Bien des années après la mort si
douce de Victor Jaquemin, bien des années
après le délogement de Mme Dubois et
de Justine, recueillies toutes deux dans le sein du
Seigneur, on voyait devant la maison Latour un
grand platane entouré d'un banc circulaire.
Vers deux heures de l'après-midi en hiver,
vers six heures du soir en été, un
vieillard et sa femme sortaient de la maison
appuyés l'un sur l'autre : l'homme, presque
aveugle et voûté; la femme, encore
droite. Tous deux venaient s'asseoir sur le banc;
la bonne vieille mettait ses lunettes, tricotait et
lisait de temps en temps à haute voix dans
un gros livre. Une troupe de petits enfants
accourait de la maison
:celui-ci apportait un
tabouret pour les pieds de la femme
âgée; cet autre un coussin pour le
vieillard ; et puis ils se pressaient vers eux, les
comblant de caresses, les accablant de questions,
les entourant do joie et d'amour. Souvent une femme
de quarante ans environ, un homme un peu plus
âgé s'asseyaient auprès des
vieillards et leur prêtaient le secours de
leurs bras pour rentrer ou pour faire quelques pas.
On lisait sur leurs traits la plus grande affection
jointe à une vénération
profonde. Cet homme, cette femme dans la force de
l'âge étaient Jules et Marthe ; ces
vieillards, c'était M. et Mme
Latour.
Adèle, mariée dans une
ville voisine, ne pouvait vivre avec ses parents;
Marthe s'était établie chez eux.
Ceux-ci ne l'avaient pas demandé, mais ce
devoir était apparu si clair à leurs
enfants, ils trouvaient tant de douceur à le
remplir, qu'il avait bien fallu accepter leur
dévouement.
Une sérénité
parfaite était répandue sur les
traits amaigris des vieillards. Tout dans leur
maintien comme dans leurs paroles, annonçait
le bonheur. Les infirmités de la vieillesse
les avaient atteints, mais ils les supportaient
doucement, dans l'attente du corps glorieux. dont
Jésus les allait bientôt
revêtir. Antoine ne pouvait
plusfaire courir la navette
entre les fils de son métier, il ne pouvait
plus aller de village en village annoncer la bonne
nouvelle du salut; Louise avait cessé
d'aider sa fille dans les soins du ménage,
elle tricotait à grand' peine des bas
grossiers; tout deux demeuraient dans une inaction
forcée mais leur âme ne restait pas
oisive. Le calme dont ils jouissaient leur
permettait d'entendre plus distinctement la voix du
Seigneur. Soit qu'ils regardassent dans le
passé, soit qu'ils regardassent dans
l'avenir, les gratuités de l'Éternel
étaient là pour les enseigner et pour
les réjouir. lis étaient
arrivés comme dans le vestibule des cieux ;
ils secouaient la poussière terrestre
attachée à leurs habits, avant
d'entrer dans la salle des noces.
Quelle douceur dans leur union, dans
cette union mûrie par de communes
expériences, par de mêmes
épreuves, par de mêmes
bénédictions ! Les vieillards se
rappelaient avec attendrissement les beaux jours de
leur jeune affection, et ils revenaient au
présent avec bonheur, sentant qu'ils
s'aimaient mieux encore, qu'ils étaient plus
saintement unis.
Que de soins pour s'épargner l'un
à l'autre une fatigue; que de
félicité dans la communion des
prières ! Antoine, qui savait de
mémoire plusieurs
psaumes, les chantait parfois de sa voix
tremblante, pendant que Louise, les mains jointes,
l'écoutait en murmurant après lui les
paroles du roi prophète.
Ensemble ils parlaient des joies
prochaines de l'éternité : de leur
fils depuis si longtemps remonté vers son
Dieu, de ce Sauveur adorable qu'ils allaient
contempler, du bonheur de connaître enfin et
d'aimer, comme ils avaient été connus
et aimés eux-mêmes !
Et puis, les enfants
n'étaient-ils pas là, toujours avides
de les entendre redire. les scènes du jeune
âge?... Antoine ne racontait-il pas les
histoires de la Bible avec tant
d'intérêt, que les petits, bouche
béante, assis à ses pieds ou sur ses
genoux, auraient passé des jours entiers
suspendus à ses récits. Louise
n'enseignait-elle pas l'alphabet aux plus jeunes;
ne les soignait-elle pas avec une sollicitude toute
maternelle, pendant que sa fille vaquait à
d'autres occupations?... Grand-père et
grand' mère Latour ne gâtaient presque
pas leurs petits-enfants. Ils ne permettaient ni
qu'on désobéît, ni qu'on se mit
en colère, ni qu'on fût
égoïste, ni qu'on cachât la
vérité; mais aussi, comme on se
trouvait heureux à leurs
côtés!
