Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE V

Anne Durand

(1748-1759)

suite

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Compassion...

« Les gens de ce pays sont tellement affligés que nous en sentons l'amertume ! » La prisonnière trouvait encore la force de compatir aux épreuves des autres...

Cependant on luttait vigoureusement pour arracher à la Cour une tolérance de fait, sinon encore de droit, en faveur des « Religionnaires ». Paul Rabaut avait fait le voyage de Paris, où il avait été reçu par le Prince de Conti. L'espérance était grande dans tout le Languedoc et les provinces huguenotes méridionales. Elle apparaît dans les lignes que Marie Durand, sans doute informée de ces événements, adressait le 12 juin 1755 à sa nièce. Celle-ci lui avait écrit, dès la fin de l'hiver, et la prisonnière répondit ainsi :

« Tu dois sans doute languir, ma chère fille, de recevoir réponse à ta lettre du 21 mars, puisque tu m'aimes. Au moins, je m'en flatte. Mais tu peux dire :

« De quoi vous flattez-vous, ma chère tante ? Je ne vous ai jamais vue, voulez-vous que je vous aime ?

« Peut-être n'êtes-vous en rien digne d'être aimée ? » Mais je change mon raisonnement badin pour un plus sérieux. Ta lettre me consola beaucoup, en. me disant que tu étais beaucoup mieux. J'en louais l'Auteur de mon être et je le supplie toujours, de toutes les puissances de mon âme, qu'il te redonne une santé des plus solides et que ma lettre te trouve en un état le plus ferme.

« Ne sois pas fâchée, ma chère enfant, de ce que je tarde de te faire réponse. Je suis toujours dans l'attente de te donner quelque nouvelle qui puisse te faire plaisir et qui te console. Nos affaires sont longues, mais cependant, j'espère que Dieu y pourvoira et qu'Il donnera quelque dénouement à nos malheurs pour les faire finir. Demande à ce souverain Arbitre des événements, dans toutes tes prières, qu'il veuille, par sa puissance infinie, mettre fin à tous nos maux ; car si sa grande miséricorde voulait bien nous accorder cette grâce, tu serais bientôt entre mes bras.

« Ma santé est assez bonne, béni soit le nom de Dieu ! Je le prie avec ardeur que ma lettre te trouve dans un état parfait et qu'il lui plaise de te couronner de faveurs de la nature et des trésors de la grâce, de te remplir de toutes les vertus chrétiennes, afin que tu glorifies son saint nom et que tu édifies ton prochain. Poursuis toujours le principe de la sagesse. Que la crainte du Seigneur et sa Parole fassent la règle de ta conduite et fais-toi une telle violence, selon l'Evangile, qu'on ne puisse trouver rien à dire sur ton compte. C'est toute la grâce que je te demande, ma chère fille. »

La prisonnière engageait ensuite Anne à rendre visite au marchand Garrigues. Sous le toit de ce dernier, à Genève, vivait une nièce, une jeune fille, elle aussi originaire du Languedoc. Elle portait le nom et elle était sans doute parente d'Anne Gaussent, toujours détenue à la Tour. Par celle-ci, Marie avait eu de bonnes nouvelles de la mère de la jeune réfugiée, à laquelle Anne ne manquerait pas, pensait-elle, d'en faire part, lorsqu'elle se rendrait chez Garrigues.

Le frère de la jeune fille était venu à Aigues-Mortes où il avait des parents, l'année précédente : l'héroïne l'avait vu : « J'examinai cet enfant et je remarquai en lui de grands sentiments pour l'étude. Du depuis, je l'ai appris par d'autres personnes, ce jeune enfant aurait un désir extrême de se rendre près de ce cher oncle, mais il n'oserait y paraître sans ses ordres. »

Pour bien disposer le marchand, la prisonnière recommandait à Anne de solliciter Chiron afin que celui-ci fît lui-même cette démarche : « Ce serait la plus grande oeuvre de piété, disait-elle, que M. Garrigues pourrait faire en faveur de sa famille. Je l'en conjure par l'intérêt de son salut et par les entrailles de Christ. »

C'est ainsi que la vaillante femme étendait le cercle de ses sympathies et s'intéressait, du fond de sa douloureuse retraite, au sort d'êtres qui lui étaient étrangers.

Elle resta quelque temps sans écrire, puis le 9 octobre elle reprit la correspondance pour signaler à sa nièce les nouvelles misères dont elle avait été victime : « Depuis ta lettre reçue, lui confiait-elle, j'ai eu une fluxion très violente au visage ; mes yeux s'en ressentent encore ; mais tout cela ne sera rien s'il plaît à Dieu. »

Et, comme si elle avait eu le remords d'avoir paru se plaindre, elle revenait aussitôt vers sa correspondante, et ajoutait : « Conserve-toi, le mieux que tu pourras, de cette cruelle maladie dont tu fus attaquée et apprends-moi l'état de ta santé, le plus tôt possible, car je languis extrêmement. »

