Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PREMIERE PARTIE

LA CONSCIENCE ET LA VÉRITÉ

RECHERCHE DE LA VÉRITÉ RELIGIEUSE

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I

QUESTION POSÉE

 Cette étude est le résumé, et comme l'essence de trois conférences données par l'auteur, à Genève, en 1869. Il les a lui-même condensées en trois parties, qui forment le volume que voici

Note de l'éditeur.



La conscience est un lieu commun. Mais rien n'est moins commun que les lieux communs, et rien n'est plus utile à étudier.
Quand on le fait passer de la région des banalités à celle des appréciations et de l'examen sérieux, on découvre, non sans surprise, que le sujet rebattu est un sujet tout neuf.
Je me sers donc aujourd'hui de ce lieu commun : la conscience, pour aborder l'Évangile par un côté nouveau.

Ceux qui se donnent les airs d'en appeler à la conscience contre l'Évangile, nous ont montré le chemin. Entrons-y hardiment. Voyons ce que la conscience nous dit sur la Révélation. En y regardant de près, nous découvrirons, je crois, que nous ne savons pas assez par quel étroit lien toutes les questions de droiture et de loyauté se rattachent à la Parole de Dieu, ni à quel point la Parole de Dieu est exigeante en matière de droiture et de loyauté.
Il importe de relever la conscience.
Aucun de nous n'a respiré impunément l'air de ce siècle voué à la critique, ou rien ne parvient à se tenir debout, rien ni personne. Aucun de nous n'a impunément fréquenté les deux grandes écoles de notre temps, celle des événements, celle de Hegel, qui, l'une comme l'autre, nous ont enseigné la même chose: la respect du fait, l'adoration du succès, la négation de la vérité.


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II

CE QU'EST LA CONSCIENCE


Je ne perdrai pas mon temps à démontrer la conscience. On ne démontre pas le soleil, on le montre.
La voix de Dieu en nous, notre conscience est cela, nous tient à tous un langage pareil : Le bien oblige! - voilà ce qu'elle nous dit: Le bien est la double manifestation du bon et du vrai!
On a obscurci la question en confondant cette loi fondamentale avec ses applications pratiques. Comme catalogue, la conscience varie de pays à pays, d'époque à époque, d'éducation à éducation, selon les lumières. Comme obligation au bien, la conscience ne varie pas.

Ce témoignage de Dieu en nous cette marque persistante de notre divine origine, rien sous le ciel ne saurait en détruire la vitalité. Le sens moral est aussi fidèle, aussi indépendant de nous que les sens physiques. Essayez de vous persuader que ce que vous touchez n'est point là! Essayez de vous persuader que vous n'êtes point tenu de faire ce qui est bon! Si l'on nous ôtait notre conscience, l'obligation morale, la morale elle-même, le monde moral tout entier croulerait du coup, car, tout entier, il repose sur une assise unique : la conscience.
Ce témoignage souverain est un témoignage infaillible. Nous ne parvenons pas plus à mettre en doute cette infaillibilité-là, que l'immutabilité du bien et du vrai.
Ce témoignage infaillible est un témoignage universel. Cette révélation-là n'a fait défaut à aucun homme.
Fait universel, la conscience nous offre un terrain commun, le seul où nous puissions tous nous rencontrer, car, indépendamment des révélations extérieures, la conscience pose l'obligation morale, et l'obligation morale est notre maître à tous,


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III

DROITS DE LA VERITE


Ni la vérité, ni les droits de la vérité ne parviendront à se passer de la conscience.
Tel homme connaît la vérité et méconnaît, ses droits: il la connaît, mais non comme souveraine; il en trafique, il l'ajourne, il en fait une base à transactions; elle est à lui, il n'est point à elle. Tel autre ignore la vérité, mais reconnaît ses droits. Il appartient d'avance à toute vérité qui a fait ses preuves, il ne lui appartient pas à demi; qu'elle soit grande ou petite, commode ou gênante, populaire ou impopulaire, acclamée ou maudite, il sait d'avance qu'il la servira. Il est de la race de ceux qui disent : « Je ne puis autrement! »

C'est que deux races d'hommes, en effet, habitent la terre. La race des hommes qui ont des opinions et n'ont pas de convictions, qui adhèrent à un parti et n'ont pas de principes, qui s'échaufferont peut-être pour leur clan politique ou religieux mais auxquels la croyance profonde, personnelle en l'autorité de la conscience demeure étrangère; la race des hommes - ils sont rares - qui, niant ou croyant, ont le sérieux que donne la domination de la vérité. Leur conscience les gouverne. Elle cherche, elle doute, elle accepte, elle affirme. Rien de tout cela n'est un jeu des circonstances, un produit des entraînements, un calcul, une émotion passagère, un enrôlement facultatif au service de telle ou telle idée. Le vrai reste le vrai; le vrai doit être obéi.

