SECTION III. - Les livres de Jonas, Joël, Amos, Osée, Esaïe, Michée, Nahum. (Suite 1)

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§ 82. Le livre d'Esaïe. Esaïe; sa personne (765-698). - Le prophète Esaïe , dont le caractère , l'humilité , la compassion pour ceux à qui il parle, se trahissent en plusieurs passages de ses écrits (VI, 5 ; LXVI, 2 ; XXI, 3 ; XVI, 9), n'a laissé que peu d'indications sur sa personne et sur son histoire. Il fut appelé au ministère prophétique sous le règne d'Hosias , roi de Juda, et il continua de prophétiser sous Jotham , Achaz, Ezéchias, et probablement aussi pendant une partie du règne de Manassé. On ne sait rien de positif sur sa famille. Son père s'appelait Amots , ou plutôt Hamots , et ne doit pas être confondu avec le prophète Amos. La tradition juive prétend que le père d'Esaïe était frère du roi Amatsia, et qu'Esaïe lui-même fut le beau-père de Manassé ; elle ajoute qu'il fut mis à mort par ce même Manassé et scié en deux , sous prétexte que, par ses oracles, il avait ajouté à la loi de Moïse ou qu'il l'avait contredite (Esaïe, VI, 1. Cf. Exode, XXXIII, 20. Héb., XI , 37). Il semblerait ressortir de VIII , 3, que sa femme était prophétesse ; il eut deux fils, dont les noms et l'histoire devaient avoir une signification symbolique destinée à renforcer ses prédictions (VII , 3; VIII, 3, 4). Son nom hébreu signifie salut de l'Eternel , et représente parfaitement son caractère et ses écrits.

La durée de son ministère n'est pas connue. L'ensemble des règnes d'Hosias et de ses successeurs, jusqu'à Ezéchias , comprend cent douze années. Depuis la dernière année d'Hosias , où commença probablement le ministère d'Esaïe , jusqu'à la quatorzième d'Ezéchias , où nous trouvons ses dernières traces dans l'histoire (2 Rois, XX, 1. Esaïe , XXXVII et XXXVIII) , il y a quarante-sept ans : si l'on suppose qu'il fût âgé de vingt-cinq ans lorsqu'il commença son ministère , et si l'on admet avec la tradition juive qu'il ait vécu jusqu'aux jours de Manassé, Esaïe a pu arriver à l'âge de cent ans.

C'est vers la fin du règne d'Hosias, ou Hazaria , qu'Esaïe eut sa première vision (VI, 1). L'intégrité de coeur et une grande piété furent les caractères distinctifs de ce roi , et sous son gouvernement la nation jouit d'une grande prospérité temporelle. C'était un adorateur du vrai Dieu, quoiqu'il ait manqué en ne détruisant pas les autels et les hauts lieux consacrés aux cultes idolâtres. Hosias eut pour successeur son fils Jotham, qui marcha sur ses traces, mais qui, comme lui, conserva les autels païens , et vit , sous l'influence du luxe et de la mollesse, la vraie piété décliner de plus en plus. Après lui vint Achaz roi méchant et idolâtre, dont le règne fut une calamité nationale la loi de Dieu était scandaleusement foulée aux pieds, et le temple fut non-seulement profané et dépouillé , mais même complètement fermé vers la fin de son règne. Esaïe (ainsi que le prophète Michée) n'hésita pas à le censurer publiquement, à l'exhorter et à le menacer ; mais ses conseils et ses avertissements furent également inutiles. Le caractère de son fils Ezéchias fut bien différent ; il fit la guerre à l'idolâtrie, purifia et restaura le temple de l'Eternel , rétablit le culte , et délivra son pays de la domination étrangère ; il témoigna au prophète Esaïe le plus profond respect, et lui donna une grande place dans ses conseils au milieu des nombreuses agitations de son règne,

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§ 83. Les prophéties d'Esaïe. - La vie d'Esaïe embrasse les dernières années et la fin du royaume d'Israël. Samarie avait encore jeté quelques clartés sous Jéroboam II, contemporain d'Hosias; mais divers usurpateurs successifs avaient achevé de démoraliser et de ruiner ce malheureux pays, qui fut finalement envahi dans la sixième année d'Ezéchias , et ses habitants emmenés en captivité.

