Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CONCLUSION

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Nous avons terminé. Quel était, en effet, notre plan? Regarder vivre une vraie famille. Nous l'avons suivie aux heures joyeuses et aux heures sombres, et jusqu'à l'heure de la mort.

Nous avons peu disserté, peu argumenté; on n'argumente pas contre les sceptiques. Or, ce qui nous envahit aujourd'hui, c'est le scepticisme latent, silencieux, irréfutable.
Au lieu de réfuter, il s'agit de vivre ; il s'agit de faire jaillir les sources, sources de bonheur, de progrès, de force, de joie, sources de larmes aussi. J'ai essayé d'entrer dans cette voie; à ceux qui nient la' famille, j'ai cherché à la montrer.
Nos sceptiques ne la nient pas carrément ; ils se contentent de nier ce qui constitue sa grandeur et sa beauté ; ils la font mesquine, médiocre ; ils lui refusent l'idéal. Mais, nous l'avons vu, la famille idéale existe, seule elle est la vraie famille, il n'y a rien en elle qui sente le privilège ou qui constitue l'exception;, partout où l'Évangile est reçu par nous, la famille idéale entrera à sa suite avec lui, si nous le voulons; et elle nous amènera l'obéissance au devoir, le noble travail de l'âme, l'éducation personnelle, les vertus viriles, les vertus aimables, le charme, la grâce, la poésie; partout elle enfantera les bonnes joies, partout elle transformera les douleurs.

Que de problèmes résolus alors!
Le premier de tous, celui de la réforme intérieure, ne se résout en plein que sous le toit de la famille. C'est là que se trouvent réunies les conditions austères de la sanctification - sincérités absolues, affections vigilantes, responsabilités et devoirs qui ne se laissent pas oublier un instant, ce qui ouvre les yeux, ce qui éveille la conscience et ce qui remue le coeur.
Comment le problème du bonheur se résout en même temps, comment ces deux termes, bonheur et sainteté, coïncident et se confondent presque au sein de la famille, comment on parvient aux sommets radieux de l'existence humaine, comment on peut ainsi, même battu parla tempête, goûter une félicité immense, impérissable, et comprendre que la vie est bonne, je ne le redirai pas ; il faudrait récrire mon livre.

La famille résout le problème de la liberté. Elle crée la liberté personnelle, fondement de toutes les autres. Sans fortes et chrétiennes familles, point d'hommes libres; sans hommes libres, point de peuples libres. Cela se lit à chaque page de l'histoire les grandes servitudes sont celles de l'âme, les grands affranchissements vont du dedans au dehors. Les nations qui suivent une marche inverse aboutiront à des révolutions, au lieu d'arriver à des libertés.

La famille résout le problème de l'égalité, autant qu'il peut être résolu ici-bas. Sans supprimer des inégalités douloureuses, elle met les grands biens, les vrais biens, à la portée de tout homme, en sorte que les plus misérables, s'ils ont la famille, sont mille fois plus riches que les plus riches qui ne l'ont pas. Égaux en présence de la souffrance et de la mort, en présence du péché et du salut, ayant le même Dieu, la même Bible, le même pardon, les mêmes promesses, la même éternité, comme nous avons le même air et la même lumière, nous nous ressemblons bien plus que nous ne différons. Ce qui vous intéresse, m'intéresse ; ce qui vous touche, me touche. Malades ou bien portants, comblés ou privés des dons de la fortune et de ceux de l'esprit, laids ou beaux, humbles ou puissants, la meilleure part de notre patrimoine est celle que rien, que personne ne saurait nous ravir. Mais il y a une condition : la famille. Où elle manque, des inégalités effrayantes se produisent; où elle est, la grande égalité apparaît. La famille nous fournit le modèle du nivellement tel que Dieu l'a voulu, du nivellement par le haut. Elle n'ôte pu à ceux qui ont, elle donne à ceux qui n'ont pas; elle donne à tous, et tous sont comblés. Je n'ai pas encore découvert une vraie famille qui ne se sentît comblée, qui ne marchât de pair, si éprouvée fût-elle d'ailleurs, avec les plus heureux parmi les heureux de la terre.

