Cette étude est le résumé, et comme l'essence de trois conférences données par l'auteur, à Genève, en 1869. Il les a lui-même condensées en trois parties, qui forment le volume que voici
Note de l'éditeur.
La conscience est un lieu commun. Mais rien n'est
moins commun que les lieux communs, et rien n'est plus utile à
étudier.
Quand on le fait passer de la région
des banalités à celle des appréciations et de l'examen sérieux, on
découvre, non sans surprise, que le sujet rebattu est un sujet tout
neuf.
Je me sers donc aujourd'hui de ce lieu
commun : la conscience, pour aborder l'Évangile par un côté nouveau.
Ceux qui se donnent les airs d'en appeler à la
conscience contre l'Évangile, nous ont montré le chemin. Entrons-y
hardiment. Voyons ce que la conscience nous dit sur la Révélation.
En y regardant de près, nous découvrirons, je crois, que nous ne
savons pas assez par quel étroit lien toutes les questions de
droiture et de loyauté se rattachent à la Parole de Dieu, ni à quel
point la Parole de Dieu est exigeante en matière de droiture et de
loyauté.
Il importe de relever la conscience.
Aucun de nous n'a respiré impunément
l'air de ce siècle voué à la critique, ou rien ne parvient à se
tenir debout, rien ni personne. Aucun de nous n'a impunément
fréquenté les deux grandes écoles de notre temps, celle des
événements, celle de Hegel, qui, l'une comme l'autre, nous ont
enseigné la même chose: la respect du fait, l'adoration du succès,
la négation de la vérité.
Je ne perdrai pas mon temps à démontrer la
conscience. On ne démontre pas le soleil, on le montre.
La voix de Dieu en nous, notre
conscience est cela, nous tient à tous un langage pareil : Le bien
oblige! - voilà ce qu'elle nous dit: Le bien est la double
manifestation du bon et du vrai!
On a obscurci la question en
confondant cette loi fondamentale avec ses applications pratiques.
Comme catalogue, la conscience varie de pays à pays, d'époque à
époque, d'éducation à éducation, selon les lumières. Comme
obligation au bien, la conscience ne varie pas.
Ce témoignage de Dieu en nous cette
marque persistante de notre divine origine, rien sous le ciel ne
saurait en détruire la vitalité. Le sens moral est aussi fidèle,
aussi indépendant de nous que les sens physiques. Essayez de vous
persuader que ce que vous touchez n'est point là! Essayez de vous
persuader que vous n'êtes point tenu de faire ce qui est bon! Si
l'on nous ôtait notre conscience, l'obligation morale, la morale
elle-même, le monde moral tout entier croulerait du coup, car, tout
entier, il repose sur une assise unique : la conscience.
Ce témoignage souverain est un
témoignage infaillible. Nous ne parvenons pas plus à mettre en doute
cette infaillibilité-là, que l'immutabilité du bien et du vrai.
Ce témoignage infaillible est un
témoignage universel. Cette révélation-là n'a fait défaut à aucun
homme.
Fait universel, la conscience nous
offre un terrain commun, le seul où nous puissions tous nous
rencontrer, car, indépendamment des révélations extérieures, la
conscience pose l'obligation morale, et l'obligation morale est
notre maître à tous,
Ni la vérité, ni les droits de la vérité ne
parviendront à se passer de la conscience.
Tel homme connaît la vérité et
méconnaît, ses droits: il la connaît, mais non comme souveraine; il
en trafique, il l'ajourne, il en fait une base à transactions; elle
est à lui, il n'est point à elle. Tel autre ignore la vérité, mais
reconnaît ses droits. Il appartient d'avance à toute vérité qui a
fait ses preuves, il ne lui appartient pas à demi; qu'elle soit
grande ou petite, commode ou gênante, populaire ou impopulaire,
acclamée ou maudite, il sait d'avance qu'il la servira. Il est de la
race de ceux qui disent : « Je ne puis autrement! »
C'est que deux races d'hommes, en
effet, habitent la terre. La race des hommes qui ont des opinions et
n'ont pas de convictions, qui adhèrent à un parti et n'ont pas de
principes, qui s'échaufferont peut-être pour leur clan politique ou
religieux mais auxquels la croyance profonde, personnelle en
l'autorité de la conscience demeure étrangère; la race des hommes -
ils sont rares - qui, niant ou croyant, ont le sérieux que donne la
domination de la vérité. Leur conscience les gouverne. Elle cherche,
elle doute, elle accepte, elle affirme. Rien de tout cela n'est un
jeu des circonstances, un produit des entraînements, un calcul, une
émotion passagère, un enrôlement facultatif au service de telle ou
telle idée. Le vrai reste le vrai; le vrai doit être obéi.