J'ai parlé de race! Ce n'est pas que celle-ci ait reçu ce qui manque à l'autre; seulement elle accomplit un acte moral auquel tous sont conviés : elle a écouté la conscience qui proclame la souveraineté du vrai, Elle est «de la vérité. » Elle vit de vérité. Elle souffre, au besoin, pour la vérité. Elle ne saurait se contenter à moins.
Il est beau, il est bon, ce besoin de la vérité! Par lui on cherche, et par lui on trouve.

Elle est idéale, cette soif du vrai! Par elle l'homme s'élève au-dessus des bas-fonds; par elle, il refuse de se tromper lui-même; par elle, il aspire à ce ciel dont le bonheur se compose en partie, de la possession de la vérité; par elle, il entrera, tôt ou tard, en contact avec Celui qui se nomme « le Dieu de vérité (1) ».


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IV

CROIRE EN CONSCIENCE


En présence des incrédulités bruyantes qui tiennent le haut du pavé, la poursuite de la vérité religieuse est devenue, je l'avoue, compliquée et angoissante pour plusieurs,
Quelques-uns hésitent devant tant de science hautaine. D'autres, tout en gémissant, se laissent éblouir.
Il me semble qu'on voudrait trouver - j'en juge par moi-même - une méthode certaine, populaire, qui permît de se dérober à ces périls.
Dans un sens, je Me garderai de prôner ma méthode; chaque âme a la sienne, et Dieu aussi a ses méthodes pour nous attirer à lui.
Mais, après y avoir réfléchi mûrement, il m'a paru que la conscience se présentait à nous. comme notre moyen de défense le plus sûr. Avec elle tout se simplifie, et l'on évite «de chercher beaucoup de discours (2) ».

C'est donc avec elle que je me, propose d'aller à la rencontre des deux systèmes qui occupent le premier rang aujourd'hui : le Positivisme; et ce qu'on a nommé : la Science des religions.
Il importe plus qu'on ne l'imagine de croire en conscience et pas autrement. Croire par lassitude, par convenance, par paresse d'esprit, pour se délivrer des questions, pour faire comme tout le monde; croire à moitié, croire qu'on croit quand on ne croit pas: tout cela est effroyablement dangereux.
La vérité, traitée avec cette légèreté coupable, se venge. Et c'est à l'heure où notre foi nous serait le plus nécessaire, que nous nous apercevons qu'elle n'existe point.
On n'est pas consciencieux comme il faudrait je le crains, en matière de conviction. Le mal qu'on fait ainsi est énorme, car il blesse la conscience dans son essence même.

Laissant les calculs ignobles ou les lâchetés, et à ne considérer que des entraînements excusables, parfois généreux, il ne saurait être indifférent d'avoir pris sa passion pour sa conviction, et d'avoir adopté, comme vraies, des croyances alliées aux choses ou aux gens qu'on aime. Il ne saurait être indifférent de se persuader qu'on est persuadé, quand on n'est encore qu'ému. Le vrai ne se laisse ni aborder, ni conquérir de cette façon. Lorsqu'on l'acquiert en conscience, on l'acquiert à la sueur du visage. Cela ne se fait pas autrement. Mais alors la prise est solide. Après les combats du coeur et de la raison, après les victoires de la conscience, on croit ce qu'on croit.
Ajoutons que les fortes croyances ne marchent ni avec l'étroitesse ni avec la roideur, Entre gens qui croient fortement, règne le respect, Ce sont des consciences en présence.

Me voici, moi convaincu, vis-à-vis d'un douteur consciencieux. Est-ce que je vais le traiter du haut en bas? Est-ce que je ne sens pas déjà une relation naissante entre lui et le Dieu de vérité? Est-ce que ces efforts d'une âme sincère en quête du vrai ne me remuent point?

