Dès ma plus tendre enfance, mon âme fut travaillée par des pensées relatives à Dieu, au ciel, à l'enfer; plusieurs fois, dans mon sommeil, je rêvai du jour du jugement. Dès l'âge de sept ou huit ans, de fortes tentations m'entraînaient vers une incrédulité enfantine. Souvent, la nuit, je restais tout éveillé, m'efforçant de me débarrasser de raisonnements tels que celui-ci, par exemple : « Qui a créé Dieu? » À de semblables questions je ne trouvais point de réponse, j'étais épouvanté que mon esprit osât se les poser, et alors j'essayais de trouver un refuge dans le sommeil. Mais à un moment donné je me suis décidé d'être ce que j'étais : un enfant, et d'accepter tout simplement la déclaration divine quant à la création du monde.
Comme membre de la Société religieuse des Quakers, j'étais très soigneusement élevé. je reconnaissais, faiblement il est vrai, qu'un grand changement spirituel devait s'opérer en moi.
Souvent, je me sentais accablé par le fardeau de mes péchés et par le sentiment que mon coeur résistait au St-Esprit; cependant dix-huit années de ma vie s'écoulèrent sans que personne m'ait jamais parlé de mon âme d'une façon nette, m'ait jamais montré que je devais obéir sans délai aux sommations de Dieu, car l'Évangile n'est pas simplement une bonne nouvelle, c'est encore une sommation à se soumettre sans condition, sommation qui demande une réponse immédiate.
A la vérité, la Société des Quakers enseignait l'Evangile de la délivrance complète du péché; elle déclarait que Dieu n'avait pas seulement pour but de réprimer le péché, mais encore de l'extirper du coeur de l'homme; cette doctrine, elle la tenait de ses premiers saints, ces hommes si ardents, si audacieux; Certes, jamais personne n'avait rendu un témoignage plus clair, plus positif à la sainteté personnelle que ces premiers Quakers, jamais personne n'avait pratiqué plus qu'eux le renoncement, ou fait une guerre plus active, plus acharnée au péché, - plus de mille Quakers ont été sous les verrous en même temps pour avoir troublé la paix des pécheurs. - Cependant cette doctrine et la vie qu'elle engendrait semblaient, à cette heure, une chose qui s'efface dans titi passé lointain et brumeux. Sans doute, le chandelier restait, mais qu'était devenue la lumière? Au collège, nous étudions, outre la Bible, l'histoire et les écrits des Quakers. Mais, comme l'esprit de ces salutistes des vieux jours nous manquait, leur « lettre » n'était pour nous qu'un livre fermé et mystérieux, et nos études ne nous laissaient qu'une sorte de respect pour ces grands hommes d'autrefois, un respect vague, timide, avec l'idée qu'eux et leur temps étaient tout particuliers et que, de façon ou d'autre, l'expérience avait rendu les « Amis » plus sages et plus prudents.
Voilà ou en était le Quakérisme dans la partie de l'Irlande où s'écoula mon enfance. Cependant l'histoire de la salle de réunion où « j'adorais Dieu » et où, aux heures très solennelles du silence, je comptais les fentes du plancher on suivait avec délices la marche d'une araignée sur le mur), cette histoire était en elle-même un témoignage frappant de conversion soudaine.
Un de mes ancêtres ayant
acquis
une propriété en Irlande, en 1650,
découvrit que les Quakers tenaient leurs
réunions clans un bâtiment sur ses terres. La
chose lui déplut; car, ayant ajouté foi aux
mensonges que l'on répandait dans le pays lu sujet de
ces braves gens, il avait conçu pour eux une profonde
aversion. Aussi bien se mit-il en route, un jour de la
semaine, pour aller brûler ce bâtiment.
Entendant une voix forte s'élever à
l'intérieur, il s'aperçut qu'il y avait
réunion et s'arrêta pour écouter. Les
paroles prononcée,, dans la puissance du St-Esprit
lui allèrent au coeur. jetant la torche qu'il
portait, il entra et s'assit... Sa femme vint avec lui le
dimanche suivant et ils furent tous les deux
convertis.
Plus tard il bâtit
un lieu
de culte spacieux - celui-là même où,
dans mon enfance, « j'adorais Dieu ».
A l'âge de quinze ans,
mon
père m'envoya ail collège en Suisse, surtout
pour apprendre le français et l'allemand. J'y passai
deux as, buvant pour ainsi dire dans l'atmosphère de
cette vaillante petite république, l'idée de
la liberté. Avec quelle ardeur je
chantais:
frei und auf ewig
frei!
(libre et à jamais
libre!)
- liberté que je devais plus tard trouver par le
salut.
Je vins m'initier aux
affaires chez
des parents, des industriels, fabricants de toile. Dans une
riante campagne an Nord de l'Irlande ils avaient
créé de grandes usines, et construit une ville
pour leurs 3 a 4000 ouvriers. Comme ils étaient des
gens pieux, ils posèrent d'emblée comme
principe de lie permettre à personne d'établir
un débit de boissons dans la ville ou sur leurs
terres. Comme conséquence, la localité il put
se passer jusqu'à aujourd'hui de tout
Mont-de-Piété et même de tout poste de
police. De plus, par des mesures rigoureuses contre toute
forme de débauche, ils ont pu maintenir la
moralité de l'endroit à un niveau très
élevé; Bessbrook acquit le nom de « Ville
modèle » ou de « Ville de la
Tempérance ».