Elle lui envoyait encore les salutations de ses compagnes, particulièrement de Mme de Saint-Sens, femme du pasteur Molines, et d'Anne Goutes : « Mon amie t'embrasse tendrement, de même que sa fille. Elles sont beaucoup portées pour toi. Toutes mes compagnes te font mille compliments et te souhaitent une santé des plus parfaites et que Dieu te mette auprès de moi. Nous parlons souvent de toi avec mon amie. Sois toujours bien sage, ma chère enfant. Que l'amour de Dieu et sa crainte fassent toujours la règle de ta conduite. Console-toi dans sa divine Parole. Adieu, mon ange, aime-moi et crois que tu es gravée dans mon coeur en ongle de diamant. »

Dans cette lettre, Marie disait à sa nièce : « Je t'aime autant qu'on est capable d'aimer. Si tu m'aimais autant, tu m'écrirais deux lettres pour une, car je te plains ton argent ; mais, pour me marquer ton amitié, tu ne plaindrais pas le mien. Fais-le, ma chère fille, tu m'obligeras infiniment (1). »

Anne Durand répond

Pour répondre au voeu de sa tante, Anne écrivit deux lettres l'une après l'autre. Elle lui donnait d'assez médiocres nouvelles de sa santé et lui parlait de quelques personnes dont elle avait à se plaindre. Puis elle disait encore combien la séparation lui paraissait longue, et qu'elle réclamait encouragements et conseils.

Quand Marie reprit la plume, on avait dans toute la province de grands espoirs : les premières libérations des forçats pour la foi allaient avoir lieu. Rabaut en donna le 12 novembre 1755 la nouvelle à Chiron : « Les chaînes de nos captifs commencent à tomber. On espère que peu à peu ils seront tous libérés. J'en attends trois aujourd'hui ou demain. »

Cette même note de confiance se retrouve dans la missive de l'héroïne, datée du 25 novembre suivant :

« Je t'aurais fait réponse de tes deux lettres, d'abord les avoir reçues, ce qui fut trois jours l'une après l'autre, ma chère petite, n'eût été certaines nouvelles qui se sont répandues sur le sujet de la liberté des pauvres captifs affligés, et j'ai voulu, avant de t'écrire, examiner si ces nouvelles seraient solides. On a commencé à libérer des prisonniers qu'il y avait aux citadelles de Montpellier et de Nimes, mais ces gens-là n'étaient pas jugés. Ce qui nous donne meilleur augure, c'est huit forçats qui ont été délivrés de leurs chaînes tout récemment et on nous assure que nous, misérables Maras (2), aurons part à ce bonheur. Mais c'est un bruit public.

Espoirs

Cependant, la liberté des dits forçats nous donne de grandes espérances, d'autant mieux que nos frères libres se donnent d'émulation à invoquer le saint nom de Dieu dans des assemblées nombreuses et fréquentes et personne ne dit mot. Ainsi, mon cher ange, ne t'afflige point. Le temps nous semble long et, en effet, il l'est ; parce que nous sommes naturellement impatients ; notre chair murmure toujours ; mais, ma chère fille, mortifions nos mauvaises passions. Soyons de ces violents qui ravissent le ciel. Cherchons le règne de Dieu et sa justice et toutes choses nous seront données pardessus. Délaissons nos voies et retournons à l'Eternel ; car, dans sa plus grande colère, il se souvient d'avoir compassion. Il aura pitié de sa désolée Sion et la remettra dans un état renommé sur la terre. Prions pour sa paix, car Dieu promet que ceux qui l'aiment auront prospérité. Ah, ma chère Miette, confions-nous en ce Père de miséricorde, en l'invoquant de toutes les puissances de nos âmes, et il aura pitié de nous ; il nous fera éprouver des jours calmes et sereins. Nous aurons encore la douce satisfaction de nous voir et de nous embrasser. Je serais au comble de mes désirs, et ma félicité serait parfaite dans ce monde, de me voir auprès d'un enfant que je chéris et que j'aime plus que moi-même. ,

Anne Durand, avec naïveté, avait confié à sa tante le plaisir qu'elle avait à lire ses lettres, dont l'expression souvent était si heureuse. Marie répondit : « Tu trouves mes lettres à ta fantaisie, ma chère petite ; c'est l'amitié que tu as pour moi qui fait que tu n'y découvres pas les défauts, car pour le style ni les termes, je n'y fais guère d'attention quand il est question de t'écrire, et, pour te dire vrai, je n'en recopie jamais aucune, si ce n'est que j'écrive à des grands. Mais, hélas ! quel encens me donnes-tu ! Quels éloges fais-tu de moi ! Tu me jettes dans la confusion ! Il est vrai que j'ai le bonheur d'être aimée et que personne ne me hait que par l'esprit de jalousie que, bien souvent, il provient d'un trop grand amour ; mais cela n'est pas un mérite dont je sois digne ; c'est la grâce de mon Dieu qui veut adoucir mes amertumes. Cependant, ma tendre petite, soi,% toujours sage, douce, patiente, modérée. Aie toujours confiance en notre divin Sauveur, et il ne t'abandonnera point. Tu es malade, ma chère enfant ! Que je te regrette ! Le Seigneur veuille, par sa pure grâce, te donner la santé la plus solide et te remettre bientôt entre mes mains ! Dieu nous accordera cette faveur, au moment que nous y penserons le moins. Ma santé serait assez bonne, mais j'ai un dégoût pareil au tien. Ton état triste n'y contribue pas peu. Si je pouvais te donner tout le soulagement qui te serait nécessaire, je serais encore tranquille dans ma situation. Il faut pourtant se soumettre à la volonté du Seigneur et baiser la verge qui nous frappe.

