Une semaine environ après la visite de
Mme Dubois à ses anciennes amies, Louise
monta vers le soir au Château.
- Ma chère Madame, dit-elle,
lorsque la gouvernante l'eut introduite dans sa
chambre, j'avais besoin de vous revoir seule. Votre
arrivée est une bénédiction
pour moi, ma méchanceté naturelle me
fait la guerre ; il y a dans ma vie des pierres
d'achoppement contre lesquelles je me heurte sans
cesse; quelques mots de vous me sont
très-nécessaires.
- Asseyez-vous, mon enfant; nous
causerons comme autrefois.
- Chère Madame, je n'ai que peu
de temps ; jevous dirai donc
tout de suite que c'est de ma belle-mère
qu'il s'agit. Elle est veuve, elle possède
deux filles mariées, mais elle a
témoigné le désir de vivre
auprès d'Antoine, qu'elle
préfère à ses autres enfants.
Mon mari, lorsqu'il s'offrit à moi pour
époux m'avertit qu'il regardait comme un
devoir de recevoir si mère chez lui. Alors
j'étais sans expérience, il me sembla
que je trouverais une seconde mère dans la
mère d'Antoine, je ne me doutais pas des
inconvénients qu'entraîne la
continuelle présence d'un tiers dans le
ménage; et j'acceptai ce joug... qui me
blesse maintenant, auquel je ne parviendrai
peut-être jamais à me
soumettre.
- Louise! interrompit Mme Dubois, d'un
ton de reproche.
- Oh! je le sais, Madame; ce que je dis
là est mal. Ce que je pense, hélas !
ce que je sens habituellement est encore plus
mauvais. Aussi je viens à vous pour que vous
me grondiez, pour que vous me remettiez dans la
bonne voie. Antoine m'est d'un grand secours, mais
les hommes n'entrent pas dans ces détails
qui font notre vie à nous; et puis je n'ose
lui dire tout ce que je souffre parfois; je n'ose
lui raconter les détestables mouvements de
mon coeur. Mme Latour, étant sa mère,
je dois garder une certaine
réserve.
- Eh ! Louise, mon enfant, vous avez
tort.
C'est dans les rébellions de
votre coeur qu'il faut apporter de la
réserve, non dans vos habitudes de confiance
avec M. Latour. Qui peut mieux vous fortifier que
lui ? D'ailleurs cette pleine confiance seule ne
vous empêchera-t-elle pas de vous livrer
à tel ou tel sentiment
répréhensible, que vous ne cultivez
peut-être que parce que vous êtes
certaine qu'il l'ignore.
- Vous avez raison, Madame il faut
cependant que vous connaissiez bien ma position.
Mme Latour, vous avez pu vous en apercevoir, ne
partage pas nos convictions. Elle a toujours
scrupuleusement accompli les devoirs
extérieurs de la religion, elle lit sa
Bible, va régulièrement au temple,
mais ne comprend rien à l'Évangile.
Elle se croit juste, et la nécessité
d'une rédemption, la nécessité
d'une nouvelle naissance, la
nécessité de l'action du Saint-Esprit
dans le coeur, toutes ces vérités
trouvent son âme fermée.... bien plus,
elles l'irritent.
Mme Latour nous appelle «
orgueilleux, » parce que, croyant au
témoignage de la Sainte-Écriture,
nous estimons avoir fait notre paix avec Dieu par
le moyen du sacrifice de Jésus, elle nous
trouve « intolérants » parce que
nous disons avec saintPierre
- (1)
qu'il n'y a
qu'un seul nom sous le ciel par lequel les hommes
puissent être sauvés, savoir le nom de
CHRIST; elle nous trouve «
exagérés, » parce que nous
établissons dans notre vie certaines
règles de conduite prescrites par la Parole
de Dieu. De là, ma chère Madame,
naissent des frottements pénibles. À
chaque pas dans la sanctification , nous
rencontrons le blâme de ma belle-mère
ou les moqueries de mes belles-soeurs. S'agit-il
pour Antoine d'une manifestation à faire de
ses croyances, d'un sacrifice à offrir au
Seigneur, de l'opposition du monde à braver,
par exemple?... Aussitôt les reproches
éclatent, c'est justement au moment
où mon mari aurait le plus besoin d'appui,
qu'on redouble d'efforts pour le détourner
du droit chemin ; c'est justement quand les
consolations de l'amour fraternel lui seraient le
plus nécessaires, qu'on l'écrase sous
les sarcasmes.
