Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

APPENDICE

Comment Dieu m'a conduit.

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 Premières luttes de mon enfance.

Dès ma plus tendre enfance, mon âme fut travaillée par des pensées relatives à Dieu, au ciel, à l'enfer; plusieurs fois, dans mon sommeil, je rêvai du jour du jugement. Dès l'âge de sept ou huit ans, de fortes tentations m'entraînaient vers une incrédulité enfantine. Souvent, la nuit, je restais tout éveillé, m'efforçant de me débarrasser de raisonnements tels que celui-ci, par exemple : « Qui a créé Dieu? » À de semblables questions je ne trouvais point de réponse, j'étais épouvanté que mon esprit osât se les poser, et alors j'essayais de trouver un refuge dans le sommeil. Mais à un moment donné je me suis décidé d'être ce que j'étais : un enfant, et d'accepter tout simplement la déclaration divine quant à la création du monde.

Comme membre de la Société religieuse des Quakers, j'étais très soigneusement élevé. je reconnaissais, faiblement il est vrai, qu'un grand changement spirituel devait s'opérer en moi.

Souvent, je me sentais accablé par le fardeau de mes péchés et par le sentiment que mon coeur résistait au St-Esprit; cependant dix-huit années de ma vie s'écoulèrent sans que personne m'ait jamais parlé de mon âme d'une façon nette, m'ait jamais montré que je devais obéir sans délai aux sommations de Dieu, car l'Évangile n'est pas simplement une bonne nouvelle, c'est encore une sommation à se soumettre sans condition, sommation qui demande une réponse immédiate.




Les salutistes du XVIIe siècle.

A la vérité, la Société des Quakers enseignait l'Evangile de la délivrance complète du péché; elle déclarait que Dieu n'avait pas seulement pour but de réprimer le péché, mais encore de l'extirper du coeur de l'homme; cette doctrine, elle la tenait de ses premiers saints, ces hommes si ardents, si audacieux; Certes, jamais personne n'avait rendu un témoignage plus clair, plus positif à la sainteté personnelle que ces premiers Quakers, jamais personne n'avait pratiqué plus qu'eux le renoncement, ou fait une guerre plus active, plus acharnée au péché, - plus de mille Quakers ont été sous les verrous en même temps pour avoir troublé la paix des pécheurs. - Cependant cette doctrine et la vie qu'elle engendrait semblaient, à cette heure, une chose qui s'efface dans titi passé lointain et brumeux. Sans doute, le chandelier restait, mais qu'était devenue la lumière? Au collège, nous étudions, outre la Bible, l'histoire et les écrits des Quakers. Mais, comme l'esprit de ces salutistes des vieux jours nous manquait, leur « lettre » n'était pour nous qu'un livre fermé et mystérieux, et nos études ne nous laissaient qu'une sorte de respect pour ces grands hommes d'autrefois, un respect vague, timide, avec l'idée qu'eux et leur temps étaient tout particuliers et que, de façon ou d'autre, l'expérience avait rendu les « Amis » plus sages et plus prudents.




Persécutant par ignorance.

Voilà ou en était le Quakérisme dans la partie de l'Irlande où s'écoula mon enfance. Cependant l'histoire de la salle de réunion où « j'adorais Dieu » et où, aux heures très solennelles du silence, je comptais les fentes du plancher on suivait avec délices la marche d'une araignée sur le mur), cette histoire était en elle-même un témoignage frappant de conversion soudaine.

Un de mes ancêtres ayant acquis une propriété en Irlande, en 1650, découvrit que les Quakers tenaient leurs réunions clans un bâtiment sur ses terres. La chose lui déplut; car, ayant ajouté foi aux mensonges que l'on répandait dans le pays lu sujet de ces braves gens, il avait conçu pour eux une profonde aversion. Aussi bien se mit-il en route, un jour de la semaine, pour aller brûler ce bâtiment. Entendant une voix forte s'élever à l'intérieur, il s'aperçut qu'il y avait réunion et s'arrêta pour écouter. Les paroles prononcée,, dans la puissance du St-Esprit lui allèrent au coeur. jetant la torche qu'il portait, il entra et s'assit... Sa femme vint avec lui le dimanche suivant et ils furent tous les deux convertis.
Plus tard il bâtit un lieu de culte spacieux - celui-là même où, dans mon enfance, « j'adorais Dieu ».

A l'âge de quinze ans, mon père m'envoya ail collège en Suisse, surtout pour apprendre le français et l'allemand. J'y passai deux as, buvant pour ainsi dire dans l'atmosphère de cette vaillante petite république, l'idée de la liberté. Avec quelle ardeur je chantais:
frei und auf ewig frei!
(libre et à jamais libre!) - liberté que je devais plus tard trouver par le salut.




La « Ville modèle ».