« Je te dirai que ton oncle Brunel a gagné ton procès. Toutes mes compagnes te font mille compliments, principalement Mme de Saint-Sens. Présente les miens bien empressés à M. et à Mme Chiron, et à tous tes amis et amies. Adieu mon cher ange, adieu mon tout ; crois-moi non une bonne tante, mais une tendre mère. Aime-moi toujours comme je t'aime, et sois persuadée que rien ne mettra de borne à mon amour, que la mort. »

La prisonnière espérait sa prochaine libération. A vrai dire, bien des signes en paraissaient avant-coureurs. Les pasteurs osaient à présent adresser des placets à l'Intendant, et même au Roi. Au début de 1756, Marie écrivit à l'un d'eux, Pierre Peirot, qui continuait l'oeuvre magistrale poursuivie jusqu'en 1732 par son frère, et qui s'affirmait comme le chef véritable des églises vivaroises.

Elle lui exposa la situation de la fille du martyr, orpheline et mal portante, afin qu'il intéressât à son sort les fidèles de la région : « Je me suis servie pour cela de la bonne encre », disait la prisonnière à sa nièce ; et « je suis persuadée que ledit Monsieur déférera à ma demande en ta faveur. Cependant, si, en attendant, tu as besoin de quelque soulagement, marque-le moi et je te donnerai du mien jusques au dernier. Tu peux en être assurée, ma pauvre enfant... »

Nouvelles méthodes

Peirot recourut aux méthodes nouvelles dont nous venons de faire mention, et il envoya peu de temps après une longue supplique à Versailles : il y exposait avec précision les souffrances des femmes retenues à Aigues-Mortes ; et ce paragraphe n'est pas sans lien, pensons-nous, avec la lettre qu'il venait précisément de recevoir de notre héroïne : « Que ne pouvons-nous, disait-il, représenter à vos yeux, Sire, le spectacle touchant, et en même temps bien singulier, d'une troupe de femmes enfermées pour le reste de leurs jours dans une affreuse prison, où quelques-unes ont croupi des trente années de suite, où l'on les laisse périr de misère ; cela pour avoir été trouvées occupées à prier Dieu. On associe au supplice des scélérats, on traîne sur les galères, on charge de chaînes, sans distinction d'âge ni de condition, plusieurs de nos frères. On les y laisse gémir dans le besoin de toutes choses, livrés à la férocité des comites. Quelle rigueur, Sire, quel contraste ne forme-t-elle point avec la douceur de votre gouvernement ! Comment se peut-il que, sous le meilleur des rois, des hommes faibles, innocents et vertueux, soient livrés aux supplices destinés aux plus grands scélérats ? »

On comprend que Marie Durand, dès le mois de février 1756, se soit laissée aller à l'espoir. La fin de sa lettre, de peu antérieure à la démarche de Peirot, le prouve indiscutablement. Aussi bien la prisonnière avait-elle apporté quelque retard dans sa correspondance avec Anne parce qu'elle « attendait de pouvoir lui communiquer quelque chose de certain à propos de sa délivrance ». Elle continuait, après avoir dît s'avouer pourtant que « rien ne transpirait encore », en ces termes : « Nous avons pourtant de grandes espérances. Dieu, par sa divine grâce, veuille les confirmer ! Il faut l'attendre de sa toute-Puissance. Ainsi, mon cher ange, ne te laisse pas gagner à l'inquiétude. Ce tendre Père ne nous abandonnera point. Il nous fera goûter des jours plus calmes et plus sereins. »

Les lignes suivantes semblent faire allusion à une demande en mariage dont Anne aurait été l'objet :

« A l'égard de la personne dont vous m'avez parlé, vous avez fort bien fait de rejeter ses offres. Elles ne vous auraient été que très pernicieuses. Résiste toujours, ma chère fille, à ces tentations et regarde les personnes qui te feront de telles propositions comme tes plus cruels ennemis. N'aie en vue que la parole de Dieu et sa crainte et qu'elle fasse la règle de ta conduite. Ce grand et commun Maître. me donnera la consolation de te rappeler près de moi plus tôt que nous ne pensons. Demandons-lui son secours, avec une ferme foi, et il nous l'accordera. Aie toujours ce principe de sagesse qui est nécessaire à une fille chrétienne et de ton état. Fais en sorte qu'on ne puisse pas te mordre sur ta conduite, car le monde trompe toujours quand on s'y confie. Et nous ne devons pas compter sur les amis, vu qu'il n'y a nulle sincérité. Ne manque pas de m'écrire, d'abord ma lettre reçue, car il me tarde infiniment de recevoir de tes nouvelles, et je ne serai point tranquille que lorsque j'en aurai. Apprends-moi l'état de ta santé et compte sur la sincérité de mon amitié, puisqu'elle t'est inviolable. »

