Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XXIII

Le moine mendiant.

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Vers cette époque, arriva dans les villages des bords du lac Léman, un moine mendiant de l'ordre de St-François d'Assise, auquel il est prescrit de vivre dans la mendicité. Les moines de cet ordre erraient dans le pays en demandant l'aumône de porte en porte, puis ils revenaient dans leurs couvents chargés d'argent et de tout ce qu'ils pouvaient obtenir des villageois en leur promettant le ciel pour récompense. Farel connaissait celui dont il est question, il savait que, prêchant dans un village, il avait dit que tous les auditeurs de Farel iraient en enfer.

Il arriva à Aigle, mais n'étant pas de ceux qui vont attaquer le lion dans son antre, il se garda de parler contre Farel. Les vignobles d'Aigle sont renommés, il venait seulement mendier un peu de vin pour son couvent. Aussi sa frayeur fut grande lorsque le terrible Farel se trouva devant lui dans la rue. « Je l'abordai aimablement, raconte Guillaume, ainsi que notre Seigneur veut que nous nous reprenions les uns les autres. Je lui demandai s'il avait prêché à Noville, il me répondit oui et commença à s'effrayer. Je lui demandai si le diable pouvait prêcher l'Évangile de notre Seigneur Jésus et si ceux qui vont ouïr l'Évangile sont tous damnés. Il me répondit non. Je lui dis: Pourquoi donc l'avez-vous prêché publiquement ? Je vous prie, prouvez-moi ce que vous avez prêché et si j'ai mal dit quelque chose, faites-le voir, car je consens à mourir si j'ai mal enseigné le pauvre peuple que le Seigneur Jésus a racheté. Que notre Seigneur ne m'accorde pas de vivre, si j'enseigne une autre doctrine que celle du Seigneur Jésus.
Alors le moine me dit à l'oreille, en faisant l'effrayé: j'ai ouï dire que tu es un hérétique et que tu séduis le peuple. Je lui répondis: cela ne suffit pas de dire: je l'ai ouï dire, montre-moi en quoi je suis hérétique et maintiens ce que tu as prêché, car moi je suis prêt à maintenir tout ce que j'ai enseigné, jusqu'à être brûlé.
Alors il dit Qu'ai-je prêché de toi ? Qui l'a ouï ? Je ne suis pas ici pour disputer avec toi, mais pour faire ma quête. Si tu as bien prêché tant mieux, sinon tant pis. Et il commençait à se fâcher. Lorsque je lui répondis: Il n'y a pas besoin de nous disputer, vous n'avez qu'à maintenir ce que vous avez prêché, pour la gloire de Dieu, pour laquelle vous devez mettre toute affaire de côté, car l'honneur de Dieu doit être plus cher que toute le reste... Ainsi nous cheminions ensemble et je le priai de maintenir sa parole, mais il se tournait de çà et de là comme font les consciences mal assurées. Puis il me dit à l'oreille: Tu es un hérétique, tu tires les gens hors du bon chemin. Quelques paysans revenant des champs nous suivaient et je leur dis Voici ce bon père qui a prêché que tout ce que j'en soigne n'est que menterie et que tous ceux qui viennent m'ouïr sont damnés. Et même il vint me dire que je suis un hérétique qui séduit le peuple. Lors, le moine me dit: Qu'est-ce que je t'ai dit ? Qui l'a ouï ? C'est dans ton imagination. Je répondis: Dieu est témoin que maintenant tu l'as dit. Pourquoi nies-tu ce que Dieu sait et connaît bien ? Si je suis hérétique, prouve-le, personne ne te fera de mal, et l'on t'entendra plus volontiers que moi.»
Le moine essaya alors de dire quelque chose des offrandes à Dieu, contre lesquelles Farel aurait parlé; il avait peut-être peur de ne pouvoir recueillir les dons de vin sur lesquels il comptait. Farel lui répondit: «Je l'ai prêché et par la Parole de Dieu, je veux le maintenir, car il n'appartient à aucune personne vivante de rien changer au service que Dieu a commandé, nous devons l'accomplir sans y rien ajouter et sans y rien ôter, sans nous permettre de faire ce qui nous semble bon, sans dévier ni à droite ni à gauche. » Le moine répondit: Les offrandes sont faites par reconnaissance et pour la gloire de Dieu. Je répondis: Ce qui glorifie Dieu, c'est que nous secourions les pauvres et que nous gardions ses commandements. La reconnaissance se manifeste en adorant le Père en esprit et en vérité, lui offrant un coeur contrit et brisé. Car nous devrions lui demander merci de n'avoir pas gardé ce que nous avons promis à notre baptême. Nous avions alors protesté vouloir vivre et mourir en la foi et loi de notre Seigneur, or cette foi est la seule qui soit donnée au chrétien. Car il n'y a personne qui soit meilleur que Dieu pour donner une meilleure loi, ni personne qui en ait le droit.
Le moine ne sachant que répondre, ni comment se tirer de ce mauvais pas, se comporta comme un enfant mal élevé, et ôtant son bonnet il le jeta à terre et marchant dessus, il s'écria: « Je suis ébahi que la terre ne nous engloutisse pas. » Un des assistants posa la main sur son bras et lui dit: "Écoutez maître Farel, il vous écoute bien". « Si tu mets la main sur moi, tu es excommunié, » cria le moine. Le paysan lui répondit: « Ceux qui touchent votre robe sont-ils excommuniés ? Avez-vous un autre Dieu que nous, qu'on n'ose pas vous parler ? »