Antoine assure que ces obstacles
accroissent notre zèle, que sans eux nous
tomberions dans le relâchement; je sens bien
au fond qu'il peut n'avoir pas tort; mais quand la
contradiction arrive sèche, irritante, quand
elle se présente (ce qui est rare) sous les
formes de la tendresse; lorsque, pour
nousPierre -
(2)
qu'il n'y a
qu'un seul nom sous le ciel par lequel les hommes
puissent être sauvés, savoir le nom de
CHRIST; elle nous trouve «
exagérés, » parce que nous
établissons dans notre vie certaines
règles de conduite prescrites par la Parole
de Dieu. De là, ma chère Madame,
naissent des frottements pénibles. À
chaque pas dans la sanctification , nous
rencontrons le blâme de ma belle-mère
ou les moqueries de mes belles-soeurs. S'agit-il
pour Antoine d'une manifestation à faire de
ses croyances, d'un sacrifice à offrir au
Seigneur, de l'opposition du monde à braver,
par exemple?... Aussitôt les reproches
éclatent, c'est justement au moment
où mon mari aurait le plus besoin d'appui,
qu'on redouble d'efforts pour le détourner
du droit chemin ; c'est justement quand les
consolations de l'amour fraternel lui seraient le
plus nécessaires, qu'on l'écrase sous
les sarcasmes.
Antoine assure que ces obstacles
accroissent notre zèle, que sans eux nous
tomberions dans le relâchement; je sens bien
au fond qu'il peut n'avoir pas tort; mais quand la
contradiction arrive sèche, irritante, quand
elle se présente (ce qui est rare) sous les
formes de la tendresse; lorsque, pour
nousébranler, ma
belle-mère cherche à exciter dans nos
coeurs le levain de l'orgueil, de l'envie, des
mauvaises passions; oh ! alors il m'est impossible
de voir dans sa présence auprès de
nous autre chose qu'un piège, qu'un
malheur!.... Oui, sa présence ne
m'empêche pas seulement d'avancer, elle me
fait pécher.
- Comment cela? demanda gravement Mme
Dubois.
- Mais, ma Chère Madame, cela est
clair. Mon coeur devrait garder la paix, et ces
luttes intérieures le troublent ; je
voudrais montrer l'excellence de ma foi par mon
support, et je ne discute jamais avec ma
belle-mère sans avoir à me reprocher
des paroles blessantes, sans m'avouer à
moi-même que je perds la cause du Seigneur au
lieu de la défendre ! - Que de fois n'ai-je
pas formé le projet de me dompter ! Que de
fois, durant mes journées de travail hors de
la maison, n'ai-je pas cherché à
réveiller dans mon coeur des sentiments
d'affection pour ma belle-mère Ils y sont
ces sentiments, oui , je l'aime... Eh bien, lorsque
pleine de bonne volonté je rentre chez moi,
ce regard froid, cet accueil hautain, la certitude
que j'ai d'être examinée avec
malveillance, tout cela détruit mes
résolutions; l'amertume revient dans mon
coeur, et le plus que je puis faire, c'est de me
taire.
- Louise, Louise, dit Mme Dubois, je
vois bien ici du péché, mais ce
péché est le vôtre, mon enfant.
votre belle-mère ne vous « fait pas
» être rebelle, être haineuse,
être impatiente... Elle met en
évidence ces mauvaises dispositions qui vous
appartiennent en propre, croyez-moi.