Je vins m'initier aux affaires chez des parents, des industriels, fabricants de toile. Dans une riante campagne an Nord de l'Irlande ils avaient créé de grandes usines, et construit une ville pour leurs 3 a 4000 ouvriers. Comme ils étaient des gens pieux, ils posèrent d'emblée comme principe de lie permettre à personne d'établir un débit de boissons dans la ville ou sur leurs terres. Comme conséquence, la localité il put se passer jusqu'à aujourd'hui de tout Mont-de-Piété et même de tout poste de police. De plus, par des mesures rigoureuses contre toute forme de débauche, ils ont pu maintenir la moralité de l'endroit à un niveau très élevé; Bessbrook acquit le nom de « Ville modèle » ou de « Ville de la Tempérance ».
Bien que je rencontrasse ici une vie spirituelle plus haute que partout ailleurs, je restai encore inconverti pendant quatre ans, n'ayant jamais été mis en demeure de me donner à Dieu. Poussé par un vague désir de faire le bien, je devins moniteur à mie école du dimanche. J'étudiais soigneusement la Bible et je l'enseignais à mes élèves, mais j'étais sans cesse poursuivi par la conviction intime que pour faire réellement le bien, il fallait d'abord être bon soi-même, et ma conscience m'obligea à faire comprendre à mes élèves que je ne me considérais pas comme converti. Quand, au cours d'une leçon je rencontrais un de ces passages brûlants ayant trait au péché et au salut, je glissais rapidement, avec aussi peu de remarques que possible et encore étaient-elles très peu précises et très impersonnelles, et je continuais de discourir savamment sur les arbres, les fleurs ou les oiseaux de Palestine, ou sur les us et coutumes des Hébreux. je savais les noms de toutes les villes de refuge et j'exigeais que chaque élève les apprit, mais je n'aurais pu dire : « Moi, je me suis réfugié dans la Cité du refuge et j'y demeure. Fuyez le Vengeur et venez-y demeurer avec moi. » Souvent j'entendis l'appel de Dieu retentir en mon âme, mais je résistais sans cesse à l'Esprit : l'orgueil tyrannisait ma volonté, la crainte du monde me maîtrisait.




Vaincu par la grâce.

Un réveil religieux venait de commencer à Moyallon à quelques lieues de Bessbrook, et mon meilleur ami, dans une visite qu'il y avait faite, avait été converti. je n'oublierai jamais l'effet que produisit sur moi la lumière du salut qui éclairait sa physionomie quand je le revis à son retour. je fus alors sous l'empire d'une profonde conviction de péché; pendant plusieurs soirs nous nous promenâmes ensemble sur les routes de la campagne et il cherchait à m'amener à la décision et à la foi pour le salut. Le samedi suivant j'allai avec lui à l'endroit même où avaient lieu ces réunions. L'action du St-Esprit se fit très fortement sentir en mon coeur, et à mesure qu'elle grandissait, les puissances des ténèbres cherchaient à m'écraser de craintes quant à ce que j'aurais à abandonner et à souffrir dans l'avenir, car, depuis mon enfance, je sentais que si jamais je donnais mon coeur à Dieu je devrais consacrer ma vie à l'oeuvre du salut.

L'angoisse de mon âme, sous l'action du St-Esprit, devint indicible. je me décidai à être sauvé et je fis des efforts pour « croire ». je m'en allais prier dans les champs; je m'épuisais dans de vaines luttes pour conquérir la foi pour mon salut. je passai des heures à genoux, décidé à ne pas me relever que je n'eusse le témoignage de mon salut. je ne comprenais pas que la vraie foi ne consiste pas dans un immense effort, mais dans un acte d'abandon à Dieu; croire, c'est tâcher tout et se laisser tomber en Lui.

Il y avait encore en moi un fond de subtil orgueil qui ne voulait pas, d'un côté, s'humilier publiquement, on d'un autre, accepter le pardon de Dieu comme un don et comme une grâce que tous mes efforts ne pourraient mériter. Aussi, je me fatiguai de la lutte, je devins irrité contre Dieu, et fâché qu'on connût mon état de bouleversement spirituel. Le dimanche soir, je m'élançai hors de la salle, mais des amis me suivirent, et je ne pus qu'éclater en sanglots, confessant toute l'angoisse de mon âme. Ils prièrent avec moi. Après quelques heures de lutte, j'allai me jeter sur mon lit, avec la pensée que tous mes efforts ayant été vains, je ne pouvais faire autre chose, en fin de compte, que de m'abandonner à Dieu, et lui confier mon âme, mon salut, mon avenir, tout! Et tout en chantant à demi-voix le choeur :

En toi je me repose,
0 jésus, mon Sauveur!

Je lâchai prise, pour ainsi dire, je livrai mon sort à Dieu.

C'était comme si je me fusse abandonné à Lui, disant : « Voilà! je suis à bout de mes forces; tu m'as créé, tu m'as racheté, charge-toi de moi. »
La paix de Dieu entra dans mon âme.
Jamais! jamais, durant l'éternité même, je n'oublierai la double aurore du lendemain, quand la lumière naturelle emplit mes yeux, et que la lumière céleste inonda mon âme. jamais les oiseaux n'avaient chanté si joyeusement; jamais la nature entière ne m'avait paru si belle, si rayonnante. Les prés, les champs, les fleurs avaient revêtu une beauté inconnue. C'est que le monde entier est nouveau pour ceux qui sont devenus « de nouvelles créatures ». La nature elle-même leur semble « née de nouveau ».

Je ne pus contenir ma joie. je dus me mettre à l'oeuvre tout de suite polir en gagner d'autres. Mais j'eus le premier jour une déception pénible qui fit sur moi une impression ineffaçable. je rencontrai un homme « religieux » qui tenait des réunions pour expliquer la Bible. Quoiqu'il me fit l'impression d'un homme très sec, je me dis que, pourtant, il serait tout heureux de savoir que je m'étais donné à Dieu et que j'avais trouvé l'assurance de mon salut. je l'abordai donc avec une grande joie et lui annonçai la nouvelle qui, selon la Bible, fait réjouir les anges. Mais il m'accueillit très froidement et me mit en garde contre « l'exaltation et l'illusion ». je me détournai étonné, perplexe. Mais bientôt l'Esprit de Dieu me fit comprendre la différence entre la religion et le salut, entre la forme et la vie, entre l'orthodoxie - squelette et l'être spirituel, vivant, aimant.
Nous fûmes bientôt une compagnie de jeunes gens qui allions tenir de tous côtés des réunions le dimanche et les soirs de la semaine.