J'ai presque dit que la famille résout le problème social; j'espère le dire tout à fait (et le prouver) une autre fois. Sans elle, ne nous le dissimulons pas, nous finirions par glisser plus ou moins du côté de ce hideux monde socialiste où le nivellement doit se pratiquer par le bas. Tous pauvres, tous dénués d'affections, tous privés de ce qui fait la personnalité humaine, la dignité, la liberté, le foyer, nous mangerions quelque jour à la gamelle et nous vivrions à la caserne, hébergés, dressés, dirigés par le gouvernement, tandis que notre terre, bien perfectionnée, bien ratissée, bien administrée, hier) centralisée, serait parvenue à supprimer le dernier homme. - La famille conservera l'homme, elle prêtera des forces aux faibles ; elle bâtira des châteaux-forts pour les opprimés; derrière leurs murailles, l'association naturelle, servant d'appui à d'autres associations, défiera la brutale oppression de l'argent et forcera l'industrie à signer des traités de paix.

Ne nous étonnons pas de trouver tant de solutions dans une seule. Tout se tient, et c'est chose admirable de découvrir, quand on creuse un peu profondément quelque part, que des rapports secrets unissent les vérités qui semblaient étrangères les unes aux autres; séparés au-dessus du sol, ces arbres que Dieu a plantés se touchent par leurs racines. Plus on examine de près, plus l'unité fondamentale se montre, plus éclate l'harmonie.
Et ainsi apparaît avec évidence un caractère trop peu compris de l'Évangile, son caractère humain; il n'y a que Dieu qui ait pu connaître à ce point ce qui convenait à l'homme, qui ait pu lui donner tout, en lui donnant une seule chose, la famille.

La famille est un fait tellement humain, que nous avons peine à comprendre l'homme sans elle; en la trouvant, nous croyons la retrouver. Au premier moment, lorsqu'on aborde cette étude, on s'écrierait volontiers : A quoi bon? Qui voudrait se passer de la famille? Qu'est, il besoin de démontrer la famille?
Puis, on s'aperçoit que l'homme s'en passe; et cela au point qu'il travaille à la démolir, plus effrayé de ses exigences que touché de ses bienfaits, repoussant la famille comme il repousse l'Évangile, par les mêmes motifs, en vertu de la même crainte de se donner, préférant une vie diminuée et appauvrie à ces biens excellents dont l'acquisition lui coûterait trop.
Nous avons tenu à vivre sans la famille. Le fait humain est donc aussi un fait divin; l'institution naturelle est surnaturelle; si surnaturelle, qu'abandonnés à nos propres tendances nous l'avons toujours, obstinément, écartée ou dégradée. Dans tous les temps, sous tous les climats, sous tous les régimes, avec toutes les religions, les hostilités violentes contre la famille ont continué.
Mon travail aboutit, on le voit, à une démonstration indirecte de l'Évangile. Je ne l'ai pas cherché, mais je m'en réjouis; les démonstrations qu'on na pas cherchées sont les meilleures.
Celle-ci sort des faits. S'il est vrai que la. famille telle que nous l'avons vue soit un agent incomparable de moralité et de bonheur, s'il est vrai que l'Évangile l'ait rétablie sur la terre et que loin de l'Évangile elle n'ait jamais existé (jamais, pesez ce mot), si Rousseau a eu raison lorsqu'il a accusé Jésus-Christ qui l'a fondée d'avoir coupé en deux l'État antique, la conclusion s'impose, je n'ai point à la formuler.

Ayons des familles, et nous aurons retrouvé la véritable apologétique, celle qui prouve l'arbre par le fruit et la doctrine par la vie. Ayons des familles, et nous aurons saisi le vrai moyen de remédier aux défaillances du présent et de conjurer les menaces dia l'avenir.