Avant que Marie n'eût écrit de nouveau à Genève, un synode national s'était réuni du 4 au 10 mai 1756. Entre autres décisions on y prit celle-ci, qui parait concerner les recluses de la Tour, bien qu'elles n'y soient pas expressément désignées : « Le synode, touché des souffrances de nos chers frères confesseurs sur les galères et de celles des autres captifs pour cause de religion, et très édifié de leur constance, les recommande instamment aux prières et à la charité des fidèles. » Ainsi donc on n'oubliait pas celles dont la résistance obscure et douloureuse se poursuivait là-bas, derrière les pierres de la vieille forteresse. A la sympathie de l'opinion publique qui s'éveillait de plus en plus en leur faveur s'ajoutait celle des populations protestantes et de leurs organismes dirigeants.

Un audacieux projet

Aussi, le 17 mai, l'héroïne s'ouvrit-elle à sa nièce d'un projet singulièrement audacieux : il ne s'agissait de rien moins pour la jeune fille que de venir en Languedoc, aux bains de Balaruc. Le voyage lui serait l'occasion de se rendre à Aigues-Mortes, où les deux femmes pourraient enfin se rencontrer et resserrer dans des conversations directes les liens d'affection depuis si longtemps établis par leur correspondance.

Marie Durand se mit donc en quête de « faire compter ses deniers » à Anne, en même temps qu'elle sollicitait « une personne de considération, pour que sa nièce fut gratifiée de quelque secours ». « Je ne sais pas, ajoutait-elle dans sa lettre du 17 mai, si mes instantes supplications réussiront. Tu me feras grand plaisir de me l'apprendre pour me tranquilliser. ...Si j'avais pu t'envoyer d'argent, je l'aurais fait de grand coeur, ma chère petite. Ne t'afflige pas, mon cher ange, confie-toi à notre grand Dieu. Il mettra fin à nos maux dans le temps que nous y penserons le moins. Il nous frappe de ses verges, mais il se souviendra d'avoir compassion de nous. Ainsi soumettons-nous à sa sainte volonté, et sois bien persuadée, ma chère Miette, de ma tendre amitié, qui ne finira, je t'assure, qu'avec ma vie. Tu me trouveras toujours disposée à te prouver la sincérité de mon amour dans toutes les occasions que tu me fourniras. Adieu, mon cher enfant, mon coeur et mes entrailles t'embrassent. »

Tout à la joie d'une réunion qui lui semblait prochaine, elle engageait, en ces termes, l'orpheline à ne pas différer son départ :

« Ta lettre, ma chère petite, m'a tirée d'une grande inquiétude. Je craignais que tu fusses plus malade. >Tu tressailles de joie, ma chère enfant, dans l'idée que tu me verras bientôt. Eh bien, ma petite Miette, donne l'arrangement à tes affaires du mieux qu'il tesera possible et puis vole entre mes bras. Tu y trouveras tout l'asile qu'un enfant bien né peut trouver entre les bras d'une bonne et tendre mère. Mais, avant de partir, fais-toi faire un certificat qui fasse foi de ta sage conduite et de ton salut (3), et cela par les excellents principaux de la ville et les vénérables pasteurs et, en ce cas, tu pourras venir prendre les bains, sans aucun risque, et rester tant qu'il te plaira. Ces généreux et célèbres bienfaiteurs ne refuseront pas cette faveur à l'enfant d'un martyr et d'une misérable captive, depuis vingt-six ans, pour les intérêts du divin Crucifié ! J'ose espérer cette douce consolation de leur incomparable piété. J'ai parlé à deux habiles médecins qui m'ont assuré que les bains de sable seront ta guérison. Ainsi, je te les ferais prendre aisément ; mais il faut que tu fasses en sorte d'être ici dans tout le mois prochain. Ainsi, ma chère enfant, diligente-toi à mettre ordre à tes affaires, pour ne pas manquer le temps favorable. Tu pourras rester avec moi tant que tu voudras. S'il t'est possible, tu porteras deux paires de mitaines à jour de soie blanche, à petit dessin et beau, une paire large et l'autre plus étroite. Elles sont pour nos deux commandantes (4). Tu porteras ce qui te sert à faire tes ouvrages, parce que je t'aurai du travail autant que tu en pourras faire, soit en dentelle ou autre chose. Fais bien attention à tout ce que je te dis. Si tu pouvais trouver une calèche de retour, jusques à Nimes, tu ferais bien de t'y mettre et, si le ciel favorise ton voyage comme je le lui demande, tu iras débarquer chez, Mlle de Durand, à la Belle-Croix, à Nimes. De là tu m'écriras par la poste et je te manderai prendre. Ne néglige pas ton voyage pour te procurer la santé. Ton mal et ton état me donnent plus de chagrin que ma prison. N'oublie rien de tes hardes parce qu'elles te feront besoin. En conséquence, sois exacte de tout porter. Si tu as des bas vieux, je les enterai.

