Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES VOIES TROMPEUSES

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Il y a telle voie qui semble droite à mais finalement cette voie le conduit à la mort.
(Proverbes, XIV, 12.)


Mes Frères,

L
es races inférieures, qui semblent, par leur nature même, destinées à devenir la proie des forts, ont un caractère commun : l'insouciance. Elles vivent au jour le jour, elles suivent la voie qui s'ouvre devant elles sans se demander même où cette voie doit aboutir. Or, l'insouciance qui a son charme et qui nous émeut chez l'enfant, est ridicule et coupable chez l'homme fait dont les décisions peuvent entraîner pour lui-même et pour les autres de redoutables conséquences ; ne pas prévoir peut être un crime chez celui qui tient dans ses mains la fortune des autres ou les destinées d'un État. Il n'est d'ailleurs permis à personne de prendre une voie sans savoir quelle en est l'issue. a Il y a, dit l'Écriture, telle voie qui conduit à la mort. »

La tradition juive met ces paroles sur les lèvres de Salomon. C'est un singulier instructeur qu'un tel homme! Rien de plus noble ni de plus pur que sa première jeunesse; rien de plus émouvant que la prière par laquelle il demande à Dieu la sagesse, de préférence aux richesses, à la gloire, à la puissance, à la mort de ses ennemis (2 Chron. I, 7- 12). Plus tard, c'est lui qui construit le temple et qui prononce, pour le consacrer, cette admirable invocation où pas un mot ne trahit l'esprit sectaire qu'aurait pu éveiller la possession d'un sanctuaire national, mais où débordent, au contraire, la largeur envers l'étranger et le sentiment moral le plus vrai (2 Chron. VI, 14-42). Et cependant Salomon reste pour nous le redoutable exemple de la puissance des entraînements sensuels et des passions séniles, car, ainsi que le déclare l'Écriture avec cette rude franchise qui ne flatte jamais la vanité d'Israël, les femmes s'emparèrent de son coeur et le tournèrent vers d'autres dieux (I Rois, XI, 1-8).

On se sent douloureusement ému en présence d'une telle décadence. Que l'homme est faible et misérable! La sainteté dans le passé ne dispense personne de veiller sur soi-même., et la protection de Dieu que l'on invoque sur le berceau de l'enfant n'est pas moins nécessaire pour garder pure la couronne de cheveux blancs du vieillard.
Mais il y a de grands enseignements à tirer même d'une vie dévoyée ou déréglée. Les Juifs ont toujours cru que Salomon s'est repenti vers la fin de sa vie, qu'il est revenu à Dieu, et que c'est sous l'impression de ces humiliants souvenirs qu'il a écrit les livres des Proverbes et de l'Ecclésiaste auxquels son nom est resté attaché. Plusieurs parties de ces livres trahissent l'expérience amère d'une âme que le péché a longtemps asservie, et l'on peut remarquer qu'il ne s'y trouve pas une parole destinée à pallier le mal dont ils nous offrent la vive et saisissante peinture; la leçon qui s'en dégage va droit à la conscience; c'est là ce qui vous frappera sans doute en étudiant avec moi la parole de mon texte : « Il y a telle voie qui semble droite à un homme, mais finalement cette voie le conduit à la mort. »

M
es frères, il y a des voies qui mènent à la mort. Chacun de nous a rencontré des êtres que des excès ont conduits à une fin précoce; d'autres occupent encore une place sur la terre, mais leur santé ruinée, leurs facultés affaiblies montrent que, selon le mot de saint Paul, « ils sont morts en vivant » (1 Tim. V, 6). Plus sinistre encore est la condition de ces âmes cadavéreuses (comme les appelait Rousseau) et dont on se demande avec épouvante si elles pourront revivre. Ah ! les vrais morts ne sont pas ceux dont la tombe est arrosée de larmes que l'amour a fait jaillir. Bienheureux nous apparaissent souvent ceux qui s'en vont jeunes et qui laissent après eux un cher et pur souvenir! Leur image peut être du moins évoquée et leurs noms prononcés avec respect. À certaines heures, ils nous parlent encore, et, par le bien qu'ils nous font, nous sentons qu'ils sont là. Mais il y a ceux dont le nom est un opprobre et la présence un danger, ceux dont on doit éviter la rencontre et dont le seul aspect glace le coeur, parce que sur leur visage, éclairé autrefois par la jeunesse et l'espérance, le vice a marqué le signe affreux de la dégradation. Nous ne pouvons pas porter leur deuil, mais nos âmes pleurent leur dignité flétrie et leurs vies à jamais perdues. Mieux vaudrait chercher au cimetière leur place respectée et bénie que d'avoir à cacher leurs noms déshonorés! De tous ceux-là on peut dire que la voie qu'ils ont suivie les a conduits à la mort.