Bien que je
rencontrasse ici une
vie spirituelle plus haute que partout ailleurs, je restai
encore inconverti pendant quatre ans, n'ayant jamais
été mis en demeure de me donner à Dieu.
Poussé par un vague désir de faire le bien, je
devins moniteur à mie école du dimanche.
J'étudiais soigneusement la Bible et je l'enseignais
à mes élèves, mais j'étais sans
cesse poursuivi par la conviction intime que pour faire
réellement le bien, il fallait d'abord être bon
soi-même, et ma conscience m'obligea à faire
comprendre à mes élèves que je ne me
considérais pas comme converti. Quand, au cours d'une
leçon je rencontrais un de ces passages
brûlants ayant trait au péché et au
salut, je glissais rapidement, avec aussi peu de remarques
que possible et encore étaient-elles très peu
précises et très impersonnelles, et je
continuais de discourir savamment sur les arbres, les fleurs
ou les oiseaux de Palestine, ou sur les us et coutumes des
Hébreux. je savais les noms de toutes les villes de
refuge et j'exigeais que chaque élève les
apprit, mais je n'aurais pu dire : « Moi, je me suis
réfugié dans la Cité du refuge et j'y
demeure. Fuyez le Vengeur et venez-y demeurer avec moi.
» Souvent j'entendis l'appel de Dieu retentir en mon
âme, mais je résistais sans cesse à
l'Esprit : l'orgueil tyrannisait ma volonté, la
crainte du monde me maîtrisait.
Un réveil religieux venait de commencer à Moyallon à quelques lieues de Bessbrook, et mon meilleur ami, dans une visite qu'il y avait faite, avait été converti. je n'oublierai jamais l'effet que produisit sur moi la lumière du salut qui éclairait sa physionomie quand je le revis à son retour. je fus alors sous l'empire d'une profonde conviction de péché; pendant plusieurs soirs nous nous promenâmes ensemble sur les routes de la campagne et il cherchait à m'amener à la décision et à la foi pour le salut. Le samedi suivant j'allai avec lui à l'endroit même où avaient lieu ces réunions. L'action du St-Esprit se fit très fortement sentir en mon coeur, et à mesure qu'elle grandissait, les puissances des ténèbres cherchaient à m'écraser de craintes quant à ce que j'aurais à abandonner et à souffrir dans l'avenir, car, depuis mon enfance, je sentais que si jamais je donnais mon coeur à Dieu je devrais consacrer ma vie à l'oeuvre du salut.
L'angoisse de mon âme, sous l'action du St-Esprit, devint indicible. je me décidai à être sauvé et je fis des efforts pour « croire ». je m'en allais prier dans les champs; je m'épuisais dans de vaines luttes pour conquérir la foi pour mon salut. je passai des heures à genoux, décidé à ne pas me relever que je n'eusse le témoignage de mon salut. je ne comprenais pas que la vraie foi ne consiste pas dans un immense effort, mais dans un acte d'abandon à Dieu; croire, c'est tâcher tout et se laisser tomber en Lui.
Il y avait encore en moi
un fond de
subtil orgueil qui ne voulait pas, d'un côté,
s'humilier publiquement, on d'un autre, accepter le pardon
de Dieu comme un don et comme une grâce que tous mes
efforts ne pourraient mériter. Aussi, je me fatiguai
de la lutte, je devins irrité contre Dieu, et
fâché qu'on connût mon état de
bouleversement spirituel. Le dimanche soir, je
m'élançai hors de la salle, mais des amis me
suivirent, et je ne pus qu'éclater en sanglots,
confessant toute l'angoisse de mon âme. Ils
prièrent avec moi. Après quelques heures de
lutte, j'allai me jeter sur mon lit, avec la pensée
que tous mes efforts ayant été vains, je ne
pouvais faire autre chose, en fin de compte, que de
m'abandonner à Dieu, et lui confier mon âme,
mon salut, mon avenir, tout! Et tout en chantant à
demi-voix le choeur :
En toi je me repose,
0 jésus, mon
Sauveur!
Je lâchai prise,
pour ainsi
dire, je livrai mon sort à Dieu.
C'était comme si je me
fusse
abandonné à Lui, disant : « Voilà!
je suis à bout de mes forces; tu m'as
créé, tu m'as racheté, charge-toi de
moi. »
La paix de Dieu
entra dans mon
âme.
Jamais! jamais,
durant
l'éternité même, je n'oublierai la
double aurore du lendemain, quand la lumière
naturelle emplit mes yeux, et que la lumière
céleste inonda mon âme. jamais les oiseaux
n'avaient chanté si joyeusement; jamais la nature
entière ne m'avait paru si belle, si rayonnante. Les
prés, les champs, les fleurs avaient revêtu une
beauté inconnue. C'est que le monde entier est
nouveau pour ceux qui sont devenus « de nouvelles
créatures ». La nature elle-même leur
semble « née de nouveau ».
Je ne pus contenir ma
joie. je dus me
mettre à l'oeuvre tout de suite polir en gagner
d'autres. Mais j'eus le premier jour une déception
pénible qui fit sur moi une impression
ineffaçable. je rencontrai un homme « religieux
» qui tenait des réunions pour expliquer la
Bible. Quoiqu'il me fit l'impression d'un homme très
sec, je me dis que, pourtant, il serait tout heureux de
savoir que je m'étais donné à Dieu et
que j'avais trouvé l'assurance de mon salut. je
l'abordai donc avec une grande joie et lui annonçai
la nouvelle qui, selon la Bible, fait réjouir les
anges. Mais il m'accueillit très froidement et me mit
en garde contre « l'exaltation et l'illusion ». je
me détournai étonné, perplexe. Mais
bientôt l'Esprit de Dieu me fit comprendre la
différence entre la religion et le salut, entre la
forme et la vie, entre l'orthodoxie - squelette et
l'être spirituel, vivant, aimant.