J'ai parlé de race! Ce n'est pas que
celle-ci ait reçu ce qui manque à l'autre; seulement elle accomplit
un acte moral auquel tous sont conviés : elle a écouté la conscience
qui proclame la souveraineté du vrai, Elle est «de la vérité. » Elle
vit de vérité. Elle souffre, au besoin, pour la vérité. Elle ne
saurait se contenter à moins.
Il est beau, il est bon, ce besoin de
la vérité! Par lui on cherche, et par lui on trouve.
Elle est idéale, cette soif du vrai!
Par elle l'homme s'élève au-dessus des bas-fonds; par elle, il
refuse de se tromper lui-même; par elle, il aspire à ce ciel dont le
bonheur se compose en partie, de la possession de la vérité; par
elle, il entrera, tôt ou tard, en contact avec Celui qui se nomme «
le Dieu de vérité (1)
».
En présence des incrédulités bruyantes qui
tiennent le haut du pavé, la poursuite de la vérité religieuse est
devenue, je l'avoue, compliquée et angoissante pour plusieurs,
Quelques-uns hésitent devant tant de
science hautaine. D'autres, tout en gémissant, se laissent éblouir.
Il me semble qu'on voudrait trouver -
j'en juge par moi-même - une méthode certaine, populaire, qui permît
de se dérober à ces périls.
Dans un sens, je Me garderai de prôner
ma méthode; chaque âme a la sienne, et Dieu aussi a ses méthodes
pour nous attirer à lui.
Mais, après y avoir réfléchi mûrement,
il m'a paru que la conscience se présentait à nous. comme notre
moyen de défense le plus sûr. Avec elle tout se simplifie, et l'on
évite «de chercher beaucoup de discours (2)
».
C'est donc avec elle que je me,
propose d'aller à la rencontre des deux systèmes qui occupent le
premier rang aujourd'hui : le Positivisme; et ce qu'on a nommé : la
Science des religions.
Il importe plus qu'on ne l'imagine de
croire en conscience et pas autrement. Croire par lassitude, par
convenance, par paresse d'esprit, pour se délivrer des questions,
pour faire comme tout le monde; croire à moitié, croire qu'on croit
quand on ne croit pas: tout cela est effroyablement dangereux.
La vérité, traitée avec cette légèreté
coupable, se venge. Et c'est à l'heure où notre foi nous serait le
plus nécessaire, que nous nous apercevons qu'elle n'existe point.
On n'est pas consciencieux comme il
faudrait je le crains, en matière de conviction. Le mal qu'on fait
ainsi est énorme, car il blesse la conscience dans son essence même.
Laissant les calculs ignobles ou les
lâchetés, et à ne considérer que des entraînements excusables,
parfois généreux, il ne saurait être indifférent d'avoir pris sa
passion pour sa conviction, et d'avoir adopté, comme vraies, des
croyances alliées aux choses ou aux gens qu'on aime. Il ne saurait
être indifférent de se persuader qu'on est persuadé, quand on n'est
encore qu'ému. Le vrai ne se laisse ni aborder, ni conquérir de
cette façon. Lorsqu'on l'acquiert en conscience, on l'acquiert à la
sueur du visage. Cela ne se fait pas autrement. Mais alors la prise
est solide. Après les combats du coeur et de la raison, après les
victoires de la conscience, on croit ce qu'on croit.
Ajoutons que les fortes croyances ne
marchent ni avec l'étroitesse ni avec la roideur, Entre gens qui
croient fortement, règne le respect, Ce sont des consciences en
présence.
Me voici, moi convaincu, vis-à-vis
d'un douteur consciencieux. Est-ce que je vais le traiter du haut en
bas? Est-ce que je ne sens pas déjà une relation naissante entre lui
et le Dieu de vérité? Est-ce que ces efforts d'une âme sincère en
quête du vrai ne me remuent point?