- C'est vrai, murmura Louise... et
pourtant quand Je vois mes belles-soeurs me
taquiner comme à plaisir, la physionomie de
ma belle-mère briller d'une méchante
satisfaction toutes les fois qu'elle réussit
à me mettre en contradiction avec mes
principes, lorsque je songe au calme dont je
jouirais dans l'intimité avec Antoine et mes
enfants,... je ne puis me défendre de penser
que ma belle-mère est un obstacle à
mes progrès religieux.
- C'est le démon, Louise, qui
vous dit cela. Dieu parle autrement. Voyez ici:
« Nous nous glorifions même dans les
afflictions, sachant que l'affliction produit la
patience, et la patience l'épreuve, et
l'épreuve l'espérance. »
(3)
- Ah ! je n'en suis pas là,
Madame.
- Vous n'y arriverez point, aussi
longtemps que vous vous appuierez sur votre
volonté, comme vous l'avez fait jusqu'ici
sans vous en douter, mon enfant. Si vous regardiez
plus à Christ, moins à vous; si
à l'heure de la tentation, au lieu de lutter
toute seule, vous appeliez Jésus à
votre secours par une secrète
prière.... vous n'auriez pas tant de chutes
à déplorer; ainsi que votre excellent
mari, vous comprendriez que cette discipline qui,
au premier moment, semble un sujet d'affliction, en
est un au contraire de parfaite joie.
(4)
- Je connais mon péché,
Madame, croyez-le. Hélas! oui, je m'y prends
mal avec ma belle-mère. il faudrait, pour
l'attirer à nos convictions, lui en montrer
la douceur, l'efficacité... Je n'en fais
rien. Par moments, elle me voit inquiète,
chagrine, et cette confiance en Dieu, cette paix
chrétienne dont je parle souvent ne lui
semblent que des mots; par moments, je m'abandonne
à mes passions naturelles, et cette foi qui
laisse à mon caractère toutes ses
épines, ne lui paraît être
qu'une idée mise à la place d'une
autre idée... qu'une hypocrisie.
N'arrive-t-il de rendre témoignage à
Christ,je le fais d'une
manière si gauche, je suis si tranchante ou
si effrayée, je manque tellement de
véritable amour à d'humilité,
que je ruine moi-même dans l'esprit de ma
belle-mère, les croyances que je voudrais
lui faire adopter.
- Mon enfant, il n'est pas une de ces
expériences par laquelle je n'aie
passé, «Dieu qui sait bien ce qu'il
fait, laisse ces pierres sur le chemin de tous les
chrétiens. Allez, de telles épreuves
nous en apprennent plus long sur notre malice et
sur notre incapacité, que les meilleures
leçons !... Et pourtant, je ne vous
épargnerai pas les miennes. Je sais par
moi-même qu'il est plus aisé de parler
que d'agir, plus facile d'établir
l'excellence de la foi chrétienne par ses
discours, que de la prouver par sa conduite; je
sais que si le fidèle a un grand sujet de
joie, il en rencontre mille petits de tristesse;
mais ce que je sais aussi, Louise, c'est que notre
péché est la première cause de
notre mécontentement, et que c'est au coeur
qu'il faut porter le remède.
Louise, si vous n'étiez ni
impatiente ni orgueilleuse, les reproches de votre
belle-mère ne vous irriteraient pas. D'un
autre côté, si votre foi, tout en se
montrant sincère et ferme, ne marchait pas
accompagnée de défauts blessants,
elle froisseraitbien moins
votre belle-mère. - Ce qu'on prend toujours
chez les mondains pour de l'inimitié contre
les convictions chrétiennes, n'est bien
souvent que de l'inimitié contre le
péché du chrétien...
Travaillez donc sur vous-même, ma Louise; et
travaillez les yeux tournés vers Celui de
qui nous vient toute force.