Nous fûmes bientôt
une
compagnie de jeunes gens qui allions tenir de tous
côtés des réunions le dimanche et les
soirs de la semaine.
Une année plus tard, l'appel définitif de Dieu se fit entendre dans mon âme. Un ministre des Quakers arrivant du fond de l'Amérique occidentale, homme sans culture, mais rempli de l'Esprit de Dieu, vint dans nos contrées. Un jour, dans un train qui nous ramenait d'un endroit où il avait parlé dans quelques puissantes réunions, et où j'avais également pris la parole avec une grande liberté intérieure, ce ministre me dit : « Ne veux-tu pas venir avec nous ? »
Sur le moment cet appel
ne se
présenta pas à mon esprit avec une
autorité divine, et d'ailleurs le moment semblait
inopportun, car le lendemain même je devais prendre
vis-à-vis de mes parents un engagement qui, en me
liant à eux dans les affaires, devait m'assurer un
avenir prospère.
Mais ce soir-là, à
peine avais-je fermé la porte de ma chambre que
l'Esprit de Dieu vint subitement sur moi, inondant tout mon
être, de telle sorte que je fus comme privé de
toute force; je m'affaissai dans un fauteuil, pendant que
les ondes de la gloire divine passaient et repassaient sur
mon âme comme les vagues de l'océan immense de
l'amour éternel.
Ce sont là des
choses qu'on
hésite à décrire. Aussi bien
dépassent-elles toute description. La gloire du
règne de Christ semblait passer devant moi; sa
majesté semblait s'imposer à mon âme
avec une clarté indicible, ses droits au service
passionnément dévoué de chaque
être humain ressortaient avec une force à la
fois tendre et absolue. Aucune parole ne peut exprimer ce
qui me fut alors révélé de l'amour du
Christ, l'infiniment aimable, de la tendresse immense de son
amour compatissant pour un monde perdu. Il me semblait voir
le règne de Dieu et comprendre
l'inexprimable joie de vivre, de souffrir et de mourir au
service de ce bien-aimé Roi des rois. Aucune
expression ne peut mieux rendre cette expérience
comme la parole biblique : » je vis le ciel on vert
». Les harmonies célestes me
pénétrèrent comme le doux murmure d'un
océan vaste comme l'univers. Il me semblait que si
j'avais en mille langues, elles n'auraient su dire ce que je
sentais et voyais de ce monde de lumière. Un souffle
céleste caressait mon âme. Personne! non,
personne tic devait pouvoir résister à un
Sauveur tel qu'il m'était manifesté dans cette
rencontre.
Je ne sais pas combien
de temps je fus
sous ce baptême du Saint-Esprit, comme perdu et
noyé en Dieu, lorsque l'appel que j'avais entendu
quelques heures avant de la bouche de l'homme de Dieu fut
répété dans mon âme avec une
autorité divine: « Viens avec nous!
»
Je me sentis poussé
à ouvrir ma Bible qui était sur la table. je
le fis, et les mots suivants me tombèrent sous les
yeux : « Ne vous amassez point des trésors sur
la terre » (Math. IV), et comme je lisais
jusqu'à la fin du chapitre, toutes les paroles
semblaient se buriner sur mon âme comme l'appel direct
de Dieu.
Je sentis que je devais trancher la question immédiatement, et décider de renoncer à la vocation terrestre en faveur de la vocation céleste. Mais que l'influence des traditions des anciens, et de la crainte de l'homme est puissante! je commençai à « raisonner avec la chair et le sang ».
Le diable se mit à ranger en bataille devant mon esprit, toutes sortes de difficultés, et surtout la peur de ce que mes amis chrétiens ne disent que j'étais surexcité; que mon devoir était de rester là où j'étais, etc. je craignais aussi de faire de la peine à mon père et à ma mère, si je renonçais aux affaires.
La très grande solennité
et la rigueur de la forme religieuse dans laquelle j'avais
été élevé, me rendaient
très craintif à l'égard de toute
puissante manifestation de l'Esprit de Dieu. Portant mes
regards sur « les choses visibles », je
commençais à craindre, à douter,
à hésiter, et il m'arriva selon
mes doutes.
Si j'avais seulement marché dans la
lumière qui m'avait été
accordée, il m'aurait été fait selon ma foi.
Ah! que n'ai-je eu à
ce
moment quelqu'un pour me dire : « jeune homme, ne tiens
aucun compte de ces obstacles ni de l'opinion de ceux qui
n'ont pas été baptisés du Saint-Esprit.
Que peuvent-ils savoir de ce monde de lumière? C'est
bien Dieu qui t'a parlé, obéis sans te
préoccuper des conséquences. Va de l'avant
dans la foi et le chemin s'ouvrira. Meurs à tout et
tu vivras, et tu gagneras une multitude d'âmes
à Dieu. »
Ayant résisté à
la lumière, elle s'affaiblit, puis disparut ainsi que
la faculté d'obéir. je compris alors, et ce
fut une leçon pour la vie, le sens des mots : « Pendant
que vous avez la lumière, marchez dans
la lumière, de peur que les ténèbres ne
vous surprennent. » Quand Dieu nous le commande, en
envoyant sa lumière dans notre âme, nous devons
« marcher », nous avancer dans la lumière,
obéir à ce que la lumière commande,
c'est ainsi qu'elle peut entrer et pénétrer
tout notre être, et nous donner la puissance
d'obéir à l'appel de Dieu. C'est à
nous à faire le pas en avant, et à
l'instant la puissance de Dieu nous
pénètre.