Toutefois, le sens que nous avons donné jusqu'ici à ce mot est insuffisant. La mort, dans le langage des Écritures, a une portée plus profonde et plus solennelle. L'appliquer soit à la destruction physique, soit à la dégradation de l'âme et à son déshonneur, ne suffirait pas. Il y a des êtres qui ne sont atteints ni dans leur vie, ni dans leurs forces, ni dans leur dignité apparente, et qui n'en valent pas mieux pour cela. Les habiles, les égoïstes qui ne songent qu'à eux-mêmes peuvent posséder tous les biens extérieurs : leur vie peut être riche, brillante, abondante en jouissance, admirée parles hommes. En sont-ils pour cela moins engagés dans une voie mauvaise? N'est-ce pas à des hommes de cette espèce que l'Évangile adresse souvent ses plus terribles menaces? Est-ce que les réprouvés auxquels le Juge suprême dira au dernier jour: « Retirez-vous de moi, je ne vous ai jamais connus » seront nécessairement, des vicieux et des indignes ? Est-ce que le mauvais riche de la parabole n'est pas au contraire un être auquel tout a réussi? L'oubli des autres et du pauvre, le culte de soi-même, l'âpre souci de ses intérêts propres, tous ces fruits amers de l'égoïsme ne peuvent être atteints par nos lois, et pourtant l'Évangile les condamne comme les pires manifestations du mal. La morale mondaine est un filet à grosses mailles qui retient certains pécheurs et laisse échapper les plus coupables. On peut être devant Dieu un misérable égoïste et recueillir pourtant les jouissances, l'approbation, les éloges que le monde prodigue à tous ceux qui ont su se faire une grande place ici-bas. Aussi, lorsque nous disons qu'un homme est engagé dans la voie de la mort, rien ne serait plus faux que d'entendre par là qu'il est un de ces parias que la société a frappés d'une ineffaçable flétrissure. La mort dont il s'agit ici, c'est l'état d'une âme condamnée par Celui qui voit le fond même de notre être et dont nul ne peut réformer le jugement, c'est l'état d'une créature qui s'est volontairement séparée de Dieu.

Cela dit, j'appelle maintenant votre attention sur le fait que telle voie qui nous perd peut nous sembler droite. Rien, plus que la conviction de ce fait, n'est de nature à troubler l'optimisme superficiel dans lequel tant de nos semblables puisent une sécurité trompeuse.

Voici le raisonnement par lequel ils se rassurent : à leurs yeux, l'essentiel, pour qu'un homme soit sauvé, c'est qu'il soit sincère; en d'autres termes, c'est que la voie qu'il suit lui paraisse droite, et, comme ils ne doutent pas de leur propre sincérité, ils se persuadent qu'ils seront acceptés de Dieu. Il y a en tout cela un mélange d'erreur et de vérité que nous ne pouvons laisser subsister,

Faisons une première remarque: il est évident, dans les choses d'ordre temporel, que la sincérité dans l'ignorance ou dans l'erreur n'a jamais sauvé personne des conséquences souvent terribles que cette ignorance ou cette erreur entraîne après elle. Les sociétés reposent sur cet axiome : « Nul n'est censé ignorer la loi » ; cet axiome a parfois des applications cruelles et presque iniques, et cependant qui ne voit qu'en l'ébranlant on ouvre la porte à toutes les passions, à toutes les convoitises, à toutes les violences qui, sous prétexte d'ignorance, vont réclamer le bénéfice de l'impunité? D'ailleurs, prenez-y garde, cet axiome est écrit dans la nature même. La nature frappe ceux qui violent ses lois sans tenir compte de leur état d'ignorance ou de bonne foi. L'enfant le plus innocent, l'être le plus naïf ne maniera pas impunément des substances explosibles; la machine qui saisit l'imprudent qui s'en approche et le broie dans ses formidables engrenages, ne s'arrêtera pas parce que ce malheureux croyait suivre un bon chemin. Tous les jours, nous voyons des hommes frappés, et souvent pour la vie, par suite d'une erreur qu'ils ont commise de bonne foi. Telle voie paraît droite à un homme, et cette voie le conduit finalement à la mort.