- Je ne l'ai presque jamais fait, reprit
tristement Louise après un instant de
réflexion. Il arrive souvent à ma
belle-mère de contrarier nos plans
d'éducation, d'exciter la vanité des
enfants, de se moquer devant eux de nos scrupules;
souvent elle se montre jalouse de son
autorité dans le ménage, et
m'interdit absolument de me mêler de quoi que
ce soit ; mon affection pour Antoine la fatigue,
elle m'envie jusqu'au regard de mon mari, et
cherche a rompre nos plus courts instants de
tète-à-tête... alors, Madame;
je m'adresse à moi-même d'odieuses
questions; je me demande pourquoi ma
belle-mère, qui ne partage aucune de nos
convictions, ne nous laisse pas en paix et ne va
pas vivre avec ses filles qui pensent comme elle;
je me demande s'il faut que mes plus belles
années soient empoisonnées par celle
continuelle contrainte, je
medemande... Oh Madame?... ce
que j'ose penser est odieux.
- Écoutez-moi, Louise. En
règle générale, je crois qu'il
est bon à un jeune ménage de vivre
seul; je le crois, parce que Dieu a dit : L'homme
quittera son père et sa mère, pour se
joindre à sa femme ;
(5)
je Je crois,
parce que tant qu'un fils demeure sous le toit
paternel, son autorité comme chef de la
famille s'établit difficilement, parce que
les rapports immédiats de belle-mère
à belle-fille, de beau-père à
gendre, amènent, grâce à notre
mauvaise nature, des frottements pénibles et
fâcheux ; je le crois encore, parce que la
présence, habituelle, parce que la
domination, peut-être la jalousie des
parents, nuisent à l'intimité,
à l'union des époux; mais cette
règle générale doit
céder devant certains cas exceptionnels, et
le vôtre, Louise, est un de ces
cas-là.
Le veuvage laisse-t-il un père,
une mère dans l'isolement; la vieillesse ou
la maladie atteignent-elles des parents; il n'y a
pas d'hésitation possible; le devoir est
clairement marqué par le Seigneur, nous
n'avons plus qu'à l'accepter de plein
coeur.
- Oh Madame! l'ingratitude des enfants
m'a toujours fait frémir, je vous
l'assure.
- Oui, reprit Mme Dubois, elle est
horrible. Tenez, Louise, j'ai vu, dans un village
qui n'est pas éloigné de celui-ci,
une fille reléguer sa mère
âgée, infirme, dans une espèce
de, taudis situé sous les tuiles, tandis
qu'elle occupait, avec son mari et ses enfants, les
meilleures pièces de la maison. La pauvre
vieille couchait sur un misérable grabat
qu'elle ne pouvait plus quitter, et dont on ne
renouvelait pas trois fois les draps dans
l'année. Le matin, le soir, on lui portait
quelque nourriture, puis on n'y retournait pas,
sous prétexte que sa mémoire et sa
tête n'y étaient plus, qu'elle pouvait
très-bien se passer de
société, et qu'on avait affaire
ailleurs. Une voisine, émue de compassion,
montait de temps à autre vers cette
malheureuse mère, étanchait sa soif,
et chassait les mouches qui s'amassaient sur son
corps paralysé. Une dernière maladie
survint, la pauvre mère resta huit heures
entières à l'agonie, sans que sa
fille songeât à lui porter secours; ce
fui entre les bras de la voisine qu'elle
expira.
- Oh ! c'est affreux! s'écria
Louise en pleurant et en cachant sa tête
entre ses mains.
- Sans chercher des exemples aussi
odieux, poursuivit Mme
Dubois, ce que nous voyons tous les jours autour de
nous ne dénote-t-il pas dans le coeur des
enfants une abominable sécheresse, ce
mépris des commandements de Dieu, cette
absence des affections naturelles, dont parle saint
Paul dans le premier chapitre de son
épître aux Romains? N'arrive-t-il pas
tous les jours que des parents eux-mêmes
enseignent à leurs enfants la
désobéissance,
l'irrévérence envers un
grand-père, envers une grand-mère? Ne
se plaint-on pas devant ces derniers de, leurs
infirmités qui exigent des soins, de leur
appétit qui appauvrit la famille? Un fils,
une fille s'imposent-ils quelque privation pour
adoucir la vieillesse d'un père, pour lui
procurer de chauds vêtements ou une
nourriture fortifiante? Quand les parents
âgés tombent malades, s'empresse-t-on
d'aller au médecin, achète-t-on les
remèdes qu'il prescrit, ne laisse-t-on pas
la mort s'emparer au plus vite de, ce corps dont la
longue vie pèse à tout le monde? Ces
pauvres êtres abandonnés, ils ont
dépensé leur existence pour soutenir
la vie de leur fils, de leur fille. Si les
infirmités leur arrivent de bonne heure,
s'ils sont avant le temps obligés
d'interrompre tout travail, c'est qu'ils ont
affronté la fatigue, la faim, le froid, pour
nourrir ces enfants qui les
délaissent.