Me voici, moi protestant, en face d'un catholique consciencieux. Est-ce qu'il n'y a rien de commun entre nous? Est-ce que nous ne servons pas le même Sauveur? Est-ce que nous ne cherchons pas la même lumière?

Et cela ne nous empêchera nullement, notez-le bien, de maintenir, l'un comme l'autre, les diversités de notre foi, Nous ne trouvons pas que le faux vaille le vrai, qu'il y ait des erreurs ou salutaires ou indifférentes. Non, nous ne disons ni ne pensons cela. Et précisément parce que nous ne le pensons pas, nous nous rapprochons.
Je me défie très-fort, pour mon compte, des convictions de ceux qui ne savent ni respecter, ni sympathiser. La conscience maintient sa protestation contre l'erreur qui sépare, elle maintient son témoignage en faveur de la vérité qui unit,


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V

NIER EN CONSCIENCE


Je viens de le dire, ma conscience ne me permet pas de déclarer que ceux qui ne pensent point comme moi ne sont pas consciencieux.
D'un coté, je me souviens d'avoir passé par là; de l'autre, je vois de mes yeux les douloureux et loyaux combats qui se livrent dans le coeur de certains chercheurs. Ces chercheurs, je sais qu'ils trouveront.
En attendant, ils doivent nous inspirer une compassion profonde. Il en est de découragés, qui, ayant rencontré beaucoup de croyances absurdes, ont renoncé à toute croyance. Il en est qui souffrent - j'en connais - ils ne veulent pas mentir; ils ne peuvent pas se contenter d'une forme ou d'une illusion; mais quelque chose les dévore, et leur désolation marque leur sincérité.

Il ne suffit pas, sans doute, d'être sincère pour être consciencieux. Gardons-nous de confondre ces deux mots. Tel homme qui doute sincèrement, finirait par sortir de son doute s'il écoutait jusqu'au bout sa conscience. Celle-ci réclame de nouvelles poursuites, de nouveaux efforts; elle indique du doigt le péché; elle récuse une conquête exclusivement rationnelle. Que de sincérités qui ne sont pas assez consciencieuses pour accepter ce rude travail !
Elles ne le sont pas, car très-difficiles vis-à-vis des raisons de croire, elles sont souvent très-crédules à l'égard des raisons de douter.
Les crédulités incrédules forment un gros chapitre des erreurs volontaires et fort peu consciencieuses du genre humain.

La sincérité ne suffit donc pas. Nous connaissons tous des sceptiques sincères qui acceptent carrément une théorie d'après laquelle il n'y a ni vrai ni faux; d'après laquelle rien n'importe; d'après laquelle toute religion mérite le respect, parce que toute religion est vraie à son heure, parce que toute religion répond à un besoin du coeur.
La conscience admettra-t-elle, un instant cette doctrine? Aux yeux de la conscience, le faux sera-t-il jamais bon? La conscience permettra-t-elle jamais le mensonge?
Allez, il n'est pas inutile de rappeler à ceux qui nient ou qui doutent, le, devoir de nier ou de douter en conscience. Qu'ils y regardent soigneusement. Tout comme il y a des croyants trop peu consciencieux, il y a des incrédules auxquels la conscience fait défaut.

La passion, moins que cela, une certaine inertie, la peur des problèmes, le désir d'en finir avec ce qui trouble, nous attirent des négations aussi bien que des affirmations sans intégrité. Il est si commode de se réfugier dans le parti pris pour échapper au combat !
Ajoutons, en ce qui concerne l'incrédulité, un besoin de se soustraire au Dieu de l'Évangile, une terreur de lui appartenir véritablement, que connaissent, hélas! tous nos coeurs mauvais. Car la vérité dont il s'agit, sachons-le bien, n'est pas une de ces vérités inoffensives qui se casent dans l'intelligence sans gouverner la vie. Cette vérité-là veut le coeur, elle veut l'existence, elle exigera des sacrifices, elle opérer& une transformation radicale, elle tuera l'égoïsme, elle brisera l'orgueil, elle ouvrira devant nous les perspectives infinies du progrès moral, du dévouement absolu, de l'éducation personnelle.
Je n'ai donc pas tort de dire à ceux qui nient - sans me permettre de juger personne : - Prenez garde!
Il n'est pas si aisé qu'on se le figure, de mettre de la conscience dans ses négations.

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