« Toi, suis-moi! »

Une année plus tard, l'appel définitif de Dieu se fit entendre dans mon âme. Un ministre des Quakers arrivant du fond de l'Amérique occidentale, homme sans culture, mais rempli de l'Esprit de Dieu, vint dans nos contrées. Un jour, dans un train qui nous ramenait d'un endroit où il avait parlé dans quelques puissantes réunions, et où j'avais également pris la parole avec une grande liberté intérieure, ce ministre me dit : « Ne veux-tu pas venir avec nous ? »

Sur le moment cet appel ne se présenta pas à mon esprit avec une autorité divine, et d'ailleurs le moment semblait inopportun, car le lendemain même je devais prendre vis-à-vis de mes parents un engagement qui, en me liant à eux dans les affaires, devait m'assurer un avenir prospère.
Mais ce soir-là, à peine avais-je fermé la porte de ma chambre que l'Esprit de Dieu vint subitement sur moi, inondant tout mon être, de telle sorte que je fus comme privé de toute force; je m'affaissai dans un fauteuil, pendant que les ondes de la gloire divine passaient et repassaient sur mon âme comme les vagues de l'océan immense de l'amour éternel.
Ce sont là des choses qu'on hésite à décrire. Aussi bien dépassent-elles toute description. La gloire du règne de Christ semblait passer devant moi; sa majesté semblait s'imposer à mon âme avec une clarté indicible, ses droits au service passionnément dévoué de chaque être humain ressortaient avec une force à la fois tendre et absolue. Aucune parole ne peut exprimer ce qui me fut alors révélé de l'amour du Christ, l'infiniment aimable, de la tendresse immense de son amour compatissant pour un monde perdu. Il me semblait voir le règne de Dieu et comprendre l'inexprimable joie de vivre, de souffrir et de mourir au service de ce bien-aimé Roi des rois. Aucune expression ne peut mieux rendre cette expérience comme la parole biblique : » je vis le ciel on vert ». Les harmonies célestes me pénétrèrent comme le doux murmure d'un océan vaste comme l'univers. Il me semblait que si j'avais en mille langues, elles n'auraient su dire ce que je sentais et voyais de ce monde de lumière. Un souffle céleste caressait mon âme. Personne! non, personne tic devait pouvoir résister à un Sauveur tel qu'il m'était manifesté dans cette rencontre.

Je ne sais pas combien de temps je fus sous ce baptême du Saint-Esprit, comme perdu et noyé en Dieu, lorsque l'appel que j'avais entendu quelques heures avant de la bouche de l'homme de Dieu fut répété dans mon âme avec une autorité divine: « Viens avec nous! »
Je me sentis poussé à ouvrir ma Bible qui était sur la table. je le fis, et les mots suivants me tombèrent sous les yeux : « Ne vous amassez point des trésors sur la terre » (Math. IV), et comme je lisais jusqu'à la fin du chapitre, toutes les paroles semblaient se buriner sur mon âme comme l'appel direct de Dieu.

Je sentis que je devais trancher la question immédiatement, et décider de renoncer à la vocation terrestre en faveur de la vocation céleste. Mais que l'influence des traditions des anciens, et de la crainte de l'homme est puissante! je commençai à « raisonner avec la chair et le sang ».




« Infidèle à la vision céleste. »

Le diable se mit à ranger en bataille devant mon esprit, toutes sortes de difficultés, et surtout la peur de ce que mes amis chrétiens ne disent que j'étais surexcité; que mon devoir était de rester là où j'étais, etc. je craignais aussi de faire de la peine à mon père et à ma mère, si je renonçais aux affaires.

La très grande solennité et la rigueur de la forme religieuse dans laquelle j'avais été élevé, me rendaient très craintif à l'égard de toute puissante manifestation de l'Esprit de Dieu. Portant mes regards sur « les choses visibles », je commençais à craindre, à douter, à hésiter, et il m'arriva selon mes doutes. Si j'avais seulement marché dans la lumière qui m'avait été accordée, il m'aurait été fait selon ma foi.
Ah! que n'ai-je eu à ce moment quelqu'un pour me dire : « jeune homme, ne tiens aucun compte de ces obstacles ni de l'opinion de ceux qui n'ont pas été baptisés du Saint-Esprit. Que peuvent-ils savoir de ce monde de lumière? C'est bien Dieu qui t'a parlé, obéis sans te préoccuper des conséquences. Va de l'avant dans la foi et le chemin s'ouvrira. Meurs à tout et tu vivras, et tu gagneras une multitude d'âmes à Dieu. »

Ayant résisté à la lumière, elle s'affaiblit, puis disparut ainsi que la faculté d'obéir. je compris alors, et ce fut une leçon pour la vie, le sens des mots : « Pendant que vous avez la lumière, marchez dans la lumière, de peur que les ténèbres ne vous surprennent. » Quand Dieu nous le commande, en envoyant sa lumière dans notre âme, nous devons « marcher », nous avancer dans la lumière, obéir à ce que la lumière commande, c'est ainsi qu'elle peut entrer et pénétrer tout notre être, et nous donner la puissance d'obéir à l'appel de Dieu. C'est à nous à faire le pas en avant, et à l'instant la puissance de Dieu nous pénètre.
Au lieu de « marcher » je me tins en place, et je raisonnai; par conséquent « les ténèbres » m'envahirent.