- Oh! Madame ! murmura Louise à
travers ses sanglots.
- Vous avez raison de pleurer Louise.
Grâce à Dieu, votre conduite envers
votre belle-mère n'offre rien de pareil ; sa
chambre, je le sais, est la plus gaie de la maison,
son lit le meilleur, vous lui avez laissé la
direction du ménage, vous lui
témoignez du respect; cependant, descendez
tout au fond de votre coeur, mon enfant, et
dites-le moi, les sentiments d'impatience que vous
cultivez en secret, ne sont-ils pas les mêmes
qui ont produit, qui produisent à l'heure
qu'il est, ces faits dont la seule pensée
vous indigne ?
- J'ai horreur de moi! que dois-je
faire, oh ! que dois-je faire?
- D'abord, ma chère Louise,
accepter dans son entier l'obligation que Dieu vous
a imposée; ne plus batailler contre elle. Le
Seigneur a mis ce joug sur votre cou, dites-vous
qu'il vous est bon. Ne vous amusez pas à
songer au bonheur dont vous jouiriez, si votre
belle-mère ne vivait pas sous votre toit. il
y a du poison dans de telles rêveries. Ne
vous arrêtez ni aux regrets, ni aux
arrière-pensées, ni aux mauvais
désirs. Votre belle-mère
réclame des sacrifices, ne les lui faites
pas acheter; refusez-vous le plaisir des vengeances
de détail ; laissez
là votre volonté une fois pour
tontes, laissez là aux pieds du Seigneur,
oui, donnez-vous à Christ, mon enfant, il
vous conduira pas après pas. - Et puis
(c'est par là peut-être que j'aurais
dû commencer), aimez votre belle-mère,
aimez-la beaucoup.
- J'ai de l'affection pour elle, Madame,
je vous le certifie.
- Vous croyez en avoir, Louise, vous
vous trompez ou plutôt, vous n'aimez pas
comme il faut. Aimez Mme Latour
indépendamment de ses qualités ou de
ses défauts, indépendamment de ses
bons ou de ses mauvais procédés ;
aimez son âme, son âme pour laquelle
Christ est mort. Aimez votre belle-mère
à cause des soins qu'elle a prodigués
à votre mari, à cause de
l'attachement, qu'elle lui témoigne, quelque
exigeante, quelque importune que soit d'ailleurs
une telle tendresse ! Vous savez, Louise, à
qui il faut demander de disposer ainsi votre coeur;
allez à Celui-là, mon enfant, allez-y
à chaque instant, dans chaque circonstance,
et vos rapports si difficiles se
simplifieront.
Tel ou tel acte de support vous semblait
impossible, vous serez étonnée de le
trouver aisé ; vous ne rencontriez
qu'amertume dans vos relations avec votre
belle-mère, elles revêtiront par moments une
grande
douceur ; vous retomberez quelquefois, souvent
peut-être; vous aurez des heures
d'irritation, d'autres de découragement,
mais Christ est là, de sa main forte il vous
relèvera.
Louise était trop émue
pour pouvoir répondre.
- Et le salut de la mère de votre
Antoine, poursuivit Mme Dubois, quel objet de
sollicitude! Mon enfant, si à cause de vous
elle s'éloignait du seul Sauveur, n'y
aurait-il pas là de quoi pleurer
éternellement!.. Et si à cause de
vous elle vient à connaître, à
aimer Jésus ; si elle goûte dès
cette vie l'immense félicité du
pardon; si elle entre, en tenant votre main, dans
la glorieuse Jérusalem, n'y aura-t-il pas de
quoi se réjouir aux siècles des
siècles avec les anges?
