le Fils de Dieu vint jadis sur la terre, dit Farel, on le reçut au milieu des pauvres, dans une étable, et maintenant c'est dans l'asile des malheureux et des estropiés que l'Évangile sera annoncé. » Il termina son discours en disant: «Si nous avons un Christ vivant, qu'avons-nous plus besoin de ces images muettes et de ces peintures ? Ôtons-les et adorons désormais le Dieu vivant et rédempteur. »
Et, joignant l'exemple à la parole, le prédicateur enleva le crucifix, les images, les tableaux qui ornaient la chapelle, le peuple les emporta et les détruisit. Le gouverneur trouva qu'il était temps d'intervenir; il cita les habitants à paraître devant lui, mais ceux-ci en appelèrent à Berne qui envoya des messages au gouverneur et à Farel. Ils disaient à Georges de Rive que leurs alliés devaient avoir la liberté de conscience et qu'eux, Bernois, ne permettraient pas que les Neuchâtelois en fussent privés. A Farel ils écrivirent qu'il eût à s'abstenir d'employer la force, qu'il devait se borner à prêcher hardiment, mais ne pas faire de changements dans la ville, ce pouvoir appartenant aux habitants et non point à lui.

Le gouverneur, sachant combien le petit État de Neuchâtel avait besoin de la puissante protection de Berne, n'osa plus s'opposer à la prédication. Il y a quelques années, on pouvait encore voir, dans une humble chaumière du Val-de-Ruz, une fresque grossière, oeuvre de quelque artiste villageois. Elle représentait le réformateur en voyage, le bâton à la main, dans un costume presque indigent, tel qu'on l'avait vu tant de fois parcourir la vallée, exhortant, encourageant, priant avec tous, se dépensant pour tous. Il n'avait ni la robe ni le bonnet de docteur; il n'était et n'a voulu être qu'un messager de Celui qui évangélisait les multitudes, et n'avait souvent pas un lieu où reposer sa tête.

Bien des pécheurs furent convertis pendant l'été de 1530. Parmi ces âmes altérées qui vinrent boire à la source de la vie, nous remarquerons trois prêtres. Eymer Beynon avait eu le courage de confesser sa foi en Christ publiquement. Mais il s'était converti un si grand nombre de ses paroissiens, que cette nouvelle causa plus de joie que de chagrin à Serrières. «Vous m'avez appelé quelquefois un bon curé, dit Beynon à ses ouailles, j'espère que vous me trouverez encore meilleur pasteur. »

Un grand jour s'approchait pour Neuchâtel. Le 23 octobre 1530, Farel, prêchant comme à l'ordinaire dans la chapelle de l'hôpital, s'écria: «Je suis heureux de prêcher ici, mais c'est une triste chose que la messe soit encore à la place d'honneur plutôt que l'Évangile. L'église, qui pourrait contenir des foules, est réservée à la messe, tandis qu'on annonce l'Evangile dans cette petite chapelle qui ne peut recevoir qu'un auditoire si restreint. » A ces mots, les assistants se levèrent en s'écriant tout d'une voix: «Allons à l'église ! » Et ils se précipitèrent à travers les rues, portant Farel plutôt qu'ils ne l'emmenaient vers la grande église.
Cet antique édifice était fort beau; il ne comptait pas moins de trente chapelles bâties autour de la nef et du choeur. Il y avait vingt-cinq autels resplendissants d'or et de bijoux; on voyait de tous côtés des images et les portraits des innombrables saints qu'on adorait sous ces voûtes. Jusqu'alors, aucune bonne nouvelle n'avait retenti dans ces vastes galeries. On y avait chanté la messe, brûlé des cierges, joué des farces dans les jours de fêtes des saints. Car tels étaient les sermons papistes d'alors, des drames représentés par les moines et les nonnes qui jouaient les rôles de tous les personnages de la Bible mêlés dans la plus étrange confusion. Dans ces occasions-là, on voyait paraître, revêtus d'habits élégants, pêle-mêle, les héros de la Bible, de l'histoire et des légendes, saint Georges et le dragon, saint Christophe le géant, saint Pierre et saint Paul, et chose triste à dire, le Seigneur lui-même.
Mais l'aurore d'une ère nouvelle avait paru et c'était une foule sérieuse et sincère qui franchissait le seuil de la cathédrale avec Farel. Les prêtres et les moines impuissants à l'arrêter, se retiraient effrayés. Farel monta dans la chaire; il promena ses regards sur les ornements étincelants des autels et des chapelles sur l'immense auditoire qui attendait, suspendu à ses lèvres, puis il éleva son âme au Seigneur. Enfin le réformateur commença, prêchant, dit la chronique, le plus puissant sermon qu'il eût encore prononcé à Neuchâtel. Il montra au peuple comment il s'était détourné du seul chemin qui mène à la vie; il annonça un seul Sauveur pour les pécheurs et un seul culte que les saints doivent offrir en esprit et en vérité. Soudain un cri se fit entendre dans la foule et se répéta, gagnant de proche en proche comme une traînée de feu jusque dans les recoins les plus éloignés de l'église. «Nous voulons suivre Christ et l'Évangile, nous voulons vivre et mourir dans cette foi, nous et nos enfants ! » Puis tout l'auditoire se jeta sur les autels et les images, brisant et détruisant tout. L'image de la Vierge qui avait été donnée par la mère de la comtesse Jeanne, ne put échapper au désordre; pas un autel ne resta debout. Les ciboires, les vases d'or employés pour la messe et l'encens furent lancés par dessus le mur du cimetière, jusque dans les rues du bas de la ville. Le peuple se partagea les saintes hosties et les mangea pour faire voir que ce n'était que du pain. Georges de Rive parut en vain, sa voix se perdit dans le tumulte.

Il y avait quatre prêtres préposés à la garde de l'église et, chose étrange, on les vit s'aider à renverser les autels, car dirent-ils, il est évident que maître Farel a la Bible de son côté. Cet éloquent discours avait été béni de Dieu pour chasser l'idolâtrie du coeur des hommes aussi bien que des parois de l'église. En souvenir de ce jour mémorable, les habitants de Neuchâtel firent graver sur une plaque d'airain les mots: « L'an 1530, le 23 octobre, fut ôtée et abolie l'idolâtrie de céans par les bourgeois. » Cette plaque fut placée sur un pilier à gauche de la table de communion, dans la principale église. On plaça aussi sur la chaire l'inscription suivante: «Lorsque brilla le vingt-troisième soleil d'octobre, le soleil de la vie brilla aussi pour la ville de Neuchâtel. » Pendant six cents ans les messes latines et les prières idolâtres avaient retenti dans l'antique édifice, mais le jugement était venu en une heure » (Apoc. XVIII, 10) et pas un vestige du sombre passé ne put subsister.

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