Quatre années d'expérience chrétienne nuageuse et de stérilité spirituelle s'en suivirent, et je ne crois pas avoir été le moyen d'une seule réelle conversion, soit dans les réunions que je tenais dans les villages et à bord des vaisseaux dans le port voisin, soit dans mes visites aux malades, ou dans les écoles du dimanche. Cette sécheresse spirituelle me causa de grandes angoisses, aussi j'étudiai la Bible à fond et je lus la vie et les ouvrages de tous ceux qui, ayant été sanctifiés et baptisés du Saint-Esprit, possédaient une réelle autorité. Mais mon expérience resta quand même celle du désert. je n'étais pas abandonné absolument à Dieu comme quelqu'un qui va mourir et naître à une nouvelle vie étrangère à l'ancienne; la crainte des hommes, surtout le faux respect, les « traditions des anciens », la crainte de déplaire aux chrétiens inconvertis, la peur de sortir des vieilles ornières, me tenaient dans l'esclavage.
Cependant, comme je prenais fréquemment la parole dans les assemblées, et que les anciens jugèrent que mon ministère était en bénédiction, ils me consacrèrent « ministre » de la Société des «Amis»; je restai cependant dans les affaires comme c'est le cas pour la plupart des pasteurs de cette Société religieuse.




L'obéissance amène la puissance.

Peu de temps après, le Saint-Esprit me mit en demeure de l'honorer en la personne d'un homme de Dieu qui vint dans le voisinage et qui, pour attirer les gens, employait des moyens que l'on se plaisait à appeler excentriques. Mais, voyant qu'il avait la foi et l'amour et savait amener les âmes à Dieu, je me sentis contraint de l'aider et de l'encourager. Ceci m'amena des reproches. De nouveau, l'isolement et l'opprobre me menaçaient. Cette fois, profitant de ma pénible expérience précédente, j'obéis à Dieu et me chargeai de ma croix. L'homme de Dieu partit, mais l'occasion que m'avait fourni son court séjour dans le voisinage de rompre le cercle de fer de « l'opinion » qui liait mon âme, et d'honorer le Saint-Esprit dans n'importe quelle forme de travail, me fut en grande bénédiction.

Dès que j'eus tranché la question et que mon âme eut choisi d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes qui ne lui obéissaient bas, je reçus un nouveau baptême du Saint-Esprit. J'eus conscience de l'affranchissement subit de mon être, toute crainte disparut, je devins d'une indifférence absolue vis-à-vis de moi-même, ma foi et mon amour s'accrurent d'une manière extraordinaire. Sentant combien c'était chose terrible d'avoir enseigné les Écritures depuis plusieurs années à trente jeunes gens de mes deux écoles du dimanche sans avoir fait des efforts plus directs pour les amener à la conversion, je les invitai à venir me trouver dans une petite salle de réunion, un lundi soir, et là je sentis la puissance de Dieu me pénétrer, pendant que je leur disais ce que j'avais sur le coeur. L'action du Saint-Esprit sur eux fut très remarquable. Beaucoup fondirent en larmes. Avant la fin de la semaine une vingtaine d'entre eux furent solidement convertis. À partir de ce moment, des conversions remarquables se faisaient dans toutes les réunions que je tenais.

Le feu d'En-Haut embrasait mon âme. je me sentais porté par le Saint-Esprit. Dans quelques semaines plus d'une centaine de personnes se donnèrent à Dieu. L'un d'eux, un homme très mauvais, fut saisi par Dieu, bouleversé et transformé de telle façon qu'il devint avant longtemps un évangéliste d'une grande puissance et gagna des milliers d'âmes à Dieu en Irlande, en Angleterre, en Australie et en Amérique.
Je raconte ceci à la gloire de Dieu et pour démontrer la différence entre la vie chrétienne ordinaire - vie craintive et comparativement stérile - et la vie où l'on a tout perdu pour avoir le feu du Saint-Esprit, et où l'on ne travaille plus de son propre fonds mais divinement et, par conséquent, avec facilité.
Mais le sentier propre à cette vie intérieure est un sentier étroit, je dus bientôt l'éprouver plus que jamais. Plus nous nous livrons à Dieu, en nous livrant à la croix pour le salut des âmes, et moins nous sommes compris par ceux qui aiment la vie des accommodements, par les demi-chrétiens, ou les chrétiens mondains. Notre sentier devient solitaire.
J'éprouvais le désir de quitter les affaires et de vouer tout mon temps à l'oeuvre de Dieu. Deux projets se présentèrent à mon âme : l'un, d'aller travailler dans les bas-fonds de Londres, l'autre, d'utiliser ma connaissance des langues en travaillant pour Dieu sur le continent. Mais j'attendais.




L'Armée du Salut.

Quelques mois après j'entendis parler pour la première fois de l'Armée du Salut. Eu lisant un exemplaire de son journal qui me tomba entre les mains, je sentis le souffle de vie, l'ardeur du feu du Saint-Esprit, et le courage d'âmes libérées par la perte de leur vie propre et passionnées pour la gloire de Dieu. je n'eus pas la moindre difficulté quant aux méthodes de l'Armée, elles me semblaient être tout simplement le bon sens appliqué à l'évangélisation.

