Venons-en au récit de l'événement considérable qui
termine la période étudiée dans ce livre, l'alliance de l'Église
d'Occident avec les Carolingiens, sanctionnée par la donation de Pépin
le Bref au pape Étienne II (1).
Au VIIIe siècle, « pressés plus que jamais par les
Lombards, et moins que jamais protégés par les empereurs d'Orient, les
papes ne crurent trouver de secours efficaces que chez les princes
francs d'Austrasie, dont la valeur venait de se signaler contre les
Germains, et, tout récemment, contre les Arabes. Ils avaient déjà
imploré, mais en vain, l'assistance du vainqueur de Poitiers (739).
Ils réussirent mieux auprès de ses fils. Par Boniface, l'illustre
apôtre de la Germanie, que ces princes avaient appelé en 742 comme
légat du Saint-Siège pour réorganiser l'Église franque, des relations
étroites s'établirent entre la papauté et les maires du palais. Pépin
le Bref désirait depuis longtemps transformer en royauté de droit
la royauté de fait qu'il exerçait sous le faible Childéric III, mais
il craignait de trouver un obstacle dans les scrupules religieux des
grands de la nation. D'après le conseil de Boniface, il soumit ce cas
de conscience au pape Zacharie. « Nul doute, répondit ce dernier ;
celui-là doit porter le titre de roi, qui gouverne effectivement le
royaume ». Il chargea son légat de donner en son nom à Pépin, dans
l'assemblée de Soissons, l'onction sacrée qui, aux yeux de ses sujets,
lui conféra l'autorité souveraine (752). Après ce service rendu à sa
nouvelle dynastie, Pépin crut n'avoir rien à refuser aux évêques
romains. Sur la demande d'Étienne II, qui se rend auprès de lui pour
solliciter son secours (au plein de l'hiver 753-754), il franchit les
Alpes ; dans deux expéditions successives (754-755), il reprend aux
Lombards tout le territoire qu'ils ont conquis ; mais, ne pouvant le
gouverner de si loin... il le constitue, selon la coutume des rois
francs, en un fief dépendant de sa couronne, en investit les évêques
de Rome comme les plus capables de le gouverner et les plus intéressés
à le défendre, et il dépose sur le tombeau de saint Pierre les clefs
des villes conquises et la charte de cette donation » (2).
Elle comprenait, outre les anciens domaines de l'Église de Rome qu'il lui avait fait restituer, l'exarchat de Ravenne et la Pentapole (territoire des cinq villes situées sur l'Adriatique, depuis Rimini jusqu'à Ancône).
À la mort de Pépin-le-Bref (768), les relations des Francs avec les
Lombards parurent s'améliorer. Charles, son fils aîné - le futur
Charlemagne - épousa la fille du roi Didier. Mais ce dernier ne tarda
pas à jeter le masque. En 772, il s'empara
brusquement de plusieurs cités italiennes et commença le blocus de
Ravenne. Charles, qui était devenu le seul maître par la mort de son
frère Carloman (771), répudie sa femme et envahit les États lombards
(773). Il bloque Didier dans Pavie, le force à se rendre et se fait
couronner roi du pays, le 5 juin 774. Puis il se tourne vers la Saxe,
rétablit le calme aux frontières et prépare la pénétration pacifique
du pays par l'envoi de missionnaires.
On sait comment les massacres de prêtres et les pillages
d'églises l'amenèrent à cette conquête méthodique de la Saxe qui dura
plus de trente ans, guerre féconde en surprises douloureuses et en
terribles exécutions, déshonorée par l'administration forcée du
baptême et terminée par l'annexion (799). Cinq ans avant, le roi de
Bavière avait abdiqué en sa faveur. En Pannonie, les Avars, encore
redoutés, durent se soumettre, et un certain nombre d'entre eux se
fixent chrétiens. En Espagne, Charles fut moins heureux. Tandis qu'il
regagnait la Saxe de nouveau révoltée, son arrière-garde fut massacrée
au défilé de Roncevaux (778). Il dut limiter ses ambitions, de ce
côté, en s'installant à Barcelone et en soutenant le roi chrétien de
Galice et d'Asturie, qui arracha Lisbonne aux musulmans (798).