- Rien, non, rien ne me coûtera
pour triompher de moi, murmura Louise.
- Courage! ne vous épargnez
point; le temps est court. Quand le Seigneur aura
retiré votre belle-mère, et que vous
ne pourrez plus rien pour elle, vos souffrances,
votre soumission, tout cela vous paraîtra peu
de chose, mon enfant.
- Quel remords, s'écria la jeune
femme, si j'avais rempli d'amertume les vieux jours
de ma belle-mère !.. Avec la grâce de
mon Dieu, je l'aimerai,je lui
obéirai, j'y trouverai mon plaisir... S'il
le, faut, je lui sacrifierai mes plus douces joies,
notre intimité, notre...
- Sacrifiez-lui votre amour-propre, vos
convenances, vos plaisirs même les plus
chers, mais réservez avec prudence, avec
fermeté ce qui touche à la vie du
mariage; il y a là des devoirs aussi. Gardez
à votre mari la connaissance de vos
pensées secrètes; conservez-lui son
autorité; ayez ensemble. des moments de
solitude, durant lesquels vous puissiez lire,
prier, causer sans témoins. Que vos enfants
de même respectent leur grand-mère,
qu'ils lui soient soumis, mais qu'ils le soient
dans la mesure chrétienne. Faites au
Seigneur la première place partout ; au chef
de famille, la seconde ; déterminez vos
rapports avec votre belle-mère en
présence de Dieu. Résignez-vous
à froisser quelquefois, à blesser
même; mais sur la blessure appliquez toujours
le baume de la tendresse et du respect,
- Que tout cela est difficile
- Dites impossible, Louise, sans le
secours journalier du Saint-Esprit. Mon enfant,
c'est par beaucoup d'afflictions qu'on entre dans
le royaume de Dieu. Vous passerez par de cruelles
angoisses ; je vous l'ai dite vous tomberez alors
que vous vous croirez debout
; vous verrez peut-être un redoublement de
froideur répondre à votre
dévouement; mais nous sommes plus que
vainqueurs par celui qui nous a aimés,
Louise, et puis, l'épreuve nous convient; il
nous faut être émondés pour
porter du fruit; confions-nous donc à celui
qui tient la serpe, il ne retranche que les
branches mortes.
Après un moment de silence
:
- Si vous avez le temps de
m'écouter, Madame, reprit Louise, les yeux
encore humides et le coeur gros, je vous dirai que
je ne suis pas toujours contente de moi sous
d'autres rapports il s'agit d'Antoine. Oh! cela
n'est presque rien, et toute la faute vient de
moi.
Dieu m'a fait des grâces
inouïes; je puis le dire sans me gêner,
puisqu'Antoine n'est pas là. J'ai en mon
mari un ami tendre, profondément pieux, qui
me soutient, qui me supporte, que j'aime de toutes
mes forces! - Eh bien, le croiriez-vous, Madame,
heureuse comme je le suis, il y a des moments
où je trouve le Moyen d'être triste,
des moments où je trouve le moyen de me
fâcher contre Antoine, où je me
préoccupe de ce qui lui manque
peut-être, pour le regretter avec
déraison !
Mon naturel est ouvert. Dire à
mon mari tout ce qui me vient dans l'âme est
un besoin pour moi. Antoine, au contraire, se
renferme souvent en lui-même, et lorsqu'il a
l'air de ne pas prendre intérêt
à mes confidences, je me retire
blessée, je vais à l'écart
nourrir des sentiments de rancune ; si dans ce
moment il se rapproche de moi, j'éprouve une
diabolique joie à le repousser.