Les prophéties d'Esaïe n'ont néanmoins que peu de rapports avec l'état et la condition morale ou politique d'Israël, et concernent essentiellement le royaume de Juda.

Il importe de se rappeler quelles étaient les relations de Juda avec les nations voisines. C'étaient , avec Edom , Moab et les Philistins , des conflits sans cesse renaissants. Ces peuples, quoique tributaires de Juda et soumis par David , faisaient d'incessants efforts pour recouvrer leur liberté, et ils y réussissaient en partie sous des rois faibles et idolâtres. L'Assyrie avait grandi , et ses conquêtes s'étendaient de tous côtés. L'Egypte avait été réduite par l'Ethiopie , et les deux pays étaient réunis sous le même sceptre et sous la même dynastie. L'Assyrie et l'Egypte se préparaient à de prochains combats, et l'une et l'autre briguaient l'alliance de Juda et d'Israël. La politique la plus sage , soit que nous ne regardions qu'aux intérêts temporels , soit que nous tenions compte du caractère religieux des royaumes israélites , était naturellement de s'abstenir et de rester neutres. Babylone , comme l'a démontré Haevernick, n'était encore qu'un petit royaume tout-à-fait secondaire, défendant contre l'Assyrie son indépendance , mais s'élevant peu à peu. C'était de la part de Mérodac-Baladan une preuve de sagesse que l'envoi d'une ambassade à Ezéchias; mais il fallait l'inspiration de l'Esprit de Dieu pour prédire la future puissance de Babylone et pour annoncer que ce serait elle, encore insignifiante, qui subjuguerait un jour le royaume de Juda.

Les deux événements les plus considérables de l'époque d'Esaïe sont : d'abord l'invasion de Juda par les forces combinées de la Syrie et d'Israël, suivie dé la destruction du royaume des dix tribus ; puis , dans la quatorzième année d'Ezéchias , l'invasion assyrienne, qui se termina par la défaite de Sanchérib sous les murs de Jérusalem. C'est dans l'intervalle de cette période, ou quelques années plus tôt, que se placent les deux dates les plus importantes de l'histoire du monde , l'année de la fondation de Rome, 753 avant Christ, et le commencement de l'ère de Nabonassar, 747 avant Christ. La date de la première olympiade, 776 avant Christ , n'est que de peu d'années antérieure à Esaïe.

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§ 84. Authenticité. - Depuis la fin du siècle dernier (1770-1780), l'on a essayé de répandre des doutes sur l'authenticité de certaines parties d'Esaïe, en particulier sur les chapitres XIII, XIV, XXI, XXIV à XXVII, XXXIV, XXXV, et sur toute la dernière partie de XL à LXVI. On les a attribués à divers auteurs qui auraient vécu beaucoup plus tard, à peu près à l'époque de la captivité de Babylone. On s'appuie , pour soutenir cette opinion , de quelques caldaïsmes de langage et de quelques particularités de style. Voici ce qu'on peut répondre :

S'il y avait en effet de nombreux caldaïsmes dans le style, cela même n'aurait rien d'étonnant, puisque nous voyons, par 2 Rois, XVIII, 26 , que la langue caldéenne (araméenne ou syriaque) était familière aux fonctionnaires publics de la cour d'Ezéchias. Mais, en fait, il n'y a que trois caldaïsmes bien caractérisés, tout au plus quatre , et encore se trouvent-ils dans les parties généralement reconnues comme authentiques (VII, 14 (?) ; XXIX, 1 ; XVIII, 7; XXI, 12).

Les soi-disant différences de style, entre certaines parties et certaines autres, ne sont pas plus grandes que celles que l'on trouve toujours entre les premières productions d'un écrivain et celles de sa vieillesse, ou bien entre des discours faits pour être prononcés et des pages écrites pour être lues. Un examen sérieux et attentif prouve , au contraire , que d'un bout à l'autre du livre c'est bien le même style, énergique , magnifique et sublime. Sous ce rapport, les chapitres indiqués ne le cèdent en rien à ceux qu'on admet comme ayant été composés par Esaïe.