Me voici, moi protestant, en face d'un
catholique consciencieux. Est-ce qu'il n'y a rien de commun entre
nous? Est-ce que nous ne servons pas le même Sauveur? Est-ce que
nous ne cherchons pas la même lumière?
Et cela ne nous empêchera nullement,
notez-le bien, de maintenir, l'un comme l'autre, les diversités de
notre foi, Nous ne trouvons pas que le faux vaille le vrai, qu'il y
ait des erreurs ou salutaires ou indifférentes. Non, nous ne disons
ni ne pensons cela. Et précisément parce que nous ne le pensons pas,
nous nous rapprochons.
Je me défie très-fort, pour mon
compte, des convictions de ceux qui ne savent ni respecter, ni
sympathiser. La conscience maintient sa protestation contre l'erreur
qui sépare, elle maintient son témoignage en faveur de la vérité qui
unit,
Je viens de le dire, ma conscience ne me permet
pas de déclarer que ceux qui ne pensent point comme moi ne sont pas
consciencieux.
D'un coté, je me souviens d'avoir
passé par là; de l'autre, je vois de mes yeux les douloureux et
loyaux combats qui se livrent dans le coeur de certains chercheurs.
Ces chercheurs, je sais qu'ils trouveront.
En attendant, ils doivent nous
inspirer une compassion profonde. Il en est de découragés, qui,
ayant rencontré beaucoup de croyances absurdes, ont renoncé à toute
croyance. Il en est qui souffrent - j'en connais - ils ne veulent
pas mentir; ils ne peuvent pas se contenter d'une forme ou d'une
illusion; mais quelque chose les dévore, et leur désolation marque
leur sincérité.
Il ne suffit pas, sans doute, d'être
sincère pour être consciencieux. Gardons-nous de confondre ces deux
mots. Tel homme qui doute sincèrement, finirait par sortir de son
doute s'il écoutait jusqu'au bout sa conscience. Celle-ci réclame de
nouvelles poursuites, de nouveaux efforts; elle indique du doigt le
péché; elle récuse une conquête exclusivement rationnelle. Que de
sincérités qui ne sont pas assez consciencieuses pour accepter ce
rude travail !
Elles ne le sont pas, car
très-difficiles vis-à-vis des raisons de croire, elles sont souvent
très-crédules à l'égard des raisons de douter.
Les crédulités incrédules forment un
gros chapitre des erreurs volontaires et fort peu consciencieuses du
genre humain.
La sincérité ne suffit donc pas. Nous
connaissons tous des sceptiques sincères qui acceptent carrément une
théorie d'après laquelle il n'y a ni vrai ni faux; d'après laquelle
rien n'importe; d'après laquelle toute religion mérite le respect,
parce que toute religion est vraie à son heure, parce que toute
religion répond à un besoin du coeur.
La conscience admettra-t-elle, un
instant cette doctrine? Aux yeux de la conscience, le faux sera-t-il
jamais bon? La conscience permettra-t-elle jamais le mensonge?
Allez, il n'est pas inutile de
rappeler à ceux qui nient ou qui doutent, le, devoir de nier ou de
douter en conscience. Qu'ils y regardent soigneusement. Tout comme
il y a des croyants trop peu consciencieux, il y a des incrédules
auxquels la conscience fait défaut.
La passion, moins que cela, une
certaine inertie, la peur des problèmes, le désir d'en finir avec ce
qui trouble, nous attirent des négations aussi bien que des
affirmations sans intégrité. Il est si commode de se réfugier dans
le parti pris pour échapper au combat !
Ajoutons, en ce qui concerne
l'incrédulité, un besoin de se soustraire au Dieu de l'Évangile, une
terreur de lui appartenir véritablement, que connaissent, hélas!
tous nos coeurs mauvais. Car la vérité dont il s'agit, sachons-le
bien, n'est pas une de ces vérités inoffensives qui se casent dans
l'intelligence sans gouverner la vie. Cette vérité-là veut le coeur,
elle veut l'existence, elle exigera des sacrifices, elle opérer&
une transformation radicale, elle tuera l'égoïsme, elle brisera
l'orgueil, elle ouvrira devant nous les perspectives infinies du
progrès moral, du dévouement absolu, de l'éducation personnelle.
Je n'ai donc pas tort de dire à ceux
qui nient - sans me permettre de juger personne : - Prenez garde!
Il n'est pas si aisé qu'on se le
figure, de mettre de la conscience dans ses négations.
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