Son amour s'exprime plus par des actes
que par des paroles... Dans ses heures de silence
obstiné, je suis assez folle pour mettre en
doute son affection; son calme me fatigue,
m'impatiente presque. Ai-je une observation
à lui adresser, je le fais quelquefois avec
douceur, avec humilité... plus souvent c'est
ma passion, mon orgueil qui parlent; j'ai l'air
fâchée, et je querelle au lieu
d'avertir.
Antoine est par-ci par-là un peu
sombre; dans ces instants, je m'attache à
examiner sa physionomie; je m'en exagère le
sérieux; après un ou deux essais pour
le mettre en gaieté, je me crispe moi aussi;
je l'interrogeais avec tendresse, je lui adresse
quelques mots froids, irritants; si cela ne suffit
pas pour l'émouvoir, je recommence, je
redouble, je deviens insupportable, et je finis par
le faire sortir de sa douceur habituelle, ce qui
l'affligeprofondément,
et moi plus que lui, lorsque je rentre en
moi-même.
- Mon enfant, rien de tout cela ne
m'étonne. Nous êtes exigeante, vous
êtes insupportable (pour me servir de vos
expressions), parce que vous êtes
idolâtre.
- Oh! oui! c'est bien cela! j'aime trop,
mille fois trop Antoine!
- Dites : pas assez. Vous l'aimez en
égoïste; car l'idole, entendons-nous,
mon enfant, l'idole, c'est vous, et non pas
lui.
- Pourtant... fit Louise d'un air de
doute...
- Jugez-en, Louise, et voyez si dans
votre union vous poursuivez ce qui vous plaît
ou ce qui convient à votre mari? Voyez si ce
n'est pas de, vous, de vous plus que de lui que
vous vous préoccupez ... Vous vous
expliquerez alors comment, tout en croyant trop
aimer M. Latour, vous le tourmentez parfois. Allez,
mon enfant, les âpres fruits sauvages ne
croissent ni sur le figuier ni sur la vigne. Quand
vous surprenez en vous des mouvements d'impatience
contre votre mari; quand, malgré son
affection, sa piété, le charme de son
caractère, vous nourrissez du
mécontentement, ne vous faites pas
l'illusion de croire que ces sentiments viennent de
votre amour pour lui; c'est de
votreamour Pour vous qu'ils
procèdent, sachez-le bien. Mais il y a ici
autre chose. Croyez-moi, Louise, s'il est, bon
d'éclaircir tous les points louches, de ne
pas laisser s'établir des rapports froids et
contraints dans le mariage s'il faut aller
au-devant des pensées de l'homme, ouvrir
soi-même ce coeur naturellement fermé,
il y a du danger à examiner de trop
près l'humeur ou la physionomie d'un mari;
il y en a à provoquer trop facilement des
explications, à le tyranniser à force
de sensibilité inquiète...
impérieuse, pour mieux dire. N'appliquons
pas tant notre imagination à regretter cc
que nous n'avons point qu'à nous
réjouit de ce que nous possédons.
Vous l'avez dit, Louise, vous êtes la plus
heureuse des femmes; eh bien, mon enfant, la plus
heureuse des femmes trouvera toujours des taches
à son bonheur... surtout si elle met des
lunettes pour les mieux voir.
Louise, je vous conseille de chercher la
simplicité de coeur dans les affections;
d'aimer en effet, et non en idées ; de vous
attacher à cette obéissance, à
cette déférence que, sous
prétexte de tendresse, nous
remplaçons trop souvent par une
liberté qui ne convient pas. Fuyez les
discussions, l'amour-propre s'en mêle trop
vite pour que l'amour y demeure sain et
sauf.
Que jamais un tiers, que jamais votre
belle-mère, vos enfants, n'assistent
à ces divisions momentanées.
Eussiez-vous mille fois raison, retenez le mot qui,
en vous faisant triompher, humilierait votre mari,
ou donnerait à penser que vous ne vous
entendez plus. L'unité entre les
époux est une arche sainte, personne n'y
doit toucher : ceux qui en ont la garde pas plus
que les autres.
- Merci, Madame, merci; vous parlez
comme ma conscience.