Notre Seigneur et ses apôtres citent le prophète Esaïe comme ne formant qu'un seul tout. Ils le citent plus souvent qu'aucun autre prophète, et lui attribuent entre autres les chapitres I, VI, IX, X, XI, XXIX, XL, XLII, LIII, LXI et LXV. Tous ces chapitres faisaient partie de la version des Septante, qui datait de 280 avant Christ. C'est enfin le livre du prophète Esaïe qu'on remit à notre Seigneur dans la synagogue de Nazareth, quand il l'ouvrit pour y lire LXI, 1-3 (voyez Luc, IV, 17). L'unité du livre se voit également par la disposition régulière de l'ensemble.

Remarquons enfin que presque tous les auteurs qui donnent à ces fragments d'Esaïe une date postérieure, sont des hommes qui nient ou restreignent l'idée de l'inspiration , celle précisément dont ces chapitres fournissent par leur contenu les preuves les plus évidentes. Aucune sagesse humaine ne pouvait en effet prévoir aux jours d'Esaïe l'élévation et la chute de la monarchie des Caldéens, bien moins encore l'origine et le nom du futur conquérant de Babylone. Ceux qui nient la possibilité du fait prophétique doivent naturellement placer plus tard des oracles aussi clairs et aussi précis. Malheureusement pour leur cause, ils sont loin de s'entendre entre eux ; leurs assertions se contredisent souvent, et les recherches qu'ils ont provoquées n'ont fait que confirmer la tradition ancienne et la divine origine des oracles d'Esaïe.

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§ 85. Division du livre. - Les oracles d'Esaïe ne sont pas arrangés exactement selon l'ordre chronologique. Le livre, tel que nous le possédons, se divise en deux parties principales.

1re Partie. Chap. 1 à XXXIX. Discours prophétiques prononcés en diverses circonstances et à diverses époques, la plupart portant immédiatement sur des questions morales et religieuses, et sur la prospérité de la nation. Cette partie se subdivise en quatre sections :

a. I à XII. Prophéties du temps d'Hosias (chap. VI), de Jotham (Il à V) , d'Achaz (VII à X, 4) et d'Ezéchias (I; X, 4 à XII), concernant le royaume de Juda et celui d'Israël, l'avènement de l'Evangile et la venue du Messie pour juger.

b. XIII à XXIII. Prophéties contre des peuples païens l'Assyrie, Babylone, Moab, l'Egypte, les Philistins, la Syrie, Edom et Tyr; le chapitre XXII est dirigé contre un certain Sebna.

c. XXIV à XXXV. Prophéties du temps d'Achaz et d'Ezéchias , concernant le royaume de Juda. Le prophète décrit les péchés et la misère du peuple; il dépeint l'invasion assyrienne, la destruction de Samarie, les alarmes, la détresse et la délivrance finale de Jérusalem, avec de nombreuses allusions à la conversion des Juifs à l'Evangile, et à la destruction des ennemis de l'Eglise.

d. XXXVI à XXXIX. Notice historique. Esaïe raconte l'invasion de Sanchérib et la destruction miraculeuse de son armée en réponse aux prières d'Ezéchias. Maladie d'Ezéchias, sa guérison, sa vie prolongée de quinze ans (cf. 2 Rois, XVIII à XX).

IIe Partie. Chap. XL à LXVI. Ensemble de prophéties concernant les malheurs du peuple exilé , composé probablement sous le règne de Manassé. Le prophète se transporte dans l'avenir, et son coup-d'oeil comprend toute la période qui s'étend de la captivité à la fin de l'économie évangélique. La délivrance de Babylone sert à représenter une rédemption infiniment plus grande , le prophète unissant l'un à l'autre ces deux événements d'une manière si intime, qu'il parle rarement de l'un sans laisser entrevoir le second. L'objet de toute cette partie est résumé dans les deux premiers versets (XL, 1, 2).