Au lieu de « marcher
»
je me tins en place, et je raisonnai; par conséquent
« les ténèbres »
m'envahirent.
Quatre années
d'expérience chrétienne nuageuse et de
stérilité spirituelle s'en suivirent, et je ne
crois pas avoir été le moyen d'une seule
réelle conversion, soit dans les réunions que
je tenais dans les villages et à bord des vaisseaux
dans le port voisin, soit dans mes visites aux malades, ou
dans les écoles du dimanche. Cette sécheresse
spirituelle me causa de grandes angoisses, aussi
j'étudiai la Bible à fond et je lus la vie et
les ouvrages de tous ceux qui, ayant été
sanctifiés et baptisés du Saint-Esprit,
possédaient une réelle autorité. Mais
mon expérience resta quand même celle du
désert. je n'étais pas abandonné
absolument à Dieu comme quelqu'un qui va mourir et
naître à une nouvelle vie
étrangère à l'ancienne; la crainte des
hommes, surtout le faux respect, les « traditions des
anciens », la crainte de déplaire aux
chrétiens inconvertis, la peur de sortir des vieilles
ornières, me tenaient dans l'esclavage.
Cependant, comme je
prenais
fréquemment la parole dans les assemblées, et
que les anciens jugèrent que mon ministère
était en bénédiction, ils me
consacrèrent « ministre » de la
Société des «Amis»; je restai
cependant dans les affaires comme c'est le cas pour la
plupart des pasteurs de cette Société
religieuse.
Peu de temps après, le Saint-Esprit me mit en demeure de l'honorer en la personne d'un homme de Dieu qui vint dans le voisinage et qui, pour attirer les gens, employait des moyens que l'on se plaisait à appeler excentriques. Mais, voyant qu'il avait la foi et l'amour et savait amener les âmes à Dieu, je me sentis contraint de l'aider et de l'encourager. Ceci m'amena des reproches. De nouveau, l'isolement et l'opprobre me menaçaient. Cette fois, profitant de ma pénible expérience précédente, j'obéis à Dieu et me chargeai de ma croix. L'homme de Dieu partit, mais l'occasion que m'avait fourni son court séjour dans le voisinage de rompre le cercle de fer de « l'opinion » qui liait mon âme, et d'honorer le Saint-Esprit dans n'importe quelle forme de travail, me fut en grande bénédiction.
Dès que j'eus tranché la question et que mon âme eut choisi d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes qui ne lui obéissaient bas, je reçus un nouveau baptême du Saint-Esprit. J'eus conscience de l'affranchissement subit de mon être, toute crainte disparut, je devins d'une indifférence absolue vis-à-vis de moi-même, ma foi et mon amour s'accrurent d'une manière extraordinaire. Sentant combien c'était chose terrible d'avoir enseigné les Écritures depuis plusieurs années à trente jeunes gens de mes deux écoles du dimanche sans avoir fait des efforts plus directs pour les amener à la conversion, je les invitai à venir me trouver dans une petite salle de réunion, un lundi soir, et là je sentis la puissance de Dieu me pénétrer, pendant que je leur disais ce que j'avais sur le coeur. L'action du Saint-Esprit sur eux fut très remarquable. Beaucoup fondirent en larmes. Avant la fin de la semaine une vingtaine d'entre eux furent solidement convertis. À partir de ce moment, des conversions remarquables se faisaient dans toutes les réunions que je tenais.
Le feu d'En-Haut
embrasait mon
âme. je me sentais porté par le Saint-Esprit.
Dans quelques semaines plus d'une centaine de personnes se
donnèrent à Dieu. L'un d'eux, un homme
très mauvais, fut saisi par Dieu, bouleversé
et transformé de telle façon qu'il devint
avant longtemps un évangéliste d'une grande
puissance et gagna des milliers d'âmes à Dieu
en Irlande, en Angleterre, en Australie et en
Amérique.
Je raconte ceci à la
gloire
de Dieu et pour démontrer la différence entre
la vie chrétienne ordinaire - vie craintive et
comparativement stérile - et la vie où l'on a
tout perdu pour avoir le feu du Saint-Esprit, et où
l'on ne travaille plus de son propre fonds mais divinement
et, par conséquent, avec facilité.
Mais le sentier
propre à
cette vie
intérieure est un sentier étroit,
je dus bientôt l'éprouver plus
que jamais. Plus nous nous livrons à Dieu, en nous
livrant à la croix pour le salut des âmes, et
moins nous sommes compris par ceux qui aiment la vie des
accommodements, par les demi-chrétiens, ou les
chrétiens mondains. Notre sentier devient
solitaire.
J'éprouvais le désir
de quitter les affaires et de vouer tout mon temps à
l'oeuvre de Dieu. Deux projets se présentèrent
à mon âme : l'un, d'aller travailler dans les
bas-fonds de Londres, l'autre, d'utiliser ma connaissance
des langues en travaillant pour Dieu sur le continent. Mais
j'attendais.