Il y avait à Saint-Agrève
deux autres vieillards dont
la triste association offrait un désolant
spectacle.
L'homme était presque abruti par
l'ivresse. La femme, vigoureuse encore
malgré son grand âge, effrayait les
habitants du bourg par les blasphèmes qui
sortaient de sa bouche. On l'entendait
habituellement maudire le jour de sa naissance,
regretter avec emportement sa jeunesse, se
désespérer des maux que lui amenait
la caducité, appeler la mort.... cette mort,
dont les approches la glaçaient de terreur.
Entre ces malheureux époux, point
d'affection, point de support; un
égoïsme qui allait se satisfaisant avec
une révoltante naïveté.
Autour d'eux on voyait aussi de petits
enfants ; mais ces enfants, hardis, moqueurs, se
riaient oh! pitié ! se riaient des
infirmités, de l'abrutissement de leur
aïeul, s'enfuyaient. épouvantés
à l'approche de leur grand'
mère.
Dans la maison qu'habitaient les
vieillards, vivaient leur fille et son mari. On ne
se serait pas douté de la nature des liens
qui les rapprochaient, tant il régnait
d'animosité entre les parents et les
enfants. Ces derniers, à chaque instant se
plaignaient de la charge qui leur était
imposée, à chaque instant faisaient
sentir aux vieillards queleur
trop longue vie pesait à tout le
monde.
Ce vieillard, cette femme, ces enfants
ingrats, on les a déjà nommés
: c'était Charles Maillard, C'était
Rose, C'était leur fille.
Quittons ce désolant tableau,
retournons sous le grand platane, auprès
d'Antoine et de Louise. C'est le Dimanche soir.
Leurs enfants sont rassemblés auprès
d'eux, quelques jeunes gens entourent M. Latour et
l'écoutent avec attention.
- Mes amis, dit Antoine de sa voix grave
et un peu voilée, mes amis, vous
voilà dans l'âge où l'on se
marie. Toi, Paul, tu as déjà fait un
choix, et grâce au Seigneur, il est conforme
à la volonté de Dieu.
Quand j'étais à votre
âge, mes enfants, et, comme vous, impatient
de me voir époux, père de famille,
j'aurais fort désiré de rencontrer
quelque bon vieux qui me fit part de son
expérience. Louise, que voilà,
était plus avancée que moi, elle
avait reçu les conseils d'une digne femme
qui en savait long, tandis que moi, je
m'avançais dans la vie conjugale en
ignorant; je faisais maintes bévues, et si
je n'avais pas possédé la foi
évangélique, cette lumière qui
dissipe toutes les ténèbres, j'aurais
rendu ma femme bien
malheureuse.
N'est-ce pas? Louise ?... Louise
sourit.
Mes amis, je veux vous donner trois ou
quatre secrets de bonheur conjugal, tous
tirés de la Parole de Dieu. Ces principes
s'élèveront sur votre route, comme
ces mâts plantés le long des sentiers
de montagnes, qui l'hiver, lorsque la neige
recouvre tout, signalent le bon chemin au
voyageur.
Voici le premier de mes secrets : Gardez
votre pureté dans la jeunesse. Le monde dit
que c'est impossible, que c'est absurde, que Dieu
ne l'exige pas, que la sagesse viendra dans son
temps. Le Saint-Esprit dit - « Aucun impur n'a
part à l'héritage du royaume.
(1)
Ne savez-vous
pas que votre corps est le temple 'du Saint-Esprit
qui est en nous et qui nous a été
donné de Dieu, et que vous n'êtes
point à vous-mêmes; car vous avez
Été rachetés à un grand
prix. Glorifiez donc Dieu en votre corps et en
votre esprit qui appartiennent à Dieu.
» (2)
Mes
amis, voyez qui vous voulez croire, du monde ou de
Dieu ; mais sachez-le bien: souiller votre
jeunesse, c'est souiller votre âge mûr;
vous adonner à la corruption dans le
célibat, c'est préparer
l'adultère; flétrir votre coeur,
c'est l'empêcher de
goûter les félicités immenses
d'une union sanctifiée par la
présence de l'Éternel.
Voici le second de mes secrets. Une fois
mariés, que l'amour de Jésus Sauveur
soit la pierre angulaire de votre association.