Cette Armée envahit l'Irlande. Des foules de gens, jusqu'alors vivant dans le mal et la mondanité, furent sauvés. J'amenai une trentaine de jeunes gens qui s'étaient donnés à Dieu par mon moyen, à des réunions de sainteté que les salutistes tenaient dans une tente, à quelques lieues. je n'oublierai jamais l'impression que me fit la paix qui brillait dans la physionomie reposée de la rangée d'officiers et d'officières sur l'estrade. je constatai dans leurs prières, leurs chants, leurs paroles, qu'ils étaient animés de la puissance de « la vie cachée avec Christ en Dieu », la sainteté du coeur. Et sentant l'Esprit de Dieu pénétrer tout dans cette réunion, d'une influence à la fois saine et joyeuse, paisible et puissante, donnant une force victorieuse à la parole à deux tranchants : condamnation et grâce, ma joie ne connut plus de bornes et mon coeur s'écria: voici le christianisme primitif! À la fin je dus crier : alléluia! avec le plus bruyant, car je sentais qu'autrement j'aurais contristé l'Esprit de Dieu.
Ce fut une grande joie pour moi de voir mes jeunes amis aller presque tous au banc des pénitents, car tout en ayant reçu moi-même la grâce d'un coeur pur, - je ne savais pas bien comment les y amener. Aussi en route, le matin de ce jour-là, étais-je monté tour à tour clans nos deux grands chars à bancs pour y tenir des réunions préliminaires, et préparer mes amis à s'offrir en sacrifice vivant et à ne perdre rien des grâces qui allaient, j'en étais sûr, se manifester dans les réunions du jour.

Quelques mois plus tard, je pus visiter des postes de l'Armée en Angleterre, et j'acquis la conviction que je devais y entrer. Des difficultés ne manquèrent pas de s'élever sur ma route. Mes amis et parents crurent que je me trompais et voulurent me retenir, et certes quitter Bessbrook fut un déchirement bien pénible pour mon coeur.
Un jour où j'avais été en butte à beaucoup d'opposition amicale, et où l'on avait mis en avant l'argument que je ne devais pas quitter « la religion de mes pères », je me trouvais dans mon étude, accablé par le sentiment de la solitude de ma position, et le contraste entre mes circonstances actuelles dans cette jolie et paisible « ville modèle », où j'étais entouré d'associations et d'amis chéris et tout l'inconnu de la guerre du Salut au loin dans le monde; les liens d'une parenté nombreuse se faisaient puissamment sentir.
Au milieu de mes pénibles réflexions, j'ouvris machinalement une brochure qui se trouvait sur la table et que je n'avais pas lue précédemment; mes yeux tombèrent sur les paroles « Il se trouvait conduit par Dieu à unir son sort à ce peuple méprisé et persécuté, chez lequel il constatait la vie et la puissance divines, » et d'autres paroles parlant d'opposition et de croix provenant en partie de ses amis et parents.
Étonné, je regardai la couverture, pour voir de qui il s'agissait et je constatai que c'était l'expérience d'un de mes ancêtres qui, deux siècles auparavant, était sorti de l'Église nationale pour se joindre aux Quakers, alors méprisés, persécutés, bafoués, emprisonnés et calomniés, et par les mondains et par les « chrétiens ».
Je fermai le livre. C'était assez.




Déchirements.

J'eus naturellement à passer encore par des angoisses et à accepter bien des séparations avant le jour où je devais finalement prendre le bateau à Dublin, dire adieu pour toujours, pour autant que j'en pouvais juger, a mon pays et aux membres de ma nombreuse famille, et sortir à tout jamais de la religion de mes pères, pour ce qui en concernait la forme extérieure.
Mais Dieu ne manqua pas de venir à mon secours, moment après moment, au fur et à mesure que je marchais dans la lumière. Et bien que je ne doute pas avoir fait et écrit beaucoup de choses assez gauchement, il n'a pas manqué de me bénir selon la sincérité de mon coeur.

Que de lacunes je puis découvrir en regardant en arrière, même dans les détails de cette obéissance qui me coûtait tant! Et quoique je n'aie pas conscience d'avoir manqué sérieusement à l'amour, ma marche se ressentit sans doute des ignorances et des gaucheries de celui pour lequel la divine science du salut des âmes et de la guerre du salut est encore enveloppée de beaucoup de brouillards provenant de ses idées d'autrefois, ou de la lenteur de son coeur à suivre l'Agneau partout où il va.
Mes plus grandes épreuves accompagnèrent naturellement mes derniers moments de contact avec ceux qui étaient les meilleurs parmi mes connaissances religieuses de mon ancien milieu. je me rappelle surtout quelle souffrance étreignit mon coeur lors de mes derniers entretiens avec la dame, femme noble et digne entre toutes, dont la tendre préoccupation maternelle et la fidélité chrétienne avaient été le moyen de nia conversion.
C'était sous son toit que j'avais trouvé le salut. C'était dans une salle bâtie par son mari dans la cour de sa maison de campagne que j'avais passé les dernières heures d'angoisse précédant l'acte définitif de ma reddition à Dieu. C'était à sa fidélité que tout le réveil qui avait lieu alors dans les alentours devait son origine. De plus, comme cousin germain de mon père, son mari avait toujours été très bienveillant pour moi. Et maintenant je devais partir; et elle, cette mère en Israël, dans ce petit Israël - refroidi de son premier amour, (cette « Société des Amis» où il y avait encore de belles oasis de vie) elle, cette mère en cet Israël-là, elle croyait que je me trompais. Ses larmes de regret et d'affection personnelle furent pour moi les gouttes les plus amères de ma coupe.