Les principaux événements annoncés, ou sujets traités, sont l'affranchissement des Juifs par Cyrus (environ deux cents ans avant sa naissance), la ruine de leurs oppresseurs (XLIV, 28 ; XLV, 1-5; XLVII); le retour des Juifs en Judée, et le rétablissement de leur ancienne cité et de leur nationalité (XLIV, 28) ; la venue, le caractère, le ministère, les souffrances, la mort et la gloire du Messie (XL, 3, 4; XLII, 1, 6, 7; XLIX, 1 ; LV, 4, 5; LIII, 4-12, LXI, 1, 2; L, 6) ; la chute de l'idolâtrie, la vocation des Gentils (XLIX, 5-12; LXV, 1); la méchanceté des Juifs consommée par la réjection du Messie , leur propre réjection , leur future conversion et leur relèvement, le triomphe définitif de l'Eglise (LIII, LIX, LXII, LXV). Ces sujets sont quelquefois indiqués par un mot , «autres fois ils sont traités d'une manière plus explicite ; souvent ils se confondent l'un avec l'autre par de rapides transitions et ne se distinguent pas toujours bien clairement.

Le prophète parle aussi de l'influence du Saint-Esprit , tout en faisant comprendre que la plénitude de son développement reste réservée pour les temps évangéliques ( LXIII, 10-14; XLIV, 3).

Le grand nombre et la clarté des oracles qui se rapportent au Messie et à l'Evangile sont si remarquables , qu'ils ont valu à Esaïe le titre de prophète évangélique , et l'on pourrait presque ranger ses écrits au nombre des livres historiques du volume inspiré.

Parmi les oracles d'Esaïe, nous en trouvons plusieurs qui ont eu un accomplissement assez immédiat et assez rapproche pour confirmer la foi des contemporains , et pour inspirer ainsi de la confiance dans la vérité des prophéties concernant un avenir plus éloigné. La Syrie , par exemple , et Israël devaient être conquis par l'Assyrie avant que le petit enfant du prophète pût seulement dire : Mon père (VIII, 4). La gloire de Kédar devait tomber dans l'espace d'une année (XXI , 16), celle de Moab au bout de trois ans (XVI, 14), celle d'Ephraïm au bout de soixante-cinq ans (VII, 8 ) , celle de Tyr au bout de soixante-dix ans (XXIII, 15) ; la vie d'Ezéchias devait être prolongée de quinze ans (XXXVIII , 5-9) , et ces oracles , en se réalisant aux yeux des contemporains , ne pouvaient que consolider l'autorité du prophète, cri constatant qu'il était bien l'envoyé du Tout-Puissant.

Les leçons morales abondent également dans Esaïe. Des oracles aussi remarquables , comme preuve de l'intervention divine et de l'inspiration d'en haut, ne sont pas moins remarquables comme manifestation des volontés de l'Eternel , et de sa juste et jalouse sévérité envers ceux qui négligent son alliance. Les Juifs étaient fiers de l'Egypte, leur gloire, et ils se confiaient en l'Ethiopie, leur espérance. Dieu frappera l'une et l'autre, pour faire comprendre aux Juifs leur folie de s'appuyer sur eux et de chercher du secours chez ceux qui sont réellement pour eux des ennemis. Les oracles contre Edom et contre Babylone devaient encourager et fortifier les Juifs pieux au milieu des calamités dont leur patrie était menacée , et leur rappeler que les péchés finissent toujours par être frappés de la colère de Dieu , quelque longue qu'ait pu être sa patience. Les cruautés, les impuretés, les crimes des nations païennes sont suffisamment connus , et sont partout et toujours condamnés. Mentionnons encore l'orgueil condamné en Babylone et en Moab , en Tyr et en Ephraïm (XIV, 13 ; XVI, 6 ; XXIII, 9 ; XXVIII , 3); la convoitise , le luxe et la sensualité en Juda (V, 8, 20) ; la recherche de tous les plaisirs mondains à Jérusalem et à Babylone (XXII, 13; XLVII , 8); l'orgueil spirituel et l'incrédulité partout.

Abstraction faite même des prédictions proprement dites, le livre &Esaïe reste donc un des plus importants et des plus riches en enseignements salutaires que renferme pour nous la révélation.


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