Nous nous plaignons de ce qu'il n'y arien de grand à faire aujourd'hui; volontiers nous verserions les pleurs d'Alexandre. - Rien de grand à faire, dans un siècle qui a à arrêter la marche envahissante du paupérisme, à protéger ceux que menace de broyer la dure machine industrielle, à surveiller l'avènement pacifique des classes ouvrières, à élever leurs lumières et leur vie morale au niveau de leur nouvelle situation, à réfuter le socialisme tout en résolvant autant qu'elle peut être résolue la question sociale !
Rien à faire, dans un siècle qui a à concilier la démocratie et la liberté, à mettre la liberté partout, et d'abord dans les âmes, forgeant des caractères, refaisant des hommes, réagissant contre nos centralisations oppressives, réduisant le rôle de l'État, émancipant l'action individuelle !
Rien à faire, dans un siècle qui a à achever la destruction de l'esclavage, à fermer les bagnes et peut-être à renverser l'échafaud! Rien à faire, dans un siècle qui est chargé de diminuer les armées permanentes, qui a à discréditer l'esprit de conquête, à prévenir la guerre de race et presque de religion vers laquelle nous nous laissons entraîner, la rencontre fatale de la France et de l'Angleterre, des Latins et des Anglo-Saxons! Rien à faire, dans un siècle qui a à diminuer aussi une autre armée, celle des fonctionnaires publics, et qui résoudra, sous peine de mort, le problème de faire reculer devant le cri du bon sens public ces budgets monstrueux, ces impôts, ces dettes croissantes, sous le poids desquels notre génération saisie de vertige semble s'être proposé de périr ! Rien à faire, dans un siècle qui, j'aime à le croire, rétablira parmi les peuples la notion presque effacée du droit et tiendra tête à ce mouvement toujours plus rapide qui risque de supprimer les petits pays au profit (ou au péril) des gros, d'anéantir l'idée même de patrie et de nous donner un jour en échange quelque chose comme une Europe centrale !
Rien à faire, dans un siècle que Dieu appelle à conquérir en tant de lieux la liberté complète de conscience, à séparer les Églises de l'État, à retrancher, qui sait? le budget des cultes, à résoudre ces questions que je n'examine pas, mais qui, bon gré, mal gré, se posent d'elles-mêmes au sujet des biens de mainmorte, à abolir les protectorats religieux, à anéantir sous toutes ses formes le mélange du temporel et du spirituel ! Rien à faire, dans un siècle qui va assister à la rencontre formidable du Christianisme et du positivisme, des intérêts matériels et des besoins de l'âme, des sciences naturelles et du surnaturel !

Voilà quelques articles pris au hasard dans le programme du dix-neuvième siècle ; quelques articles et non tous, je n'ai cité ni l'Amérique, ni l'Italie, ni l'Orient. Aucune génération d'hommes, sachons-le, n'a eu devant elle une tâche plus vaste et plus belle que la nôtre. - Considérez seulement la question religieuse.

Toutes les religions du globe traversent aujourd'hui une crise : Le Bouddhisme a vu tomber le vieux rempart derrière lequel il vivait tranquille, la Chine et le Japon se sont ouverts; le Brahmanisme est aux prises, d'un bout de l'Inde à l'autre, avec la civilisation et avec l'Évangile; l'Islamisme, cette religion d'État qui vit par l'État et ne saurait lui survivre, chancelle avec l'Empire turc ébranlé; le catholicisme voit se dresser devant lui des questions énormes, l'encyclique proclame le triomphe des doctrines ultramontaines, à l'heure même où le monde moderne bat en brèche le pouvoir temporel des papes ; le protestantisme enfin tressaille au contact de ceux qui attaquent l'autorité de la Bible et qui prétendent demeurer protestants en cessant d'être chrétiens.
Si le mal est grand, le remède n'est pas moins grand. Calculez les conséquences de ces trois faits: les Écritures qui se répandent; les missions qui pénètrent partout; la forme apostolique de l'Église, séparée de l'État, distincte du monde, vers laquelle on revient. Et nous gémirions sur notre époque ! Et nous l'accuserions de ne nous proposer aucune tâche digne de nous! Je proteste contre une pareille injustice. Si notre époque reste petite, ce sera notre faute. La bataille est engagée, il ne s'agit plus que de relever notre drapeau et de combattre en gens de coeur. Appuyés sur la famille chrétienne, nous vaincrons ; sans elle, nous sommes vaincus d'avarice. Ce ne sont point là des paroles dites à la légère; je n'ai garde de terminer une étude sérieuse par une déclamation.

À l'oeuvre donc ! Commençons la réforme par nous-mêmes, toute bonne réforme commence par là. Pour que la famille se propage, montrons-la, possédons-la, restaurons-la chez nous; que nos familles deviennent des apologies vivantes de la famille. Jamais, chrétiens, nous n'aurons mieux servi l'Évangile; jamais, citoyens, nous n'aurons mieux servi la patrie; jamais, 'hommes, nous n'aurons mieux servi l'humanité.

FIN DU TOME SECOND ET DERNIER

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