Aux trois titres que Charles se donnait dans ses actes
officiels, depuis la conquête de la Lombardie, « roi des Francs. roi
des Lombards et patrice des Romains », allait s'ajouter celui d' «
empereur » (3).
En 795, le pape Léon Ill fut nommé malgré l'opposition de
la noblesse locale. Le procès-verbal de son élection fut envoyé à
Charlemagne, selon la règle, naguère
en vigueur, qui ordonnait cette formalité à l'adresse de l'empereur de
Byzance. Léon y joignit des protestations d'« obéissance » et de «
fidélité », à titre de vassal, avec des présents, des clefs de
l'église de saint Pierre et une bannière de Rome. Un abbé lui fut
aussitôt envoyé, avec un message analogue aux instructions des missi
dominici. Ce document significatif engageait « notre saint père le
pape à vivre honnêtement, à observer les saints canons », à combattre
l'hérésie et à prier pour le souverain, qui a pour tâche de « défendre
au dehors par les armes la sainte Église du Christ, et de la renforcer
au dedans en propageant la connaissance de la foi catholique ».
Le 25 avril 799, le pape fut victime d'un complot ourdi
par l'aristocratie romaine. Au cours d'une procession, il est
assailli, jeté à, terre et frappé. Relevé à demi-mort, il est porté
tout en sang dans la cellule d'un monastère. Délivré par deux missi,
il s'enfuit et court jusqu'à Paderborn, où il implore le secours de
Charlemagne.
Le roi se dirige vers Rome (automne de 800) en qualité
d'arbitre, encouragé par l'impuissance de la cour (le Constantinople,
où dominait alors la néfaste Irène, et par l'insistance d'Alcuin qui,
dans une lettre restée célèbre, lui avait dit : « C'est toi qui es
maintenant le vengeur des crimes, le consolateur des affligés ». Léon
III, qu'il avait déjà renvoyé à, Rome sous bonne escorte, vint à sa
rencontre jusqu'à Mentana. Le lendemain (24 novembre), il recevait en
grande pompe son royal visiteur du haut des degrés de saint Pierre,
entouré de tout son clergé. Une semaine après, Charles présidait, dans
l'église même, une grande assemblée, composée de prélats, de simples
clercs et de dignitaires laïques, pour examiner les accusations de
parjure et d'adultère portées contre le pape, mais la réhabilitation
que ce dernier sollicitait n'eut lieu que le 23 décembre. Ce jour-là,
deux moines arrivèrent de Jérusalem. Ils venaient de là, part du
patriarche, apporter à Charles, qui les lui avait demandées, semble-t-il,
une bannière et des clefs du saint Sépulcre, du Calvaire et de la
ville sainte, elle-même, scène bien faite pour rehausser le prestige
d'un roi auquel tous donnaient déjà, le titre de chef de la
chrétienté.
Le jour de Noël, après l'office, Léon III vint se
prosterner devant lui, et, se relevant, lui posa sur la tête un riche
diadème, tandis que le peuple criait : « À Charles, auguste couronné
par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! »
Cette intervention imprévue et arbitraire du pape dans la scène du
couronnement surprit le roi et le rendit mécontent (d'après Eginhard,
Vita Caroli, ch. 28), mais l'appui moral qu'il reçut, en cette
circonstance, du siège de Rome, accrut son autorité et fit de lui,
jusqu'en Orient, le représentant officiel du monde latin. De Bagdad,
Haroun-al-Raschid devait lui envoyer des ambassades, et les chrétiens
orientaux, opprimés par les musulmans, devaient se tourner, comme vers
un protecteur, vers le grand souverain qui avait reçu les clefs des
Lieux saints. Il sut d'ailleurs bien remplir ses devoirs. «Grâce à sa
générosité, tout un quartier franc se groupa autour de la basilique du
saint Sépulcre, avec son hospice pour les pèlerins, son église, sa
bibliothèque, son marché.. Par sa nature, le protectorat de
Charlemagne est comme le prototype de ce régime qui donne au roi de
France un droit de protection sur les chrétiens indigènes, sur les
pèlerins et sur les Lieux saints » (4).