Ah! ce sont là des morts, ce sont là des calvaires! Et la plus cruelle blessure pour le coeur dans de pareils moments est celle de paraître ingrat, et d'avoir l'air d'oublier tout le bien matériel ou spirituel que nous avons reçu de tant d'amis et de parents dans notre ancien milieu.




Choisir est plus que désirer.

Mais il faut choisir, et il faut accepter de paraître tout ce qu'on n'est pas, dans les moments où un monde plus élevé s'est ouvert devant nos yeux, et où un christianisme apostolique avec ses croix et son sang versé, ses batailles, ses tumultes, ses victoires et ses alléluias, se présente à nous.
Alors le prix que Dieu demandera pour nous donner une pareille religion sera notre « vie »; oui toute notre vie humaine, avec ses affections, ses liens, et le désir d'être compris, devra y passer. Mais la religion vaudra ce qu'elle aura coûté, et infiniment plus. L'humain devra toujours être immolé au divin, le Créateur devra passer avant toute créature.
J'étais déjà marqué au fer rouge dans mon âme pour avoir résisté une première fois; et maintenant, devait-il m'en coûter la vie, il me fallait obéir.

Une autre entrevue extrêmement pénible fut celle que j'eus avec un de mes amis auquel j'étais très intimement lié. Il était alors membre du Parlement anglais, et comme j'étais allé à Londres visiter l'oeuvre de l'Armée en Angleterre, c'est à lui le tout premier que j'annonçai ma décision.
Je me souviens encore de ce long voyage à travers les rues de Londres sur l'impériale d'un omnibus pour parvenir de l'East-End, le quartier pauvre où l'Armée du Salut avait son Quartier Général, au riche West-End. Il me semblait rêver; je me disais : est-ce bien toi ? est-ce bien réel ce que tu fais là? ou fais-tu un cauchemar ? En effet, Dieu avait permis qu'à ce moment-là, tout sentiment eût disparu; lui, il avait parlé, et je devais maintenant marcher, et mettre en pratique ce qu'il m'avait dit sans demander à éprouver aucune joie intérieure ou à m'appuyer sur un soutien quelconque, afin que dans ce désert ma foi fût éprouvée et fortifiée.
Je me figurais tout ce qu'il me dirait au sujet de mon avenir terrestre, au sujet de mon père qui se faisait vieux, et qui, s'il n'avait nullement besoin de mon soutien matériel, aurait pourtant, selon le monde, eu quelque droit à la présence de son troisième fils dans le pays, les deux aînés étant établis en Angleterre et en Amérique.
Oui, je prévoyais ce qu'il me dirait, et aussi ce qu'il penserait et sentirait sans me le dire, et sur cet omnibus le démon ne manqua pas de m'accuser de tout, surtout d'avoir un coeur froid, d'être indifférent aux miens, de vouloir « faire à ma tête », de chercher du nouveau, etc., etc.
Mais sa victoire précédente sur moi assura sa défaite dans ces heures sombres. La pensée des âmes que j'aurais pu sauver si j'avais été fidèle à Dieu lors de mon premier appel à tout quitter, quatre à cinq ans auparavant, se dressait devant moi. La musique divine d'une tendresse exquise, l'amour céleste dont l'océan avait commencé à rouler ses vagues dans mon âme lors de mon premier baptême du Saint-Esprit et la puissance spirituelle dont Dieu m'avait revêtu quelques mois auparavant à la suite de l'acte d'obéissance que j'ai déjà décrit, - tout cela me revenait à la mémoire.
Je montai l'escalier d'un pas ferme et me trouvai dans la chambre de mon ami qui venait de se réveiller à onze heures du matin, après une nuit passée au Parlement.
Je passerai cette entrevue sous silence. Mon ami fut d'ailleurs bienveillant et fidèle à ses lumières; il ne manqua pas d'être sévère envers moi, et de s'acquitter de tout son devoir. C'est d'ailleurs un noble caractère.




« La folie » de la croix.

Aux yeux humains, en effet, je faisais une folie j'occupais une situation unique qui me permettait de faire beaucoup de bien, et où, sans être trop embarrassé du poids des affaires, je pouvais travailler pour le salut des ouvriers de la « Ville modèle » avec toutes sortes d'avantages spéciaux. Ma position de pasteur reconnu de la Société des Amis m'ouvrait tout le réseau de la Société en Irlande et dans d'autres pays. Un de mes ancêtres avait été l'auteur du principal ouvrage théologique de la Société, l'Apologie de Barclay.

J'étais le plus jeune pasteur de la Société en Irlande, et avais par conséquent libre accès auprès des jeunes gens. J'étais directeur d'une école du dimanche, président d'une Union chrétienne, et président et secrétaire de plusieurs sociétés de bienfaisance spirituelle et matérielle. Un bel avenir terrestre m'était assuré et cela dans un des endroits les plus charmants de mon pays natal; - et voilà que j'allais me déraciner, et échanger le certain pour l'incertain, le connu pour l'inconnu, ma vie facile pour celle du nomade de la foi, exposé à toutes les épreuves, à tous les dangers d'officier de l'Armée du Salut dans un monde en révolte contre Dieu. Plus encore, c'était la France incrédule qui devait être mon premier poste, ainsi que la Suisse ou je ne pouvais manquer de recevoir les reproches de ceux parmi lesquels ou sous la direction desquels j'avais fait mes études, ce qui arriva en effet (1).