Je me garderai toutefois d'abuser de ces analogies qui pourraient aboutir à des conséquences révoltantes. Dieu n'est pas un inexorable factum; sa volonté, dans l'ordre moral et religieux, ne s'accomplit pas avec la précision cruelle d'une machine qui broie tout ce qu'on lui présente, la matière morte ou l'être vivant, le bloc de métal informe ou le corps gracieux de l'enfant qui s'est laissé saisir par elle en passant. Dieu tient compte de l'état intérieur de chaque être, de son ignorance, de ses erreurs involontaires. Celui qui a formé l'oreille n'entendrait-il pas? dit le prophète, Celui qui a mis en nous l'instinct sacré de la justice ne serait-il pas juste? ne serait-il pas l'équité même? On ne pourrait soutenir le contraire sans blasphème. Clément d'Alexandrie nous a conservé une parole familière du Christ qui n'est pas dans nos Évangiles : « Pesez avec équité », disait-il à ses disciples (1). Quand nous n'aurions pas cette parole, tout l'Évangile nous rappellerait la vérité qu'elle exprime. Elle est au fond même des enseignements du Maître, qui, souvent, a rappelé qu'il serait demandé à chacun suivant ce qui lui a été donné, et que la culpabilité grandissait avec la lumière. À ceux donc qui nous demanderaient si un homme qui se trompe sera sauvé, lorsqu'il est absolument sincère, nous répondrons que, sans nous mettre à la place de Dieu, « auquel seul appartient le jugement », nous sommes portés à le croire, et qu'une voie ne peut pas conduire à la mort éternelle celui qui y est entré en la croyant bonne et droite. Mais nous ajouterons que cette conclusion ne doit rassurer personne, car il s'agit précisément de savoir si, dans le choix que nous faisons, nous sommes absolument sincères; or, plus j'étudie les hommes, plus je m'étudie moi-même, plus je m'aperçois que rien n'est plus rare que cette sincérité dont on parle tant et dont tant de gens se font un mérite. Une chose devrait nous en avertir : c'est que ceux qui ont le plus souvent ce mot à la bouche s'en servent souvent comme d'une apologie pour justifier ce que leur vie a de répréhensible, et s'en font une arme contre les vertus auxquelles ils ne croient pas. Il ne faut donc pas dire : « Cette voie me semble droite, donc je puis m'y engager sans danger » ; il faut tout d'abord examiner si nous n'appelons pas droit ce qui nous plaît, ce qui nous attire, ce qui flatte nos secrets instincts.

Ah! s'il s'agissait ici de pure science ou de choses qui ne touchent point à nos passions ou à nos intérêts, je croirais plus volontiers à la rectitude de nos jugements, en me rappelant cependant qu'après tout nous ne sommes jamais infaillibles. Mais lorsqu'il s'agit de croyances religieuses ou de décisions morales, n'oublions jamais à quel point nous sommes influencés par des raisons cachées que nous n'avouons pas. Souvenons-nous que toute vérité qui nous humilie, qui nous pousse au dévouement, au sacrifice, éveille en nous des répugnances secrètes. Qu'une doctrine, au contraire, ou qu'une simple opinion soit d'accord avec nos sympathies naturelles, avec nos goûts, avec les côtés inférieurs de notre nature, c'est merveille de voir à quel point les raisons qui plaident en sa faveur acquièrent à nos yeux d'importance. Il est vrai que nous disons souvent : ci Je me défie de ce parti à prendre, parce qu'il me plairait trop » ; mais, après avoir donné à notre conscience cette satisfaction en paroles, nous n'allons pas moins en réalité là où notre intérêt nous attire.