Quelques mois après j'entendis parler pour la première fois de l'Armée du Salut. Eu lisant un exemplaire de son journal qui me tomba entre les mains, je sentis le souffle de vie, l'ardeur du feu du Saint-Esprit, et le courage d'âmes libérées par la perte de leur vie propre et passionnées pour la gloire de Dieu. je n'eus pas la moindre difficulté quant aux méthodes de l'Armée, elles me semblaient être tout simplement le bon sens appliqué à l'évangélisation.
Cette Armée envahit
l'Irlande.
Des foules de gens, jusqu'alors vivant dans le mal et la
mondanité, furent sauvés. J'amenai une
trentaine de jeunes gens qui s'étaient donnés
à Dieu par mon moyen, à des réunions de
sainteté que les salutistes tenaient dans une tente,
à quelques lieues. je n'oublierai jamais l'impression
que me fit la paix qui brillait dans la physionomie
reposée de la rangée d'officiers et
d'officières sur l'estrade. je constatai dans leurs
prières, leurs chants, leurs paroles, qu'ils
étaient animés de la puissance de « la
vie cachée avec Christ en Dieu », la
sainteté du coeur. Et sentant l'Esprit de Dieu
pénétrer tout dans cette réunion, d'une
influence à la fois saine et joyeuse, paisible et
puissante, donnant une force victorieuse à la parole
à deux tranchants : condamnation et grâce, ma
joie ne connut plus de bornes et mon coeur s'écria:
voici le christianisme primitif! À la fin je dus
crier : alléluia! avec le plus bruyant, car je
sentais qu'autrement j'aurais contristé l'Esprit de
Dieu.
Ce fut une grande
joie pour moi de
voir mes jeunes amis aller presque tous au banc des
pénitents, car tout en ayant reçu
moi-même la grâce d'un coeur pur, - je ne savais
pas bien comment les y amener. Aussi en route, le matin de
ce jour-là, étais-je monté tour
à tour clans nos deux grands chars à bancs
pour y tenir des réunions préliminaires, et
préparer mes amis à s'offrir en sacrifice
vivant et à ne perdre rien des grâces qui
allaient, j'en étais sûr, se manifester dans
les réunions du jour.
Quelques mois plus tard,
je pus
visiter des postes de l'Armée en Angleterre, et
j'acquis la conviction que je devais y entrer. Des
difficultés ne manquèrent pas de
s'élever sur ma route. Mes amis et parents crurent
que je me trompais et voulurent me retenir, et certes
quitter Bessbrook fut un déchirement bien
pénible pour mon coeur.
Un jour où j'avais
été en butte à beaucoup d'opposition
amicale, et où l'on avait mis en avant l'argument que
je ne devais pas quitter « la religion de mes
pères », je me trouvais dans mon étude,
accablé par le sentiment de la solitude de ma
position, et le contraste entre mes circonstances actuelles
dans cette jolie et paisible « ville modèle
», où j'étais entouré
d'associations et d'amis chéris et tout l'inconnu de
la guerre du Salut au loin dans le monde; les liens d'une
parenté nombreuse se faisaient puissamment
sentir.
Au milieu de mes
pénibles
réflexions, j'ouvris machinalement une brochure qui
se trouvait sur la table et que je n'avais pas lue
précédemment; mes yeux tombèrent sur
les paroles « Il se trouvait conduit par Dieu à
unir son sort à ce peuple méprisé et
persécuté, chez lequel il constatait la vie et
la puissance divines, » et d'autres paroles parlant
d'opposition et de croix provenant en partie de ses amis et
parents.
Étonné, je regardai
la couverture, pour voir de qui il s'agissait et je
constatai que c'était l'expérience d'un de mes
ancêtres qui, deux siècles auparavant,
était sorti de l'Église nationale pour se
joindre aux Quakers, alors méprisés,
persécutés, bafoués, emprisonnés
et calomniés, et par les mondains et par les «
chrétiens ».
Je fermai le livre.
C'était
assez.
J'eus naturellement à
passer
encore par des angoisses et à accepter bien des
séparations avant le jour où je devais
finalement prendre le bateau à Dublin, dire adieu
pour toujours, pour autant que j'en pouvais juger, a mon
pays et aux membres de ma nombreuse famille, et sortir
à tout jamais de la religion de mes pères,
pour ce qui en concernait la forme
extérieure.
Mais Dieu ne manqua
pas de venir
à mon secours, moment après moment, au fur et
à mesure que je marchais dans la lumière. Et
bien que je ne doute pas avoir fait et écrit beaucoup
de choses assez gauchement, il n'a pas manqué de me
bénir selon la sincérité de mon
coeur.
Que de lacunes je puis
découvrir en regardant en arrière, même
dans les détails de cette obéissance qui me
coûtait tant! Et quoique je n'aie pas conscience
d'avoir manqué sérieusement à l'amour,
ma marche se ressentit sans doute des ignorances et des
gaucheries de celui pour lequel la divine science du salut
des âmes et de la guerre du salut est encore
enveloppée de beaucoup de brouillards provenant de
ses idées d'autrefois, ou de la lenteur de son coeur
à suivre l'Agneau partout
où il va.
Mes plus grandes
épreuves
accompagnèrent naturellement mes derniers moments de
contact avec ceux qui étaient les meilleurs parmi mes
connaissances religieuses de mon ancien milieu. je me
rappelle surtout quelle souffrance étreignit mon
coeur lors de mes derniers entretiens avec la dame, femme
noble et digne entre toutes, dont la tendre
préoccupation maternelle et la fidélité
chrétienne avaient été le moyen de nia
conversion.