À Constantinople, le nouvel empereur fut traité
d'usurpateur. Nicéphore, qui détrôna Irène en 802, refusa lui aussi de
le reconnaître et rompit avec lui. Le sang coula en Vénétie et en
Istrie, mais, à, la suite de négociations laborieuses, une délégation
byzantine, composée de deux hauts fonctionnaires et d'un évêque, vint
à, Aix-la-Chapelle pour conclure la paix
(812). Elle salua Charles du titre de basileus. (imperator). Il y eut
donc, à côté de l'Empire d'Orient, celui d'Occident.
Il ne ressemblait guère à celui d'autrefois. Il était régi, en effet,
par la coutume franque du partage d'avance de tout le royaume entre
les fils du souverain, sans que fût stipulée la survivance de la
dignité impériale. Ce qui le caractérisa, ce fut la puissance absolue
de l'empereur.
À part quelques pays, Gascogne, Lombardie méridionale,
États de l'Église, Bavière, qui gardent une autonomie plus ou moins
complète, il contrôle l'Empire entier. Il a ses administrateurs de
provinces, les comtes, assistés par des évêques - qui aident à
surveiller l'exécution de ses « capitulaires ». Il a ses envoyés
(missi dominici), qui inspectent l'administration locale et cassent,
au besoin, les jugements mal rendus. Ces délégués vont en général deux
par deux (un comte et un ecclésiastique). Quant à son Église, il étend
sur elle, pour la diriger, comme une crosse immense, son sceptre
glorieux. Il intervient en maître dans le choix des évêques. «Il
croirait abdiquer s'il ne leur traçait, le cas échéant, un programme
d'action... s'il ne corrigeait au besoin leurs décisions, lors même
qu'elles touchent aux problèmes théologiques les plus délicats (5).
Dans sa correspondance avec les prélats, il aborde tous les sujets :
qu'il s'agisse de comput, de dogmes, de liturgie, de la célébration
du baptême, jamais il ne laisse à d'autres le soin de dire le dernier
mot » (6).
En somme, on peut affirmer que « la confusion du pouvoir
temporel et du pouvoir spirituel, qui est restée le caractère de, la
civilisation européenne jusqu'à la, Réforme, est principalement du
fait de Charlemagne. Cette confusion a amené plus tard la théocratie
du moyen-âge féodal ; de son temps, elle s'est opérée plutôt au profit
du pouvoir temporel » (7). D'autre
part, à, ce douloureux sacrifice de son indépendance spirituelle,
l'Église d'Occident trouva une compensation, insuffisante, il est
vrai, dans l'octroi de nombreuses faveurs. Charlemagne protégea le
clergé et lui prodigua les marques d'honneur ; il fit d'énormes
dotations aux évêchés et aux monastères et étendit la juridiction
ecclésiastique, et l'Église d'Occident lui a gardé plus de
reconnaissance que de rancune, puisque les évêques, réunis en concile
à Mayence en 813, un an avant sa mort, lui donnèrent le titre de «
directeur de la vraie religion » (veroe religionis rector).
Ce qui caractérise encore l'Empire carolingien, c'est la renaissance
de la civilisation antique en Occident (8).
Sauf en Italie et en Angleterre, où la vieille culture
s'était maintenue ou propagée, l'ignorance était de venue
générale, en Gaule surtout. Charlemagne se préoccupa d'abord de
l'instruction des prêtres, fort négligée dans de pauvres écoles, les
seules, d'ailleurs, qu'on pût voir en Gaule à cette époque. Dans un
capitulaire de l'an 769, il s'écrie : « Comment des ignorants
pourraient-ils faire connaître et prêcher aux autres la loi de Dieu ?
» Il réclame des écoles élémentaires ou paroissiales, des écoles
supérieures, cathédrales et abbatiales, pour la formation des prêtres.
Il fait appel à un de ces Anglo-Saxons qu'il apprécie, Alcuin,
disciple indirect de Bède, et avec ce maître renommé de la grande
école de la cathédrale d'York (9),
qu'il a réussi à s'attacher, c'est l'ancienne culture latine, éprise
des sept arts libéraux, qui repasse la Manche et se répand dans
l'Empire, complétée par l'étude des textes sacrés et de la théologie.