« Je suis charmée que tu m'aies donné des nouvelles de la chère Mme Martin. Fais-lui un million de brassades de ma part. Assure-là que je l'ai toujours comprise dans mes voeux les plus sincères, en reconnaissance des bontés qu'elle a eues pour moi. J'ai été vivement pénétrée de la perte qu'elle a fait de son époux. Je lui souhaite toutes les faveurs du ciel et la supplie de m'aimer toujours. Mes compagnes l'assurent de leurs respects, mais surtout mon amie Goutés, du Vigan (de Bréau). Tu feras mes tendres compliments à M. et Mme Chiron et à tous tes amis et amies. Je les remercie tous de toutes les bontés qu'ils ont pour toi. Tu diras à la petite Gaussent que sa mère se porte bien. Je lui écrirai cette semaine.

« Quand tu seras à Nimes, tu demanderas à voir Mlle Fabrot, Mlle Guireaud et Mlle Tourain. Sois toujours bien sage, ma chère fille, et hâte-toi de me consoler par le plaisir satisfaisant que j'aurai de t'embrasser. Mon amie, qui t'embrasse tendrement, languit beaucoup de te voir. »

Hésitations d'Anne Durand

Il semblerait que la correspondance de la tante et de la nièce eût dû s'arrêter là, et leur réunion suivre bientôt ces voeux et ces recommandations. Mais certains obstacles s'opposaient encore au retour en France d'Anne Durand. On lui devait en Vivarais cent pistoles qu'elle ne parvenait pas à toucher intégralement. Peut-être son état de santé l'effrayait-elle à la veille d'un voyage encore long à cette époque ; ou savait-elle que les mesures de répression prises à l'égard des « nouveaux convertis » n'étaient point encore absolument abandonnées. Elle tarda. Marie souffrait de ces incertitudes : « Tes lettres m'ont été rendues, ma chère petite, écrivit-elle le 5 août. Ma joie a été traversée, sur ce que je m'étais flattée de t'avoir à présent entre mes bras. Le Sage a dit fort à propos que l'espérance différée fait languir le coeur (5), car je t'assure que je serai toujours dans l'inquiétude jusqu'à ce que je me rassasierai de la présence ; et quand sera, ô mon Dieu, cet heureux .moment ? Une fois que tu puisses venir à bout de tes affaires, ne retarde pas ton voyage. Satisfais un coeur qui ne respire que pour toi, après ce que je dois à mon Créateur. Je ne prétends pas que tu t'arrêtes dans nos quartiers (6), ni même que tu y passes. Fais en sorte de prendre une voiture qui prenne sa route pour Nimes et tu iras débarquer à la maison que je t'ai désignée. Et tout de suite étant arrivée, donne-m'en avis et je te manderai prendre. » Puis elle ajoutait tristement : « Mais je ne m'aperçois pas que je t'écrirai encore. Le grand désir que j'ai de t'embrasser fait que je m'oublie. »

A l'exemple d'Isabeau Menet, qui demandait jadis à sa soeur un fichu qui fût beau et deux peignes d'ivoire, Marie disait à l'orpheline : « Si tu peux, tu porteras deux peignes fins, un pour moi et un pour mon amie. Elle t'embrasse bien tendrement et languit fort de te voir. »

Dignité féminine

Héroïque détail ! La dignité féminine subsiste chez ces prisonnières qui, resserrées dans leur dure prison depuis plus de vingt ans, savent garder encore au milieu de leur dénuement ce mince et légitime souci de toilette.

Marie revient encore sur la santé de sa nièce :

« Un habile chirurgien d'ici fait des remèdes pour ton mal. Il m'a dit qu'il se promettait, avec la grâce de Dieu, de te guérir. Il en a guéri plusieurs dans cette ville, et cela en toute saison. Il voulait me donner la recette des drogues ; mais j'ai dit que tu pourrais la faire ici et il m'a répondu qu'il serait encore mieux. Il vient de Paris où il a travaillé longtemps. » Puis elle ajoute : « Je n'ai pas parlé à M. Peirot de ton voyage. Il convient même qu'il l'ignore. Quand tu seras arrivée a la maison que je te dis, tu peux faire le détail de ton état à cette demoiselle, de même qu'à Mlle Fabrot ; ce sont des personnes d'une rare piété. Tu les prieras aussi de te faire procurer du travail. Elles s'emploieront à te faire plaisir. Donne-moi de tes nouvelles le plus tôt possible et dis-nous quelque chose sur le bruit sourd qui court sur notre sujet dont tu me parles. »

Sur un morceau de papier détaché, elle posait encore cette question : « Tu nie feras grand plaisir de me dire si tu es en pension ou en chambre, et, par conséquent, si tu es meublée. » Rien de ce qui touchait les conditions de vie de la jeune fille ne la laissait indifférente.