C'était sous son
toit que
j'avais trouvé le salut. C'était dans une
salle bâtie par son mari dans la cour de sa maison de
campagne que j'avais passé les dernières
heures d'angoisse précédant l'acte
définitif de ma reddition à Dieu.
C'était à sa fidélité que tout
le réveil qui avait lieu alors dans les alentours
devait son origine. De plus, comme cousin germain de mon
père, son mari avait toujours été
très bienveillant pour moi. Et maintenant je devais
partir; et elle, cette mère en Israël, dans ce
petit Israël - refroidi de son premier amour, (cette
« Société des Amis» où il y
avait encore de belles oasis de vie) elle, cette mère
en cet Israël-là, elle croyait que je me
trompais. Ses larmes de regret et d'affection personnelle
furent pour moi les gouttes les plus amères de ma
coupe.
Ah! ce sont là des morts, ce sont là des calvaires! Et la plus cruelle blessure pour le coeur dans de pareils moments est celle de paraître ingrat, et d'avoir l'air d'oublier tout le bien matériel ou spirituel que nous avons reçu de tant d'amis et de parents dans notre ancien milieu.
Mais il faut choisir, et
il faut
accepter de paraître tout ce qu'on n'est pas, dans les
moments où un monde plus élevé s'est
ouvert devant nos yeux, et où un christianisme
apostolique avec ses croix et son sang versé, ses
batailles, ses tumultes, ses victoires et ses
alléluias, se présente à
nous.
Alors le prix que
Dieu demandera
pour nous donner une pareille religion sera notre « vie
»; oui toute
notre vie
humaine, avec ses affections, ses liens, et le désir
d'être compris, devra y passer. Mais la religion
vaudra ce qu'elle aura coûté, et infiniment
plus. L'humain devra toujours être immolé au
divin, le Créateur devra passer avant toute
créature.
J'étais déjà
marqué au fer rouge dans mon âme pour avoir
résisté une première fois; et
maintenant, devait-il m'en coûter la vie, il me
fallait obéir.
Une autre entrevue
extrêmement
pénible fut celle que j'eus avec un de mes amis
auquel j'étais très intimement lié. Il
était alors membre du Parlement anglais, et comme
j'étais allé à Londres visiter l'oeuvre
de l'Armée en Angleterre, c'est à lui le tout
premier que j'annonçai ma
décision.
Je me souviens
encore de ce long
voyage à travers les rues de Londres sur
l'impériale d'un omnibus pour parvenir de l'East-End,
le quartier pauvre où l'Armée du Salut avait
son Quartier Général, au riche West-End. Il me
semblait rêver; je me disais : est-ce bien toi ?
est-ce bien réel ce que tu fais là? ou fais-tu
un cauchemar ? En effet, Dieu avait permis qu'à ce
moment-là, tout sentiment eût disparu; lui,
il avait parlé, et je devais
maintenant marcher, et mettre en pratique ce qu'il m'avait
dit sans demander à éprouver aucune joie
intérieure ou à m'appuyer sur un soutien
quelconque, afin que dans ce désert ma foi fût
éprouvée et fortifiée.
Je me figurais tout
ce qu'il me
dirait au sujet de mon avenir terrestre, au sujet de mon
père qui se faisait vieux, et qui, s'il n'avait
nullement besoin de mon soutien matériel, aurait
pourtant, selon le monde, eu quelque droit à la
présence de son troisième fils dans le pays,
les deux aînés étant établis en
Angleterre et en Amérique.
Oui, je prévoyais ce
qu'il
me dirait, et aussi ce qu'il penserait et sentirait sans me
le dire, et sur cet omnibus le démon ne manqua pas de
m'accuser de tout, surtout d'avoir un coeur froid,
d'être indifférent aux miens, de vouloir «
faire à ma tête », de chercher du nouveau,
etc., etc.
Mais sa victoire
précédente sur moi assura sa défaite
dans ces heures sombres. La pensée des âmes que
j'aurais pu sauver si j'avais été
fidèle à Dieu lors de mon premier appel
à tout quitter, quatre à cinq ans auparavant,
se dressait devant moi. La musique divine d'une tendresse
exquise, l'amour céleste dont l'océan avait
commencé à rouler ses vagues dans mon
âme lors de mon premier baptême du Saint-Esprit
et la puissance spirituelle dont Dieu m'avait revêtu
quelques mois auparavant à la suite de l'acte
d'obéissance que j'ai déjà
décrit, - tout cela me revenait à la
mémoire.
Je montai l'escalier
d'un pas
ferme et me trouvai dans la chambre de mon ami qui venait de
se réveiller à onze heures du matin,
après une nuit passée au
Parlement.
Je passerai cette
entrevue sous
silence. Mon ami fut d'ailleurs bienveillant et
fidèle à ses lumières; il ne manqua pas
d'être sévère envers moi, et de
s'acquitter de tout son devoir. C'est d'ailleurs un noble
caractère.
Aux yeux humains, en effet, je faisais une folie j'occupais une situation unique qui me permettait de faire beaucoup de bien, et où, sans être trop embarrassé du poids des affaires, je pouvais travailler pour le salut des ouvriers de la « Ville modèle » avec toutes sortes d'avantages spéciaux. Ma position de pasteur reconnu de la Société des Amis m'ouvrait tout le réseau de la Société en Irlande et dans d'autres pays. Un de mes ancêtres avait été l'auteur du principal ouvrage théologique de la Société, l'Apologie de Barclay.