Lisez la Bible avec votre femme, priez ensemble,
efforcez-vous ensemble de courir un but.
Gardez-vous d'induire une femme en tentation. Ne
vous servez ni de sa faiblesse ni de l'affection
qu'elle vous porte, pour la détourner de
Dieu. « Comportez-vous discrètement
avec elles, dit l'Écriture, comme avec un
vaisseau plus fragile, c'est-à-dire
féminin, leur portant du respect, comme ceux
qui êtes aussi avec elles héritiers de
la grâce de vie, afin que vos prières
ne soient point interrompues. »
(3)
Ce n'est pas tout. Les désirs de
la femme se rapportent à son mari ;
(4)
l'homme est
le chef de la femme;
(5)
mais il est
son chef pour la protéger, non pour la
tyranniser. Ne faites donc pas descendre au rang
d'esclave, celle qui vous a été
donnée pour compagne. N'exigez pas trop de
ses forces physiques; ne froissez pas son coeur; ne
l'écrasez pas sous le joug. Et puis, ayez
confianceen ce coeur que Dieu
fait battre près du vôtre, afin que
vous partagiez avec lui vos espérances, vos
inquiétudes, vos peines et votre bonheur. Ne
vous associez pas seulement pour travailler et pour
manger; associez-vous pour sentir en
commun.
Mes amis, ne refusez pas à vos
compagnes une part de cette aisance que leur
économie, que leur travail autant que vos
fatigues amènent dans le ménage.
L'avarice des hommes excite la cupidité des
femmes, elle les dresse à la ruse, au vol,
elle les abaisse. Soyez généreux,
votre union s'en relèvera, votre avoir s'en
accroîtra.
Les meilleures épouses comme les
meilleurs maris sont des créatures
pécheresses, mes enfants ; et le
péché exerce la patience,
Appliquez-vous donc à la miséricorde.
Devez-vous adresser une réprimande?
faites-le en vue de l'éternel bien de votre
femme, non en vue de votre avantage personnel.
Surtout, ne laissez ni votre orgueil ni votre
colère donner la leçon... ce sont de
mauvais instituteurs. - Est-ce à vous qu'une
épouse présente la
vérité? recevez-la, mes amis,
recevez-la quand même elle vous arriverait
tout
hérisséed'épines.
- « Maris, aimez vos femmes et ne vous
aigrissez point contre elles. »
(6)
Un dernier mot. Gardez la foi
jurée. L'adultère fait plus que de
troubler la famille, plus que de déchirer le
coeur d'une épouse - il ouvre son âme
à la tentation, il peut la perdre pour
l'éternité. Dieu se déclare le
vengeur de cette offense. « Voici une autre
chose que vous faites, dit-Il : vous couvrez
l'autel de l'Éternel de larmes, de plaintes
et de gémissements, de sorte que je ne
regarde plus à l'oblation et ne prends rien
à gré de ce qui vient de vos mains.
Et vous dites ; Pourquoi? C'est parce que
l'Éternel est intervenu entre toi et la
femme de ta jeunesse, contre laquelle lit agis
perfidement ; et toutefois elle est ta compagne et
la femme qui t'a été accordée.
Or, Il n'en a fait qu'un, et néanmoins il y
avait en Lui abondance d'esprit. Mais pourquoi n'en
a-t-il fait qu'un? C'est, parce qu'il cherchait une
postérité de Dieu. Gardez-vous donc
dans votre esprit; et, quant à la femme de
ta jeunesse, prenez garde qu'on n'agisse point
perfidement avec elle. »
(7)
Vous représentez le Seigneur
auprès de vos compagnes. Le Seigneur!... si
sainteté, son amour,sa
fermeté, sa fidélité, sa
douceur!... - Pensez-y !
Après un instant de silence
:
- Voici votre force! s'écria le
vieillard en posant sa main amaigrie sur la Bible
placée à côté de lui.
Mes enfants, je puis errer, ... la Parole de Dieu
ne vous trompera pas. Je ne vous ai donné
que des conseils incomplets elle vous dira tout;
tout ce qu'il faut pour marcher
chrétiennement dans l'union conjugale, tout
ce qu'il faut pour arriver certainement aux
tabernacles éternels.
C'est par ces mots d'Antoine Latour que nous
terminons notre récit. Nous aussi, nous
avons pu errer ; nous aussi, nous n'avons
donné que des conseils incomplets.
Vous tous qui avez parcouru ces pages,
allez, oh! allez à la Parole de Dieu, elle
est esprit et vie!
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