L'été passa, puis l'automne et l'hiver. Le voyage ne se décidait toujours pas. Le 26 avril 1757, Marie reprenait la plume en ces termes :

« Si tu fus longue à me répondre, ma chère fille, je t'ai imitée. Ton retardement fut occasionné par un mauvais coup à une de tes jambes, me dis-tu, et le mien par une fort mauvaise fluxion aux yeux, qui m'a aussi fait beaucoup souffrir. Dieu juge à propos de nous affliger par bien des endroits : c'est un effet de son amour, puisqu'il châtie avec plus de sévérité ceux qu'il aime avec plus de tendresse. Ainsi, ma chère enfant, baisons la main qui nous frappe, en nous soumettant à cette volonté divine. »

Cependant, les démarches de Marie avaient abouti; on avait accordé des secours à sa nièce, et elle lui en exprima sa satisfaction : « Tu as donc reçu du secours ; cela m'a extrêmement rendue tranquille sur ton compte, car j'étais d'une grande inquiétude sur ton état. A présent, je te prie de faire un bon usage de ton argent, car j'ai eu bien des soins pour te le faire avoir... Je languis fort de savoir à quoi tu dois te déterminer sur ton voyage, puisque je ne suis pas moins inquiète que toi de te savoir toujours éloignée de moi. Sois toujours plus réservée et plus sage. En cela, tu m'obligeras fort, ma chère petite. Une amie à mon amie lui manda une belle paire de bas de coton. La fille de mon amie les ôta de sa mère pour t'en faire présent ; cela nous fut un motif à rire, quoiqu'elles y fussent très portées toutes deux. Tu les auras un jour, si Dieu me fait la grâce de te conserver et de te voir. »

Marie Durand demande des livres de piété

Dans cette lettre, Marie Durand demandait un psautier en gros caractères : peut-être sa vue avait-elle subi les effets d'un séjour prolongé dans une salle où la lumière était très mesurée par l'étroitesse des ouvertures latérales, lesquelles se trouvaient au surplus en partie masquées par les écrans tendus dans leurs embrasures afin d'atténuer la violence des courants d'air.

Elle désirait que cette édition comportât « les cinquante-quatre cantiques et la musique bien réglée ». Il faut entendre par là les « Cantiques sacrés pour les principales solennités », que l'on commençait à adjoindre aux psaumes, auxquels ils empruntaient leur musique. Le professeur Pictet en était le principal auteur.

Les volumes ainsi composés, dont nos recueils de cantiques actuels sont les descendants, comportaient un certain nombre de prières pour tous les jours de la semaine et les fêtes chrétiennes ; la liturgie, et la confession de foi des églises réformées. Il est piquant de penser qu'on les laissait maintenant parvenir jusque dans la Tour.

Marie Durand priait en outre qu'on lui envoyât deux sermons publiés à Genève en 1737 : « Le vrai et le faux jubilé, en deux sermons, sur Lévitique XXV, 12, par M. Renoult. » Ainsi, on lisait et l'on chantait, dans le sinistre donjon.

Nous ignorons si Anne répondit à ce voeu. Des semaines et des mois s'écoulèrent, et elle ne quittait toujours pas Genève. Après avoir laissé espérer à sa tante sa venue prochaine elle tardait encore. La prisonnière la reprit en ces mots le 22 août 1757 :

« Tes deux lettres m'ont été rendues en leur temps, ma chère petite. Par la première, je vis que tu as été en assez bonne santé, ce qui me fit un très grand plaisir. Tu faisais semblant de me laisser entendre que je recevrais dans moins de six semaines des nouvelles plus positives ; ce qui me faisait anticiper la joie que je pensais de savourer, il y a déjà un très long temps. Et cependant, bien loin d'expérimenter ce doux plaisir, je reçois ta seconde lettre qui m'assure qu'on t'a manqué de parole et que tu as mal aux dents. Je te plains de tout mon coeur, car c'est un mal cruel. Dieu veuille te donner tout le soulagement nécessaire. L'été s'enfuit à grand pas, nous entrerons bientôt dans l'automne et après l'hiver s'ensuit. Cependant, je te laisse libre sous ta sage conduite. La longueur de l'avant-goût que tu m'as donné, il y a assez du temps, me fait juger que tu crains quelque chose ou que certain motif te retient. Pour ce qui est de mon côté, je suis toujours disposée à t'ouvrir mes entrailles et il n'y aura que la mort qui t'arrache mon coeur mes affections les plus tendres. Mais que je ne t'oblige point de rien faire à l'étourdie. Agis avec prudence ; je t'aime toujours également, ma chère enfant. Du moins, donne-moi de tes nouvelles qui me sont extrêmement chères ; car je te crois malade ou morte, d'abord que tu me manques Ainsi, écris-moi souvent. Ma santé est fort bonne, loué soit Dieu ! Je le prie de tout mon coeur que ma lettre trouve la tienne très solide et qu'il plaise à ce tendre Père de te conserver et de te mettre sous sa divine protection. Sois toujours bien sage et conserve le peu que tu as, afin de t'en servir quand il sera question. Mon amie, qui t'embrasse bien tendrement, te regrette de toutes ses affections de ton mal de dents. Elle sait ce qu'en vaut l'aune. Je ne manquerais pas, au sujet des petits, Gaussent, j'ai écrit à leur mère. Elle se porte bien et les embrasse un million de fois. Le travail pour la récolte l'a sans doute occupée à ne pouvoir lui écrire encore ; mais ils peuvent être persuadés de l'amitié de leur mère. Ne néglige pas un moment à me donner de tes nouvelles ; je te le réitère ; et cela pour calmer mes inquiétudes. Sois toujours bien assurée de ma plus tendre, de ma plus constante affection.