J'étais le plus jeune pasteur de la Société en Irlande, et avais par conséquent libre accès auprès des jeunes gens. J'étais directeur d'une école du dimanche, président d'une Union chrétienne, et président et secrétaire de plusieurs sociétés de bienfaisance spirituelle et matérielle. Un bel avenir terrestre m'était assuré et cela dans un des endroits les plus charmants de mon pays natal; - et voilà que j'allais me déraciner, et échanger le certain pour l'incertain, le connu pour l'inconnu, ma vie facile pour celle du nomade de la foi, exposé à toutes les épreuves, à tous les dangers d'officier de l'Armée du Salut dans un monde en révolte contre Dieu. Plus encore, c'était la France incrédule qui devait être mon premier poste, ainsi que la Suisse ou je ne pouvais manquer de recevoir les reproches de ceux parmi lesquels ou sous la direction desquels j'avais fait mes études, ce qui arriva en effet (1).
Oui, je paraissais être fou aux yeux de beaucoup de mes amis et quelquefois à mes propres yeux! mais je ne savais que marcher, marcher, n'importe comment pourvu que ce fût de l'avant.
Dieu, dans sa bonté infinie, m'avait réservé au milieu de ces temps sombres une rencontre toute providentielle.
Parmi mes anciens amis, deux d'entre eux pensaient que j'avais raison : C'étaient un jeune docteur avec lequel j'étais très lié, homme de grande sincérité de coeur, et une dame, gouvernante des filles de cette personne dont j'ai parlé plus haut. Elle était très clairvoyante et servait Dieu avec dévouement.
Revenant de Londres,
j'étais
assis dans titi coin de compartiment de seconde classe,
pensant aux derniers actes du drame de ma « folie
», qui se préparaient. J'étais en route
pour mon pays, allant faire les préparatifs de mon
départ, et je devais arriver le lendemain chez mon
père lui annoncer la nouvelle.
À une des stations
du
parcours la porte s'ouvre soudain, et quelqu'un monte...
« Est-ce possible que ce soit vous! » fut
l'exclamation des deux côtés. C'était la
gouvernante en question. Elle ne savait pas que
j'étais en Angleterre. je ne savais pas non plus
qu'elle y fût. Nous habitions tous deux l'Irlande, et
voici que nous nous rencontrions, ayant un long voyage
devant nous. N'était-ce pas une providence
remarquable que la seule personne susceptible de me dire :
« je vous comprends, vous avez raison, marchez toujours
» se trouvât dans ce pays, si loin de chez elle,
qu'elle prît ce même train, et montât dans
ce même compartiment? je ne pus, nous ne pûmes
qu'y voir la main de Dieu; elle m'encouragea à
persévérer, et mon obéissance fut en
bénédiction à sa propre
âme.
Le lendemain j'arrivai
chez mon
père. L'entrevue que mon coeur redoutait le plus
devait avoir lieu.
Je n'avais prévenu
personne
de mon arrivée. je voulais tout expliquer de
vive-voix pensant que cela serait plus tendre qu'une
lettre.
Mon coeur semblait
être
cahoté sur des pavés intérieurs aussi
durs que ceux sur lesquels sautillait l'« outside-car
» irlandais qui m'emmenait du bateau à la
maison.
Et pourtant j'aimais
tendrement
mon père. je me souviens avec quel élan
d'amour filial je pris un de mes congés à
l'avance pour aller le soigner jour et nuit, après
une chute qu'il avait faite et qui lui avait brisé
les côtes, sachant que ce serait une charge pour lui
d'avoir une garde à gages, homme ou
femme.
Et maintenant
n'allais-je pas lui
briser le coeur
Pourtant je sonnai
d'une main
ferme à la porte de la maison. J'entendis la sonnerie
se répercuter à l'intérieur. Ah!
qu'allais-je donc faire là ? Quel réveil pour
la maison, par cette matinée froide et
grise...
Après le déjeuner,
resté seul avec mon père et ma soeur
aînée, je leur fis part de ma décision.
Il y eut un moment de silence. Mon père ne dit pas
mot. Il a toujours été un homme silencieux. Ma
soeur aînée, à ma grande surprise,
prononça ces paroles : « Sydney est guidé
par le Saint-Esprit dans ce qu'il fait; qu'il fasse
seulement ce qu'il croit être son devoir. » Mon
père inclina la tête et répondit :
« Oui, c'est à lui à décider ce
qu'il doit faire! »
Et ce fut tout. Dieu
avait
lui-même préparé leurs coeurs. Mon cher
père avait autrefois tenu des réunions ou
plutôt des lectures de la Bible et de traités
pour les ouvriers, dans son propre salon qu'il faisait
débarrasser chaque dimanche, et garnir de bancs
où de soixante à quatre-vingts personnes
trouvaient place.
Mon père avait conservé
cette ferme croyance au Saint-Esprit, qui avait
caractérisé nos aïeux. Plus tard, il
reçut sa récompense lorsqu'il apprit que mon
second frère, Percy, devenu incrédule, avait
été converti par mon moyen à l'occasion
d'une visite de deux jours qu'il me fit à Paris,
venant d'Amérique avec l'intention de se rendre
à Monte-Carlo.
Et sur son lit de
mort, douze
années après mon départ de mon pays, et
huit années après la conversion de ce
frère, le vieillard lui disait un dernier adieu au
moment où il partait pour prendre la direction du
poste le plus difficile et le plus éloigné du
monde entier, celui de la république Argentine, comme
Major de l'Armée du Salut.