Le « ministre intellectuel de Charlemagne », comme l'appelle F.
Guizot, fait recopier de beaux manuscrits par les scribes qu'il a
formés. Les élèves apprennent « l'art de parler et d'écrire », d'après
les oeuvres de Cicéron et de Quintilien et les formules épistolaires
de Cassiodore ; ils étudient la logique d'Aristote dans les
traductions et les commentaires de Boèce, la cosmographie et la
géographie dans les livres de Pline l'ancien.
Charlemagne songe aussi au peuple. « Qu'il y ait, dit-il,
des écoles où l'on fasse lire les enfants » (capitulaire de 789). Dans
celle « du palais », destinée aux jeunes gens qui viennent à la cour
se former au service de l'État, Alcuin fait enseigner les humanités.
L'empereur lui-même donne l'exemple du travail. D'après Eginhard, il
place des tablettes sous les coussins de son lit pour s'exercer à,
écrire aux heures de loisir, et sa correspondance avec son ministre
dénote son zèle pour l'étude des sciences et des lettres. « Son palais
d'Aix devient ainsi le vrai centre intellectuelde
l'empire. Tous, laïques et ecclésiastiques, se piquent de culture
littéraire. Ils se plaisent aux conférences, aux discussions de
problèmes grammaticaux, scientifiques, philosophiques (10),
ils s'égaient à se poser des charades ou des énigmes en vers ; ils
font assaut d'esprit, mais en veillant toujours à ne rien dire qui ne
soit tourné avec élégance... Ces jeux nous surprennent souvent par
leur puérilité, mais ils sont l'indice d'un remarquable réveil des
intelligences ». L'originalité y manque, il est vrai. « Alcuin est un
professeur dans l'âme, mais il n'est à aucun degré un penseur ni un
artiste.
Les vers de Paul Diacre, un des lettrés lombards que
Charlemagne sut retenir quelques années à sa cour, sont d'un écrivain
délicat, ses ouvrages historiques, notamment sa grande Histoire des
Lombards, ont de la tenue, mais on ne saurait leur reconnaître des
mérites supérieurs. Chez Modoin et Angilbert, qu'on surnomma l'un «
l'Ovide » et l'autre « l'Homère » du palais d'Aix, on ne trouve pas le
moindre esprit d'invention... Quand le célèbre Eginhard, conseiller de
Charlemagne, prendra la plume pour écrire son panégyrique, il ne
croira pouvoir mieux faire qu'en donnant, trait pour trait et souvent
en termes identiques, une réplique de la Vie d'Auguste de Suétone. Il
en est de même dans l'art (11).
L'imitation de ce qui semble antique est la grande règle, et l'on
n'hésite pas, pour rendre le pastiche plus complet, à utiliser des
morceaux de monuments anciens... Pour décorer sa chapelle d'Aix,
construite sur le modèle de l'église saint Vital à Ravenne (vie
siècle), l'empereur se fait expédier de là-bas colonnes, marbres et
mosaïques... Le goût n'est pas toujours très sûr. C'est Ravenne et non
Rome qui sert de modèle, de même que Boèce ou
Cassiodore, Prudence ou Fortunat sont souvent préférés à des auteurs
plus purs » (12).
Ajoutons que Charlemagne recourut aussi à l'habileté des
artistes romains, faiseurs de miniatures et, d'ivoires. Leurs
disciples les dépassèrent même : « Rome, dit Émile Berteaux, n'eut
jamais d'école de miniaturistes comparable à celles de Tours, Reims,
du Metz ou d'Aix-la-Chapelle » (13).
Il y eut, à cette époque, de magnifiques décorations, celles en
particulier de la grande salle de réception (triclinium), que Léon III
fit construire dans soit palais de Latran. L'abside et les niches
latérales qui formaient cette salle étaient enrichies de mosaïques (14).
Mais, en réalité, « la Renaissance carolingienne ne fut ni profonde ni
durable : c'était un mouvement officiel, oeuvre de quelques esprits
remarquables mais isolés » (15).