«Toutes mes compagnes te font mille compliments. Si tu sais quelques nouvelles, fais-m'en part. Je t'exhorte encore une fois à être prudente, principalement sur ce que tu dois m'envoyer. »

Anne resta plus longtemps que de coutume sans répondre à sa tante. Celle-ci en conçut de nouvelles et vives alarmes. Redoutant quelque accident, elle lui écrivit cette lettre émue, en date du 10 novembre 1757 :

Reproches

« Que penses-tu, ma chère petite, de garder à mon égard un silence si cruel ? Crois-tu que je sois tranquille, ne recevant aucune de tes nouvelles 9 Tu te trompes, je suis dans la plus triste inquiétude. Je pense parfois que tu es malade et, parfois, qu'il t'est arrivé quelque catastrophe et que tu n'existes plus. Je t'ai écrit il y a assez de temps. Si l'indolence retarde ta réponse, tu as grand tort', de laisser une tante, qui ne respire (lue pour toi, dans un chagrin aussi amer ; et si tu es malade, que ne pries-tu M. Chiron de m'apprendre 'ton état ? S'il te reste un brin d'amitié pour une tante qui t'aime infiniment plus qu'elle-même, fais-lui donner de tes nouvelles par quelqu'un de qui elle puisse s'en procurer sans t'incommoder. Que si est elle forcée de cesser de t'écrire, elle ne cessera jamais de t'aimer. Et il n'y aura que la mort qui éteigne son amour pour toi dans cette vie, sois-en bien convaincue, ma chère fille. Sois assurée de ma santé. Elle est assez bonne, loué soit le bon Dieu Rien ne la traverse que ton silence. Romps-le ma chère enfant, et il n'y aura point de satisfaction plus douce pour moi. »

Une fois de plus revinrent les jours de fin d'année. La vie se poursuivait toujours pareille. Mais une aube plus claire paraissait se lever : les mois nouveaux allaient-ils enfin apporter la délivrance ?

Rabaut intervient toujours en faveur des Prisonnières

Rabaut ne perdait aucune occasion de se rendre utile aux prisonnières et d'intercéder en leur faveur. En juin 1758 il rédigea un placet au Roi, qu'il remit à une dame noble, Mme Savine de Coulet. Celle-ci se rendait à la Cour. Mais laissons le pasteur nous Fixer lui-même sur le sort de son entreprise : « Cette dame le remit à la reine, la reine le remit à NI. de Saint-Florentin qui le reçut mal, alléguant que nous étions moins dans le cas que jamais qu'on nous accordât des grâces. C'est ce que m'a écrit cette dame, et elle ajoute qu'on fait courir à la cour des bruits qui ne nous sont pas avantageux. J'ai répondu à cette lettre et me suis plaint avec force, mais avec modestie, de ce qu'on nous condamnait sur l'étiquette et sans nous entendre. »




Contre l'opinion publique, l'obstination cruelle du ministre se dressait encore. On redoutait à Versailles quelque action de la flotte anglaise sur les côtes méditerranéennes, car la guerre de Sept Ans avait éclaté, depuis 1756, et l'on persistait à voir dans les populations protestantes les auxiliaires possibles d'une telle tentative. Des troupes furent envoyées à Aigues-Mortes en prévision d'un débarquement.

Pourtant Marie rassurait sa nièce. Une lettre qu'elle composa le 13 juillet 1758, la dernière avant le retour en France de l'exilée, nous en est la preuve :

« Tu veux, ma chère fille, y disait la prisonnière, que je t'écrive une longue lettre. Tu goûtes donc quelque plaisir en me lisant. Je sens, à cette demande que tu me fais, que tu m'aimes un petit peu. Mais lorsque tu me dis que tu veux venir te jeter entre mes bras, ton aveu me convainc de ta sincère amitié. Eh bien, ma chère enfant, viens, le plus tôt qu'il te sera possible, et sois assurée que tu trouveras en moi la mère la plus tendre. Je crois que tu n'as pas besoin de plus grandes protestations que celles que je t'ai faites dans toutes mes lettres...

Marie Durand prépare le voyage de sa nièce.

Viens en faire l'épreuve pour te convaincre de mon amour et ta démarche me convaincra de la tienne. Si tes affaires te le permettent, tu devrais venir du temps de la foire de Beaucaire, parce qu'alors tu pourrais venir en compagnie et tu ne ferais pas tant de frais... Que ton salut ne retarde pas - ajoutait Marie en faisant allusion, selon toute vraisemblance, à la communion de septembre. - Tu auras dans ce pays des occasions, chaque fois que tu voudras y participer. Ainsi n'attends pas au mois de septembre parce que le temps est fort inconstant dans cette saison...