Ah! cher père. Comme je me souviens de cette journée ensoleillée où je visitai Paris pour la première fois lorsque tu nous conduisais, Percy et moi, en Suisse pour y achever nos études. Quel jour mémorable pour moi que ce 15 août 1868. Quelle journée radieuse de ciel bleu! Et quelles foules, quelles multitudes se pressaient dans les rues pour voir défiler Napoléon Ill, sa cour et sa maison militaire, et les garnisons de Paris! je m'en souviens comme si c'était d'hier. Tu nous avais trouvé une place près du Palais des Invalides. De tes bras vigoureux tu nous aidais à nous hisser pour voir l'Empereur, l'Impératrice et le Prince impérial. Et alors, quand le cortège de gala fut passé, que les haies humaines qui avaient bordé dans toute sa longueur l'avenue des Champs-Elysées furent rompues, et que la foule se dispersait de tous côtés en une cohue indescriptible, comme tu veillais sur nous!
Ah! tu t'imaginais peu pour quelle vie tu nous élevais, et quel emploi nous ferions de l'éducation que tu nous donnais! Tu ne t'imaginais guère que le jour viendrait où nous serions là, sur la même place, entourés de foules pareilles, dans un costume qui nous rendrait la risée de beaucoup, vendant un journal à un sou. Tu ne t'imaginais guère que ton fils Percy se trouverait là un jour, revêtu d'un voyant jersey rouge, criant notre feuille de salut et en vendant en quelques heures 200 exemplaires, se fournissant ainsi l'occasion d'engager une vingtaine de luttes corps à corps avec des incrédules et des mondains; ni que, quelques jours auparavant, il aurait fait lin holocauste des gants et des cigares, compagnons habituels, dans ses moments de loisir et de flânerie, de ces mains qui offraient alors notre journal. Non, tu ne pouvais te figurer de pareilles révolutions, de pareils bouleversements! L'Éternel sait ce qu'il fait et lui seul le sait. Mais bénie soit ta mémoire! tu ne nous as jamais empêchés de suivre la voie de notre conscience quand même tu ne pouvais tout comprendre, et ton fils t'élève ici, aujourd'hui, un modeste monument de reconnaissance filiale!!
J'ai pu visiter mon père plusieurs fois avant sa mort; mais, à ma grande douleur, je ne fus pas à ses côtés pour recueillir son dernier soupir. Mes devoirs me retenaient sur le continent. Un dimanche soir que j'allais tenir une réunion dans notre petite salle de la rue de Bouret, à Belleville, un étrange sentiment me saisit, me faisant penser à ma famille. je parlai dans la réunion de l'amour de la famille, et de l'amour de Dieu pour la partie de sa famille terrestre qui était perdue. Le Seigneur a béni mes paroles. Neuf personnes se sont avancées pour se donner à Dieu. Plusieurs étaient en larmes. Parmi eux se trouvait une famille entière qui se réunissait en Dieu. - Ce soir-là mon père mourut. En rentrant, je reçus la dépêche m'avisant de son agonie. La transmission de ce message télégraphique avait été retardée. je partis aussitôt; mais en débarquant en Angleterre j'appris la nouvelle douloureuse qu'il était trop tard, et je ne pus voir que le visage calme et paisible du vieillard aux longs cheveux blancs qui semblait dormir dans son cercueil.
La même chose à peu près arriva pour ma chère mère. Elle avait, dans les jours de sa santé, parlé pour Dieu en public. Mais un accident de voiture avait ruiné sa santé, et une maladie grave la réduisit à l'état d'invalide. J'avais été auprès d'elle le jour avant sa mort. Pendant mon absence, nécessitée par d'importantes réunions, on m'envoya une dépêche pour m'annoncer qu'elle s'en allait. La dépêche fut égarée par quelqu'un dans la chaleur de cette bataille, mais je m'inclinai - acceptant l'épreuve comme venant de Dieu qui contrôle tous les événements et tous les incidents.
La guerre du salut ma depuis lors éloigné constamment des miens (je parle de ma femme et de mes enfants), ou tenu éloigné à des moments de maladie ou d'épreuve, mais en tout j'ai vu la fidélité de Dieu, et je n'ai jamais manqué de voir dans la suite que c'est lui qui prépare toutes les épreuves de notre foi, afin que nous apprenions dans l'obéissance à être vainqueurs et plus que vainqueurs, et que dans la mesure où nous laissons venir son règne en la pauvre « terre » de notre humanité, lui offrant notre vie tout entière avec toutes ses affections en sacrifice vivant, il en tire' toujours de plus en plus sa propre gloire et le salut de nos semblables - tout en assurant par son intervention divine la santé et la sécurité aux nôtres, qui sont devenus ainsi siens.
Puissent mes expériences en aider d'autres à obéir à la voix du Saint-Esprit, et à ce qu'il leur dit dans leurs rencontres avec Lui en la personne de ceux en qui il règne en Roi, - c'est là mon but en les écrivant.
Si l'espace me le permettait, je pourrais citer bien des remarquables exaucements de prière ayant trait précisément à cette marche, à laquelle nous sommes tous appelés comme « enfants d'Abraham » et comme « Lévites » qui n'ont rien ni personne qui leur appartienne en propre.
Mon récit peut être d'autant plus utile à ceux qui entrent dans cette vie de la foi que je ne crois pas qu'il y ait eu beaucoup d'hommes plus timides par nature que moi, ou plus difficiles à vaincre et à briser par le Saint-Esprit. Et c'est avec une conviction absolue que je puis dire que s'il m'a sauvé, moi, avec un coeur si mauvais de nature, il peut sauver tout le monde.
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