Oui, je paraissais être fou aux yeux de beaucoup de mes amis et quelquefois à mes propres yeux! mais je ne savais que marcher, marcher, n'importe comment pourvu que ce fût de l'avant.




Rencontre providentielle.

Dieu, dans sa bonté infinie, m'avait réservé au milieu de ces temps sombres une rencontre toute providentielle.

Parmi mes anciens amis, deux d'entre eux pensaient que j'avais raison : C'étaient un jeune docteur avec lequel j'étais très lié, homme de grande sincérité de coeur, et une dame, gouvernante des filles de cette personne dont j'ai parlé plus haut. Elle était très clairvoyante et servait Dieu avec dévouement.

Revenant de Londres, j'étais assis dans titi coin de compartiment de seconde classe, pensant aux derniers actes du drame de ma « folie », qui se préparaient. J'étais en route pour mon pays, allant faire les préparatifs de mon départ, et je devais arriver le lendemain chez mon père lui annoncer la nouvelle.
À une des stations du parcours la porte s'ouvre soudain, et quelqu'un monte... « Est-ce possible que ce soit vous! » fut l'exclamation des deux côtés. C'était la gouvernante en question. Elle ne savait pas que j'étais en Angleterre. je ne savais pas non plus qu'elle y fût. Nous habitions tous deux l'Irlande, et voici que nous nous rencontrions, ayant un long voyage devant nous. N'était-ce pas une providence remarquable que la seule personne susceptible de me dire : « je vous comprends, vous avez raison, marchez toujours » se trouvât dans ce pays, si loin de chez elle, qu'elle prît ce même train, et montât dans ce même compartiment? je ne pus, nous ne pûmes qu'y voir la main de Dieu; elle m'encouragea à persévérer, et mon obéissance fut en bénédiction à sa propre âme.




Chez mon père.

Le lendemain j'arrivai chez mon père. L'entrevue que mon coeur redoutait le plus devait avoir lieu.
Je n'avais prévenu personne de mon arrivée. je voulais tout expliquer de vive-voix pensant que cela serait plus tendre qu'une lettre.
Mon coeur semblait être cahoté sur des pavés intérieurs aussi durs que ceux sur lesquels sautillait l'« outside-car » irlandais qui m'emmenait du bateau à la maison.
Et pourtant j'aimais tendrement mon père. je me souviens avec quel élan d'amour filial je pris un de mes congés à l'avance pour aller le soigner jour et nuit, après une chute qu'il avait faite et qui lui avait brisé les côtes, sachant que ce serait une charge pour lui d'avoir une garde à gages, homme ou femme.
Et maintenant n'allais-je pas lui briser le coeur
Pourtant je sonnai d'une main ferme à la porte de la maison. J'entendis la sonnerie se répercuter à l'intérieur. Ah! qu'allais-je donc faire là ? Quel réveil pour la maison, par cette matinée froide et grise...
Après le déjeuner, resté seul avec mon père et ma soeur aînée, je leur fis part de ma décision. Il y eut un moment de silence. Mon père ne dit pas mot. Il a toujours été un homme silencieux. Ma soeur aînée, à ma grande surprise, prononça ces paroles : « Sydney est guidé par le Saint-Esprit dans ce qu'il fait; qu'il fasse seulement ce qu'il croit être son devoir. » Mon père inclina la tête et répondit : « Oui, c'est à lui à décider ce qu'il doit faire! »
Et ce fut tout. Dieu avait lui-même préparé leurs coeurs. Mon cher père avait autrefois tenu des réunions ou plutôt des lectures de la Bible et de traités pour les ouvriers, dans son propre salon qu'il faisait débarrasser chaque dimanche, et garnir de bancs où de soixante à quatre-vingts personnes trouvaient place.

Mon père avait conservé cette ferme croyance au Saint-Esprit, qui avait caractérisé nos aïeux. Plus tard, il reçut sa récompense lorsqu'il apprit que mon second frère, Percy, devenu incrédule, avait été converti par mon moyen à l'occasion d'une visite de deux jours qu'il me fit à Paris, venant d'Amérique avec l'intention de se rendre à Monte-Carlo.
Et sur son lit de mort, douze années après mon départ de mon pays, et huit années après la conversion de ce frère, le vieillard lui disait un dernier adieu au moment où il partait pour prendre la direction du poste le plus difficile et le plus éloigné du monde entier, celui de la république Argentine, comme Major de l'Armée du Salut.




« Ses pensées sont au-dessus de nos pensées ».

Ah! cher père. Comme je me souviens de cette journée ensoleillée où je visitai Paris pour la première fois lorsque tu nous conduisais, Percy et moi, en Suisse pour y achever nos études. Quel jour mémorable pour moi que ce 15 août 1868. Quelle journée radieuse de ciel bleu! Et quelles foules, quelles multitudes se pressaient dans les rues pour voir défiler Napoléon Ill, sa cour et sa maison militaire, et les garnisons de Paris! je m'en souviens comme si c'était d'hier. Tu nous avais trouvé une place près du Palais des Invalides. De tes bras vigoureux tu nous aidais à nous hisser pour voir l'Empereur, l'Impératrice et le Prince impérial. Et alors, quand le cortège de gala fut passé, que les haies humaines qui avaient bordé dans toute sa longueur l'avenue des Champs-Elysées furent rompues, et que la foule se dispersait de tous côtés en une cohue indescriptible, comme tu veillais sur nous!