« ... A l'égard de l'ouvrage, il ne t'en manquera pas, soit à faire de dentelle, soit de broderie de toutes les façons. Ainsi tu peux te régler là-dessus de porter des patrons des deux ouvrages. Du reste, tu seras égale à moi de tout ce que j'ai et de toutes mes tendres affections. Tu ne me seras donc pas à charge ; de mille façons, au contraire, tu allégeras ma chaîne que je porte depuis vingt-huit ans et adouciras mes amertumes. Vole donc, je te prie, vers ta misérable tante captive, qui soupire après cette douce satisfaction depuis tant d'années. Je serai toujours dans la langueur jusques à ce que je te tiendrai entre mes bras. Tu n'as rien à craindre dans ce pays. Les affaires ont fort changé... Mon amie te fait mille brassades bien serrées, de même que toutes mes compagnes. Elles languissent de te voir ; mais pour moi je me calcine tous les jours. »

Une enfant sort de la Tour

Lorsque cette missive fut envoyée, la jeune Catherine Falguière-Goutès était probablement sortie de la prison où elle avait grandi depuis 16 ans. Son départ dut être fort sensible à Marie qui avait veillé sur son enfance avec tant d'affection.

Nouvelle visite officielle à la Tour

Mais les événements se succédaient avec rapidité. Un délégué du Gouvernement, de Fitte, visita la Tour les 22 et 23 septembre. Il parut touché par l'état des prisonnières. Pourtant il mentionnait sur son rapport que « toutes les femmes qui sont renfermées dans les deux salles où l'on pouvait mettre quinze lits dans chacune, sont bien entretenues et ne paraissent manquer de rien. Il y a lieu de croire qu'elles ne sont nullement gênées. Elles n'ont aucune plainte à formuler. »

Elles étaient alors vingt et une. Depuis 1754, cinq avaient succombé. Parmi elles, Marie Béraud, l'aveugle, était enfermée depuis 1725 et Anne Saliège depuis 1719.

L'automne glissa une fois de plus sur les marais aux eaux grises, et l'hiver envoya dans la Tour sa bise glacée. L'inquiétude était vive parmi les emmurées.

Elles redoutaient un coup de main des Anglais contre la petite ville et l'idée d'une guerre venant jusqu'à elles « bouleversait leur imagination ».

Une étrange démarche

On intercédait en leur faveur. La même dame qui avait porté quelques mois plus tôt le placet rédigé par Marie Durand alla même jusqu'à suggérer à cette dernière de s'adresser cette fois à Mme de Pompadour. La prisonnière fit composer une supplique par un personnage inconnu. Les termes choisis dans le goût du temps faisaient de la marquise une nouvelle Esther, à laquelle « ses vertus » avaient ouvert « les avenues les plus secrètes du coeur royal ». Mais nous ignorons quel sort eut cette lettre pour le moins imprévue.

Depuis longtemps la persécution s'était ralentie, presque éteinte. Pourquoi le commandant militaire Thomond fit-il alors enfermer, dans un sursaut imprévu de rigueur, Marguerite Vincent, de Valerargues, coupable de s'être mariée au désert ? Elle fut condamnée en juin 1759. Cet acte de brutalité déconcertait.

Anne Durand revient en France

Anne Durand avait quitté Genève et s'était placée comme gouvernante dans une famille nîmoise ; mais elle côtoyait des personnes de caractère difficile, et peut-être restait-elle aussi victime de son tempérament faible et paresseux. Des difficultés surgirent ; puis 'les nouvelles devinrent meilleures. Paul Rabaut, qui veillait sur elle et qui, très probablement, lui avait trouvé sa situation, put donc écrire le 8 juin 1759 à Chiron : « On est plus content de Mlle Durand qu'on ne l'était. Il faudrait qu'elle fût bien parfaite pour satisfaire tous les parents de la petite. Tout ira bien, j'espère ; ce qu'il y a de bien sûr, c'est que je me montrerai pour elle dans toutes les occasions. »

Anne Durand va voir sa tante à la Tour de Constante.

La dernière étape était sur le point d'être franchie. Anne quitta bientôt ses maîtres et s'en fut à Aigues-Mortes où elle passa un mois - le mois le juillet 1759, - sans qu'on puisse savoir si elle logea ou non à la Tour. La fille du martyr renouait les liens de famille déchirés trente années auparavant par la persécution. Marie pouvait voir enfin cette nièce si chère devenue, de par la cruauté des circonstances et des hommes, presque sa propre enfant et pour laquelle son coeur dans la longue misère de sa réclusion avait si souvent - et si fortement - battu.

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(1) On se souviendra, pour la bonne intelligence de ces derniers mots, qu'à l'époque où ils furent écrits ce n'était point l'expéditeur qui payait les frais de transport de sa lettre, mais le destinataire.

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(2) Allusion à Ruth, 1, 20.

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(3) Allusion à la fréquentation, alors de règle en Suisse, des services périodiques de Sainte Cène.

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(4) Les femmes du major Combelles et du lieutenant du Roi Roqualte de Sorbs.

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(5) Prov. XIII, 12.

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(6) Au Bouchet de Pranles.
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