- Cependant, ma Louise, c'est
peut-être la dernière fois que je vous
parlerai ainsi; oh! ne vous effrayez pas. J'ai
entendu avec un vif intérêt les
confidences que vous venez de me faire sur vos
relations conjugales; mes conseils vous seront
utiles, je l'espère; mais,
écoutez-moi bien Louise; découvrir
ces détails intimes à d'autres, ce
serait porter atteinte à la dignité
du mariage, nul oeil étranger, mon enfant,
pas même le mien, ne doit se glisser entre
votre mari et vous! L'union a été
faite pour renfermer deux personnes, pas une de
plus. Dans vos difficultés, allez au
Seigneur, Il vous dira tout ce qu'il faut faire.
Priez-le seule, avec régularité, en
consacrant un certain temps à ce saint
exercice... Je parierais que là-dessus il y
a quelques reproches à vous
adresser?
- Je prie avec Antoine, et seule un
instant avant de m'endormir; souvent aussi durant
mes occupations de la journée.
- Mon enfant, ce n'est pas assez. La
prière est une joie, elle, est aussi un
combat; nous ne pouvons nous approcher de
l'Éternel sans renverser, à droite et
à gauche, cent ennemis, la distraction, la
froideur, la sécheresse. Le Seigneur,
quelquefois, se fait chercher, Il exerce notre foi
par un apparent abandon ; il faut donc du temps
pour se préparer à la prière,
pour prier avec efficacité. Ne laissez point
de prétexte à votre paresse; ne
permettez pas à Satan de vous dire - «
Aujourd'hui tu n'as pas le loisir, tu es mal
préparée, demain tu prieras à
ton aise ! » Levez-vous un peu plus tôt,
couchez-vous un peu plus tard, et mettez au moins
quinze minutes devant vous pour lire quelques
versets, pour présenter toutes vos
requêtes au Seigneur.
Louise se leva et pressa les mains de
Mme Dubois dans les siennes.
- Me voilà prête à
faire ce que le Seigneur voudra,
s'écria-t-elle; Il m'en donnera les
moyens.
Louise Latour quitta le château et
descendit le sentier, accompagnée par Mme
Dubois, qui avaitaffaire dans
le village. La conversation tomba sur les anciennes
compagnes de Louise.
- Maintenant il n'y a pas à
s'occuper de Rose Maillard, autrement que par la
prière, dit Louise; la
prospérité l'a comme endurcie; elle
se croit heureuse, les idées
sérieuses l'irritent ou la font rire; c'est
Dieu qui se chargera de la toucher... Mais
Clémence, ma chère Madame, oh !
Clémence a besoin de toute notre affection.
Elle n'est pas entièrement tombée,
elle est même plus près de revenir
à la vérité qu'elle ne le
croit; elle a éprouvé de cruelles
déceptions : son orgueil, son coeur, tout
est froissé dans ce moment; elle se
révolte, mais si elle peut comprendre que
Jésus l'aime encore, elle est
sauvée!...
Et par elle, on pourrait arriver au
père Giraud, lui faire échanger sa
triste philosophie, ses superstitions (car il en a,
et qui marchent de bon accord avec son
incrédulité) contre les convictions
évangéliques! Quelle oeuvre ce
serait! quelle bénédiction!
Mme Dubois secoua la tête.
- Ah ! ma chère Madame, cette
fois-ci je vous prends en faute, et j'en suis bien
aise, car cela ne m'arrive guère !
- C'est vrai, j'ai manqué de
confiance enla puissance du
Saint-Esprit pour convertir. Mais je vous le
promets, Louise, si Clémence, ne vient pas
me voir, j'irai la trouver; à Dieu le soin
de faire le reste.
Là-dessus les deux amies se
séparèrent - l'une, pour rentrer
l'âme fortifiée et comme
rafraîchie dans son heureux ménage;
l'autre, pour vaquer à ses devoirs, et, tout
en les remplissant, recommander au Seigneur sa
protégée, pieuse de coeur et de fait,
mais encore bien jeune dans la vie
chrétienne.
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