Ah! tu t'imaginais peu pour quelle vie tu nous élevais, et quel emploi nous ferions de l'éducation que tu nous donnais! Tu ne t'imaginais guère que le jour viendrait où nous serions là, sur la même place, entourés de foules pareilles, dans un costume qui nous rendrait la risée de beaucoup, vendant un journal à un sou. Tu ne t'imaginais guère que ton fils Percy se trouverait là un jour, revêtu d'un voyant jersey rouge, criant notre feuille de salut et en vendant en quelques heures 200 exemplaires, se fournissant ainsi l'occasion d'engager une vingtaine de luttes corps à corps avec des incrédules et des mondains; ni que, quelques jours auparavant, il aurait fait lin holocauste des gants et des cigares, compagnons habituels, dans ses moments de loisir et de flânerie, de ces mains qui offraient alors notre journal. Non, tu ne pouvais te figurer de pareilles révolutions, de pareils bouleversements! L'Éternel sait ce qu'il fait et lui seul le sait. Mais bénie soit ta mémoire! tu ne nous as jamais empêchés de suivre la voie de notre conscience quand même tu ne pouvais tout comprendre, et ton fils t'élève ici, aujourd'hui, un modeste monument de reconnaissance filiale!!




Derniers adieux.

J'ai pu visiter mon père plusieurs fois avant sa mort; mais, à ma grande douleur, je ne fus pas à ses côtés pour recueillir son dernier soupir. Mes devoirs me retenaient sur le continent. Un dimanche soir que j'allais tenir une réunion dans notre petite salle de la rue de Bouret, à Belleville, un étrange sentiment me saisit, me faisant penser à ma famille. je parlai dans la réunion de l'amour de la famille, et de l'amour de Dieu pour la partie de sa famille terrestre qui était perdue. Le Seigneur a béni mes paroles. Neuf personnes se sont avancées pour se donner à Dieu. Plusieurs étaient en larmes. Parmi eux se trouvait une famille entière qui se réunissait en Dieu. - Ce soir-là mon père mourut. En rentrant, je reçus la dépêche m'avisant de son agonie. La transmission de ce message télégraphique avait été retardée. je partis aussitôt; mais en débarquant en Angleterre j'appris la nouvelle douloureuse qu'il était trop tard, et je ne pus voir que le visage calme et paisible du vieillard aux longs cheveux blancs qui semblait dormir dans son cercueil.

La même chose à peu près arriva pour ma chère mère. Elle avait, dans les jours de sa santé, parlé pour Dieu en public. Mais un accident de voiture avait ruiné sa santé, et une maladie grave la réduisit à l'état d'invalide. J'avais été auprès d'elle le jour avant sa mort. Pendant mon absence, nécessitée par d'importantes réunions, on m'envoya une dépêche pour m'annoncer qu'elle s'en allait. La dépêche fut égarée par quelqu'un dans la chaleur de cette bataille, mais je m'inclinai - acceptant l'épreuve comme venant de Dieu qui contrôle tous les événements et tous les incidents.

La guerre du salut ma depuis lors éloigné constamment des miens (je parle de ma femme et de mes enfants), ou tenu éloigné à des moments de maladie ou d'épreuve, mais en tout j'ai vu la fidélité de Dieu, et je n'ai jamais manqué de voir dans la suite que c'est lui qui prépare toutes les épreuves de notre foi, afin que nous apprenions dans l'obéissance à être vainqueurs et plus que vainqueurs, et que dans la mesure où nous laissons venir son règne en la pauvre « terre » de notre humanité, lui offrant notre vie tout entière avec toutes ses affections en sacrifice vivant, il en tire' toujours de plus en plus sa propre gloire et le salut de nos semblables - tout en assurant par son intervention divine la santé et la sécurité aux nôtres, qui sont devenus ainsi siens.

Puissent mes expériences en aider d'autres à obéir à la voix du Saint-Esprit, et à ce qu'il leur dit dans leurs rencontres avec Lui en la personne de ceux en qui il règne en Roi, - c'est là mon but en les écrivant.

Si l'espace me le permettait, je pourrais citer bien des remarquables exaucements de prière ayant trait précisément à cette marche, à laquelle nous sommes tous appelés comme « enfants d'Abraham » et comme « Lévites » qui n'ont rien ni personne qui leur appartienne en propre.

Mon récit peut être d'autant plus utile à ceux qui entrent dans cette vie de la foi que je ne crois pas qu'il y ait eu beaucoup d'hommes plus timides par nature que moi, ou plus difficiles à vaincre et à briser par le Saint-Esprit. Et c'est avec une conviction absolue que je puis dire que s'il m'a sauvé, moi, avec un coeur si mauvais de nature, il peut sauver tout le monde.

. (1) Une des plus sévères flagellations de langue que j'aie reçues de ma vie a été celle de mon ancien maître de français, neuchâtelois, membre du Conseil national qui vota la suppression des Salutistes. Quand j'allai le voir, espérant le gagner au Christ, car il était incrédule, il devint blême de colère. Avec quelle indignation il réprouva mes « excès », mes « folies », mes « illuminations », mes « exercices » - ne cessant de s'écrier: « Est-ce possible ! Est-ce possible que ce soit pour cela que je vous ai enseigné le français! pour que vous veniez être le seul scandale de mon pays ! » Et pourtant il m'avait aimé tendrement, et je lui rendais son affection; ut même dans nos promenades il avait consenti à m'aider dans mes efforts à me rendre maître de la langue française. 
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