Pendant ce débat, la foule s'était amassée et les autorités craignant un tumulte, arrêtèrent Farel et le moine et les enfermèrent chacun dans une des tours du château. Le lendemain on les fit paraître devant les magistrats, et Farel reçut la permission de se défendre. « Messieurs, dit-il, vous êtes lés chefs que Dieu a commandé d'honorer, parce qu'II vous a confié l'autorité afin de l'employer à Sa gloire. Si j'ai égaré le peuple comme ce moine le prétend, je demande à être puni.Mais dans ce cas, il faut que le moine prouve en quoi ce que je prêche est contraire à la Parole de Dieu. S'il ne peut pas le prouver, je demande à être justifié devant ceux auprès desquels il m'a faussement accusé. » Le moine effrayé se jeta à genoux en criant: « Mes seigneurs, je vous demande pardon, et à vous aussi, maître Farel. Je suis prêt à reconnaître que j'ai parlé contre vous sur la foi de faux rapports. »
« Ne demandez pas mon pardon, répliqua Farel, je vous ai pardonné et j'ai prié Dieu pour vous, avant de vous avoir rencontré dans la rue. Je n'aurais rien dit s'il ne s'était agi que de moi, mais la gloire de Dieu était en question. C'est contre son Évangile béni que vous avez mal parlé. Quant à moi je ne suis qu'un pauvre pécheur sauvé uniquement par la mort de Jésus. Je ne demande pas qu'on vous punisse, mais que vous repérez Ici devant moi ce que vous avez dit derrière, alors je pourrai vous dire les motifs pour lesquels je prêche ainsi que je l'ai fait. »

Un bourgeois de Berne qui arrivait dans ce moment-là fit la proposition suivante: Le moine ira entendre le sermon de Farel, demain, s'il y trouve quelque chose de mauvais, il le prouvera par la Bible. Si au contraire il n y trouve rien qui soit opposé aux Écritures, il devra le déclarer publiquement. Tous acceptèrent cette sentence; le moine donna sa parole d'être présent au sermon du lendemain, mais quand le jour vint, il avait disparu pour ne plus revenir !


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CHAPITRE XXIV

Amis et compagnons de travail.