Rien n'est donc plus trompeur que de se rassurer à la légère en disant : « Cette voie m'a semblé droite, aussi je l'ai suivie » ; il faudrait tout d'abord se demander si l'on a été droit soi-même dans ce premier examen.

Je suis pénétré, mes frères, de ce que ce sujet a de solennel. Il y a des moments dans la vie où nous sommes appelés à prendre un parti qui va décider de notre destinée. C'est un jour, une heure, une minute où se concentre d'avance tout notre avenir. Selon le sens dans lequel inclinera notre volonté il sortira de là pour nous le bonheur ou l'angoisse, la ruine ou le salut. Lorsqu'en voyage, par une nuit de tempête, emportés à toute. vapeur, nous apercevons à l'entrecroisement de deux lignes, sous le rayon d'une lueur fugitive, l'aiguilleur qui ouvre la voie ou la ferme, lequel de nous a songé sans frémir que sa vie et celle de ses compagnons de route dépendaient d'un mouvement de main de cet homme, et qu'il suffisait chez lui d'un moment d'éblouissement et de défaillance pour précipiter des centaines de victimes dans une direction fausse et pour amener en quelques minutes une collision affreuse, une scène ineffable de souffrance et d'horreur? Ainsi, dans toute vie humaine, il y a des heures solennelles où s'ouvrent devant nous des voies divergentes; du choix que nous faisons alors, dépend notre avenir tout entier. Puisque l'erreur, ici, a de telles conséquences, voyons par quels moyens nous pouvons nous en garder.
Contre l'erreur absolument involontaire, qui tient à un état de complète ignorance, il n'y aurait évidemment qu'un remède : la lumière; là où cette lumière manque, nous ne pouvons qu'implorer la miséricorde divine; le Saint et le Juste, en intercédant pour ses bourreaux eux-mêmes, a dit : « Ils ne savent ce qu'ils font. »
De cet état d'ignorance, Dieu seul est juge, mais cet état est rare; ce que je vous signale, ce que je redoute, c'est l'ignorance volontaire, c'est le penchant que nous avons à nous tromper nous-mêmes, de telle sorte que nous arrivons à considérer comme droite une voie qui ne l'est pas.

Faisons-le voir par un exemple. Une carrière s'ouvre devant vous, brillante et pleine de promesses : c'est, dans un avenir prochain, la fortune rapide, c'est l'éblouissement du succès; mais quelque chose vous dit que, pour y entrer, il faudrait fouler aux pieds certains scrupules. Les noms de ceux avec lesquels vous devriez y marcher vous inspirent une répugnance instinctive; vous pressentez que vous serez forcés de vous prêter, en leur compagnie, à des manières d'agir équivoques. Cela seul devrait vous suffire pour y renoncer.
Jamais. Prenez-y garde : si vous hésitez, si vous pesez indéfiniment le pour et le contre, si, au lieu d'écouter votre conscience, vous prêtez une oreille complaisante aux donneurs de conseils mondains, vous finirez (et ce sera votre châtiment) par vous persuader que cette voie est droite et par y marcher presque sans remords. Un de nos vieux huguenots, Agrippa d'Aubigné, parlant d'un courtisan qui hésitait entre sa conscience et sa fortune, dit qu'à la fin de ses délibérations « il mit sa conscience en croupe et partit ». Que de gens qui recourent au même procédé pour courir d'un pas rapide vers l'objet de leurs secrets désirs!

Autre exemple. Vous avez laissé votre coeur s'engager dans une voie détournée; une affection coupable l'envahit peu à peu; par moments, vous en mesurez les périls. Qu'y aura-t-il au bout de tout cela? La duplicité, à coup sûr, le remords, le trouble et le désordre porté dans l'existence d'un autre, peut-être le scandale et le déshonneur: car bien insensé celui qui se figure qu'on s'arrête quand on le veut sur ces pentes glissantes, et que le châtiment de la passion n'est pas dans la servitude même à laquelle elle nous réduit... Eh bien ! si vous ne faites pas un effort décisif sur vous-mêmes, si vous ne vous tournez pas dans un autre sens, si vous vous laissez envahir par les troublantes rêveries, par les compromis énervants, par les visions qu'enfante votre imagination surexcitée, il vous suffira peut-être d'un moment de vertige pour vous précipiter dans une honte irrémédiable, et votre clairvoyance naturelle n'aura fait que rendre plus humiliantes les suites de votre aveuglement volontaire.

