Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

AVANT-PROPOS

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DEVANT LA CROIX


AVANT-PROPOS

 

De grands artistes, de grands poètes chrétiens ont volontiers résumé leur Évangile en des Passions. Dans le drame de la Semaine sainte, ils ont mis leur douleur et leur espérance, leur péché et leur pardon, leur mort et leur résurrection. Des noms illustres sont dans toutes les mémoires, et quelques-unes des plus grandes oeuvres de la chrétienté évangélique ont pris leur source au pied du Calvaire.

C'est l'entreprise que tentent à leur tour les deux pasteurs de l'Église réformée de Mulhouse; humblement, fraternellement, ils placent leur commun ministère sous le signe de la Croix.

Mais combien la situation du prédicateur est ici plus difficile que celle du poète, du peintre ou du musicien! Car il n'a que des mots à son service, alors que le peintre dispose de toutes les magies de la forme et de la lumière, que le musicien peut faire chanter sa joie ou pleurer sa douleur. Encore n'est-ce pas assez de contempler ou de décrire; il faut commenter, expliquer, peut-être discuter. Ni les faits évangéliques ni l'émotion qu'ils éveillent chez le chrétien ne sauraient dès lors apparaître dans leur nudité; en descendant sur le terrain de la pensée discursive, il faut quitter les régions ou le contact est immédiat entre l'âme et les réalités éternelles. Aux synthèses spontanées de l'art se substitue une analyse toujours un peu artificielle; et tandis qu'à travers la personnalité d'un artiste le drame sacré apparaît comme universalisé et glorifié, la vision également personnelle qu'en donne la chaire chrétienne le fait apparaître sous l'angle d'une interprétation particulière et n'en met en lumière que des aspects partiels.

Le propre de l'art est de suggérer la présence mystérieuse d'un au delà, tandis que la parole limite la pensée en la fixant; or, le thème de la Passion est de ceux que l'on ne peut rendre fidèlement qu'en y faisant entrer l'infini. La parole ici est donc vaincue d'avance.

Ces difficultés, nos auteurs les ont mesurées avant de nous placer devant la Croix; ils ont eu l'exacte intuition de leur nature et de leur gravité, et soit d'instinct, soit par un propos réfléchi, ils leur ont appliqué les méthodes convenables à leur solution.

D'abord, ils ont effacé au second plan leur pensée et leurs personnes. Non qu'il n'y ait une doctrine, et très ferme, à la base de leur effort, ou qu'ils aient cédé à la facile tentation de l'impressionnisme; mais ils montrent plus qu'ils ne démontrent, et lorsque l'émotion qui naît de leur contemplation s'exprime et se veut communiquer, c'est toujours sous une forme assez impersonnelle pour rester dépouillée de tout caractère accidentel.

Ainsi, même au milieu des impressions les plus vécues, qui ne redoutent pas le «je » révélateur de l'intimité personnelle, nous gardons l'impression de marcher parmi les réalités éternelles et de retrouver l'âme chrétienne de tous les temps, de nous retrouver nous-mêmes à travers l'âme de nos prédicateurs.

Comment expliquer, autrement que par cet effacement systématique du moi, que le style et la pensée des deux collaborateurs se soient si bien rapprochés l'un de l'autre que l'on n'arrive plus à distinguer ce que chacun d'eux a écrit? Par quel mimétisme fraternel sont-ils devenus si semblables que l'on hésite à signer chacune de leurs méditations? Ce ne sont cependant pas personnalités interchangeables, épis moissonnés au même sillon. L'un a grandi dans la chaude atmosphère du Réveil et reçu sa maturité spirituelle de l'austère et forte discipline d'Henri Bois; l'autre a plongé ses racines dans le terroir d'un protestantisme libéral sur lequel est tombé comme une rosée bénie le mysticisme pénétrant de Gaston Frommel.

Mais sous le rayonnement de la Croix, toutes ces divergences s'évanouissent: il n'y a plus que deux chrétiens qui contemplent leur Sauveur; et lorsque chacun d'eux essaie, de chanter ce qu'il a vu, il se trouve que la même poésie pare leur parole, et que nul ne saurait dire quel est celui des deux qui nous a déjà donné quelques volumes de vers.

D'autre part, les prédicateurs n'ont pas hésité à recourir à ces formes d'expression dont nous constations naguère la puissance d'émotion. Ils ne craignent pas d'évoquer une oeuvre d'art, de prononcer le nom d'un peintre ou d'un musicien: Grünewald et J.-S. Bach ne sont pas absents de leur oeuvre. Qu'est-ce à dire, sinon qu'ils ne se contentent pas de regarder la Passion de leur Maître avec des yeux neufs, et comme s'ils étaient les premiers à s'arrêter devant elle; ils veulent la voir aussi à travers l'âme des grands croyants leurs prédécesseurs, et par là ils lui restituent sa valeur unique, universelle.

Ce que nous attendons d'un prédicateur devant la Croix, c'est d'abord qu'il nous dise l'émotion qui l'étreint, et comment son péché, son amour, sa foi, son salut, sont dominés par le sacrifice du Crucifié; et cela, nous le trouvons pleinement dans le volume qui nous est offert ! Mais nous n'aurions que faire d'une réflexion qui. resterait solitaire et ne rejoindrait pas, à travers le Sauveur, les innombrables qu'il a appelés à Lui et qu'il a sauvés; car alors elle ne nous rejoindrait pas nous-mêmes, elle serait sans contact avec notre faim et notre rassasiement.

Et c'est pourquoi nous trouvons une pure joie à recevoir des mains de J.-D. Benoît et de Ch. Dombre le pain de la vie éternelle; le même pain qui depuis des siècles, pétri par tant de mains diverses, rassasie tous ceux pour lesquels il a été rompu.

Paris, 16 juin 1932. A.-N. B.



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Quand l'intelligence, à bout d'efforts, reste dehors, l'amour dit: moi, j'entrerai.
RUYSBROECK L'ADMIRABLE.

Si quelqu'un me racontait la Passion telle qu'elle fut, je répondrais : c'est toi, c'est toi qui Pas soufferte!
ANGÈLE DE FOLIGNO.

O Croix solennelle et muette, que de choses tu as à dire! Tu es inépuisable, et tu commences à enseigner seulement quand tous les docteurs sont à court et tous les sages au bout de leur sagesse.
F. W. FOERSTER.

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