 

Farel retourna à ses travaux. C'était une oeuvre de patience accomplie sans bruit. Les prêtres, au contraire, se faisaient voir et entendre partout. Ils ameutaient le peuple dans les villages, et causaient des troubles par leurs cris et leurs violences de langage. Ils soulevaient les foules ignorantes contre le gouvernement de Berne, les persuadant de déchirer les ordres de Berne affichés aux portes des églises. Ils formaient des processions, battaient du tambour, conduisaient des bandes tumultueuses dans les temples pour hurler et crier afin de couvrir la voix du prédicateur.

Dans une certaine localité, les hommes n'ayant pas le courage d'attaquer Farel, envoyèrent leurs femmes contre lui avec leurs battoirs à linge. Dans quelques parties de la Suisse, les femmes de la campagne ne lavent pas leur linge debout devant un cuvier d'eau chaude. Au bord d'un cours d'eau, elles posent le linge devant elles sur une planche dans l'eau courante, et le battent avec une sorte de pelle en bois. Ce système rend le linge très propre, mais il a l'inconvénient de l'abîmer rapidement. Ce fut avec ces pelles ou battoirs que Farel fut attaqué par une bande de femmes furieuses. Dans cette occasion et dans plusieurs autres il reçut, comme d'autres serviteurs de Jésus-Christ, des coups et des blessures qu'il regarda comme une gloire. Je porte en mon corps, dit l'apôtre, les meurtrissures du Seigneur Jésus.
Voir l'Évangile méprisé et rejeté, n'était pas le seul chagrin de Farel. Quelques prédicateurs étaient venus de France pour lui aider; l'un des derniers arrivés, Balista, venait de Zurich. C'était un Parisien, ancien moine, qui professait une haine violente contre le papisme, ce qui n'impliquait point l'amour de Christ. Farel, en effet, ne tarda pas à sentir que Balista, loin de lui aider, était une entrave à son oeuvre.
« Ce Parisien, écrit-il, a été élevé dans les habitudes de gloutonnerie et de paresse des couvents; il ne se soucie nullement de faire des voyages fatigants par tous les temps, en se contentant de la nourriture frugale des montagnes. » Heureusement pour Farel, bientôt l'ancien moine regretta amèrement son couvent et cessa ses travaux, au grand soulagement du réformateur. Tandis que Satan s'agitait ainsi, le Seigneur travaillait dans bien des coeurs. Il y avait des âmes sauvées dans beaucoup d'endroits, des pâtres, des bateliers, ici une pauvre blanchisseuse, là un vigneron, des gens obscurs, Inconnus de tous, excepté du Seigneur qui les avait choisis dès avant la fondation du monde pour en faire des joyaux destinés à la couronne de Christ. Lorsque Farel n'était pas occupé à enseigner, à prêcher ou à prier, il sondait diligemment les Écritures.
On a conservé plusieurs des lettres qu'il adressa à ses amis à ce moment. Il leur parlait entre autres des sujets qu'il étudiait dans les Écritures. Plusieurs de ces lettres traitent, par exemple, de la grande question qui agitait déjà les esprits du temps de Paul, et que les chrétiens discutent encore si souvent de nos jours: le croyant est-il sous la loi ou non ? Quelques-uns des amis du réformateur pensaient que, bien que le chrétien ne soit pas soumis aux rites et aux cérémonies judaïques, il est cependant sous la loi des dix commandements. Ils expliquaient les paroles: « Vous n'êtes plus sous la loi mais sous la grâce » (Rom. VI, 14) et: «Si vous êtes conduits par l'Esprit, vous n'êtes plus sous la loi » (Gal. V, 18) en disant que l'apôtre avait en vue la loi cérémonielle.
Si tel est le cas, répondait Farel, comment faire accorder cela avec ce qui est dit de la nouvelle loi écrite dans nos coeurs ? Lorsque Paul dit que la loi attise la convoitise et qu'elle n'est pas faite pour le juste, il ne parle pas de cérémonies, mais bien des dix commandements. C'est donc un joug que nous ne pouvons pas porter, le fardeau de la loi ne sert qu'à nous affaiblir. à nous éloigner de Dieu parce qu'elle nous asservit, et cependant le premier des dix commandements prescrivait d'aimer Dieu de toute son âme et de toute sa pensée. Christ est amoindri et Sa gloire obscurcie, s'il n'y a que les cérémonies et les malédictions d'ôtées, s'il n'est pas vrai que Christ nous a entièrement délivrés de la servitude légale, en nous plaçant dans une parfaite liberté. Mais sera-ce la liberté de mal faire ? demande bien vite le coeur naturel. Certes si un homme, après avoir été délivré du joug de la loi, est laissé à lui-même, il emploiera sa liberté à satisfaire ses désirs mauvais et ses passions. Mais celui qui a cru au Seigneur Jésus est-il laissé à lui-même ? N'y a-t-il rien autre sur la scène qu'une loi impitoyable, prête à condamner un pécheur impuissant ?