Dans cette Renaissance littéraire et scientifique, il
faut souligner le réveil des études bibliques. Charlemagne fit de la
Vulgala de Jérôme (voir plus haut, p. 119), la version officielle de
l'Église. Mais il dut commencer par en faire rétablir le, texte fort
altéré. Ce fut l'oeuvre d'Alcuin. En 796, l'année où il quitta
Aix-la-Chapelle pour aller à Saint-Martin de Tours, il demanda au roi
l'autorisation et les moyens de faire venir d'York ses manuscrits des
livres saints (16). « Qu'on
rapporte en France, lui disait-il, ces fleurs de la Grande-Bretagne
pour que... nous puissions avoir aussi à Tours ces jets du Paradis et
les fruits de
ses arbres » (17). Alcuin acheva
la révision en 801, et il envoya un de ses disciples à,
Aix-la-Chapelle pour présenter à l'empereur, le jour de Noël, le texte
corrigé de la Vulgate.
Cette édition passa des mains des clercs dans celles des
laïques. Son auteur reçut de nombreuses lettres de seigneurs, de
nobles dames et de guerriers, qui lui demandaient l'explication de
passages obscurs. Il prit le nom de Moïse, et l'empereur celui de
David. Les monastères, surtout celui de Saint-Martin de Tours, avec
ses deux cents religieux, devinrent des ateliers où l'on copiait la
Vulgate. On vit alors des Bibles latines admirablement enluminées,
surtout les deux exemplaires de Théodulfe, évêque d'Orléans (18).
Au terme de cet exposé, à la fois long et incomplet, les conclusions
jaillissent d'elles-mêmes... Comme elle est tragique, cette lutte
formidable entre le monde gréco-romain, retraité au coeur d'une
civilisation péniblement acquise, et les races nouvelles, piétinées et
envahissantes, qui s'étirent vers la chaude lumière du Midi, et
s'ébattent avec ivresse dans le paradis méditerranéen, au risque d'en
faire un désert ! Plus émouvant encore, du moins pour le philosophe,
est le duel incessant entre les deux esprits qui se disputent les
chrétiens... D'un côté, c'est l'idéal évangélique, épris de pureté et
de sacrifice, avec sa spiritualité si bienfaisante, sa simplicité de
dogme et de culte et son égalitarisme ecclésiastique, en harmonie avec
le Nouveau Testament. D'autre part, c'est l'esprit païen, ou du moins
certains de ses vices, le culte de la Force, la mondanité, le goût des
querelles et le dédain de la Liberté... Pénétrant
dans l'Église, avec ses recrues médiocres, ils y multiplient les
spéculations hardies, chères aux philosophes grecs, mères des
discussions interminables et scandaleuses, sur des mystères que Christ
n'avait pas éclaircis ; ils y sèment l'amour des représentations
matérielles de la religion et la foi au magisme des cérémonies ; ils y
suscitent un système hiérarchique couronné par une autocratie
spirituelle, enivrée de préoccupations temporelles, fille, non pas du
Christ ni de la logique interne de l'Évangile, qui est presbytérien,
mais d'une prétention tenace et de nécessités politiques propres à
l'Occident.
Comme l'insecte, dans sa chrysalide, se tisse un
organisme nouveau - mais ici la métamorphose n'est lias, hélas 1
l'accession à une vie supérieure - le christianisme, sous la pression
de ce paganisme envahissant, se mue peu à peu en catholicisme romain.
L'heure approche où plusieurs de ses croyances
adventices, encore flottantes et discutées, l'expiation juridique, le
culte de Marie et des saints, la transsubstantiation, niée par le pape
Gélase, l'adoration des images, combattue par Charlemagne et Alcuin,
vont recevoir, comme nous le verrons dans le Tome suivant, une
expression nette et une consécration officielle.
L'esprit évangélique, sans être étouffé, puisqu'il
continue à vivifier des âmes, va tomber dans une somnolence
déplorable, jusqu'au jour où la voix puissante des Réformateurs
viendra l'en arracher par cet appel : « Toi qui dors, réveille-toi, et
viens sauver l'Église et le monde » !
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