Je parlais, en commençant, de ceux qui, des ici-bas, sont morts à la vraie vie, morts à l'honneur, morts à l'espérance, et dont on n'ose plus prononcer les noms sur lesquels pèse désormais l'infamie. Eh bien! soyez-en sûrs, ceux-là, si nous les interrogions, nous diraient aujourd'hui : « Que n'avons-nous pu entrevoir l'avenir? Pourquoi une parole prophétique ne nous a-t-elle pas annoncé, il y a dix, vingt, trente ans, l'abjection qui nous attendait? Nous aurions reculé d'épouvante. » Mes frères, cette parole, ils l'avaient entendue, mais ils n'ont pas voulu l'écouter. Tout entiers à l'ivresse présente, ils n'ont vu que des fleurs à l'entrée de la 'voie où la passion les attirait. Comment croire qu'une route aussi charmante pût les conduire à la mort? Ainsi commencent toutes les passions qui nous perdent. D'abord l'étourdissement, les rêves délicieux, les espérances infinies... Bientôt le sinistre retour de la réalité vengeresse, a révélation soudaine de l'égoïsme caché sous un langage menteur, le mépris de soi-même, le sentiment amer des années misérablement perdues, la vue claire et terrible du dernier fond des choses, et souvent le désespoir morne livrant à l'ivresse brutale le criminel vulgaire, ou tuant dans sa jeunesse même le malheureux qui, en quittant la table de jeu, se fait sauter la cervelle sous les ombrages enchanteurs de Monaco.

Ainsi, quand vous serez à l'entrée d'une voie, il faudra vous arrêter, mes frères, la mesurer du regard, et ne vous y engager qu'avec la paix de la conscience qui sent qu'elle accomplit la volonté de Dieu. Souvent, je l'avoue, la voie où Dieu vous conduit vous paraîtra triste, dure, escarpée. Il vous semblera qu'elle mène à une existence amoindrie et dépouillée, à la mortification de votre être et de tout ce qu'il y a en vous de jeunesse, d'ardeur et de flamme. Vous serez tentés de vous en détourner avec effroi. Eh bien ! laissez-moi vous le dire, il n'y a là qu'une menteuse apparence.

Les vraies joies, les joies intenses, durables, éternelles, les joies que rien ne flétrit, elles sont sur ces hauteurs du sacrifice où nos yeux voient de loin s'étendre comme un morne brouillard. Quand les Hébreux étaient en marche vers la terre promise, ils envoyèrent au delà du Jourdain des espions pour explorer le pays. Or, plusieurs d'entre eux revinrent épouvantés et dirent : « Vous ne posséderez jamais cette région; c'est une terre qui dévore ses habitants » (Nombres, X III, 32). Ainsi, lorsque Dieu nous appelle à chercher la vraie voie, celle de la justice, de la pureté, du devoir, du véritable amour, nos coeurs, nos lâches coeurs défaillent d'avance en présence de cet idéal austère qui les effraie; ils n'y voient que des cimes inaccessibles, que des solitudes glacées où toute joie doit mourir, et, dans leur effroi, ils s'en détournent pour descendre vers les régions où règne une enivrante atmosphère, vers les voies trompeuses au terme desquelles ils croient trouver le bonheur.. Ah! ne vous laissez pas prendre à ces illusions décevantes, à ces cruels mensonges. Allez où Dieu vous appelle : la route du sacrifice sera rude d'abord, peut-être jonchée d'épines, mais, en la suivant, vous monterez; vos horizons s'élargiront, un air plus pur soulèvera votre poitrine, des perspectives nouvelles surgiront devant vos regards surpris; au-dessus des brumes épaisses qui couvrent la plaine, vous verrez apparaître les sommets qu'illumine la clarté de la justice éternelle; dans la paix de ces hauteurs sereines, vous n'entendrez plus que le grondement lointain des passions vaincues, et vos coeurs connaîtront cet amour immense, infini, dont la possession est, dès ici-bas, la récompense suprême de ceux qui ont marché dans l'obéissance et la foi.

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(1) Littéralement : Soyez de bons peseurs. 
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