Croyez-vous au Saint-Esprit ? Il y a des millions de personnes qui déclarent dans leur confession de foi qu'elles y croient. «L'Esprit, dit Farel, nous a été donné par le Père, et par cet Esprit nous avons été amenés comme fils à la gloire du Père et nous rendons grâce au Père pour toutes choses. Nous sommes sous la loi, disent les uns; non, répondent d'autres; nous avons été amenés dans la glorieuse liberté des enfants de Dieu. Jugez vous-mêmes, dit Farel, laquelle de ces deux opinions est la plus à la gloire de Christ et la plus conforme aux Écritures. » Hélas nos coeurs naturels ne cherchent pas avant tout ce qui glorifiera Christ, mais ce qui nous fera le plus d'honneur à nous-mêmes. Or il est humiliant de nous entendre dire que nous ne pouvons pas garder la loi divine; nous aimerions mieux qu'elle nous fût proposée comme un moyen de nous améliorer. Au lieu de cela, la loi nous condamne et nous manifeste comme étant trop mauvais pour être améliorés. « Je vis, dit Paul, mais non pas moi, c'est Christ qui vit en moi. » Malheureusement nous préférons être quelque chose sous la loi, plutôt que de n'être rien et que Christ soit tout. Non seulement pour nous, mais en nous, Christ devrait être notre seul but; tout ce que nous faisons, même s'il s'agit de boire ou de manger, devrait être fait par la puissance de l'Esprit de Christ. Paul a véritablement vécu par la foi en Jésus; le Christ qui était la source de sa vie, était sa vie elle-même et Il était le seul but de cette vie. A ceci nous connaissons si la vie Rome habite en nous, c'est que Christ devient notre objet, notre seul but.

Je ne sais pas si les amis de Farel auront compris aussi bien que lui que les croyants marchent par une puissance nouvelle qui est aussi forte que la loi était faible. Peut-être qu'en cela comme en bien d'autres choses, Farel s'est trouvé seul à l'avant-garde, mais c'est un poste d'honneur. On ne sait si Farel aurait pu citer toutes les preuves fournies par l'Écriture sur ces sujets, aussi bien que ceux qui ont connu les saintes lettres dès leur enfance. Pour comprendre comment il se fait que nous ne soyons plus sous la loi, il faut se convaincre d abord, par l'étude de la Bible du fait que nous sommes morts et que notre vie est cachée avec Christ en Dieu; le Saint-Esprit nous le fera peut-être discerner, sans que nous soyons toujours capables d'établir clairement notre conviction d'après l'Écriture. D'ailleurs on ne doit pas oublier les ténèbres qui entouraient Farel et d'où la grâce divine l'avait tiré. Nous pouvons admirer à quel point il était au clair sur les pensées de Dieu. Il avait encore beaucoup à apprendre et peut-être n'est-il jamais parvenu à la pleine connaissance, mais grâce au Seigneur, il a été fidèle à tout ce qu'il avait reçu.

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